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Quand tout devient noir...

Eliance
    Un malheur pousse l'autre.
    Quand un âne va bien, il va sur la glace et se casse la patte.
    Jamais deux sans trois.
    Le chien attaque toujours celui qui a les pantalons déchirés.
    Il ne faut jurer de rien.
    Quand le guignon est à nos trousses, on se noie dans un crachat.

Et quand Eliance se dit maudite, ce n'est peut-être pas par hasard.


      ---------------------
      Nuit du 4 juillet
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Une journée à tourner dans une forêt, à s'égarer, à suffoquer de chaleur malgré l'ombre des feuillages. Suivie d'une nuit, plus fraîche, où la troupe a repris le bon chemin, enfin. L'arrivée est proche, avec pour promesses un bain dans un quelconque lavoir, abreuvoir, fontaine, une désaltération intense en taverne et une paillasse reposante et apaisante. Au lieu de ça, la nuit profonde a apporté une furie, l'a faite se jeter et frapper sur la Ratiboisée désarmée.

Le noir. Plus rien n'existe, si ce n'est le vent qui chatouille les hauts branchages et les fait chahuter dans un jeu de balancier, l'herbe qui se froisse sous le piétinement de chausses et un tocsin qui sonne à tout rompre sous les boucles roussi-blondes.



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      Jour du 5 juillet
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Les sourcils se froncent, la bouche frémit. Qui fait donc autant de raffut ? La Ratiboisée se tord sur sa paillasse. Les yeux sont clos, mais le foin incessant qui résonne dans sa caboche l'a éveillé. Le noir s'estompe peu à peu. La lumière perce à travers le voile des paupières, parasitée de temps à autre par une ombre mouvante. La bouche se fait sèche alors que la langue reprend vie et sensation.

Les cils se mettent à frétiller doucement, comme un oisillon qui s'éveille de son premier sommeil, et viennent lever le voile occultant. D'abord un coup. Lumière. Pour se rabaisser aussitôt. Pénombre. La curiosité l'emporte. Lumière. Les pupilles virevoltent de droite à gauche. Pénombre. La douleur est intense. Mais la curiosité toujours présente. Lumière.


    - Ah ! ben c'pas d'trop tôt, té.
    J'vous a mis l'potage du matin, là.
    Faudra m'payer. J'fa pas crédit, mé, hein.
    Pis y a des lettres pér vous. Ça aussi, c'pas gratouit.

La voix criarde vient rompre l'effort. Pénombre. Les oreilles ont mal de ce son trop fort. Trop brusque. Trop violent. Trop pénétrant. Des pas. Une porte claque. Le silence reprend son droit. Les tympans s'apaisent. Les paupières se remettent à frémir. Elles se lèvent. Lumière. Lumière. Lumière. Les prunelles s'escriment à distinguer un rien. Elles ne sont qu'éblouies de clarté. Pénombre. Lumière. Des formes apparaissent. Tâches sombres. Puis elles se distinguent. Le mur apparaît. Un tabouret. Du rouge. Sa robe. Pénombre. Questionnement. Bourdonnement. Lumière. Des lettres. Une poussée vient relever le buste de la roussi-blonde esquintée, l'adossant au mur derrière elle. Une main maladroite se saisit des plis, les rompt, les déroule. Les yeux piquent, mais ils luttent pour ne pas se refermer. Pas encore.

Citation:

    Bonjour,

    Est-ce que vous avez des nouvelles de tout le monde?
    Vous avez pu passer entre les gouttes et arriver à Bazas ou comme moi vous êtes restée en forêt?
    Pas trop de dégâts suite au combat?

    Sinon je pense que nous devrions faire demi-tour et patienter quelques jours à Labrit.

    Cmyrille.




Citation:

    Tu va bien? Y a une dame, elle a casshé casset mon bouclié!
    Moi j'é même pas eut mal! Je suis à l'abri Labrit et toi? 22 il cueille des champignonts en foré.

    Liamm


Un sourire incontrôlé vient se dessiner au coin des lèvres sèches. Cmyrille et Liamm. Son univers impitoyable depuis plusieurs jours. Et pourtant, l'écriture approximative du gamin l'amuse. L'inquiétude tacite de 22 aussi. Le bourdonnement dans son crâne la rappelle à l'ordre. Elle glisse lentement pour réadopter une position tout à fait horizontale. Pénombre. Les papiers sont maintenus contre son ventre. Pour l'heure, le sommeil l'a regagné.


