Tête de linotte ou tête de mule ?

Eliance

[...] Il était probable qu'elle lui repose [la question] le lendemain. Ou le jour d'après. Étrangement, ce n'était pas le genre de choses qu'elle oubliait,
ainsi Elias en était venu à considérer qu'elle n'était pas une tête de linotte, mais qu'elle avait simplement la mémoire sélective.

Extrait d'un post chambérichon, rédigé par JD Elias

------------------------------------------------------------------------------------------
LINOTTE – n.f. Petit passereau siffleur, au plumage brun sur le dos,
rouge sur la poitrine, muni d'une minuscule tête et donc par extension
d'une cervelle insignifiante.

MULE – n.f. Hybride femelle de l'âne et de la jument, généralement stérile,
dont la particularité est d'avancer quand elle veut, c'est-à-dire pas souvent,
et dans la direction qu'elle veut, c'est-à-dire jamais la bonne.
------------------------------------------------------------------------------------------

Élément auquel le tailleur aurait dû penser également : l'obsession. Eliance est obsédée régulièrement par tout un tas de choses. Et ce sont ces choses-là, qu'elle n'oublie pas. Jamais. En fait, sa vie est une succession d'obsessions. Ça rythme son quotidien. Obsédée par le fait de devenir moche pour éloigner les regards masculins. Puis par la rencontre avec la sœur du tailleur. Puis obsédée par les pas de danse à apprendre (qu'elle répète en cachette, ayant bien trop honte de le faire devant Elias). Obsédée par la repousse de ses cheveux (coupés alors qu'elle voulait devenir moche). Obsédée...

Quand une idée est ancrée sous sa tignasse hirsute courtichonne de roussi-blondasse, rien ne peut l'arrêter. Ni l'avis éclairé général, ni les longs soupires alentours. Rien. Depuis la veille, elle a décidé de s'occuper d'Elias. Vaste programme, j'en conviens. Mais il lui a donné l'idée, en lui confiant qu'une personne obtient dans la vie ce dont elle a besoin et non ce qu'elle souhaite. La question des besoins d'Elias s'est posée. Bien évidemment, il s'est défilé, comme à chaque fois. Remarquez, non. Ce coup-ci, aucune pointe d'humour avec une gueule sérieuse n'a été lâchée. Il a préféré l'appel du manque. Et de la paillasse. Efficace. Y a pas à dire. Eliance n'y a vu que du feu. Et la réponse est passée à la trappe.

Mais, alors qu'ils marchent en direction du grand sud, alors qu'ils descendent de leur montagne à pied (faute de cheval), la question trotte dans la caboche de la Ratiboisée. Celle-là, additionnée à de nombreuses autres dont elle tait la formule, de peur d'effrayer le russe.

Dis... t'as pas vraiment répondu, hier, sur tes besoins à toi...

Alors ? Linotte ? Mule ? Limule ? Mulotte ?...

HRP - Définitions revues et adaptées de Robert.

_________________

Elias_romanov

La petite troupe avait pris la direction du sud, après que les retardataires eurent finalement rejoint la capitale savoyarde.

La veille, Eliance avait fait part de sa déception concernant son mari, après qu'elle lui eut annoncé qu'elle voulait divorcer. Ce dernier voulait bien, mais égratigner le coeur de la jeune femme semblait être son passe-temps favori. Même si Elias avait décidé de ne pas s'impliquer là-dedans, voir Eliance souffrir pour satisfaire l'égocentrisme de son ancien compagnon le perturbait quelque peu.

Mais il relativisait, même si Diego décidait finalement de ne pas accepter le divorce, cela n'empêcherait pas Elias d'aimer la jeune femme. Il y avait des serments bien plus honnêtes et profonds que ceux prononcés face à un homme d'église.

Elle l'interrogea alors, sur un sujet évoqué la veille. Il avait détourné son attention sur l'instant, assez facilement, mais se doutant que cela ne serait que partie remise.

Hmm...

Temps de latence nécessaire pour mettre en marche ses neurones et trouver une réponse à cette question épineuse.

Je sais pas vraiment.

Une ancre peut-être. Quelque chose, ou quelqu'un, auprès de quoi revenir après un long voyage.

Après la moscovie, il n'avait jamais vraiment eu d'attache, à part sa soeur. Et même avec elle, les liens s'étaient parfois distendus. Il avait voyagé, appris, mais toujours avec la sensation qu'il n'était que de passage.
_________________

Tailleur indépendant, à (re)vendre - Galerie

Eliance

Une ancre... Elias a besoin d'une ancre. Même si elle n'a jamais mis les orteils sur un bateau, si la mer lui est pratiquement inconnue, Eliance a déjà entendu parler d'ancres. Ce truc incroyablement lourd et imposant qui vient accrocher le navire dans les fond sablonneux pour l'empêcher de bouger. Ça lui fait penser à un boulet. Elias veut un boulet à la cheville ? L'idée lui paraît saugrenue, sur le coup, lui qui se bat pour la libérer de ses propres boulets.

