Takanomi
Ouvert, évidemment.
- Et c'était là qu'elle commençait.
Dans un sens, comme dans un autre.
Le clochard, monté sur son vieux canasson avait passé les portes avant que le jour ne se lève et trottait vers le sud à un rythme lent balloté çà et là par les sinuosités escarpées du chemin. Le chargement qui comprenait une sacoche de cuir bourrée et un lourd écu de chêne bordé de fer ne semblaient pas entraver les pas de la puissante bête qui allait irrémédiablement de l'avant.
Pourtant, Camille fut à cinq doigts de tirer sur la bride et de rebrousser chemin. Car si ses muscles n'évoluaient pas d'un pouce dans ce sens, son esprit, lui, avait déjà effectué une demi-douzaine d'aller-retours de l'espèce de couche d'où il s'était levé à l'endroit où il chevauchait présentement.
Quelle est la signification de tout ceci ? se marmonnait-il intérieurement, sans pouvoir donner de réponse à la question suscitée.
Il y a de cela quelque jours, au cours d'une conversation qu'il avait avec Chiméra, le Prévôt des maréchaux de Bretagne, lui fut proposée une mission qui consistait à se faire pister par des douaniers et tenter de les semer en guise d'entraînement pour ces derniers et ce à travers quelques routes et sentiers qui avaient été convenus par avance. Sur le coup et dans un élan d'on ne sait quel enthousiasme, il avait accepté. Et d'un jour à l'autre, il s'était retrouvé avec deux jours de nourriture sur lui à devoir courir pendant plus d'une semaine une moitié du pays pour le compte de gens qui, dans quelques mois ou un an, auront oublié jusqu'à son existence. Un mal pour un rien, a priori. Une semée stérile. Mais il était inutile de revenir sur ses pas à présent.
C'est peut-être le moment de rentrer en Artois. pensa-t-il.
Et les figures niaises de sourires feints de ceux qui y dirigeaient lui revinrent en tête, tandis qu'il gravissait une petite butte qui surplombait le chemin, recouverte d'une herbe aussi maussade que son humeur. Il écarta rapidement l'idée lorsqu'il pensa à son Tro Breizh sans doute à venir et à différentes questions qui le turlupinaient depuis qu'il avait mis le pied ici et auxquelles il espérait trouver réponse. En réalité, le premier servait de prétexte pour permettre les secondes.
D'ailleurs, il se contentait de suivre docilement un groupe qu'il se mit dans l'idée de suivre. D'où lui était venue cette idée, il ne le savait et ne se l'expliquait pas.
Le soleil frappait de face et il n'y avait pas encore d'arbres en vue. Et ce n'était pas pour tout de suite car il lui restait plusieurs lieues à parcourir avant d'atteindre l'endroit convenu, la lisière d'une forêt qui s'étendait entre Rohan -d'où il venait, et Rennes. Après quoi, il allait devoir revenir sur la route jusqu'au carrefour aux abords de Rohan et poursuivre vers le sud. Ce qu'il s'était figuré de ne point faire. Pour semer ses poursuivants rien ne valait de couper vers le sud ouest par les landes et les plaines herbeuses.
Jouer à cache-cache à grande échelle. C'était ce qu'avait évoqué Adenora, à la taverne. Un jeu, en somme. Et de qui se jouait-on ? Sur cette question, il descendit de selle pour se diriger vers un bosquet, petite commission oblige.
Lorsqu'il l'acheva avec un grognement d'aise, il entendit sa monture hennir.