_________________
Tante.ilda


La vieille femme qui avait recueilli la petite Lucie après l'attaque pour la soigner chez elle avait reçu des courriers de ses amis notamment celui d'un enfant nommé Liamm. Ilda s'empressa de lui répondre pour avoir le nom des parents de la petite. Voilà la réponse qu'elle reçu.

Citation:
Bonjour madame,

Idla cé un nom de sorcière. Sa maman cé Atropine et son papa cé Mat mais c'est une vilaine Eliance qui s'en occupe. Elle est avec moi à Labrit.
Elle va pas mourir hein?

Liamm


Ilda sourit, beaucoup l'avait comparé à une sorcière, en particulier les enfants. Ilda nota le nom des parents dans un coin de sa tête ainsi que celui d'Eliance.
Il fallait qu'elle leur écrive pour leur donner des nouvelles de la petiote.

Elle commença par tremper sa plume dans son encre et se mit à écrire.


Citation:
Eliance,

Je me prénomme Ilda et j'ai chez moi, une petite qui est sous votre garde. Son état n'est pas grave mais celle-ci reste inconsciente depuis l'attaque. Elle a sûrement besoin de prendre du repos. Je veille sur elle, ne vous inquiétez pas, j'habite une maison près de la forêt de Labrit.
Le jeune homme Liamm que vous devez sûrement connaître m'a fait savoir que vous y étiez également. Je passerai peut être en taverne quelques soirs pour vous parlez de la petite.
En espérant que vous n'ayez pas été trop touchée.

Tante Ilda.
Eliance
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      Même jour, plus tard
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Bruit de clenche qui s'abat brutalement. Petits pas rapides. Poids microbien qui attérit sans prévenir sur le corps ménudiérien. Odeur sucrée et bien connue. Voix enjouée et enfantine.
            Ma'aine !
Louis est là. Les bras de la roussi-blonde viennent entourer le fillot, dans un instinct primitif. Avant même que les paupières soient soulevées.
            T'as bosse, là.
Doigt potelé qui s'abat sur la plaie. Grimace de la marraine en question. Capture du doigt insolent dans la main plus grande de l'Abîmée.
            Louis... T'as rien...
Les yeux marron explorent ce qu'ils peuvent voir du petit blond qui semble indemne.
          Même pas peur...

Il s'affale pourtant, tête sur le cœur d'Eliance et restera là des heures.


      ----------------------
      Encore plus tard
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    - Encore une lett' !
    Vous avez pensé à mon règl'ment ?
L'Abîmée a relevé la tête un instant. Elle lui semble si lourde. Elle indique rapidement à l'aubergiste sa bourse, sans doute posée sous sa robe, d'un simple coup d’œil et d'un geste vague de la main. Louis est reparti sans qu'elle ne s'en aperçoive. L'attirance de l'argent amène rapidement le gars à son dû. Sans doute prend-il un peu plus que les services rendus. Eliance s'en moque. Il repose la bourse et repart, comme il est entré. Plus tôt, elle a écrit à quelques-uns. Elle lui a confié les plis. Elle ne se souvient seulement plus à qui. Ni ce qu'elle a écrit exactement. La mémoire lui fait défaut plus encore qu'à l'ordinaire. La faute incontestable à ce coup porté à la tête, qui est venu éclaté sa peau, la déchirant d'une entaille rougeâtre auréolée de bleu.

Mais la main qui se tend vers la nouvelle lettre n'est pas prête à se faire oublier. Cette lettre-là est différente. Elle annonce un malheur et non une inquiétude d'un proche. Elle annonce la défaillance ménudiérienne. Elle annonce la tempête à venir. Elle annonce une douleur tout autre.


            Vinguette...

