Johanara
L'idée avait germé, grisante, capiteuse, impérieuse et
absurde. De ces marottes fantasques qui ne naissent qu'à la faveur d'une soirée propice aux vapeurs d'alcool et à la déraison. Elle fit parvenir un billet à Marion la sommant de la retrouver au plus vite autour d'une doux breuvage.
Plus tôt...
Dévorée par un vin entêtant et une asthénie lascive, la Duchesse était prostrée devant un de ses fabuleux miroirs de Venise fait de nacre qui ornaient le boudoir feutré, témoin de ses intimes solitudes et décadences...
Constat affligeant au reflet de ses immenses yeux d'un vert de mer emplis d'une affliction incurable. Trois piliers rendaient sa vie supportable... Trois hommes, véritable métier à tisser des intrications de la tapisserie que Johanara tentait tant bien que mal de broder. Un canevas malaisé pour qui savait les désirs de liberté, de pérégrinations de la jeune femme. Un bateau en partance pour Alexandrie, un carnaval à Venise, un lever de soleil brumeux sous le ciel de Bretagne... Elle n'aspirait qu'à repartir en goguette comme du temps où elle filait à travers la sylve et les campagnes en caravane... Douce époque à jamais révolue.
Il lui prenait parfois l'envie, irrépressible à vous tordre les tripes, de claquer la lourde porte de chêne et de disparaître sur les routes, ses enfants dans les bras. De voir fleurir d'autres jardins... De laisser les siens sentre-tuer sans ployer sous le lourd fardeau des responsabilités.
Trois repères qui lempêchaient de détruire la broderie de ses déboires... Balian qui lui avait offert la stabilité du mariage et le plus chérissable des trésors, ses enfants. Malgré ses absences, ce sentiment d'être une honnête femme, à l'alliance rassurante et au nom raisonnant en écho dans une multitude de bouches aimés, donnait des couleurs à ses jours. Nathan, son cousin, son double excentrique, la pire partie d'elle même, et à la fois la plus proche de ce qu'elle avait été durant des années, vaniteuse, assoiffée de pouvoir et joueuse. Il lui jetait des pépites de mondanités et d'abondances luxuriantes dans chacun de ses regards et cela suffisait à la persuader que la bonne mère de famille n'avait pas étranglé la madone capricieuse et fascinante.
Mais la pierre s'était fissurée, et brisé le marbre flave. Ses épousailles sombraient dans un océan de rancune et de manque, misérable radeau ballotté au gré des affres
du temps et des vicissitudes d'un amour insatisfait... Quand à son cousin, il avait pris le mauvais côté de la gloire en pleine face, se grimant en l'un de ses princes odieux qui finissent changés en bête.
Ne restait qu'Euzen. Le glacial, le borné, l'impartial Euzen. Il fut son ami sans la chaleur et les affections que l'on prodigue à ses plus proches confidents. Il fut son père, sans les liens du sang mais veillant à ce que son tempérament emporté ne l'enlise guère d'avantage. Il fut son frère accablé des mêmes déceptions et des mêmes désillusions. Il fut son mari sans l'amour qui aveugle, sans le désir qui ravage, mais d'une loyauté et d'un soutien sans faille concernant les obligations familiales.
Elle se sentait chancelante, en mal d'équilibre, au bord du précipice. Ses envies de fuite la reprenaient, la piquaient au plus profond de sa chair.
Ses mains palpèrent l'albâtre doux et ferme à la fois. Son minois harmonieux s'éclaira d'un sourire orguilleux, à vingt-quatre ans, elle n'avait jamais été aussi belle, ses grossesses donnant de jolies courbes à son corps trop grand et élancé. Tout nouveau départ était encore possible.
Mais Johanara tenterait une dernière fois. Pour tous ceux qui l'avaient suivi à Argonne et qui l'aimaient sans se soucier du marasme qui enserrait son cur.
Que faire d'une belle rose poussant au milieu d'un jardin de ronces et d'orties ? La jeune femme aurait eu tendance à tout faire brûler, et la rose et la mauvaise herbe.
Théo, jeune et bel enfant aux lèvres goûtant l'innocence, qui lui rappelait l'inceste et la dépravation, dix sept ans et des bras neufs de tout stupre, véritable catalyseur de toute son affection.
Parfois il lui semblait l'aimer avec toute la folie de son caractère passionné. Parfois, il lui semblait n'être que la distraction futile au gré de ses chagrins perpétuels.
Depuis le retour de Balian, les sentiments de Johanara se firent plus encore lunatiques et versatiles. Elle s'était mis en tête que l'émoi du jeune homme ne survivrait guère au tumulte et à la culpabilité de faire peser sur sa douce Duchesse, le spectre de l'adultère et de l'avilissement.
Rongé par la honte, le couard fuirait. Parfois sur son épaule gracile, le chant désastreux d'un paon sublime et fier, susurrait à son oreille, de quitter son galant pour éviter d'égratigner son orgueil et sa superbe.