La sœur-nouvellement-adoptée d'Eliance a pour habitude de lui rabâcher qu'elle collectionne les boulets, comprendre les hommes qui l'entravent, avec leur caractère de chien. Ça, c'était avant Elias. Elias a obtenu une bénédiction unanime de la part des autres du clan. Et le sortilège est rompu : Elias n'est pas un boulet. Mais donc, il veut un boulet ?! Heureusement, la suite de l'explication apparaît et éclaircit les associations de pensées foireuses de la Ratiboisée. Mais tout de même... ancre... ça fait boulet !

Hm...

Imitation non dissimulée du grognement réflexif habituellement eliassesque. C'est pratique, finalement, pour dire qu'on entend, mais qu'il faut du temps encore pour répondre. Parce que quoi répondre à ça ? Si Eliance et Elias ont tout deux la métaphore aisée, il faut avouer que pour le coup, Eliance se sent paumée, un peu, dans celle-là. L'image du boulet ne veut décidément pas la quitter, rendant l'interprétation complexe. Mais les idées finissent par s'ordonner convenablement, sous les boucles hirsutes.

On peut être ton ancre, si tu veux.

« On »... pronom assez vague pour garder le flou parfait quant à ce qu'il désigne exactement. De toute manière, ce « on » flou reflète à merveille ce qu'a voulu exprimer Eliance. Rien de précis, en réalité. Il aurait tout aussi pu se transformer facilement en : « ta maison », « ta sœur », « nous », « moi ». Mais ces mots-là auraient été trop directs. Trop effrayants.

Même si un port, un quai, s'rait plus adapter, en fait...
Parce que l'ancre, elle te cloue au sol, hein.

Voilà... l'idée du boulet n'est jamais loin...
_________________

Elias_romanov

Le tailleur écouta avec une perplexité visible les réponses de la jeune femme. Visiblement, quelque chose devait lui manquer dans le raisonnement qu'elle suivait.
Il répondit, ne semblant pas savoir si elle lui servait du lard ou du cochon.

Cela permet au bateau de ne pas chavirer lors de la tempête, aussi.

Le russe finit par avoir un léger haussement d'épaules, il ne considérait pas tout cela comme très important. Ainsi les interrogations de la jeune femme le dépassaient un peu.

Eliance, ce n'est qu'une image, tu sais.
Mais si l'image d'un port pour les marins te parle plus, alors considère cela.

Le "on" qu'elle avait utilisé restait aussi mystérieux. Par défaut, il décida que cela désignait le clan et sa soeur, puisqu'il ne voyait pas vraiment ce que cela pouvait recouvrir d'autre. Il décida de poursuivre.

Je ne sais pas si j'ai besoin... de quelque chose. Du moins j'ai la sensation qu'en ces instants, rien ne me manque.
_________________

Tailleur indépendant, à (re)vendre - Galerie

Eliance

Ça se tient. C'est en tout cas ce que Eliance pense à l'instant. Ne pas chavirer, ça doit être le principal. Rester d'aplomb, alerte, vivant, la gueule hors des flots, malgré les vents, les marées, les creux, les récifs vicieux. Que le russe cède à une autre image que sa première ne plaît guère à la jeune femme. La tête se penche de côté, sceptique.

Non. L'ancre, c'est bien, en fait. Pour pas chavirer, tout ça...
Et puis c'est ton image. Garde-la.

S'immiscer dans les images des autres, c'est très impoli. Eliance tente de respecter ça. Même si effectivement, un port lui aurait parlé davantage. Quoique... Elle aurait bien trouvé à y redire aussi. Port... marins... bordel... catins... Bref. L'ancre, c'est pas mal, tout compte fait. Vraiment pas mal. Aux derniers aveux d'Elias, les joues de la Ratiboisée s'empourprent. La confidence n'est pas des plus terribles, mais elle comprend au-delà des mots prononcés, un semblant de bien-être.

Elle ose un regard vers le visage anguleux voisin tandis que la main pâle qui partage une tranche d'attouchement cutané avec celle plus grande, plus large, plus russe, vient serrer sa prise plus fortement, plus fermement. Dans les yeux couleur métal, Eliance cherche les mots non dits, les silences bavards, comme une vieille habitude. Les prunelles sombres se fondent dans les gris, souvent, et les choses se passent ainsi. Sans doute veulent-elles cette fois-ci leur montrer aussi que derrière le « on » se cache en réalité un timide et pudique « je ». Mais ça, ça ne sera pas dit. La lueur particulière, la teinte de l'iris, l'intensité de l'échange se contenteront de le faire.

