Takanomi
Une pluie d'été douce et assombrie battait à un rythme soutenu les vitres rafistolées multicolores de l'auberge, lesquelles laissaient mal entrevoir l'extérieur.
La chambre à l'étage étant bien trop exigüe pour qu'il puisse prendre ses aises, Takanomi avait décidé de se réserver, moyennant paiement d'une grasse somme d'écus, une table suffisamment large et assez à l'écart, séparée du reste de la gargote par une série de piliers de soutien qui trahissaient un effondrement et une restauration récente.
Cela lui faisait office de bureau. Un bureau de circonstances, sans le filtre mat des tentures, sans les tapisseries livresques sur les murs et le décor des multiples reliures, et sans la nappe de bure, grise et rapiécée.
Mais il y trouva un endroit somme toute tranquille
Il y avait de ces moments à Péronne où il affectionnait de se rendre dans une taverne quelconque pour y travailler ou tenter de le faire. Il ne s'était expliqué cette habitude que tardivement en soutenant que c'était là un moyen de garder, d'une certaine façon, la proximité avec l'Autre et avec le peuple qu'il représentait.
Mais ceci prenait cours lorsqu'il était à Péronne. Or, ce n'était pas le cas.
Un projet en relation avec le pouvoir Artésien - dont les détails ne seront pas dits, aussi croustillants puissent-ils être - l'avait amené en Bretagne. Ce séjour ne pouvait donc avoir la même saveur que les deux précédents car d'autres motifs l'avaient amené précisément en la ville de Reims.
A la suite d'une longue suite de précautions, le trajet s'était déroulé avec pour seuls désagréments tantôt la pluie drue, tantôt l'étouffante chaleur et pour seul agrément, la vue agréable sur les vagues, les rochers, les falaises, les landes et les plages sauvages.
Toutes les semaines, il se faisait envoyer une masse significative de comptes rendus et de dossiers, concrétisés par une liasse haute comme son avant bras, tassée, ficelée et fardée. Une odeur de parchemin lui titillait les narines et faisait l'effet des effluves de pitance sur le bon-vivant.
En désagrégeant le tout, il remarqua la forme inhabituelle et la couleur différenciée d'un pli*. "A Takanomi Kermorial" laissait-il voir. Des questions se bousculèrent dans son esprit. En tout cas, on avait eu la diligence de l'appeler par son nom. Et il décacheta.
Elle émanait de sa cousine.
Il examina le verso pour se rendre compte de la longueur du texte puis conclut que ce dernier ne devait sans doute pas avoir pour objet Elisabeth elle-même. Les deux ne s'écrivaient pour ainsi dire jamais et quand bien même il y pensait et s'y apprêtait, il ne savait quoi coucher et se laissait dire que, finalement, il y avait trop peu de justifications pour ce faire.
Il fit une première lecture, puis une seconde où il s'attarda sur la dernière phrase.
Après être resté un instant songeur, il se mit à rassembler la masse reçue qu'il fourra pelle-melle dans une large besace de vieux cuir. S'apprêtant à sortir, il lança au tenancier :
Si on me cherche, je serai à Vannes.
Il arriva à Vannes le jour d'après au soir. Se renseignant auprès des habitants, il se dirigea vers l'Eglise Saint Patern, délaissant sa monture, il entra. Epuisé, il s'installa sur un des bancs. Il finit par s'y allonger, sa besace lui servant d'oreiller.
Il s'endormit ainsi.
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La chambre à l'étage étant bien trop exigüe pour qu'il puisse prendre ses aises, Takanomi avait décidé de se réserver, moyennant paiement d'une grasse somme d'écus, une table suffisamment large et assez à l'écart, séparée du reste de la gargote par une série de piliers de soutien qui trahissaient un effondrement et une restauration récente.
Cela lui faisait office de bureau. Un bureau de circonstances, sans le filtre mat des tentures, sans les tapisseries livresques sur les murs et le décor des multiples reliures, et sans la nappe de bure, grise et rapiécée.
Mais il y trouva un endroit somme toute tranquille
Il y avait de ces moments à Péronne où il affectionnait de se rendre dans une taverne quelconque pour y travailler ou tenter de le faire. Il ne s'était expliqué cette habitude que tardivement en soutenant que c'était là un moyen de garder, d'une certaine façon, la proximité avec l'Autre et avec le peuple qu'il représentait.
Mais ceci prenait cours lorsqu'il était à Péronne. Or, ce n'était pas le cas.