Eliance a lu. La douleur lancinante de sa caboche ne l'empêche pas de se redresser. Ni de faire descendre ses jambes le long de la paillasse. Ni de prendre appui sur ses pieds pour se lever. Après quelques longues minutes, après plusieurs tentatives, elle est parvenue à se mettre debout, à aller enfiler sa robe. Et c'est d'un pied sur et surtout nu qu'elle descend l'escalier, bien décidée à rencontrer cette femme qui lui a écrit. Qui prend soin de Lucie. Bien décidée à aller la voir. Voir son état. Ou voir sa mort. Eliance craint le pire.
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Liamm
Une journée ordinaire devait s'annoncer pour la petite bande de joyeux lurons.
Liamm marchait fièrement, la main dans celle de Lucie, sa nouvelle amoureuse.
Tout devait pourtant bien se passer, le soleil était là et les oiseaux chantaient.
Au lieu de cela, une scène apocalyptique se déroula sous les yeux du gamin.
Aucun n'y était préparé, des soldats attaquèrent lâchement le petit groupe.

Liamm, sous la surprise, lâcha la main de Lucie qui disparue aussitôt. Du bruit et du sang, il fallait y échapper. Il n'était pas encore prêt, pas encore fort, pas aussi courageux qu'il le faisait croire. Où était Lucie? Elle allait bien?
Il pleurait devant tout ce sang quand il percuta une femme en armure.

Elle avait l'air menaçante et pas très amicale. Il allait mourir, s'en était fini de lui. Plus jamais il ne jouerait, plus jamais il reverrait ceux qu'il aime.

NOOOOONN!!!!!

Il lui jeta son bouclier au visage qu'elle détruisit en un coup d'épée, le temps de reprendre ses esprits, Liamm était déjà loin.

Il courut au hasard pendant un jour, jusqu'au prochain village, seul et terrifié.
Il détestait écrire mais il le fallait. Eliance, Lucie et 22.

Les réponses ne tardèrent pas trop.
Citation:

Bonjour jeune homme je présume,

Ton amie est chez moi, ne t'inquiètes pas je vais m'en occupez. Elle a été très amôchés mais son état est stable. Elle est surtout très fatiguée. Prend soin de toi mon enfant et reste fort.

Connaîtrais-tu le nom des parents de ton ami ?

Ilda


Citation:
Liamm,

On m'a mis dans une chambre d'auberge.
Il doit pas y en avoir trente dans ce trou.
Au pire, demande où est la rousse avec un pet à la caboche.
Viens me voir. Mais t'as intérêt à être sage sinon je te raconte comment j'ai tué des enfants.

Eliance


Il sourit à cette réponse. Il était rassuré de les savoir en vie. Il était prêt à supporter la mauvaise humeur de Eliance toute une journée tellement il était heureux.
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https://www.youtube.com/watch?v=dTLvutdm_v0
Eliance
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    Soir du 7 juillet
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Elle a vu le gamin. Elle a sourit. Il n'a rien. Il va bien. Le monstre détesté va bien. La malédiction ménudiérienne n'aura touché qu'un seul des trois enfants sous sa garde. Liamm et Louis sont en vie. Indemnes. Seule Lucie a pris cher, en sommeil étrange, mais elle est entre de bonnes mains. Quoiqu'un peu vieilles. Les deux blondinets sont là, non loin de la Ratiboisée. Ils ont faim. Alors Eliance fait son devoir de gardienne de chiourmes et nourrit son monde.

Un coup sur la tête, ça vous change une vie. La dernière fois, ça l'a fait convulsé, la roussi-blonde. La faute à un cheval trop pressé. Et depuis, elle convulse un peu n'importe quand. Quitte à se renverser le contenu d'une bouteille à moitié sur la chemise pour se ravigoter et offrir malencontreusement à 22 une vue imprenable, qu'il n'est pas prêt d'oublier il semblerait, sur les petites choses plus trop camouflées par le tissu imbibé. Mais ce coup-là sur la tête est différent. Elle n'a pas convulsé. Elle a juste un peu dormi, un peu eu mal et un peu saigné. Surtout, elle se met à regarder le monstre blond d'un œil différent. Et ça, ça l'angoisse. Elle se surprend à l'espionner, comme elle le fait pour Louis et Lucie. Elle se surprend à lui porter un regard plus doux, quand il ne la regarde pas. À avoir un peu moins peur de lui.

La cuillère s'agite en cercles répétitifs dans la marmite, pendant que les yeux sont portés exclusivement sur le gamin monstre.

