Eliance
« Ou est passé cette chevelure que jaimais tant ? »
Lettre de Diego
Les cheveux ! Ça rend laid ou beau. C'est plat, volumineux, gras, sec, raide, frisé, foncé, blond, épais, raplapla... Le cocktail de chacun rend le tout particulier. En gros, pour avoir les mêmes que son voisin, il faut vraiment pas avoir de bol. Donc, en général, une masse capillaire est tout simplement unique. Ceux qui sont bien pourvus en sont fiers, les autres non. Et ils les cachent à grand renfort de coiffe, chapeau, voilette et autre accessoire de mode.
Le cheveu, ça peut rendre un homme fou. Une femme aussi, remarquez. Eliance avait une affection particulière pour les mèches sombres de son italien de mari. Elle aimait y perdre ses doigts, au gré des déambulations. Lui aimait les longues boucles ambrées de la Meringue. Il aimait y enfouir son nez comme un enfant. Alors quand il est parti, avec tous ses cheveux noirs en vrac sur la tête, la roussi-blonde a décidé que de cheveux dignes de ce nom, elle n'aurait plus. Et qu'elle se ferait accessoirement nonne, aussi. Un blond est venu exhausser son désir et en un tour de main et de dague, la masse était évanouie.
Que de bêtises ne fait-on pas sous le coup de mauvais sentiments. L'Italien a pris une place plus fraternelle dans le cur ménudiérien. Ses cheveux ont été oubliés, relayés au rang de simples souvenirs. Un autre a pris sa place, dans la vie et dans le cur de la Meringue. Mieux. Différemment. Un autre qui avait « lissé quelques mèches de la jeune femme qui s'obstinaient à vouloir lui chatouiller le nez », un fameux soir à Paris. Un autre qui a assisté impuissant à la décision de génocide roussi-blond capillaire. Un autre qui l'emmènera dans quelques semaines à un bal, le premier dans la vie de la jeune femme.
Un bal... Où il faudra danser. Où Eliance restera sans doute placide, étant donné l'échec retentissant de l'apprentissage du rythme et de la grâce coordinatrice. Ne lui reste que la prestance à assurer. Si elle sait tenir des conversations, elle devra faire un effort de vocabulaire. Si sa beauté devrait suffire à faire illusion, ses cheveux trop courts entacheront le tableau avec une joie sadique. Alors, comme tirer sur les pointes en espérant une repousse plus rapide ne fonctionne pas, elle cherche des solutions. Elias a proposé une coiffe. Certes l'idée n'est pas sombrement stupide, mais la Meringue ne se voit pas avec ce genre de chose, sans trop savoir pourquoi. Si elle avait interrogé le tailleur, il lui aurait rappelé que ce genre d'accessoire n'est porté que par les femmes mariées. Et que là, si elle est encore officiellement mariée à Diego, elle paradera au bras d'Elias. Pour des présentations à la famille Romanov... disons que c'est malvenu. Donc la coiffe, ça la botte moyennement.
Eliance a fini par aller voir toutes les vieilles du coin en quête de recette miracle. Et, entre manger gras, boire de la bière et prier le Très-Haut, une recette a semblé moins stupide à la Ratiboisée. Du pain d'orge, du sel et de la graisse d'ours. Trois petits ingrédients pour accéder à une longueur capillairement convenable. Dans son obstination, la jeune femme a donc jeté son dévolu sur cette solution. Si le pain d'orge et le sel ont été facile à trouver, ce n'est pas la même histoire pour la graisse d'ours. Elle a harcelé tous les marchands trouvés. Pas un, bien sûr, ne possède telle marchandise. Alors, elle a pensé que l'ours pouvait éventuellement être remplacé par une autre bestiole de même envergure. Là encore, il lui aura fallu chercher sur le marché. Et son dévolu se voit jeter sur un pot de graisse de canard. Rien à voir avec un ours, on est d'accord...
En tout cas, les ingrédients à présent réunis, la voilà chez elle, ou plutôt chez le russe qui lui a offert la cohabitation. Un il dans chaque pièce. Personne. Il sera sans doute sorti prendre l'air ou acheter quelque fil manquant. Débarrassée à la va-vite de sa cape qu'elle laisse choir par terre, la Meringue se met à la marmite. Faire chauffer le pain d'orge, le sel et la graisse. Voilà ce que la vieille avait dit. Ensuite touiller le tout pour que ça fasse une pâte et l'étaler sur le tête.
Plusieurs heures après, la chose prend enfin consistance. L'odeur est forte. Sans doute le canard n'y est pas pour rien. Mais c'est sans se dégonfler que la Ratiboisée à retirer sa robe, histoire de ne tâcher que sa chemise de peau, pour se tartouiller le restant de ses cheveux avec la mixture.
Ensuite ? Elle ne sait plus. Sans doute faut-il attendre. Alors elle attend. Jambes croisées, fessier sur un tabouret, mixture puante et à la couleur indescriptible étalée sur la caboche.
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