June
Pour lui, si cet enfant était mort, c'était le destin. Et pouvait-on déjà appeler cela un enfant ? Il ne devait être qu'à peine formé, une sorte de concentré d'humanoïde à peine identifiable. Et puis, cet enfant était-il vraiment le sien ? Si elle couchait avec lui à tout va, pourquoi ne ferait-elle pas avec d'autres ? Mais tout ça, il s'abstint cette fois de le balancer à voix haute, vu la réaction qu'elle avait eue. Après tout, lui n'avait jamais vécu tout ça. Tous ses enfants n'avaient jamais été désirés. Ils étaient arrivés comme ça, alors ils avaient compté pour lui. Mais s'ils n'étaient pas arrivés, jamais il ne l'aurait regretté. C'était le destin, tout simplement. C'était ainsi, c'était écrit quelque part, et on ne pouvait le deviner à l'avance, ni le corriger. Nathan était le fils d'une femme qui l'avait séduit pour remplir son palmarès, et qui était tombée enceinte par hasard. Depuis qu'elle s'était aperçu de la présence de l'enfant en elle, elle avait exécré June jusqu'au plus haut point, alors que lui avait développé pour elle un amour sans limites. Nathan n'était pas désiré, mais pourtant, c'était son fils, et rien ne pourrait changer cela. Wyllas était le fils d'une putain, une putain pas comme les autres, que June avait espéré sortir de la rue, en vain. Orian, le fils d'une femme dont June était tombé éperdument amoureux ; mais, là encore, il s'était retrouvé face à un mur, sauf quelques fois, ingrédients d'un enfant né et élevé en secret. Clovis était le fruit d'une soirée arrosée avec l'épouse d'un de ses meilleurs amis. Ainsi, si lui-même avait été un enfant désiré, il ne savait pas ce qu'était qu'être père d'un enfant qu'il désirait. Aussi, il prenait la vie comme elle venait, et c'était bien comme ça.
Un long silence se tint après que Rosalinde lui ait balancé tout ça à la gueule.
"Comment pouvez-vous oser m'accuser de me foutre de cela, alors que vous-même exprimiez il y a quelque moment seulement votre joie après avoir découvert que vous étiez en train de perdre cet enfant."
Eh oui, il avait refait le chemin des choses dans sa tête. Elle n'était pas bien, l'avait quitté un moment pour se diriger vers un endroit où elle serait seule. Et était revenue tout sourire ou presque, sûrement après avoir découvert qu'elle perdait cette chose qui la hantait. Quelle hypocrisie. Si lui n'avait pas exprimé grand-chose à l'évocation de la mort du ftus, elle s'était carrément réjoui. Mais il eut pitié. D'elle. De lui-même. Et de cet enfant qui était peut-être le leur, qu'importe. Il n'était plus de ce monde sans y avoir réellement habité.
Il soupira, et alla s'asseoir sur le lit, à côté d'elle.
"Excusez-moi. Mes paroles ont dépassé ma pensée. J'ai horreur des confidences. Je n'aime pas paraître faible. Être sentimental, c'est une sorte de faiblesse."
Il posa doucement ses doigts sur les boucles rousses. Il n'avait pas dit que c'était logique, mais c'était comme ça qu'il fallait le voir. Un homme doit être impartial, dur, fort. Les enfants, les machins de bonnes femmes et les ragots ne doivent en rien l'affecter. Du moins, en théorie. Peut-être, d'ailleurs, n'était-ce là pas la bonne. Il inspira longuement.
"J'ai eu beaucoup d'enfants. Aucun n'était désiré par ses deux parents. De moi, parce que je n'étais même pas au courant de leur existence. De leur mère, parce qu'au final, c'était arrivé comme ça. Ou alors, pour certaines, elles voyaient ce petit comme un fardeau, une marque d'une histoire dont elles n'auraient peut-être pas aimé se rappeler. Peut-être même qu'elles auraient apprécié le fait de m'oublier. Mais c'est ainsi. Ils sont là. Je les aime depuis qu'ils sont arrivés au monde. J'ai toujours voulu être un bon père.
Pour eux, j'ai bâti une forteresse, pour qu'ils soient à l'abri. Je leur ai trouvé un foyer chaud et de quoi manger chaque soir alors que je me privais moi-même de ce que je pouvait leur donner de mieux. J'ai essayé de les faire devenir des gens biens. J'ai voulu qu'aucun ne soit à l'écart des autres, alors j'étais là pour chacun. J'ai essayé d'être un père aimant et aimé. C'était compliqué, alors j'ai essayé de leur donner tout ce qu'ils pouvaient désirer. C'était difficile, alors j'ai essayé de faire de mon mieux. J'ai raté, mais je veux pas qu'on dise que je suis sans coeur, parce que c'est pas vrai." *
Un silence. Qui s'éternisa un long moment. Il laissa les boucles tranquilles et tourna le dos à Rosalinde. Il joint ses mains entre ses jambes, parce qu'il ne se sentait pas avoir le droit de la toucher davantage.
