[Parieur pas content]
À peine as-tu levé le bras que déjà, une main se saisit de ta mise. Il paraît que linconnu qui sapprête à se battre a tué deux hommes à la seule force de son annulaire. Ah ouais, quand même, cest pas mal. Tu baisses la tête et regardes ton doigt, en te demandant si tu pourrais en faire de même. Ben ouais, pour sûr. Si un blond a réussi à le faire, cest que ça ne doit pas être bien compliqué. Et si lauriculaire sinvite dans la partie, à tous les coups tu pourrais tuer cinq types à la seule force de tes deux doigts. Laissant là tes considérations, au demeurant passionnantes, ton attention se reporte sur le ring. Tu voudrais maintenant prouver à ta mère que tu es un génie, un véritable visionnaire en matière de baston.
Sauf que tu as loupé le début du combat et, lorsque tu relèves la tête, la seule chose que tu vois est un blond, à qui il manque un bras, atterrir violemment sur le sol. Euh... C'est une blague ? Allez, bouge-toi blondin, relève-toi. Il ne va quand même pas laisser le géant sen sortir ainsi, sans même une égratignure. Hé, msieur le blond, il serait de bon ton de vous relever et daller foutre la misère au géant là. Allez, hop hop, on se bouge. Plein despoir, le regard fixé sur lhomme à terre, la mâchoire crispée, tu ne réalises pas que ta maigre fortune vient de senvoler. Pas encore.
Tu aurais pu rester ainsi plusieurs heures, à attendre que le triste perdant se relève, mais quelque chose vient t'interrompre. Ou plutôt, quelquun. La scène qui t'occupe depuis maintenant plusieurs heures est balayée et disparaît instantanément de ton esprit. Une nourrice vient de faire son apparition. Pas n'importe quelle nourrice, la nourrice. Elle te sert dans ses bras. Et, fermant les yeux, tu enlaces celle qui ta tant manqué. Ou bien est-ce elle qui tenlace ? S'il est vrai que tu as grandi, tu redeviens, dans ses bras, un tout petit garçon, fragile et sensible.
Ainsi, au beau milieu de ce déchaînement de violence, se déroule en aparté une scène des plus attendrissantes. Le reste du monde a disparu et, pendant quelques secondes, il ny a plus quelle et toi. Plus qu'un petit roux qui se tient contre celle qui l'a bercé et à qui il doit tout. Plein démotion de la revoir, toi, petit adolescent, si prétentieux devant tous les autres et si humble devant elle, profites encore quelques instants de la chaleur quelle tapporte. Tu lui chuchotes ensuite à loreille ce que tu aurais aimé lui dire depuis si longtemps.
Je vais bien. Tu mas manqué.
Toute forme de réflexion et de cogitation est chassée pendant quelques secondes incroyables et hors du temps. Mais il te faut maintenant revenir à la réalité. Sinon, jen connais un qui risque de finir humilié, voire carrément ridiculisé.
La réalité, dans sa plus grande trivialité, vient frapper et tu recules dun pas, à contrecur. Que va dire ta mère si elle réalise que tu tes fait souffler tout ton pécule en un seul combat, tout ça parce que tu ne las pas écoutée ? Prenant ton air dadulte qui a la totale maîtrise de ce quil sapprête à faire, tu regardes Satyne avec un sincère sourire quil est rare de voir sur ton visage.
Ne bouge pas. Je reviens tout de suite.
Et, sans attendre de réponse, tu télances à la poursuite de la voleuse et t'agites dans la foule pour la retrouver, donnant des coups par-ci par-là, et levant de temps à autre le bras pour appuyer sur la tête dun type trop grand qui tempêche de voir le paysage. Si tu continues à gigoter comme ça, ça va finir en pugilat général.
Mais soudain, tu aperçois la coupable. Elle est dans l'arène. Le roux est radin, inconscient et il tient à sa fierté. Arrivé à la limite du ring, il ne te reste plus que deux possibilités : mentir, ou laisser tomber, perdre à jamais ton honneur et subir une belle engueulade maternelle. Peu familier avec des concepts tels que lhonnêteté ou la morale, ton choix est vite fait. Pas loin de l'arène, incapable de t'approcher davantage, tu te mets à émettre des cris stridents qui se veulent virils et qui, en réalité, nimpressionneraient pas même un bébé moineau aveugle et unijambiste.
Au voleur ! À l'assassin ! Rendez-moi mes sous ! Jai pas parié sur l'espèce de blond, j'suis pas fou ! Jai parié sur l'géant. J'ai gagné ! Rendez-moi mes souuus !
Accompagnant le geste à la vocifération, tu fais de grands signes des bras et tadresses aux membres de la foule autour de toi, histoire de leur signifier que sils voulaient bien monter sur le ring pour aller récupérer tes économies, ça serait sympa. Parce que toi, tu ne te sens pas trop dy aller, sur le ring.
Guise, lobjectif nétait-il pas de ne pas te faire remarquer, et de récupérer ton pognon sans que ni ta mère ni Satyne ne soient informées de tes péripéties ? Cest sûr que planté là, à hurler comme un môme de mauvaise humeur, susceptible de te prendre une mandale à tout instant ou même de te faire dégager par le videur, tu ne risques pas de te faire remarquer.