Arylis
[Jardin du couvent des Saintes-Anges, une froide après-midi d'automne]
Des feuilles colorées éparpillées.
Des cris amusés.
Des coiffes décoiffées.
Des souffles courts.
Des robes blanches légèrement salies.
Des rires en pagaille.
Quelques instants plus tôt, les novices du couvent des Saintes-Anges avaient été chargées de rassembler les oripeaux morts des arbres de la cours. La dizaine de jeunes filles s'étaient mises à la tâche avec zèle, stimulées par l'idée de retourner au plus vite se réchauffer à l'intérieur.
Tout se passait donc dans le silence et avec application, jusqu'à ce que l'une d'entre elles projette sur sa voisine une poignée de brindilles. Il ne fallut pas plus d'une minute pour que l'attaque trouve riposte et que s'ensuive le joyeux bazar décrit un peu plus tôt.
Allongées, accroupies, tourbillonnant ou sautant au milieu des tas dévastés, les nonnettes auraient pu faire l'objet d'une toile respirant la félicité et la simplicité.
Mais enfin que s'est-il passé ici ? Le vent eut fait moins de dégâts !
Il eut une série de murmures suivis d'une chorégraphie mille fois répétée. En quelques secondes les dix novices étaient par deux devant la mère supérieure.
Arylis ...
Il eut un bruissement au fond de la ligne, mais personne ne bougea.
Mesdemoiselles s'il-vous-plaît, pourriez-vous laisser Arylis me rejoindre.
Sans se préoccuper du frémissement d'hésitation de ses compagnes, la brodeuse se fraya un chemin jusqu'au premier rang.
Ma mère ...
Peux-tu m'expliquer ce qu'il s'est passé ?
Je dirais que nous avions un peu froid et que l'une de nous a trouvé le moyen de nous réchauffer. Theu theu. Et ce fut efficace ! Même si je reconnais qu'à présent tout est à refaire ...
Les yeux clairs survolèrent le jardin avec une expression embarrassée.
Et tu vas me dire que tu n'as rien à voir dans tout ça ?
Arylis se racla la gorge.
Rien à voir ce ne serait pas vrai ma mère, mais je peux vous assurer que ce n'est pas moi qui ais commencé.
Et qui donc ?
Theu theu Là je ne saurais vous dire. Ca a vite été la folie. Je moccupais de ce petit carré là-bas et tout dun coup THEU THEU THEU THEU
Cette fois-ci la toux courba en deux le corps de la brodeuse. La mère supérieure soupira. Depuis quelques jours son petit monde tombait malade. Les unes après les autres, novices et surs attrapaient ce drôle de mal venu tout droit du sud. Comme quoi ce vent nétait pas porteur que de chaleur. Dun geste résigné elle désigna lune des nonnettes.
Peux-tu accompagner Arylis à sa chambre je te prie. Pour les autres, nous allons laisser la nature telle quelle pour aujourdhui. Une soupe chaude vous attend à la cuisine. Et par pitié couvrez-vous ! Je nen veux plus une seule au lit à cause de cette fichue maladie !
Un silence surpris suivit les propos de la matriarche. Dix paires dyeux ébahis fixaient la vieille femme dont le vocabulaire venait dêtre le plus vulgaire jamais entendus entre ces murs par les vingt oreilles, plus ou moins chastes. Si la sage femme sen rendit compte, elle nen laissa rien paraître et tourna explicitement le dos au petit groupe.
Et plus vite que ça je vous prie !
Le froufrou des robes qui lui répondit lui indiqua que les filles sétaient mises en branle.
[1er Novembre de lannée 1463, une cellule du couvent des Saintes-Anges.]
Bonjour Ary !
La crinière blonde bougea dans le lit. Les yeux clairs souvrirent au-dessus de la couverture de grosse laine. Un murmure se fit entendre.
Bonjour
He bien On dirait que ça ne va pas beaucoup mieux
La jeune nonne qui était entrée dans la pièce posa un plateau sur lunique tabouret de la pièce avant de coller sa paume contre le front de la brodeuse.