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Eliance
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    Après-midi du 8 juillet
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Ce jour marque le début d'une nouvelle ère. Plus sombre, moins joviale, moins détendue. Eliance est grillée. Pas un vulgaire coup de soleil estival. Pas sur un bûcher pour une sorcellerie quelconque. Pas non plus après s'être rapprochée trop près d'un barbecue médiéval. Non. Elle est grillée dans son âme et conscience. Par une dénommée Pénélope ou Quarante-dix-huit, tout dépend de qui l'appelle. La traîtresse amnésique (soi-disant) a refusé non seulement d'épouser 22, le trouvant pas assez à « son goût », mais en plus prend un malin plaisir à chercher les failles de la Ménudière et à les trouver, la gredine. Résultat, c'est officiel, tout le monde ou presque sait que la Ratiboisée déteste embrassades et attouchements, en plus des enfants, et que ça la fait paniquer au plus haut point.

Alors, après avoir lutté comme une acharnée, but plusieurs bières dans l'espoir d'oublier, elle fuit. Ca faisait presque longtemps. 22 est occupé avec le gamin blond et la femme qui ne sera sans doute jamais la sienne. Eliance en profite pour aller à la flotte. La veille, 22 lui a grillé la priorité. Elle ne compte pas se laisser faire. Elle n'a rien dit, ou presque, de sa destination. C'est donc sereine qu'elle s'amène au bord de l'eau. Un bras de rivière semble lui conférer un calme et une intimité toute voulue. Un besoin de se prélasser et de ne plus penser à rien. Pas de falaise dans le coin. Un peu de fraîcheur fera l'affaire. La robe trouve rapidement une place sur les graminés et la roussi-blonde, en chemise, le cul sur un caillou, les pieds arrosés du courant de la rivière, barbote.

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Cmyrille
Rencontre avec une amnésique. C'était sa première fois. Et mieux même, c'est lui qui a trouvé le joli prénom qu'elle portera dans sa nouvelle vie (ou pas). Pénélope. Mais du coup il est plutôt fier de lui.

Et c'est sur ce sentiment du devoir accompli qu'il décide d'aller profiter de la fraîcheur de la rivière proche, à l'ombre d'un arbre, sur la rive. Posey quoi.
Après quelques dizaines de minutes de marche, il regrette très fortement. L'effort et la chaleur aidant, il sue comme un bœuf. La sieste risque d'être désagréable dans ces conditions. Du coup, arrivé à destination, il retrouve le saule bien large de la veille, dont les longues branches souples redescendent presque jusqu'au sol. Il aurait eu 20 ans de moins, ça aurait été un endroit parfait pour une cabane. Là ce sera juste un coin sympa pour une sieste à l'ombre après avoir fait trempette. Il passe donc sous la frondaison, dépose son sac au pied de l'arbre et quitte chemise, bas et braies pour ne garder que ses culottes, sales oui. Il en profitera pour faire un peu de lessive.

Il se dirige donc vers la rive, prudemment bien sûr, parce que les gros cailloux ça fait mal aux pieds. Et il s'arrête net. Visiblement il n'est pas le seul à avoir eu la bonne idée de venir ici. Il fait donc illico demi-tour pour aller se rhabiller un minimum. Mais par l'odeur alléché, il se retourne à nouveau, observe. Et reconnait. C'est le cheffe qui fait trempette. Enfin trempette, façon de parler. Elle doit à peine avoir de l'eau jusqu'aux orteils... Du coup il va se planquer non loin de là, derrière un genre d'arbuste tout dégueu, avec plein de branches cassées et d'algues séchées enchevêtrées dans ses branches, probablement restes d'une précédente crue. Bon c'est certes "discret" comme poste d'observation, mais comme la cheffe est assise et lui tourne le dos, c'est assez bof niveau point de vue... Faudrait trouver un truc.

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Eliance
C'est à ça qu'on reconnaît la classe internationale des roussi-blondes. Malgré le cagnard ambiant, elles ne suent pas comme des grosses dégueulasses, elles. Enfin, dans ce récit, du moins. En vrai, on ne garantit rien, ni en quantité de sueur ni en odeur. Parce que ça cogne sévère, tout de même, sur la couenne pâlotte de la Ratiboisée. Certes, ce ne sont pas les cheveux qui lui tiennent chaud, mais elle a quand même très très chaud. Et tremper trois orteils, ça suffit pas à se rafraîchir, même si le courant est particulièrement froid. Alors, au bout d'un moment, elle se décide à bouger, sans quoi, le narrateur serait obligé d'avouer que la Ratiboisée sue comme une grosse dégueulasse et ça enlèverait tout glamour à la scène déjà peu glorieuse.