"Je ne vous demande pas de me pardonner pour ce que j'ai dit. Vous avez raison. Le Très-Haut avait sûrement fait ce choix pour l'épargner de quelque chose. D'avoir un père raté, peut-être."
Il essuya rageusement ses joues avec la manche de sa chemise. Ses yeux bleu glace étaient soudainement un peu plus foncés, et il regardait ses pieds nus avec application. Il avait déclamé tout cela d'une voix monocorde, comme s'il acceptait très bien ce qu'il était. C'était comme ça. C'était ainsi.
C'était le destin.
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Un long silence se tint après que Rosalinde lui ait balancé tout ça à la gueule.
"Comment pouvez-vous oser m'accuser de me foutre de cela, alors que vous-même exprimiez il y a quelque moment seulement votre joie après avoir découvert que vous étiez en train de perdre cet enfant."
Eh oui, il avait refait le chemin des choses dans sa tête. Elle n'était pas bien, l'avait quitté un moment pour se diriger vers un endroit où elle serait seule. Et était revenue tout sourire ou presque, sûrement après avoir découvert qu'elle perdait cette chose qui la hantait. Quelle hypocrisie. Si lui n'avait pas exprimé grand-chose à l'évocation de la mort du ftus, elle s'était carrément réjoui. Mais il eut pitié. D'elle. De lui-même. Et de cet enfant qui était peut-être le leur, qu'importe. Il n'était plus de ce monde sans y avoir réellement habité.
Il soupira, et alla s'asseoir sur le lit, à côté d'elle.
"Excusez-moi. Mes paroles ont dépassé ma pensée. J'ai horreur des confidences. Je n'aime pas paraître faible. Être sentimental, c'est une sorte de faiblesse."
Il posa doucement ses doigts sur les boucles rousses. Il n'avait pas dit que c'était logique, mais c'était comme ça qu'il fallait le voir. Un homme doit être impartial, dur, fort. Les enfants, les machins de bonnes femmes et les ragots ne doivent en rien l'affecter. Du moins, en théorie. Peut-être, d'ailleurs, n'était-ce là pas la bonne. Il inspira longuement.
"J'ai eu beaucoup d'enfants. Aucun n'était désiré par ses deux parents. De moi, parce que je n'étais même pas au courant de leur existence. De leur mère, parce qu'au final, c'était arrivé comme ça. Ou alors, pour certaines, elles voyaient ce petit comme un fardeau, une marque d'une histoire dont elles n'auraient peut-être pas aimé se rappeler. Peut-être même qu'elles auraient apprécié le fait de m'oublier. Mais c'est ainsi. Ils sont là. Je les aime depuis qu'ils sont arrivés au monde. J'ai toujours voulu être un bon père.
Pour eux, j'ai bâti une forteresse, pour qu'ils soient à l'abri. Je leur ai trouvé un foyer chaud et de quoi manger chaque soir alors que je me privais moi-même de ce que je pouvait leur donner de mieux. J'ai essayé de les faire devenir des gens biens. J'ai voulu qu'aucun ne soit à l'écart des autres, alors j'étais là pour chacun. J'ai essayé d'être un père aimant et aimé. C'était compliqué, alors j'ai essayé de leur donner tout ce qu'ils pouvaient désirer. C'était difficile, alors j'ai essayé de faire de mon mieux. J'ai raté, mais je veux pas qu'on dise que je suis sans coeur, parce que c'est pas vrai." *
Un silence. Qui s'éternisa un long moment. Il laissa les boucles tranquilles et tourna le dos à Rosalinde. Il joint ses mains entre ses jambes, parce qu'il ne se sentait pas avoir le droit de la toucher davantage.
"Je ne vous demande pas de me pardonner pour ce que j'ai dit. Vous avez raison. Le Très-Haut avait sûrement fait ce choix pour l'épargner de quelque chose. D'avoir un père raté, peut-être."
Il essuya rageusement ses joues avec la manche de sa chemise. Ses yeux bleu glace étaient soudainement un peu plus foncés, et il regardait ses pieds nus avec application. Il avait déclamé tout cela d'une voix monocorde, comme s'il acceptait très bien ce qu'il était. C'était comme ça. C'était ainsi.
C'était le destin.
* Inspiré de ce moment (à regarder jusqu'à la fin) et à lire avec la même intensité. ;)
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