Rosa
Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point.
Blaise Pascal.
Des mois que la Blondissime était passée par tous les états d'âmes. Elle avait connu le bonheur. Très, bien trop rapidement suivi du malheur, de la trahison, du mensonge, pour revenir dans le bonheur, l'espoir d'une vie nouvelle et des vertus du pardon avant que sa vie ne bascule dans un épisode de violence, de brutalité et de souffrance avant de mettre fin à ce bref mariage qui ne rimait à rien. S'en suivit une période tourmentée entre des mandats comtaux riches, compliqués, éprouvants et des revirements en tout genre, le tout agrémenté de quelques errements de sa part qui causaient son tourment actuel après être passée par l'humiliation publique.
Elle était malheureuse, distraite, l'âme en peine errant sur les chemins à la recherche de l'objet de ses pensées, écrivant moultes missives espérant une réponse, le croiser, un regard, et surtout, surtout qu'Il lui revienne. C'était le plus cher désir de son coeur.
Entre deux missives, une confession auprès d'un clerc pour décharger ses fardeaux et reconnaître ses péchés, ses longues prières, ses pensées couchées sur un vélin, les balades en forêt et ses quelques passages en taverne étant la plupart du temps distraite, ainsi se rythmaient ses journées.
Elle maigrissait à vue d'oeil, ne mangeant quasiment plus, se nourrissant tout juste de quelques morceaux de pain par ci par là. Son sourire légendaire et son éternelle bonne humeur et sa chaleur qui faisaient encore sa renommée il y avait quelques mois de cela avaient disparu, Rosa n'était que l'ombre d'elle-même.
Elle n'avait même pas eu le courage d'écrire à sa fille pour lui donner des nouvelles, tout juste pour rassurer son garde. Se terrer, loin de ses amis, loin de Tournai, loin de ceux qui lui rappelaient ses égarements.
Essayer de retrouver une certaine sérénité, de retrouver son amour perdu, le goût de vivre. Retrouver la force d'affronter les rumeurs, les regards, les critiques, celles justifiées et les nombreuses injustifiées, mais avant tout LE retrouver. Sans quoi rien n'aurait plus de sens. Vivre, respirer, tout cela devenait douloureux, vide de toute signification et de but. Si, un seul. Lui. Pour Lui elle pourrait se battre, jeter ses dernières forces dans la mêlée. Dusse-t-elle tout perdre. De toute manière elle avait déjà tout perdu lorsqu'il était parti arrachant une partie d'elle, la plus belle, avec lui.
Ainsi s'égrenaient les jours, les heures interminables. Le temps semblait suspendu, tout comme était sa vie. En attente.
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Rosa Elle avait reçu les textes à étudier et passait ses journées à les lire et les méditer tout comme il lui avait été demandé.
Notamment l'hagiographie de l'archange Sainte-Raphaelle dont elle avait retenu la prière:
Citation:Invocation de Sainte Raphaëlle
Ô Dieu !
Toi en Qui je crois,
Toi qui guides mes pas,
Donne-moi la force de professer la grandeur de Ton Nom
Ainsi que l'amour et l'adoration que j'y porte.
Envoie-moi Ton Archange, Raphaëlle, pour qu'elle chemine à mes côtés,
Que je ne sois plus seul face à l'ennemi de ma foi et de ma conviction.
Que mes actes obéissent à mon coeur et que même ma main gauche suive les commandements de ma droite.
Que mon coeur te craigne.
Et que j'annonce Ton Saint Nom.
Dieu, daigne lever ta main, que raphaëlle descende et me vienne en aide.
Ainsi soit-il !
Elle lut également la vita de Christos ainsi que l'hagiographie de Saint-Valentin. Avant de s'endormir ce soir là ainsi que les 6 autres soirs qui suivraient elle allait réciter cette prière.
prière du soir a écrit:Je lève mes yeux vers Toi
Je lève mes yeux vers Toi,
Qui sièges dans le soleil.
Et tel Oane pétri de foi,
Je ne laisse jamais l'Esprit rester en sommeil.
Et lorsque mes mains travaillent la terre,
Ne pouvant admirer le ciel,
Je n'oublie pas Ta réponse,
Repoussant au loin la créature sans nom.
Ouvrant les yeux,
Restant humble et patient,
Je n'oublie pas non plus la punition,
Qu'ont subie ceux qui se sont détournés.
Eternel,
renforce mon bras, renforce mon âme,
Et ceux de mes semblables.
Pour que nous fassions régner l'Amour sur ta Création.
Elle parcourait les textes, tentant de faire frayer un chemin à son âme torturée à travers les messages d'espoirs inscrits sur les vélins, aidée par le fait qu'elle avait été absoute, tout en luttant d'un autre côté car son coeur entier était pris, ses pensées étaient tournées vers un seul être.