Un projet en relation avec le pouvoir Artésien - dont les détails ne seront pas dits, aussi croustillants puissent-ils être - l'avait amené en Bretagne. Ce séjour ne pouvait donc avoir la même saveur que les deux précédents car d'autres motifs l'avaient amené précisément en la ville de Reims.
A la suite d'une longue suite de précautions, le trajet s'était déroulé avec pour seuls désagréments tantôt la pluie drue, tantôt l'étouffante chaleur et pour seul agrément, la vue agréable sur les vagues, les rochers, les falaises, les landes et les plages sauvages.
Toutes les semaines, il se faisait envoyer une masse significative de comptes rendus et de dossiers, concrétisés par une liasse haute comme son avant bras, tassée, ficelée et fardée. Une odeur de parchemin lui titillait les narines et faisait l'effet des effluves de pitance sur le bon-vivant.
En désagrégeant le tout, il remarqua la forme inhabituelle et la couleur différenciée d'un pli*. "A Takanomi Kermorial" laissait-il voir. Des questions se bousculèrent dans son esprit. En tout cas, on avait eu la diligence de l'appeler par son nom. Et il décacheta.
D'Elisabeth Kermorial
Mon cousin,
Il y a longtemps que nous ne nous sommes vus, mais si je ne me trompe, le temps n'aura pas amoindri l'attachement que vous portez à la fille de Marie. Il est bon, alors, que vous sachiez ce qu'il advient d'elle.
Il y a quelques mois, elle a quitté le service de Yolanda de Josselinière dans des conditions plutôt inconfortables, et elle a rejoint Vannes où je réside désormais. Le Prince de Montfort, son oncle, naguère suzerain de sa mère, et aujourd'hui d'elle-même - car il s'est cru autorisé à faire prêter serment à une enfant de dix ans - a requis sa présence dans la campagne d'Anjou, et s'est opposé fermement à mon projet de l'aller chercher pour la ramener en des lieux plus sûrs. Il semble qu'elle ne soit pas blessée, mais j'ai reçu hier de troublantes nouvelles - je crains qu'on ne l'ait fait se battre, et que sa lame ne soit pas restée blanche.
Elle est ces jours retirée en un monastère, d'où l'on n'autorise aucun contact avec le monde extérieur. Sans doute aura-t-elle, en sortant, besoin de mots de réconforts provenant des personnes qui tiennent à elle.
Taliesyn de Montfort désire la faire résider en ses terres de Retz, afin de la préparer à gérer son fief. Je ne m'opposerais pas à l'idée, s'il m'inspirait confiance, car il est vrai que Buzay sera bientôt sous la protection d'Alix ; mais à dire le vrai, je n'aime pas l'idée de la savoir enfermée dans une résidence princière, même avec tous les précepteurs du monde. Fille de marquise elle est, fille d'une ancienne duchesse de Bretagne, mais je veux la préserver d'un train de vie qui lui pourrait nuire, et d'un isolement qui la couperait des réalités. Je m'efforcerai donc de la faire séjourner à Vannes le plus souvent possible.
Ne vous méprenez pas : votre aide n'est pas requise. Je ne crois pas d'ailleurs que vous puissiez grand chose. Mais si le sort de l'enfant ne vous est pas indifférent, songez s'il vous plaît à lui écrire, d'ici trois ou quatre semaines.
Le Très Haut vous garde,
Elisabeth Kermorial
Elle émanait de sa cousine.
Il examina le verso pour se rendre compte de la longueur du texte puis conclut que ce dernier ne devait sans doute pas avoir pour objet Elisabeth elle-même. Les deux ne s'écrivaient pour ainsi dire jamais et quand bien même il y pensait et s'y apprêtait, il ne savait quoi coucher et se laissait dire que, finalement, il y avait trop peu de justifications pour ce faire.
Il fit une première lecture, puis une seconde où il s'attarda sur la dernière phrase.
Après être resté un instant songeur, il se mit à rassembler la masse reçue qu'il fourra pelle-melle dans une large besace de vieux cuir. S'apprêtant à sortir, il lança au tenancier :
Si on me cherche, je serai à Vannes.
Il arriva à Vannes le jour d'après au soir. Se renseignant auprès des habitants, il se dirigea vers l'Eglise Saint Patern, délaissant sa monture, il entra. Epuisé, il s'installa sur un des bancs. Il finit par s'y allonger, sa besace lui servant d'oreiller.
Il s'endormit ainsi.
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