Roselise
- "Tu disais que seule la mort pouvait nous séparer.
Je ne pensais pas qu'elle viendrait aussi tôt...
Et il n'est pas de larmes pour supporter le poids de ton absence.
Je crois que je suis, moi aussi, un peu morte.
Depuis toi, depuis cette seconde où ton souffle a cessé." Roselise
C'est après une course effrénée dans les ruelles de Montpellier que Rose déboula en haut de la falaise, le souffle court. Le regard perdu dans le vide, elle cherchait le courage de sauter dans cet abîme. Sa main qui se posa sur son ventre à peine arrondi la rappela à l'ordre. Elle songea au petit être qui y grandissait et finalement se laissa tomber à genoux juste au bord du précipice pour hurler comme une louve, jusqu'à en avoir la voix brisée... Puis, un silence lourd plomba cette journée qui touchait à sa fin. La jeune femme leva vers le ciel, qui s'embrasait de teintes rouges, un visage ravagé de larmes. A cet instant, elle aurait voulu être foudroyée pour que cesse cette douleur qui lui étreignait le cur. Elle demeura longtemps agenouillée, immobile, le corps parfois secoué par de longs sanglots. Des petits cailloux écorchaient sa peau mais elle n'en avait cure. Rien ne pouvait lui faire aussi mal que la peine qui la déchirait. Ce n'est que lorsque la nuit s'installa que Rose quitta la falaise pour s'en retourner chez elle, anéantie, le visage déformé par un rictus de désespoir.
Et pourtant, moins d'une semaine auparavant, Rose était encore l'épouse comblée de Mychael La Canéda. Moins d'une semaine auparavant, elle se réjouissait de son bonheur, et de ce ventre que l'amour avait béni. Son époux devait faire un court voyage pour une livraison de carcasses et il avait tenu à ce qu'elle reste à Montpellier, préférant lui éviter les chemins chaotiques à cause de sa grossesse. Rose avait bien tenté de le convaincre de l'emmener avec lui, incapable de lui expliquer l'angoisse qui lui nouait l'estomac. Mychael s'en était moqué avec tendresse, avant de les embrasser, elle et son ventre qui abritait le fruit de leur passion, et de quitter la maison en lui promettant d'écrire chaque jour. Cependant, elle ne reçut aucunes nouvelles, et la jeune épouse s'angoissait chaque jour davantage de ne pas le voir revenir.
En cette fin de journée, c'est un maréchal qui vint l'avertir que son époux avait succombé à ses blessures lors d'une attaque de brigands. Il lui remit son alliance et le bracelet de cuir qu'il portait à son poignet gauche, identique à celui qu'elle arborait au poignet droit et qui étaient gravés de leurs initiales. Elle serra dans sa paume ces deux objets. Ainsi, c'est tout ce qui lui restait de l'homme qu'elle aimait tant. Une alliance, un bracelet et un enfant à naître. Elle faillit mourir sur l'heure, refusant d'imaginer cette abomination. Le visage décomposé, Rose leva les yeux des trésors qu'elle tenait dans sa main pour les poser sur le porteur d'une si funeste nouvelle. Elle ne prononça pas un mot, n'émit pas un cri ni ne versa une larme. Le choc était trop dur à encaisser, elle était comme figée et tout tournait autour d'elle. Ce n'est qu'une fois l'homme parti qu'elle réalisa vraiment qu'elle ne reverrait plus jamais son époux. Qu'elle n'entendrait plus son rire résonner dans leur maison, qu'elle ne se blottirait plus dans ses bras pour s'endormir... Et ce n'est qu'après sa fuite vers la falaise qu'elle se laissa aller à son chagrin, la voûte céleste pour seul témoin de son désespoir.
De retour chez elle, Rose se rendit directement dans la chambre et enroula son corps tremblant dans une des chemises de Mychael avant de s'allonger sur leur lit, épuisée. Elle ne trouva ni sommeil ni répit à sa douleur, mordant son oreiller pour ne pas crier. Elle n'était que souffrance, et cette souffrance générait tous les démons. Elle en voulait à la terre entière. Ces charognards l'avaient dépossédée de ce qu'elle avait de plus précieux... La jeune veuve finit par se lever au milieu de la nuit, elle se devait d'avertir la famille de son défunt époux et elle savait sa belle-sur à Lodève. Ni une ni deux elle enfourcha sa monture. Une nuit sans lune couvrait sa chevauchée éperdue vers la ville voisine. Le vent fouettait son visage, rongeait sa peau délicate. Comme si cette course pouvait la soulager du fardeau qui l'endeuillait.
Au matin elle arriva à destination. Ses yeux rouges et cernés, d'habitude si pétillants de vie, n'engendraient plus de larmes à force de pleurs. Méconnaissable avec son teint livide et sa longue chevelure blonde toute emmêlée, Rose n'était plus que l'ombre d'elle-même lorsqu'elle fit le tour des auberges pour trouver Patt.
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