Elle s'endormit ce soir là encore toute agitée, se tournant et se retournant moultes fois dans la nuit qui était encore chaude et chargée d'humidité. Ce n'était pas encore cette nuit là qu'elle allait trouver le repos...
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Rosa Elle faisait le bilan de sa vie se remémorant son parcours depuis sa plus tendre jeunesse et en fin de compte elle en était fière. Mise à l'étrier politique par feu son époux Louis-Hubert d'Harlegnan, une fois veuve elle s'était fait toute seule, élevé leur héritier Balthasar, construit une vie faite de travail, de don de soi au Comté, au prochain. Sa notoriété avait grandi, elle menait une vie stable et équilibrée. Elle était heureuse, du moins elle était bien, bien dans sa peau, bien avec les autres. Après un long séjour au couvent elle avait réorienté sa vie dans le service de l'Eglise et le soin aux malades.
Ses pensées errèrent un moment sur ces années qui semblaient si lointaines. Elle avait l'impression d'avoir pris plusieurs années en tout juste 8 mois. Elle aurait souhaité ne jamais avoir croisé la route de Kheldar, hormis ses mandats comtaux difficiles pour les derniers, tout aurait été bien plus simple. Elle n'aurait pas tant souffert, elle serait restée elle-même, elle ne se serait pas égarée. Elle n'aurait pas connu le chagrin de perdre ses enfants encore dans son sein ni le goût amer de la trahison.
Elle avait cru à de belles paroles, elle pensait ne plus être naïve pour se laisser rouler ainsi dans la farine et pouvoir construire un mariage digne de ce nom. Elle s'en était mordu les doigts. Mais à toute chose malheur est bon, elle avait croisé la route d'un homme qui l'aimait réellement, la respectait, la chérissait et contrairement au précédent ne cherchait pas à tirer profit d'elle mais bien au contraire à l'aider. Son entourage ne comprenait guère forcément le choix de son coeur, dont l'élu était bien loin de l'image d'Epinal qu'on connaissait à ses prétendants habituellement. Homme adulé ou détesté, il ne laissait en tout cas personne indifférent. Arriverait-elle à vivre avec un homme aussi controversé que Selee?
Elle n'aimait pas un homme parfait, elle ne l'était pas non plus d'ailleurs malgré ce que certains en pensaient, lui refusant par la même occasion le droit à l'erreur comme tout un chacun. Mais elle l'aimait. A la folie. En dépit et malgré tout ce que l'on pouvait dire, au-delà de toute raison, au-delà de tout ce qu'elle avait connu jusqu'à présent. Elle aimait. A en perdre la sienne de raison lorsqu'il était parti, blessé, ulcéré.
Elle le retrouverait. A tout prix. Elle le convaincrait, il le fallait. Elle vivrait dans la controverse peut être mais heureuse. Jusqu'à la fin de leurs jours.
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Rosa "Le fleuve est pareil à ma peine il s'écoule et ne tarit pas, quand donc finira la semaine."
Guillaume Apollinaire
Osciller entre matins chagrins et journées d'espérances.
Hésiter entre partager ses peines et garder la douleur muette.
Trouver la force d'avancer encore, malgré tout, malgré soi.
Tenter de ne pas succomber à l'acédie.
Ecrire encore pour tenter de toucher le coeur de l'être aimé.
Prier et demander le salut de l'âme et du corps, encore.
Apprendre que l'on pourra peut être sous peu recouvrer la liberté d'aimer.
Etre émue face à une main que l'on vous tend et un soutien sans faille que l'on vous offre.
Remplir ses obligations quoiqu'il vous en coûte de sortir.
Espérer que le bonheur vous sourie enfin après les enfers traversés
Aimer à en crever...
Tel était le programme quotidien de la PBBDF. La lecture des textes l'encourageait et la mettait en même temps face à ses propres échecs à vaincre ses faiblesses. Elle s'en voulait. De s'être lancé dans ces épousailles au final sordides, naïve qu'elle avait été. De s'être laissée submergée par les difficultés et d'avoir blessé autour d'elle en tentant de prendre un peu de cet air qui lui manquait.
La Rosa d'antan tentait de se frayer un chemin, celle droite et fière, ne dérogeant pas à ses principes. Elle s'était juré de ne plus jamais, au grand jamais risquer de perdre ainsi quelqu'un à nouveau et de se perdre elle-même. Fidélité incarnée jusqu'à la fin de ses jours. Si pour autant la vie reprenais le dessus.
Par moments elle pensait qu'elle arriverait à vivre à nouveau, même si elle devait se retrouver seule et d'autres où elle envisageait de s'enfermer dans les murs de ses châteaux, rideaux noirs aux fenêtres. En deuil éternel.
Remplie de paradoxes, les pensées voguaient dans tous les sens. Elle préférait encore faire ce chemin en compagnie restreinte, bien entourée qu'Arras lui procurait. La ville qui l'avait adoptée pendant un an autrefois elle qu'elle avait bien aimé.