Il fallait quelque chose de bouleversant, inattendue...Qui l'attache à elle définitivement. Et qui lui redonnerait le goût d'Argonne.
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Plus tôt...
Dévorée par un vin entêtant et une asthénie lascive, la Duchesse était prostrée devant un de ses fabuleux miroirs de Venise fait de nacre qui ornaient le boudoir feutré, témoin de ses intimes solitudes et décadences...
Constat affligeant au reflet de ses immenses yeux d'un vert de mer emplis d'une affliction incurable. Trois piliers rendaient sa vie supportable... Trois hommes, véritable métier à tisser des intrications de la tapisserie que Johanara tentait tant bien que mal de broder. Un canevas malaisé pour qui savait les désirs de liberté, de pérégrinations de la jeune femme. Un bateau en partance pour Alexandrie, un carnaval à Venise, un lever de soleil brumeux sous le ciel de Bretagne... Elle n'aspirait qu'à repartir en goguette comme du temps où elle filait à travers la sylve et les campagnes en caravane... Douce époque à jamais révolue.
Il lui prenait parfois l'envie, irrépressible à vous tordre les tripes, de claquer la lourde porte de chêne et de disparaître sur les routes, ses enfants dans les bras. De voir fleurir d'autres jardins... De laisser les siens sentre-tuer sans ployer sous le lourd fardeau des responsabilités.
Trois repères qui lempêchaient de détruire la broderie de ses déboires... Balian qui lui avait offert la stabilité du mariage et le plus chérissable des trésors, ses enfants. Malgré ses absences, ce sentiment d'être une honnête femme, à l'alliance rassurante et au nom raisonnant en écho dans une multitude de bouches aimés, donnait des couleurs à ses jours. Nathan, son cousin, son double excentrique, la pire partie d'elle même, et à la fois la plus proche de ce qu'elle avait été durant des années, vaniteuse, assoiffée de pouvoir et joueuse. Il lui jetait des pépites de mondanités et d'abondances luxuriantes dans chacun de ses regards et cela suffisait à la persuader que la bonne mère de famille n'avait pas étranglé la madone capricieuse et fascinante.
Mais la pierre s'était fissurée, et brisé le marbre flave. Ses épousailles sombraient dans un océan de rancune et de manque, misérable radeau ballotté au gré des affres
du temps et des vicissitudes d'un amour insatisfait... Quand à son cousin, il avait pris le mauvais côté de la gloire en pleine face, se grimant en l'un de ses princes odieux qui finissent changés en bête.
Ne restait qu'Euzen. Le glacial, le borné, l'impartial Euzen. Il fut son ami sans la chaleur et les affections que l'on prodigue à ses plus proches confidents. Il fut son père, sans les liens du sang mais veillant à ce que son tempérament emporté ne l'enlise guère d'avantage. Il fut son frère accablé des mêmes déceptions et des mêmes désillusions. Il fut son mari sans l'amour qui aveugle, sans le désir qui ravage, mais d'une loyauté et d'un soutien sans faille concernant les obligations familiales.
Elle se sentait chancelante, en mal d'équilibre, au bord du précipice. Ses envies de fuite la reprenaient, la piquaient au plus profond de sa chair.
Ses mains palpèrent l'albâtre doux et ferme à la fois. Son minois harmonieux s'éclaira d'un sourire orguilleux, à vingt-quatre ans, elle n'avait jamais été aussi belle, ses grossesses donnant de jolies courbes à son corps trop grand et élancé. Tout nouveau départ était encore possible.
Mais Johanara tenterait une dernière fois. Pour tous ceux qui l'avaient suivi à Argonne et qui l'aimaient sans se soucier du marasme qui enserrait son cur.
Que faire d'une belle rose poussant au milieu d'un jardin de ronces et d'orties ? La jeune femme aurait eu tendance à tout faire brûler, et la rose et la mauvaise herbe.
Théo, jeune et bel enfant aux lèvres goûtant l'innocence, qui lui rappelait l'inceste et la dépravation, dix sept ans et des bras neufs de tout stupre, véritable catalyseur de toute son affection.
Parfois il lui semblait l'aimer avec toute la folie de son caractère passionné. Parfois, il lui semblait n'être que la distraction futile au gré de ses chagrins perpétuels.
Depuis le retour de Balian, les sentiments de Johanara se firent plus encore lunatiques et versatiles. Elle s'était mis en tête que l'émoi du jeune homme ne survivrait guère au tumulte et à la culpabilité de faire peser sur sa douce Duchesse, le spectre de l'adultère et de l'avilissement.
Rongé par la honte, le couard fuirait. Parfois sur son épaule gracile, le chant désastreux d'un paon sublime et fier, susurrait à son oreille, de quitter son galant pour éviter d'égratigner son orgueil et sa superbe.
Il fallait quelque chose de bouleversant, inattendue...Qui l'attache à elle définitivement. Et qui lui redonnerait le goût d'Argonne.
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