Hildegardeii
C'est une femme ordinaire qui déambule dans les couloirs vides d'une maison secrète.
Elle erre à travers des pièces plongées dans la pénombre, sans but. Elle attend que ça passe. Insensible à tout.
Là, c'est la nuit. On est le 29 septembre 1463. Une lampe à huile fumante l'éclaire faiblement.
Ses pieds nus foulent le moelleux feutré des épais tapis de laine écrue d'une bibliothèque, puis les tommettes froides du vestibule pour enfin la mener vers le parquet du salon.
Elle traverse la pièce et ses deux mains se posent sur l'habillage de marbre d'une cheminée éteinte. Elle fixe de son regard le minuscule portrait de son époux posé sur la pierre. Il lui semble qu'il la regarde aussi, qu'il sait qu'elle pense à lui.
La chemise immaculée qu'elle a revêtue est trop grande pour elle et la recouvre jusqu'à mi-cuisse. Elle l'a prise dans la malle de son homme avant le désastre. Les manches qu'elle n'a pas boutonnées, pendent mollement, révélant des avant bras rougis par ce qui semble être des brûlures.
Aucun son ne lui parvient de l'extérieur.
De toutes façons elle n'entend presque plus rien depuis qu'elle a poussé un cri si puissant qu'elle s'est rendue à moitié sourde elle-même. Du moins, c'est ce qu'elle croit car un bourdonnement continu a pris possession de ses tympans et ne la quitte plus.
Mais cela lui convient. Elle a ainsi tout loisir de méditer ce qu'elle est et sur l'abomination de ses actes. Et ça l'arrange bien aussi : elle n'a ainsi pas l'obligation de répondre quand si on lui pose une question qui la dérange.
Le bout de l'index caresse le visage du portrait, suit la ligne de la machoire, ressent presque la rudesse de la barbe naissante... Presque... Il effleure ensuite les cheveux, l'arcade avec toute la douceur qu'une femme amoureuse peut avoir pour son amant.
Ses lèvres bougent imperceptiblement. Elle lui parle dans un souffle de voix. Elle tente de lui expliquer.
Là où il y a du désir, il y a aura une flamme et là où il y a une flamme quelqu'un est sûr de se brûler.
Mais seulement parce que ça brûle ça ne veut pas dire que tu vas mourir. Il faut que tu te relèves et que tu essaies... essaies... essaies...*
Qu'il essaie quoi ?
La vibration de la voix dans son dos, plus que le son lui même, la fait tressaillir. Elle ne s'attendait pas à ce que quelqu'un entre, persuadée qu'elle avait verrouillé la porte d'entrée.
Elle fait volte face et découvre dans la faible clarté, le visage noirci de son voisin, l'équarisseur. L'homme la dévisage également depuis la porte. Il a l'air épuisé et son visage émacié porte les marques de la fatigue accumulée ces dernières heures.
A cet instant, tout lui revient en mémoire : l'annonce du mal qui ronge son époux, de la lassitude qui a peu à peu envahi son esprit et usé son enthousiasme, de l'issue probablement fatale et de son incapacité à y faire face.
Elle se souvient de la haine qui l'a envahie, de la rage qu'elle a ressentie, impuissante devant cette situation.
Elle se souvient de son envie de le secouer, de le griffer, de le gifler pour qu'il réagisse.
Elle se souvient aussi qu'elle n'a rien fait parce que trop fière et qu'elle lui a dit de partir, préférant ne plus l'avoir du tout plutôt que de ne l'avoir qu'à moitié.
Elle se souvient aussi de sa fille adoptive, qui assistait à la scène et qui a préféré se boucher les oreilles pour ne plus entendre et a fermé les yeux pour ne plus voir.
Et puis elle se souvient, bien sûr, de la suite, dans les moindres détails.
De la maison où son époux est rentré pour aller se coucher. De la façon dont elle lui a lié les poignets au lit sans qu'il s'en rende compte, une fois endormi. De comment elle a bloqué les issues en entassant du bois devant les portes et de la façon dont elle s'y est prise pour contraindre son voisin à lui fournir une torche, n'hésitant pas à lui faire du chantage et à le menacer de révéler au prévost comment il avait violé puis tué la toute jeune fille qui vivait avec lui un an auparavant.
Elle se souvient de cette haine, plus immense que jamais, de son amour tellement démesuré, de ce maelström de sentiments contraires, de pure folie qu'il lui a fait perdre la raison au point de lancer la torche enflammée vers la fenêtre de leur chambre, d'y mettre le feu et de laisser son époux brûler vif dans la fournaise qui a suivi.
Oui, elle aurait toute la vie pour méditer sur cette abomination.
Rien... Avez vous terminé ?
L'homme essuie ses mains épaisses d'équarisseur sur la toile de ses braies.