Arras la belle, qui avait accueilli ses premiers pas de diaconesse. Qui avait hébergé ses amours artésiennes de l'époque. Dans laquelle elle avait investi dans un cabinet médical. Arras resterait toujours une ville spéciale dans son coeur. A présent elle serait peut être la ville de son salut, du moins l'espérait-elle.
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Rosa “Le chaos est rempli d’espoir parce qu’il annonce une renaissance.”
Coline Serreau
Il avait été dit que sa route serait parsemée d'embûches. Il avait été dit que rien ne serait simple. Il avait été dit que les coups pleuvraient à n'en plus finir et qu'elle serait tenue de se relever. Et que dans les moments sombres une lueur venait, l'inciter à aller de l'avant, du moins ailleurs. Autrement.
Il avait été dit que garder ses résolutions intactes n'était pas de tout repos. Il avait été dit que sa volonté devait être mise à l'épreuve comme pour tester sa capacité à mériter peut-être - ou pas - le bonheur.
Pour autant un éveil à la vie semblait possible. L'espoir renaissait. Tout n'était-il pas donc fini?
Prier. Prier pour avoir la force de garder l'espoir par dessus tout. Prier pour vaincre l'acédie qui la guettait, tapie sournoisement dans un recoin de son âme.
Prier qu'il revienne. Prier qu'un bonheur à deux soit possible. Prier que du chaos naisse quelque chose de bien et de beau.
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Rosa Le désir qui naît de la joie est plus fort que le désir qui naît de la tristesse.
Baruch Spinova - L'éthique.
Elle avait prié, elle avait médité, elle avait pleuré, elle avait souri, elle avait espéré, elle avait peu mangé, elle devait à présent se reprendre. Retrouvant un certain apaisement issu de l'abandon de ses luttes. Elle ne luttait plus, elle était et cela changeait tout. La Blondissime demanda à une servante de lui faire préparer un bain et lui sortir une belle robe de sa malle.
Elle devait se faire belle. Pour lui. Pour eux. Elle ne voulait pas que s'il lui revienne qu'il trouve une femme amaigrie, larmoyante et pitoyable. Il devait la trouver belle, parfumée, aimante et désirable, respirant la vie et le bonheur qu'elle aspirait tant à lui procurer.
Son regard avait retrouvé un certain éclat, celui de la détermination, celui d'un certain désir de vivre.
Elle se glissa dans le bain préparé à son intention et prit un long moment pour s'y délasser, nettoyer, détendre, sortit en y laissant sa tristesse, émergeant avec un espoir plus ferme, un élan nouveau. Avec un peu de chance la vie lui rirait à nouveau. Et pour longtemps.
Elle coiffa longuement sa chevelure d'or, les nombreux coups de brosse faisant reluire l'éclat de ses cheveux, disposa des gouttes de parfum au creux des poignets et sous le lobe des oreilles, revêtit sa robe fraîchement apprêtée.
Elle prit le temps de rédiger une nouvelle missive, habitude qu'elle avait prise de faire tous les trois jours, espérant semer en son coeur les graines d'un futur à nouveau à deux. Elle se montrerait patiente, elle l'attendrait, le coeur vaillant.
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Rosa Il était temps. Il était temps de rentrer chez elle, non point qu'elle en eût tant envie mais les écus s'égrenaient bien trop vite ayant voulu voyager léger et avec les frais d'embauche elle n'arrivait pas à tourner. Il fallait payer les impôts, embaucher des saisonniers pour ses cultures, ramener du bois en ville. Elle n'avait guère envie de quitter son appartement arrageois pour retrouver sa ville mais il le fallait. Il le faudrait bien un jour et puis rien ne l'obligeait à sortir si elle ne le désirait pas. Elle l'attendrait, elle passerait le temps, se promenant un peu à l'écart, à l'écart de ceux qui malgré son absence lui imputaient encore maints désordres qu'elle ne pouvait guère avoir causé. Rien n'était jamais fini semblait-il.
Las plusieurs de ses amis étaient partis sur Cambrai les adieux n'étaient guère possible d'autant que son départ n'avait pas été vraiment prévu. Rosa plia bagage non sans se promettre de revenir dès qu'elle le pourrait pour saluer ceux qui l'avaient accueillie pendant quelques temps. Elle pria pour que la route se passe bien, sans escorte qu'elle était.
Elle laissa un mot à ceux qui l'avaient côtoyée ces dernières semaines.
Citation:Chers Arrageois, visiteurs et amis,
Un grand merci pour votre accueil pendant ces dernières semaines passées parmi vous, je dois malheureusement rentrer plus vite que prévu pour autant j'espère vous revoir bientôt.
Je vous embrasse fort et vous remercie encore pour votre amitié.
Que Sainte-Illinda vous garde et protège
Rosa de Leffe
Elle quitta la ville, non sans se retourner une dernière fois vers ce comté qui abritait l'homme qu'elle aimait.
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