Ça, cest une chanson déprimante mais faut bien ça parce que je le suis, déprimé. Non en fait cest carrément pire que ça. Cest la première fois de ma vie que jai aussi mal, vous savez, au cur. Jai limpression de porter un poids énorme et en même temps de me trainer comme une larve. Minable, raté, inutile. Les gosses dont les parents sont morts sont des orphelins. Et les parents qui perdent leurs mômes, ça donne quoi ? Veuf on le devient quand sa femme clamse. Mais ya pas de mots pour ceux qui apprennent la mort de leur enfant. Et mest avis que cette fois ce nest pas juste une bizarrerie mesquine de la langue française cest parce quon ne peut tout simplement poser de mots là-dessus. Je le lui avais dit à Lexi : « Jai besoin de toi pour vivre, sans toi je ne fais que survivre » et cétait vrai. Atrocement vrai.
Putain !Là, si vous voulez tout savoir, jai balancé un vase (qui nest pas du tout à moi et qui doit couter cher) sur le mur juste en face de moi. Et je chiale comme un con, tout seul dans ma piaule. Cest ce que jai fait toute la journée : chialer. Je sais depuis ce matin. Ça faisait quelques jours que javais une drôle de boule au ventre, une sorte de pressentiment peut-être très légèrement guidé par la dernière lettre de ma gamine me disant quelle était mourante parce quon lavait attaquée et que, de toute façon, elle était trop fatiguée et quelle ne voulait plus vivre. Et puis ce matin il y avait eu une autre lettre, écrite par le médecin de Bourg. Ils avaient fait tout leur possible pour la sauver mais finalement ça avait foiré. Elle était trop faible et ses assaillants y étaient allés trop fort. Après mavoir présenté leurs « sincères condoléances », ils me disaient lavoir enterrée comme il se devait et minvitaient à venir me recueillir quand je le voudrai sur sa tombe. Sa tombe
Jai merdé, complètement merdé. Au lieu de rester aux côtés de ma môme immobilisée dans une ville morte, je me suis barré rejoindre Alicina à Bourg. Elle était blessée, elle allait mourir. Mais ça, ça change rien. Jaurais jamais dû partir, encore moins poursuivre le voyage avec elle, Léna, Vec et sa mioche. Même si cétait pour récupérer mes écus cétait une connerie. Et ma gamine lavait payé de sa vie.
Si tu savais comme je regrette
Dune main je caresse la mèche blonde qui a appartenu à celle qui nest plus là pour mentendre. Celle pour qui jaurais tout fait, tout donné à commencer par ma vie. Je laimais, je laimais vraiment. De toutes mes forces, de toute mon âme. Cétait dailleurs la seule personne que jétais sûr daimer toute ma vie. Sauf quelle nest plus là et que ça, cest de ma faute. Parce que jai merdé. Encore. Et cette connerie-là, jamais je pourrai me la pardonner, cest allé trop loin. Jamais je pourrai la réparer, jamais je pourrai oublier. On dit quil y a quatre phases au deuil, je suis passé directement à la quatrième. La dépression.
Jessuie dun mouvement rageur les larmes qui nen finissent plus de couler et me force à boutonner correctement ma chemise. Un bal
je vais à un putain de bal alors que ma gamine vient de mourir ! Encore une idée de ma gonzesse, ça. Ne vous y trompez pas : je laime, je ladore. Elle est carrément géniale même si complètement tarée. Mais je ne vais pas pouvoir rester. Je ne pourrai pas la voir sans penser que si elle est là cest parce que ma môme ne lest plus. Je ne pourrai pas lembrasser et la serrer dans mes bras sans penser que ça, plus jamais je ne pourrai le faire avec ma gamine. On parle mariage et bébés mais je pourrai pas assumer. Je ne pourrai pas moccuper dun enfant alors que jai perdu Lexi, même pas de mon fils, celui que jai eu avec Maryah. Alors je vais me barrer. Ce soir. Loin. Vite. Sans rien dire à personne et surtout pas à Ali.
Je prends quelques minutes pour fumer, à la fois parce que ça maide mais aussi parce que lodeur de la fumée pourra justifier mes yeux rougis. Personne ne doit savoir. Personne sauf
Vec. Parce que je viens de changer davis, je vais tout lui dire. Cest mon meilleur pote, mon frangin. Et cétait le parrain de Lexi alors faut que je le lui dise, surtout que lui aussi a une mioche. Faut quil en prenne soin, quil la protège. Moi je nai pas su le faire, lui il peut encore. Fort de cette résolution, je me décide à ouvrir la porte de ma piaule et à rejoindre le lieu des réjouissances. Il y a déjà de la musique, de la bouffe et de lalcool. Des gens, aussi. Je suis tout sauf à laise quand je rejoins lattroupement formé. Faire semblant, sourire. Juste le temps dune soirée. Après, je pourrai sombrer. Dabord, les inconnus. Ça, cest facile. Une poignée de main pour lhomme, un baisemain pour la femme.
Salut vous deux ! Moi cest Niallan, ravi de vous rencontrer.Maintenant, les rousses. Plus compliqué mais faisable. Jadresse un immense sourire à celle qui porte la robe verte.
Tes absolument splendide.Javais même pas besoin de me forcer. Elle létait, splendide. Elle ne mettrait pas longtemps à trouver un autre homme, un qui lui ferait oublier le minable que je suis. Un qui sera stable, qui voudra lépouser et couler des jours heureux dans une baraque comme il faut. Un pas comme moi. Je me force à sourire en me détournant dAli pour lorgner sa frangine.
Rassures-toi, tes pas trop mal non plus mais en tant que demi-père mon opinion risquerait dêtre très peu objective. Je laisse Vec seul juge
mais pas tout de suite, dabord faut que je lui touche deux mots.Jattrape mon pote par les épaules et le regarde. Droit dans les yeux. Juste une seconde pendant laquelle je nessaye plus de faire semblant, ça lui suffira pour quil comprenne que quelque chose est arrivé, que cest sérieux. Et quil peut tout sauf refuser de me suivre pour reluquer plus longtemps les deux rousses et la brune.
Jadresse un clin dil aux autres invités et entraine Vector avec moi, mimant un fou-rire pour dissiper les éventuels doutes des rouquines. Ce nest quune fois éloignés de tout ce beau monde que je marrête de marcher, que je relâche ses épaules pour affaisser les miennes et que je baisse la tête parce que lui dire ça dans les yeux, je peux pas.
Lexi est morte.Bordel, cest pas vrai. Cette simple phrase marrache des larmes. La gorge nouée par lémotion, je peine à reprendre la parole mais cette fois je le regarde et dans mes yeux on peut tout lire : de la colère au désespoir. De la souffrance au renoncement.
Je vais partir, Vec. Ce soir. Je ne sais pas si je reviendrai un jour et honnêtement jen doute alors
prends soin delles trois, daccord ? Garde bien ta rousse, trouve un type bien pour sa frangine. Et ta gamine
protège-la. Ne labandonne pas.Pas comme je lai fait.
Cest ce que jaurai dit si les mots avaient voulu sortir mais ils nont pas voulu alors je me suis laissé tomber sur le sable et jai fermé les yeux, pris du sable dans mes mains et attendu.
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