Maxine. L'index bougea en silence, se pliant et se dépliant comme une sauterelle. Puis le majeur, et l'annulaire. Elle les regardait les uns après les autres avec une grande concentration, figée. Le plus grand avait du mal à se plier et se déplier en entier, on aurait dit un héron avec une patte repliée en permanence ; elle le trouvait attachant.
Le reste du poignet recommençait déjà à se mouvoir comme d'ordinaire. Le linge qui lentourait servait plus désormais à justifier sa présence en convalescence, qu'à autre chose. Je reste parce que j'ai encore un petit peu mal làà...
Rester cachée à travailler sa "défense" n'était pas la chose la plus agréable pour une nomade comme elle. Grappiller des heures par ci, par là, pour s'adonner à quelques activités devenait lugubre, et la rendait très déprimée. Comme un papillon dans une volière, qui vient se fracasser les ailes aux barreaux même s'il sait qu'il va mourir : Maxine elle, lorgnait la fenêtre du premier étage avec des envies de sauts périlleux de plus en plus concrètes.
Simééooon ! gueula t'elle alors pour le faire venir. SimééééoooOOOOON !
Maxine. Rôôôh arrête avec ça, maint'nant.
Elle sauta sur ses deux pattes et bondit vers lui, visiblement moins mal en point que quelques jours plus tôt, où à moitié morte, il l'avait recueillie et installée dans sa petite prison... D'ailleurs ce fut la première information notable qu'elle lui suggéra. Encore.
J'vais beaucoup mieux. J'peux sortir, j'veux sortir. J'ai besoin de respirer l'air local ; cette chambre empeste la malemort. Un peu plus et j'vais faire une attaque. Regarde, je suis serrée de partout, par les murs, par les vêtements, je suis oppressée, j'me sens pas bi-en !
Tout en disant cela, elle faisait les cent pas dans toute la pièce, agitant une main droite, valide, très énergique. Elle ne supportait plus cette situation et voulait y mettre un terme très rapidement. En conclusion logique elle ajouta :
Fais moi sortir. Juste une soirée, une nuit, une heure, laisse moi sortir respirer un peu, marcher, j'te jure j'reviens. J'fais un minuscule petit tour dans les rues, j'me bourre la gueule et je reviens, pro-mis.
Maxine. MAIS VA MOURIR ! hurla t'elle. C'est pas Dieu possible un homme pareil ! T'as qu'un seul organe d'irrigué c'est moi qui t'le dis !
Comme d'habitude il se moquait d'elle en prétendant être intéressé, ça commençait à devenir véritablement vexant. Maxine était au bord de la crise de nerf, passablement agacée qu'il ne fasse pas plus d'effort à au moins jouer un jeu d'acteur crédible... Qu'il soit attiré par un sac d'os comme elle c'était improbable certes, mais le sac d'os avait une dignité, bordel de merde !
J'ai une dignité, bordel de merde !
Disons-le deux fois pour plus d'impact ; Maxine était digne, digne, digne, extra-digne. Elle se vexa. Dignement.
D'façon si tu t'prends pas d'caillasse sur la tronche c'est moi qui vais t'la refaire à ce train là. Tu es l'homme le plus exaspérant que je connaisse. Fais gaffe à c'que j'me suicide pas à force qu'tu t'moques, ça s'ra bien fait pour ta gueule !
Maxine. Des concessions ?
Oui.
Des efforts ?
Oui.
Bien se comporter ?
Oui.
Elle hocha la tête à chaque fois comme pour s'en persuader elle même ; rien ne comptait à cet instant plus que sortir une bonne fois pour toutes de ce lieu maudit, étriqué, minuscule. C'était même devenu un besoin vital.
D'accord ! fit elle d'un ton guilleret. Et pour marquer leur pacte, elle cogna son épaule amicalement.
Puis elle eut une pensée fugace, et une question. A quoi venait elle de dire oui déjà ?
Maxine. Dès qu'il fut partie elle leva les yeux au ciel et soupira doucement. Il l'agaçait beaucoup avec ses manies, ces lubies de déguisement, de subterfuge, de "protection"... On pouvait toujours, disait-elle, foncer dans le tas et voir après. Pourquoi se compliquer la vie ?
Avec lui il fallait ruser, se cacher, enfiler des châles... Elle soupira encore.
Puis lorsque le voici revenu, elle avait accroché ses cheveux en l'air dans une patate évocatrice de loin à un chignon quelconque, et se tenait devant lui les mains sur les hanches, soupirant une ultime fois.
Bon vas-y donne, qu'on en finisse !
Maxine. Maxine haussa les épaules avec désintérêt. Elle voulait lui témoigner l'indifférence la plus totale, comme si ses ricanements ne lui faisaient rien. Souvent, elle sentait sa carapace se délier et son cur s'ouvrir à lui, mais le hasard voulait qu'il manque alors systématiquement de classe et se moque d'elle, ce qui avait pour unique réaction qu'elle perde alors toute volonté amicale envers lui. Elle le détestait viscéralement, contractant pour lui une colère de plus en plus grande, mais essaya de ne rien en montrer.