Il est dans la chambre... Il respire encore.
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Elle erre à travers des pièces plongées dans la pénombre, sans but. Elle attend que ça passe. Insensible à tout.
Là, c'est la nuit. On est le 29 septembre 1463. Une lampe à huile fumante l'éclaire faiblement.
Ses pieds nus foulent le moelleux feutré des épais tapis de laine écrue d'une bibliothèque, puis les tommettes froides du vestibule pour enfin la mener vers le parquet du salon.
Elle traverse la pièce et ses deux mains se posent sur l'habillage de marbre d'une cheminée éteinte. Elle fixe de son regard le minuscule portrait de son époux posé sur la pierre. Il lui semble qu'il la regarde aussi, qu'il sait qu'elle pense à lui.
La chemise immaculée qu'elle a revêtue est trop grande pour elle et la recouvre jusqu'à mi-cuisse. Elle l'a prise dans la malle de son homme avant le désastre. Les manches qu'elle n'a pas boutonnées, pendent mollement, révélant des avant bras rougis par ce qui semble être des brûlures.
Aucun son ne lui parvient de l'extérieur.
De toutes façons elle n'entend presque plus rien depuis qu'elle a poussé un cri si puissant qu'elle s'est rendue à moitié sourde elle-même. Du moins, c'est ce qu'elle croit car un bourdonnement continu a pris possession de ses tympans et ne la quitte plus.
Mais cela lui convient. Elle a ainsi tout loisir de méditer ce qu'elle est et sur l'abomination de ses actes. Et ça l'arrange bien aussi : elle n'a ainsi pas l'obligation de répondre quand si on lui pose une question qui la dérange.
Le bout de l'index caresse le visage du portrait, suit la ligne de la machoire, ressent presque la rudesse de la barbe naissante... Presque... Il effleure ensuite les cheveux, l'arcade avec toute la douceur qu'une femme amoureuse peut avoir pour son amant.
Ses lèvres bougent imperceptiblement. Elle lui parle dans un souffle de voix. Elle tente de lui expliquer.
Là où il y a du désir, il y a aura une flamme et là où il y a une flamme quelqu'un est sûr de se brûler.
Mais seulement parce que ça brûle ça ne veut pas dire que tu vas mourir. Il faut que tu te relèves et que tu essaies... essaies... essaies...*
Qu'il essaie quoi ?
La vibration de la voix dans son dos, plus que le son lui même, la fait tressaillir. Elle ne s'attendait pas à ce que quelqu'un entre, persuadée qu'elle avait verrouillé la porte d'entrée.
Elle fait volte face et découvre dans la faible clarté, le visage noirci de son voisin, l'équarisseur. L'homme la dévisage également depuis la porte. Il a l'air épuisé et son visage émacié porte les marques de la fatigue accumulée ces dernières heures.
A cet instant, tout lui revient en mémoire : l'annonce du mal qui ronge son époux, de la lassitude qui a peu à peu envahi son esprit et usé son enthousiasme, de l'issue probablement fatale et de son incapacité à y faire face.
Elle se souvient de la haine qui l'a envahie, de la rage qu'elle a ressentie, impuissante devant cette situation.
Elle se souvient de son envie de le secouer, de le griffer, de le gifler pour qu'il réagisse.
Elle se souvient aussi qu'elle n'a rien fait parce que trop fière et qu'elle lui a dit de partir, préférant ne plus l'avoir du tout plutôt que de ne l'avoir qu'à moitié.
Elle se souvient aussi de sa fille adoptive, qui assistait à la scène et qui a préféré se boucher les oreilles pour ne plus entendre et a fermé les yeux pour ne plus voir.
Et puis elle se souvient, bien sûr, de la suite, dans les moindres détails.
De la maison où son époux est rentré pour aller se coucher. De la façon dont elle lui a lié les poignets au lit sans qu'il s'en rende compte, une fois endormi. De comment elle a bloqué les issues en entassant du bois devant les portes et de la façon dont elle s'y est prise pour contraindre son voisin à lui fournir une torche, n'hésitant pas à lui faire du chantage et à le menacer de révéler au prévost comment il avait violé puis tué la toute jeune fille qui vivait avec lui un an auparavant.
Elle se souvient de cette haine, plus immense que jamais, de son amour tellement démesuré, de ce maelström de sentiments contraires, de pure folie qu'il lui a fait perdre la raison au point de lancer la torche enflammée vers la fenêtre de leur chambre, d'y mettre le feu et de laisser son époux brûler vif dans la fournaise qui a suivi.
Oui, elle aurait toute la vie pour méditer sur cette abomination.
Rien... Avez vous terminé ?
L'homme essuie ses mains épaisses d'équarisseur sur la toile de ses braies.
Il est dans la chambre... Il respire encore.
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