Ingeburge
Dernier tour de piste au rythme et bruits des trompettes, grelots et tambourins. Le cortège fait des hommes d'armes musiciens, diseurs, maréchaux d'armes et arbitre parada gaiement malgré le sérieux de l'instant. Ceux-ci étaient fiers certainement d'être arrivés au bout de leur entreprise... éprouvante car s'ils n'avaient pas, chaque jour, défié au moins un tournoyeur, ils n'en avaient pas moins vécu dans leur chair cette semaine de compétition. La nostalgie viendrait plus tard, au moment où l'on décrocherait les oriflammes, démonterait tribunes et champ-clos, replierait les toiles de tente, remiserait le matériel, déblayerait les sable. Mais pour l'heure, c'était la joie qui prédominait, allégresse matinée toute fois d'une solennité qui transparut dans les mots prononcés par Ingeburge, une fois le tour du terrain achevé :
Nobles dames, nobles seigneurs, la bienvenue sur la lice du Tournel! En ce jour dédié à Saint Louis, patron du Royaume de France, deux membres issus de sa noblesse vont s'opposer lors de la finale de la troisième édition des joutes du Tournel donnée par le très noble et le très redouté Actarius Malzac d'Euphor, pair de France et ici en ce Languedoc où il nous accueille, comte du Tournel et baron de Florac.
Les trompettes retentirent, en trois salves.
On y était. Enfin.
Après cent vingt-sept confrontations.
Cent cinquante-neuf lances brisées.
Cent quarante-et-une chutes.
Treize duels à l'épée.
Soixante-deux touches d'estoc et de taille.
Des litres de vin et de bière.
Des quantités astronomiques de nourriture.
Une pluie de vivats, d'encouragements, d'applaudissements.
Tout cela pour une rencontre qui pourrait s'achever à peine débutée, un ultime point d'orgue plein d'intensité et d'appréhension.
LA finale. Celle ce vers quoi chaque participant avait tendu. Ce qui avait été ardemment espéré sous les toiles du campement, pendant la pose des plates. Et il n'y avait que deux élus, ceux qui avaient réussi à franchir les obstacles, à se jouer des pièges, à faire preuve de vaillance et de constance, tour après tour.
Ce fut eux qui furent introduits à la foule garnissant les travées des tribunes.
Vous avez, nobles dames, nobles seigneurs les autres assisté aux prouesses des cent vingt-huit participants. N'en reste que deux et ce sont ces deux-là que vous allez soutenir, applaudir et encourager!
Une main gantée et baguée se tendit une première fois :
À ma droite, celle qui pour se hisser en finale a successivement affronté et battu six adversaires!
Lors des soixante-quatrièmes de finale, elle a abattu le vicomte de Doubs.
Lors des trente-deuxièmes, elle a envoyé au sol le duc de Mortain.
Lors des seizièmes, elle a fait chuter la duchesse de Châteauneuf-sur-Loire.
Lors des huitièmes, elle a jeté hors de selle la dame de Sisley.
Lors des quarts, elle est venue à bout duc vicomte d'Ambrière.
Et enfin, lors des demi-finales, c'est en soulevant de selle la duchesse de Saint-Cirq qu'elle a conquis sa place pour l'ultime tour des joutes du Tournel.
Veuillez acclamer dame Idril de la Fiole Ébréchée de Sparte, baronne de Mercy-le-Haut, dame de Dampierre, de Nommay et de Villers-le-Lac!
Elle ajouta :
La baronne portera un « coupé : au premier, parti de deux, en I, d'or, à la croix d'azur, qui est de Mercy-le-Haut, en II, de gueules, à deux clés d'argent posées en sautoir, qui est de Dampierre, en III, écartelé, en 1 & 4, d'or, au cerf de gueules, en 3 & 4, du même, au loup ravissant d'or, qui de Nommay; au second, parti, en I, qui coupé d'or et de sable, à l'aigle bicéphale d'argent, becquée, lampassée, liée et armée d'or, qui est blason de famille des Sparte, en II, de gueules, à une rose dans une fiole ébréchée, le tout d'argent, au trescheur d'or, qui est blason de famille des Fiole Ébréchée; à l'enté en pointe, d'azur, à l'ancre d'or, qui est de Villers-le-Lac. »
L'écu fut avancé, se détachant des autres alignés.
Une pause fut marquée et elle reprit, tendant cette fois son bras de l'autre côté :
À ma gauche, celle qui s'est débarrassée d'un nombre équivalent d'adversaires, et avec la manière.
Lors des soixante-quatrième de finale, elle a fait vider les étriers au comte de Miglos.
Lors des trente-deuxièmes, elle a pris le dessus sur le seigneur de Termes.
Lors des seizièmes, elle a poussé au sol le duc de Châteaurenard.
Lors des huitièmes, là encore elle a mis à terre sa concurrente en la personne de la dame de Sennely.
Lors des quarts, elle a franchi l'obstacle de la vicomtesse du Mont-Saint-Michel.
Lors des demies enfin, elle a repris la stratégie du vidage d'étriers pour battre le seigneur de Castelnau-d'Auzan, accédant ainsi à la finale.
Veuillez faire un triomphe à Sofja Jagellon, vicomtesse de Bellegarde-en-Marche, dame des Billanges!
Et elle poursuivit :
La vicomtesse portera un « écartelé : en I & IV, de sable, aux trois pals d'argent, chargés chacun de six tourteaux de gueules, qui est de Bellegarde-enMarche; en III, tiercé en pairle, en 1, d'or à l'aigle bicéphale de sable, sommée de deux couronnes impériales, becquée & languée d'or, tenant dans la serre dextre un sceptre impérial de gueules & dans la serre senestre un monde du même, l'aigle chargée sur la poitrine d'un écusson d'azur au monde d'or, accompagnée en chef d'une grande couronne impériale du même, en 2, de gueules, au chevalier d'argent à l'armure et la monture du même, cabrée à dextre & harnachée d'or, le chevalier aux éperons d'or, tenant vers senestre une épée d'argent garnie d'or dans sa main dextre, &, dans sa main sénestre, tenant un écu soudé d'une croix de Lorraine, en 3, de gueules, à l'aigle d'argent, becquée, languée, membrée, armée et liée d'or, qui est blason de famille plain des Jagellon; en IV, d'azur, à la statuette reliquaire d'or représentant Saint Étienne de Muret, qui est des Billanges. »
Un second écu sortit du rang.
S'en suivit une lente sortie des écus qui avaient été décrochés des palissades. N'en resta au terme de la longue procession que deux, ceux présentés, montrés et blasonnés, pour le plaisir des yeux et des oreilles, car entendre maniée la langue héraldique avait une sorte d'effet magique. Durant ce temps, les diseurs s'étaient déployés aux quatre coin du champ-clos, Ingeburge avait grimpé sur son estrade couverte et le reste du cortège s'était dispersé vers la sortie du terrain. Une ultime fois les bucines finirent par résonner, les oriflammes semblèrent ondoyer en harmonie avec les notes scandées.
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/ [Malade. Merci de votre (in)compréhension.]