Eliance envisage donc une trempette davantage intégrale. Qui s'est déjà baigné en rivière, aux abords caillouteux et peu profonds, sait combien il est difficile de garder le pied stable et imperturbable sur les gros galets mousseux. La levée du corps se fait lentement, précaution oblige, et la chemise reprend une place digne jusqu'aux genoux de l'aventurière des bans de sable. Le lit de la rivière est détaillé attentivement par les prunelles marron. Il faudrait pas se croûter avant d'arriver en eaux profondes, c'est un coup à se casser le coccyx. Les galets fiables sont repérés et les plantes des pieds commencent à s'en emparer lentement, les piétinant les uns après les autres, avec pour seul balancier à peu près correct deux bras qui s'agitent en l'air.

La démarche est peu gracieuse, mais l'intérêt premier est bel et bien de rester debout. Et puis elle est censé être seule, hein. Arrive incontournablement le moment où la confiance est prise, l'attention relâchée et où un orteil ne s'accroche pas assez à la caillasse qu'il escalade. Glissade et rafraîchissement fessier un peu anticipé s'ensuivent, le tout accompagné d'un cri savamment aigu comme savent en pousser les femmes en situations inattendues. Si le séant est trempé, comme la tête et pratiquement tout le reste de la roussi-blonde, le coccyx reste intact malgré la chute, les pieds s'agitant de leur côté hors de l'eau. Cherchez l'erreur.


'tain ! C'pas possible, ça ! F'tu caillasse de m'rde !

Et voilà une Eliance qui se relève, chemise trempée, cheveux courtichons dégoulinants, râlant tout ce qu'elle sait, pire qu'un pou. Sa bonne humeur, ou du moins ce qu'il en restait, s'est indéniablement coincée entre deux galets et elle regagne le rivage sans. Elle est aventurière, mais pas plus de deux minutes par jour. Sauvée des eaux, elle s'empresse de battre deux-trois coups de pieds dans des graminées qui n'en avaient pas demandés tant, avant de s'aplatir un endroit, rageusement, et de s'étaler dedans. C'est qu'on ne peut pas remettre une robe sèche en étant trempée jusqu'aux os. Opération séchage, donc, non sans pester contre les fourmis qui mordent et les herbes qui chatouillent.
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Cmyrille
Lancer un caillou pas loin?... Ça peut marcher mais le truc c'est que forcément, si la cheffe se lève, ce sera surtout pour chercher l'origine du caillou. Donc lui. Mauvaise idée...
Se rapprocher?... Ouai mais ça veut dire avancer en terrain découvert. Avec l'objet de son attention qui lui tourne toujours le dos. Donc aucun intérêt...
Grimper dans un arbre?... Meilleur point de vue certes. Mais comme les premiers arbres sont assez loin de la berge, l'image sera plus petite. Et toujours de dos. Stupide...
Allez s'immerger plus loin, pour revenir par l'eau?... Pourquoi pas. Au moins il sera de face ce coup-ci. Mais faut garder la tête quasiment sous l'eau, avec juste les yeux et le front qui dépassent, c'est pas pratique avec le courant. Pis en plus on est obligé de faire Tan dan... Tan dan... C'est con.

Ou alors... Ou alors. On laisse faire le destin. La cheffe qui se lève, chemise tombante. Ça c'est con. Et qui s'avance vers l'eau. Y'a plus qu'à être patient, il faudra forcément qu'elle sorte à un moment. Enfin... Faudrait déjà qu'elle y entre.



'tain ! C'pas possible, ça ! F'tu caillasse de m'rde !

Il éclate de rire devant la situation. Puis il se reprend instantanément, main sur la bouche, yeux écarquillés. Non mais c'est pas possible d'être crétin à ce point! Il observe, l’œil et l'oreille aux aguets. Pas de mouvements ni de bruits. Si ce n'est la cheffe qui se relève, chemise trempée et collée au corps. Ben voilà! Que demande le peuple?! Il l'observe avec autant de retenue qu'un mendiant observe une belle tomate qui git sur le sol. Mais voilà qu'elle s'allonge dans l'herbe.... Faudra vraiment qu'il lui parle. Ça se fait pas de se planquer comme ça franchement...
Il se redresse donc, tendant le cou par dessus les quelques branches éparses du buisson, histoire d’agripper quelques images supplémentaires pour peupler les moments de doutes et de solitude. Et le pied mal assuré sur un galet instable, il bascule comme un bon gros clampin.

