Ceriera
« La réalité, c'est ce qui continue d'exister lorsqu'on cesse d'y croire »
Philip K. Dick
Philip K. Dick
Dans l'état de demi-conscience où ses amies l'avaient trouvée, Cerièra espérait que tout ceci n'était qu'un cauchemar, dont elle s'évaderait en laissant à son tour son âme s'échapper. Mais elle avait quitté cette douceur, cette chaleur, cette lumière, cet espoir d'un ailleurs.
Le retour à la réalité était violent : un sol dur, une fichue chaise tout aussi dure, une atmosphère froide, la lumière blanche d'un début d'hiver.
" Cerièra... Oui, malheureusement, c'est vrai...
Je ne sais pas pourquoi, ni comment cela a pu se passer, mais c'est vrai... "
Abasourdie, elle secouait la tête doucement de gauche à droite, elle continua ce petit mouvement tout en prenant sa tête dans ses mains. Elle commençait à réaliser ce que cela impliquait : il n'était plus, elle était seule. Ce sont de chaudes larmes qui vinrent vite remplir ses mains
Me laisse pas je veux pas tu peux pas mourir pas là, pas comme ça
Alors qu'elle déparlait*, elle entendait la voix d'Aryanna lui évoquer un pli non ouvert. Elle essuya ses yeux et regarda :
Qu qu'est-ce que c'est ?
Elle attrapa la missive et la parcourut rapidement le haut et le bas de la lettre :
C'est signé d'Alexandre, mais ça n'est pas son écriture. Qu'est-ce que ça veut dire ? Elle sort d'où cette missive ?
Ces questions, elle se les posait surtout à elle-même, bien consciente qu'Aryanna n'en savaient certainement pas davantage. Elle en entama la lecture :
Il il me dit ça ressemble à des derniers mots.
Elle se replongea dans les mots de son bien-aimé elle aurait aimé pouvoir prendre aussitôt la plume et lui répondre, mais sa lecture confirmait l'information de Lysianne : il ne serait plus là pour la lire. Plus jamais.
C'est commentant sa lecture, la voix tremblante, qu'elle s'adressait à lui. Qui sait si notre âme, après notre trépas, ne flotte pas un temps parmi nos proches avant de rejoindre le paradis solaire ? Peut-être l'entendrait-il Si ça n'était pas le cas, alors elle parlait seule, ce qui était peut-être un peu pathétique, mais peu importe.
Oui tu m'en avais parlé je t'avais répondu qu'il était heureux que tu en aies été guéri. La rage lui montait Ils t'auront eu les salauds ! Mais pourquoi, pourquoi maintenant ?
Elle essaya de calmer sa respiration pour reprendre Et je n'ai rien vu ! Mais comment ai-je pu ne rien voir ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? Elle s'imaginait encore qu'elle aurait pu y changer quelque chose en sachant. Elle n'avait pas fini de se maudire elle-même, et de n'avoir pas su deviner, et de l'avoir perdu en route. «Et si ?» la hanterait.
Une main sur le cur, les larmes aux yeux à ses «Merci». Jamais il ne s'était autant dévoilé à elle hélas, elle non plus ne pourrait plus désormais le faire. Ne me remercie pas pour ce qui m'était aussi naturel que de respirer. Et comment respirerait-elle maintenant ?
Orandin oh Seigneur, son frère échappa-t-elle en regardant ses amies. Elle résuma à ses amies la lettre qu'elle venait de lire : ce qui l'avait mené à la mort, et les personnes qu'il lui demandait de prévenir. Comment écrire à quelqu'un que je ne connais pas dans un moment aussi délicat ? Une dernière mission du blond, qui la sortait temporairement des larmes pour lui donner une tâche. Alexandre lui confiait ses dernières volontés, elles les accomplirait bien évidemment.
Se demandant déjà quels mots utiliser pour être porteuse de si funeste nouvelle le moins violemment possible, ses yeux parcouraient la pièce. Elle poussa un énorme soupir, bien consciente qu'elle n'y arriverait pas. Elle écrirait le lendemain.
Elle posa la lettre d'Alexandre sur son bureau, celui-là même où elle l'avait laissé travailler de longues heures quand il était à Foix, et ce faisant, elle l'y voyait encore.
Elle alla remettre une bûche dans le feu, un peu machinalement, puis retourna vers ses amies. Elle les regarda, tour à tour, l'une, puis l'autre, puis retour à l'une etc.
Elle ne savait plus quoi dire, oscillant entre larmes retenues et essuyage d'yeux de plus en plus rougissants.
Quelque chose de fort. Il me faut quelque chose de fort.
* au sens 3, typique dans le sud
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