Ce que vous ne savez pas, Amigos, au moment où l'histoire débute -et que le narrateur s'était bien gardé de vous dire- c'est que j'avais déjà viré Sfizio à deux reprises de la taverne des Cobradèche.
C'est vrai que j'avais la gachette rapide ces derniers temps. j'étais un tantinet sur les nerfs et celui là avait eu le chic pour me mettre en boule en deux temps, trois mouvements avec ses allusions aussi fines que du gros sel et le bagout d'un arracheur de dents.
Aussi quand la voix de l'italien domine le brouhaha de la halle pour parvenir jusqu'à mon bureau de Tribune fonctionnaire, je tends l'oreille droite (la gauche étant toujours perturbée par d'affreux accouphènes), je tends le cou ensuite et je finis tendre les bras pour m'appuyer sur le plateau du bureau et me lever.
Qu'est ce qu'il nous fait encore celui là.... D'ici, forcément, je ne vois rien. Il y a tout un tas de badauds qui masquent la scène, alors, sans cesser de reluquer vers la halle, j'attrape mon Vuitton, le glisse à mon coude, replace mon chignon pour avoir l'air d'une dame bien (je premier qui rigole je l'étale...) et je m'approche de la place.
L'homme a mis un masque, allez savoir pourquoi... Peut être se prend il pour un comédien ? Peut être va t il nous la jouer à la comedia del Arte ou se prendre pour ouno sédoutoré calabrézé mafiozo ?
En tout cas moi, c'est avec méfiance que je m'approche.
Le voilà qui fait le mariole avec ses dagues... Et ça recommence, comme à la taverne la veille : il va les lancer en l'air et jongler avec... S'il pouvait se la planter dans le pied...
Eeet ça manque pas ! Sauf que surprise ! Il se manque à moitié et le couteau vient se ficher dans la table.
Raah ! Presque !Derrière la foule qui me protège, je peste contre la chance qui semble l'accompagner. Mais en même temps, je me dis que peut être, je pourrais lui donner une bonne leçon et qu'on pourrait se marrer...
Je vais te lui en foutre du jonglage moi à ce prétentieux. Je ne sais pas encore comment, mais je vais lui faire un tour de con à la Cobradèche. Ca fait trop longtemps que je suis sage !
Soudain, Erik, que je n'avais pas vu dans la foule, interpelle le jongleur. Je tourne la tête vers lui, il est à deux pas de moi ! Clair que Sfizio va lui répondre, l'aubaine est trop bonne. Et clair qu'il va me repérer aussi si je reste là !
Je me baisse promptement et me retrouve accroupie derrière une dame volumineuse et pour ne pas qu'Erik ne me voit, je remonte prestement ses jupes et me glisse dessous. Il fait chaud et on sent qu'il y a du vécu sous ces jupes. Mais je n'ai pas le choix, il faut que je me cache !
La dame tressaille, évidemment. Vous pensiez que j'allais me coller contre le cul d'une matrone et qu'elle ne dirait rien ? On est à Genève oh ! Pas au bordel ! Alors pour la rassurer je lui souffle, le nez à deux centimètres de sa raie gourmande...
.... Dame ! Ne bougez pas ! C'est moi, Hildegarde avec deux ii ! Vous devez m'aider je vous en prie ! Un long silence s'en suit. J'ignore si elle m'a entendu et une goutte de sueur perle à mon front.
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