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Eliance
Les galets, une vraie plaie. On ne le dit pas assez. Mais ce ne sont pas eux qui dérangent le plus Eliance à cet instant, qui grimpent impunément et viennent poser leurs pattes sur elle. Ces satanés fourmis la prennent pour une voie romaine et défilent à la queue leu leu, traversant ses cuisses sans gêne. Les doigts ménudiériens les écartent, les écrasent, les pichenettent... Devant le parterre de cadavres à cet endroit-là et l'évidence d'un génocide en cours, les bestioles changent de tactique et adoptent la trajectoire cou, plus discrète pour traverser la roussi-blonde incognito. Mais là, la Ratiboisée détrempée n'y tient plus de chatouilles et se lève d'un bond, au beau milieu de ses graminées aplatis. On vous épargne les jurons qui percent ses lèvres, on pense aux âmes sensibles. Les mains battent l'air et la peau pour virer les récalcitrantes à six pattes. Mais l'épouvantail en chemise trempée s'arrête net. Coupé dans son élan.

Un bruit. Si, si, elle a entendu un bruit. Pas un petit bruit. Non. Un gros bruit. Et la roussi-blondasse sait que c'est pas une fourmi qui fait autant de foin. Ni un mulot. Ni un pic-vert. Ni un scarabée. Ni une truite. Ni... bref. Alors elle pivote vers l'origine du remue-ménage et ouvre grand ses mirettes, des fois qu'elle verrait surgir un blaireau des fourrés. On sous-estime souvent l'agressivité des blaireaux et leurs attaques intempestives. D'ailleurs, on peut compatir tous ensemble avec 22 qui ne partagera pas le magnifique spectacle d'une Ratiboisée trempée, debout, face à lui et son fourré tout dégueu, vu qu'il s'est vautré lamentablement. Le cou se tend, les yeux balaient, la respiration se fait silencieuse, les esgourdes sont à l'affût.


Y a... y a quelqu'un ?


On ne saurait déterminer avec exactitude si Eliance préférerait à cet instant se retrouver nez-à-nez avec un blaireau ou un 22, tellement son esprit est embrouillé.
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Cmyrille
Ça pique les branches de buissons ! Il en est là de son analyse de la situation quand il entend une voix s'élever dans l'air chaud de cette après-midi.


Y a... y a quelqu'un ?

Si elle demande, c'est qu'elle ne l'a pas encore vu. Ça c'est un bon point. Maintenant s'il essaie de se relever pour se planquer de nouveau, le risque de se faire voir est multiplié. Il reste donc en place, une branche lui rentrant allègrement dans l'estomac et le visage nonchalamment appuyé sur un galet cuisant. La position est des plus ridicules et inconfortables, alors son système de survie se met en marche de lui-même.


- Non ! Y'a personne !...

!!!!!!!....
Non mais quel abruti ! Si avec ça il se fait pas caillasser la mouille il aura de la chance...

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Eliance
C'est pas un blaireau. Fine déduction de la détrempée du jour. Du moins, pas un blaireau ordinaire. Celui-là cause et pas intelligemment. Eliance n'écarte pas une possible attaque imminente de son avenir très proche. Alors, elle aussi portée par son insctinct de survie, elle ramasse furtivement un bon gros galet sur la berge. La dernière attaque se lit encore sur son front entaillé. Et, étrangement, elle n'est pas prête à subir la même sorte de désagrément aujourd'hui, trouvant du courage là où il n'en existe d'ordinaire pas une seule once.

Ses pieds nus avancent lentement, silencieusement, en direction de la voix de fourré entendue quelques secondes plus tôt. Elle est bien décidée à lui faire la couenne, à ce blaireau-là. À quelques petits détails près qui, dans l'instant de panique, ne s'envisagent pas en elle. Comme le fait qu'elle soit à moitié à poil avec cette chemise qui lui colle à la peau et au reste. Comme son misérable galet qui saurait à peine blessé, sinon faire marrer un blaireau. Comme la rumeur tenace disant qu'elle vise atrocement mal, sauf avec un arc. Comme le fait qu'elle a les jambes qui tremblent, parce que celles-là ne comprennent pas pourquoi, cette fois, elles doivent se diriger vers le danger et pas tricoter loin comme d'habitude.

