Ceriera
Le bonheur parfait selon vous ?
Le cul bien sur la selle de mon andalou, le nez au vent dans la fraîcheur du matin, avec les Pyrénées enneigées au loin. Et mon labrador qui, lui, sourit, la langue pendante.
[ Philippe Noiret ]
Le cul bien sur la selle de mon andalou, le nez au vent dans la fraîcheur du matin, avec les Pyrénées enneigées au loin. Et mon labrador qui, lui, sourit, la langue pendante.
[ Philippe Noiret ]
[Montferrier, Toussaint 1463]
Bigre, que Cerièra était souvent en Pays d'Olmes ces temps-ci ! Revenir sur les pas de sa jeunesse la dernière fois, ce fut avec Alexandre, pour la Toussaint.
Ils avaient poussé la petite grille du cimetière, et bien qu'elle n'avait pas porté de fleurs à ses parents depuis des années, elle retrouva immédiatement le chemin de leur tombe. Certaines choses en s'oublient pas, jamais impossible.
Cerièra avait apprécié la présence du blond à ses côtés, bien qu'elle lui eut paru étrange. Elle ne s'ouvrait que peu de son passé d'ordinaire, et voir ces deux vies, l'ancienne et la nouvelle, se mêler, avait un côté presque loufoque pour elle. Elle était loin d'imaginer ce jour-là qu'Alexandre ne tarderait pas à rejoindre ses parents, comme ne vivant plus que dans son cur.
L'émotion avait été palpable, même si Cerièra avait coutume de la masquer derrière des pitreries. Ainsi avait-elle dit à Alexandre «C'est un peu tôt pour te présenter à mes parents, non ?» puis se tournant vers la stèle «Pourtant il vous aurait plu oh tu, paire*, tu aurais sûrement trouvé quelque chose à redire, mais tu, maire**, tu aurais su voir l'homme prévenant qu'il est pour moi. Brèu vaquí lo que mon còr causiguèt***, Alexandre.» et la suite s'était passée en occitan, dans se contexte, s'adressant à eux, Cerièra reprenait sa langue maternelle. Quelques mots tendres à leur attention, puis un baiser déposé de la main sur la stèle. Stèle sur laquelle on pouvait lire :
Aicí demòran
Enric Vidal 1413 - 1452
& son esposa
Beatritz Vidal-Fraisse 1416 - 1452
Nòstre Sénher Dieu los acuelhès en son solelh
Ici demeurent ( ) & son épouse ( )
(Que) Notre Seigneur Dieu les accueille en son soleil
Enric Vidal 1413 - 1452
& son esposa
Beatritz Vidal-Fraisse 1416 - 1452
Nòstre Sénher Dieu los acuelhès en son solelh
Ici demeurent ( ) & son épouse ( )
(Que) Notre Seigneur Dieu les accueille en son soleil
Après un moment de prière silencieuse, ils étaient repartis, Cerièra l'esprit embrumé de quelques souvenirs ?
Non, impressions étranges, par petites touches, résurgences du passé. Il lui avait semblé que le vernis se craquelait.
~
* toi, père
** toi, mère
*** voici celui que mon cur a choisi
❦
[Montferrier, jeudi 26 novembre 1463]
Elle ne s'était pas imaginé à l'époque qu'elle y amènerait aussi sa chère amie Aryanna. Drôle de période que celle de la Toussaint. Cerièra avait passé son anniversaire, la veille, le 31 octobre, loin de ses amis fuxéens. S'était posée aussi cette question familiale. Enfin, une conversation avec Sandino et Zézé sur le devenir de notre dépouille après notre dernier souffle, tout cela en même temps.
Certaines vieilles croyances païennes pensent que cette période de l'année est particulière, que la frontière entre le monde des morts et celui des vivants s'amincit. Peut-être est-ce ce qui avait provoqué cette discussion macabre avec ses amis gitans ? Quoi qu'il en fut, Cerièra avait eu le moral en berne, et s'en était confiée à Aryanna, qui lui avait proposé de l'accompagner à Montferrier une prochaine fois.
Elles avaient prévu d'y aller le dimanche précédent, insouciantes. Hélas, c'est le jour où le cur de Cerièra fut brisé par la nouvelle de la mort d'Alexandre. Aryanna ne la trouvant pas pour se mettre en route, elle dut enfoncer la porte de chez son amie pour la trouver inconsciente. Cerièra se remettait à peine du décès de ses parents, celui de l'homme qu'elle aimait était un bien cruel destin. Qu'avait-elle bien pu faire au Très-Haut pour mériter tant de chagrins ?
Plusieurs jours qu'elle errait comme un ombre dans Foix, incapable de passer du temps chez elle où les souvenirs de lui étaient trop présents pour qu'elle puisse y trouver le sommeil.
Il devenait urgent de fuir, partir, aller se faire piquer les joues par le froid, goûter aux grands espaces. La montagne est belle, Aryanna souhaitait marcher dans les Pyrénées et profiter de l'air pur. Cerièra lui ferait découvrir le pays où elle a grandi, heureuse de partager ça avec elle, Aryanna veillerait sur elle en retour. Elles trouveraient bien à faire
Cerièra partagerait volontiers son histoire avec elle les amies comme ça se comptent sur les doigts d'une main mais uniquement si elle le voulait. Si Aryanna préférait visiter, elles iraient voir l'artisan qui fait ces jolies choses en corne, exerce-t-il encore ? Elles se ramèneraient des peignes, il n'y a rien de tel que la corne pour les cheveux. Ou encore la fermière qui fait ce si bon fromage de chèvre. Et Montségur, qui n'est vraiment pas loin à vol d'oiseau. Ah, ça, c'est triste aussi, mais l'Histoire est ainsi faite, et tant qu'à être arrivées jusqu'ici il serait dommage de ne pas visiter le «Pog»*, ni de se recueillir sur le Prat dels Cremats**, en souvenir de ceux qui furent victime de l'intolérance religieuse ou de la cupidité, tout dépend comment on lit l'Histoire.
Il y avait aussi quelques curiosité à voir aux alentours, elles ne manqueraient pas d'activités, et s'occuper l'esprit, voilà qui allait très bien à Cerièra. Pourvu qu'un ancien villageois, la reconnaissant, ne lui pose pas de question comme «Alors Cerièra, tu as un mari ? des enfants ?». Cela l'obligerait à répondre «Ta gueule vieille bique des montagnes», et elle n'avait pas envie d'être désagréable.
Par bonheur, Montferrier n'est pas bien loin de Foix, car les journées commençaient à être courtes. C'est en milieu de journée qu'elles arrivèrent, plus que quelques heures de soleil.
Regarde, on a de la chance, il y en a ici !
Depuis Foix elles avaient pu remarquer les premières neiges sur les hauteurs, le froid était arrivé d'un seul coup quelques jours de ça, comment en douter ? Arrivées dans le village, elles se signalèrent à l'auberge, histoire de s'assurer qu'elles y auraient de la place le soir-même.
Que veux-tu faire ? Il nous reste un peu de temps avant que la nuit tombe, nous pouvons faire un tour dans le village ? Monter à Peyregade voir la pierre du sacrifice ? Tendant le bras dans la direction du lieu : C'est à peine un peu plus haut, par-là.
Nous profiterons mieux des alentours demain, je pense, nous aurons davantage de jour.
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* petit sommet, monticule
** pré des brûlés
Les deux sont encore nommés en Oc aujourd'hui
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❦ Πίστις, ἐλπίς, ἀγάπη ❦