Profitez-en, rajouta t'elle sur le même ton que lui, car elle ne restera pas longtemps dans l'pays.
Puis, sachant qu'elle avait probablement riposté suffisamment fort pour lui faire mal elle se sentit soudain beaucoup mieux, libérée, délivré(ééé)e de ce fardeau de vengeance. La pulsion de méchanceté assouvie, elle se permit même un sourire dans sa direction, dont on ne soupçonnait l'hypocrisie qu'à moitié.
Elle l'observa, s'attardant volontairement à le fixer droit dans les yeux d'une façon si insistante que maintenir le regard était profondément désagréable. C'était comme plonger dans l'intimité de quelqu'un, soudain connaître ses pensées, se balader au fond de ses yeux comme dans son cur, tout en maîtriser, tout en connaître, et tout posséder. C'était une intrusion atroce, qu'elle vécut en ricanant comme il l'avait fait peu avant.
Maxine. Rôôôh...! fit-elle en soupira et levant les yeux au ciel à en décrocher le plafond. Elle battit l'air de ses mains et en claqua une contre son bras, pleine d'agacement. Quelque chose en lui le répugnait, son coté naïf, doux, attaché à elle. Comme un enfant ou un animal. Autant elle adorait son coté rustre, violent, alcoolique, autant sa face publique et calme l'exaspérait. Qu'aurait elle fait d'un ours bien élevé ? La seule chose qu'elle tolérait, c'était les êtres de sa propre race, les insurgés, les rebelles, les menteurs, voraces, voleurs... Un agneau ? Elle n'en avait aucune utilité.
Non mais tu t'entends un peu ? Depuis quand tu m'files du fric aussi, t'es malade ? Je peux me débrouiller seule, môssieur. J'ai survécu des années sans toi je peux continuer, merde alors. J'suis point une assistée qu'est ce que tu crois ! Faut toujours qu'tu fasses des pieds et des mains comme si qu'j'étais une handicapée ou j'sais pas quoi. Mais t'es un malade, t'es un vrai malade. J'le prends très mal qu'est c'que tu m'fais là.
Sur ce elle lui passa devant et parcourut les dernières distances jusqu'au dehors avec une vitesse et une agilité félines. Elle avait envie d'arracher son châle et son chignon pour laisser une face naturelle devant le soleil. Elle se contenta de fermer les yeux et de se laisser dorer une seconde ou deux, complètement immobile, sentant la douce chaleur lui dorer la peau. Puis il fut question d'un nuage ou deux obstruant ces parfaits rayons, et elle reprit sa route, prenant garde à ne pas semer Siméon, sans la bonté duquel elle serait morte aujourd'hui.
Magne toi, fit elle deux-trois mètres plus avant. On a pas toute la journée.
Maxine. Elle fit grise mine, retrouvant brutalement son coté obscur (il avait la force avec lui ce con). En un sens elle préférait qu'il soit naturel, et à la limite de l'agressivité, c'était comme ça qu'elle l'avait connu, lui et cette forme d'être barbare et désagréable qui la malmenait un peu. C'était comme retrouver les bases d'une relation, le connu, le véridique, le réel : Siméon la traitait comme elle l'avait toujours connu : mal.
Aïe. Tu m'oppresses. Elle couina, tenta de se dégager. Je ne ferai rien qui te fasse perdre un copain ou deux, voyons. C'est têêllement important... Elle se débattit avec plus de force, maintenant le regard entre eux dans cette proximité extrême, ne sachant pas s'il se permettait d'être contre elle parce qu'il l'appréciait comme un père, un frère, un ennemi proche... En tous les cas ne sentant pas la nuance qu'il pouvait y avoir dans tous ces aspects de leur relation elle commençait à y trouver quelque chose de luisant, de plaisant, d'excitant même un peu, et elle se demandait s'il partageait son avis. Sans savoir pourquoi alors qu'il se trouvait auprès d'elle elle ressentait une brutale honte concernant son apparence et sa personnalité, réalisant un certain nombre d'évidences inhérentes à elle, et son passé, et elle aurait voulu rompre ce contact proche avant qu'il ne mette le doigt sur l'une d'elle. Comment réagirait-il s'il la voyait telle qu'elle était, sale, salie, abimée, comment réagirait-il en réalisant qu'elle avait inventé pour lui comme pour les autres un tissu de mensonges à commencer par son propre nom?
Tant qu'il s'approchait d'elle, au figuré, cette situation n'était plus tenable. Elle devait y mettre un terme rapidement au risque qu'il devienne la deuxième personne, après Vyrgule, à connaître Maxine dans son intégralité.
Jusque là leur relation avait tellement été superficielle qu'ils n'avaient abordé que des banalités, se chamaillant sur les aspects les plus sommaires et bas d'elle-même. Son coté voleur, volage, sans attache, c'était presque un curriculum vitae qu'il avait découvert, mais qu'aurait il pu dire d'autre sur elle ? Il ne connaissait rien et elle ne voulait pas que cela change : elle ne l'aurait pas supporté.
Te fais pas de bile. Je partirai tellement vite que je n'aurais même pas le temps de voler quoi que ce soit dans tes parages. Je serai une ombre. Et puis j'aurai disparu.