Le galet en l'air, histoire d'être menaçante et que ça se voit, la Ratiboisée parvient devant le buisson crade d'où est venue la voix du blaireau. Le cou se tend vers l'avant, les yeux observent et la gorge finit par se marrer. Un rire bref et soudain. Mais vite, elle se reprend. C'est pas parce que l'agresseur est en train de croupir nonchalemment sur des branches et des galets, à plat ventre, que tout danger est écarté. Bien sûr, elle n'a pas reconnu l'arrière corporel de Cmyrille.


Vous faites quoi ?

Dans la série répliques stupides, je demande la roussi-blondasse.


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Cmyrille
- Vous faites quoi ?

Un tennis, conasse!
Le petit filet de sang qui commençait de s'échapper de sa joue pour lui emplir la bouche d'un goût de fer ne faisait rien pour apaiser son sentiment de stupidité et sa colère. Et sur ça se rajoute une question dont la stupidité n'a d'égale que l'inintérêt. Il grogne mais risque tout de même une réponse.



- Je chassais le papillon. Et j'en coursais justement un il y a quelques instants avant d'entrer en collision avec ce buisson que je n'avais pas vu.

C'est alors qu'il tente quelques contorsions malhabiles pour se remettre d'aplomb. Pieds qui passent par dessus les épaules, visage qui s'étale dans un dessous de bras, enfin on va pas faire la liste quand même. Le voilà le cul appuyé sur quelques galets et le visage qui se lève vers la cheffe. Un sourire malsain se dessine sur sa face. Certes maintenant il est découvert, mais au moins la vue est imprenable.
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Eliance
Le galet est toujours en l'air quand la Ratiboisée reconnaît 22, ou du moins sa voix. Et sa manière de parler. La main se baisse alors. Si les raisons de la présence de l'étalé ne sont pas encore connues, Eliance n'a pas peur de lui. Enfin, moins que d'autres. Elle le sait assez fou pour être inoffensif. Ou du moins, c'est ce que sa naïveté lui fait croire.

Vous l'avez pas louper...


Constat techniquement évident. Et un sourire un brin moqueur s'étire sur les lèvres de la roussi-blonde. Mais ça, c'était avant que l'espion du jour ne parvienne à revenir dans une position moins contorsionniste et affiche ce rictus que Eliance qualifierait très certainement de « pervers », lui rappelant ainsi sa tenue particulièrement mouillée et transparente.
L'oeil glisse tout de même sur ce que regarde abondamment 22, histoire d'être sûr qu'il voit ce qu'il voit, pour revenir paniqué sur le voyeur, alors que les mains viennent camoufler on ne sait trop quoi. La gêne est là. Les rougeurs aussi. Les bégaiments, n'en parlons pas.


Mais... m... mais... R'gardez... r'gardez pas !
Tournez-vous ou j'vous éborgne !


Le galet redevient menaçant, un bras se détachant de la roussi-blonde comme pour le jeter à tout moment sur le 22 le cul par terre.

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Cmyrille
On ira pas jusqu'à dire qu'il a la bave aux lèvres. Il faudrait un peu plus de "matière" pour ça. Mais il sait tout à fait se contenter des cadeaux qu'offre la vie. En l’occurrence une étoffe humide et presque transparente, ça fait largement l'affaire. Et la déception est à la hauteur du cadeau lorsqu'il voit apparaitre un bras en travers de son champ de vision plus que restreint pour l'occasion.


- Tournez-vous ou j'vous éborgne !

- Mais euh!
On va pas refaire le débat, mais c'est vous qui me montrez. C'est normal que je regarde.


Il met son bras droit en protection de son visage parce qu'on est jamais à l'abri d'un accident. Imaginez que le galet soit un peu glissant et qu'il échappe à la poigne de la Cheffe pour lui retomber sur le coin de la trogne. Ou pire qu'elle vise les parties sensibles et, grâce à une visée reconnue par beaucoup, elle lui envoie le galet en travers de la mouille. Il baisse les yeux, l'air penaud, prêt à faire amende honorable.
Ou alors il en profite pour apprécier les lignes élancées de quelque cuisseau qui s'offre à sa vue sous la chemise mouillée. Allez savoir...


- Je r'garde plus.
Et promis j'en parle à personne...

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