De moi, Jehanne Elissa de Volpilhat, Vicomtesse de Cauvisson, Baronne de Ternant-Malpertuis,
A Jenifael Vitalis da Roma, Dame de Boissières, intendante et vassale de Cauvisson,
Salutations.
Veuillez accepter mes excuses pour le reproche que je vous ai fait, à propos du vin. S'il s'agit de production familiale, je l'accepte avec gratitude. Je compte sur vous pour ne pas ruiner la vicomté en achetant à prix indû les productions de votre famille, et l'enrichir à mon détriment !
Lisez-le comme une plaisanterie : je songe que sans le son de ma voix, vous pourriez y voir un nouveau reproche. Ce n'est pas le cas : je vois trop bien, dans les chiffres, le zèle que vous mettez à faire prospérer la Vaunage, jamais je ne pourrais croire que vous mésusez de ma confiance.
Tout produit de votre famille est donc le bienvenu ; mais, s'il vous plaît, pas d'autre produit provençal que ceux-là, c'est entendu ? Je tiens à honorer la mémoire de mes ancêtres, qui combattirent, par les armes ou la diplomatie, contre les Provençaux.
Maruéjols, vous l'aurez sans doute trouvé le temps que j'écrive cette lettre, par quelque question à un Vaunageol, car il s'agit d'un hameau, que l'on ne voit pas de Cauvisson, car la combe des Abeils le cache. Pas plus ne le voyez-vous de Boissières. C'est derrière Sinsans, coincé dans les hauts murs calcaires de la Vaunage, à l'ouest de Saint-Côme.
Quand en montant sur les hauteurs de Saint-Côme vous regardez vers le couchant, vous voyez au loin le pic Saint-Loup, et devant, les contours de la creuse Vaunage, la plaine de vignes, des arbres, Maruéjols est là. L'ensoleillement y est plutôt bon, et le vent, plutôt faible. Au-dessus des vignes, les amandiers y embaument l'air. Je suis sûre que si vous ne l'aviez trouvé, maintenant, c'est chose faite.
Je ne crains pas la réduction des cheptels de la Vaunage, car la plupart paissent dans la garrigue, où l'on ne peut de toute façon rien faire pousser d'autre. C'est là aussi que mes métayers mènent les porcs à la glandée ; c'est plutôt aux vignes qu'il faut prendre garde, elles couvrent une belle partie du terrain du côté de Saint-Dionisy, l'Anglade et Saint-Côme... Il faut préserver à tout prix le vin vaunageol, il est apprécié et ses revenus sont sûrs... Ou allez-vous me détromper à ce sujet ?
Si vos filles vous donnent du mal, je pourrais en prendre une à ma charge, comme pupille. La changer d'environnement peut l'aider à grandir, peut-être ? C'est vous la mère, à vous de voir.
Quant à vous marier... Je comprends une chose, c'est qu'il sera difficile de vous marier par amour, car l'amour est sujet aux humeurs, et vous semblez de nature à en donner aux hommes.
Alors pourquoi ne pas partir sur un mariage de convenance ? Un engagement qui vous garderait de la concupiscence des autres hommes, qui rendrait convenable votre situation familiale, et puis qui pourrait vous apporter d'autres titres et revenus. Le fait que vous ayez des enfants peut être un problème pour certains, surtout ayant été conçus hors mariage ; pour d'autres, ce sera la garantie de votre fertilité, ce en quoi je me fais fort de vous trouver un promis. Je ne vous cache pas que cela sert aussi mes relations, de promettre ma vassale à quelqu'un d'important. Il est nécessaire d'avoir des prétextes de ce genre pour rester en contact avec des personnes importantes, par leurs connaissances, par leur pouvoir... Nul ne vous demandera d'aimer votre promis, mais j'essayerai d'en trouver un que vous ne détesterez pas, car dussiez-vous ne vous voir qu'un mois par an, il ne faudrait pas que vous lui tailladiez sa virilité en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "lapin".
Que le Très Haut vous garde,
Jehanne Elissa de Volpilhat
Fait à Ternant-Malpertuis, le 26 octobre 1461