T'as déjà été sur un bateau ?
On ira sur un, tous les deux, un jour ?
Y paraît que les vagues donnent des haut-le-cœur. On pourra jeter l'ancre, regarder, attendre...

Nouvelle image ? Simple souhait ?... Toujours est-il qu'un fin sourire découvre les dents ménudiériennes. Les yeux marron n'ont pas quitté ceux d'en face.
_________________

Elias_romanov

Elias sourit doucement à la jeune femme, qui décida de poursuivre sur une application réelle de l'image du russe. Il y accorda une brève réflexion, ce n'était pas le genre de choses auxquelles il pensait.

Si tu veux. Tu voudrais aller ou ?

Sa main dans celle d'Eliance, il l'interrogeait du regard, à son tour. Comme si il préférait être celui qui posait les questions, plutôt que celui qui devait y répondre.
La fin de la réponse de la journaliste intrigua Elias, et cela se perçut dans ses yeux.

Et tu voudrais attendre quoi ?

Un bateau, cela permettait d'aller un point à un autre, sinon à quoi cela servait-il ?
_________________

Tailleur indépendant, à (re)vendre - Galerie

Eliance

En bonne téméraire, Eliance a en fait imaginé monter sur un bateau à quai seulement. Histoire que si la houle est trop forte, elle puisse descendre vite. Que si la tempête lèche la coque du bateau, la rive ne soit pas loin en cas de naufrage et atteignable à la nage.

Ben...

Les questions s'enchaînent. Elias reprend la main sans qu'Eliance s'en aperçoive.

Aller nul part, en fait. J'pensais juste à monter sur un bateau, mais pour aller nul part.
Juste qu'on soit tous les deux sur un bateau et attendre que tu vois ton ancre.
Ou alors... aller sur des tout p'tits fleuves qui font pas peur...

Les yeux gris mangent les siens et elle ne peut s'en détacher.
_________________

Elias_romanov

La réponse d'Eliance fit hausser un sourcil au russe, qui cherchait la logique la-dedans. Quelle erreur ! Depuis le temps, il aurait du s'habituer aux idées parfois... toujours loufoques de la jeune femme, mais non, parfois il manquait de lucidité, et donc il fronçait un sourcil.

Eliance... tu sais, je parle d'une ancre qui n'existe pas vraiment. Enfin juste dans ma tête. Alors je n'ai pas besoin de monter sur un bateau pour la trouver.

Tout cela le laissait circonspect, et après un bref instant, comme si il avait du évaluer le potentiel comique de la situation, Elias se mit alors à rire. Un rire léger, comme il en avait parfois.

Tu as vraiment des idées étranges, tu sais.

Mais nous pourrons toujours naviguer, pour aller quelque part, un jour.

Quand et ou, par contre, c'était une autre affaire.
_________________

Tailleur indépendant, à (re)vendre - Galerie

Eliance

Elle rit avec lui. Comment pourrait-il en être autrement ? Quand il plonge ses yeux gris dans les siens, elle ne peut que l'imiter. Quand il parle sérieusement, elle tente de l'être également, ce qui lui joue souvent des tours quand le russe décide de plaisanter sans en avoir l'air. Alors quand il rit, elle ne peut que l'accompagner dans cette légèreté partagée. Et puis, elle rit aussi parce qu'elle se rend compte avec les propos d'Elias qu'elle a dérivé sans y prendre garde d'une image à une réalité qui n'ont rien à voir. Plutôt que de se sentir stupide, elle rit. Elle n'est pas stupide, avec Elias. Elle est juste elle. Eliance.

Non, t'as raison. Les bateaux, c'est nul.
En plus, j'sais où elle est ton ancre. Et elle est pas sur un bateau.
Juste... elle est pas bien grosse. J'sais pas bien si elle t'empêch'ra de tanguer, en cas d'gros temps.

Le sourire qu'elle affiche se fait espiègle, pour tromper l'adversaire. Elle aurait pu prendre une mine sérieuse, comme Elias en a souvent. Elle aurait pu dire les choses sans en rire. Mais, alors, ça aurait ressembler à un aveu, une volonté, une promesse. Elle préfère le dire en riant. L'air de rien...
_________________

Elias_romanov

L'hilarité finit par s'achever, et il comprit parfaitement les sous-entendus d'Eliance, même si elle se gardait bien, depuis le début de la conversation, d'être explicite concernant son propre rôle dans la vie d'Elias.
Cette pudeur était touchante, comme si elle respectait la retenue dont il faisait preuve avec elle. Pas de promesses, de projets. Pas de pression. Tout arriverait à point, un jour ou l'autre.

On verra. Pour l'instant, l'eau est calme.

Pour l'instant.
_________________