Pourtant ta fièvre semble moins forte. Et moi qui tapportais une bonne nouvelle. Tu nes peut-être pas en état
Un éclat de curiosité brilla dans le regard enfiévré.
Tout ce qui peut me sortir de ce lit est le bienvenu. Dis-moi [size=12]theu theu theu theu[/size]
La novice laissa passer la toux de sa compagne avec un air tracassé. Cela faisait maintenant plus dune semaine quArylis était alitée, beaucoup plus longtemps quaucune autre malade du couvent. Et en dehors de linquiétude que provoquait la lenteur de la guérison de la mésange, son rire manquait dans les couloirs rendus froids par lautomne.
Bois ça et je te le dis ensuite.
La brodeuse se redressa sur sa couche. Pendant quelle avalait avec difficulté un bouillon de légumes, sa compagne sefforça de mettre un peu dordre dans la pagaille de la chevelure blonde.
Alors ?
Avec un sourire, une lettre fut tendue à la malade.
La bouche trop large sétira, illuminant le visage creusé par la fatigue.
Arylis sinstalla plus confortablement et décacheta la lettre avec délicatesse. Elle avait reconnue lécriture élégante.
Hier encore, J'emmenais avec moi une brodeuse qui adore la soule, amoureuse d'une porte et charmante. ...J'improvisais un tour du Poitou initiatique pour un papillon de Saintes récalcitrant à tout voyage. De force, parce que le voyage, quelqu'il soit, est nécessaire à l'accomplissement de soi. J'ignorais encore que le voyage me mènerait si loin. Ou si près.
Hier encore, il y eu cette nuit de la Samain. Auras-tu lu dans les grimoires des Saints-Anges ces mots de St Jean de Croix? « Pendant cette heureuse nuit, je suis sortie en ce lieu secret où personne ne me voyait et où je ne voyais rien, sans autre guide et sans autre lumière que celle qui luisait dans mon cur, elle me conduisait plus sûrement que la lumière du midy. »
Nuit de la Samain qui emporta nos sens dans le tumulte et l'ivresse de nos corps qui se sont trouvés...jouant ensemble la partition, italienne et brodeuse en un accord parfait.
J'y pense encore.
Nadjka
La blonde senfonça davantage dans ses draps, le visage écarlate. La novice qui lavait laissée lire en paix, aérant la pièce et soccupant à dinutiles arrangements dans un espace aussi restreint, la regarda avec surprise.
Ben quest-ce quil tarrive ?
Quand elle posa de nouveau sa main sur le front de la souffrante son expression devint angoissée.
Mais tu es brûlante ? Cest le bouillon qui te fait cet effet ? Tu fais une rechute ? Attend je vais chercher sur Angélique.
Arylis laissa sa compagne prévenir la sur infirmière, sachant quil ny avait nul remède pour cette crise soudaine.
Elle relut le courrier avant de le serrer sur sa poitrine, un sourire tendre fendant ses joues rougies, non pas par la maladie, mais par lexcitation. Les mots de litalienne avaient réveillé en elle un feu qui ne devait rien à son mal. Les images qui se bousculaient sous ses paupières, à présent fermées, navaient rien dhallucinations provoquées par la fièvre. La boule qui contractait son ventre avait une toute autre origine quun éventuel rejet du bouillon ingurgité quelques minutes plus tôt.
Quand à lunique larme qui perla au bout de ses longs cils, elle était un savant mélange de fatigue et de nostalgie, damour triste et dheureux regrets.
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De petites fées ...
Des feuilles colorées éparpillées.
Des cris amusés.
Des coiffes décoiffées.
Des souffles courts.
Des robes blanches légèrement salies.
Des rires en pagaille.
Quelques instants plus tôt, les novices du couvent des Saintes-Anges avaient été chargées de rassembler les oripeaux morts des arbres de la cours. La dizaine de jeunes filles s'étaient mises à la tâche avec zèle, stimulées par l'idée de retourner au plus vite se réchauffer à l'intérieur.
Tout se passait donc dans le silence et avec application, jusqu'à ce que l'une d'entre elles projette sur sa voisine une poignée de brindilles. Il ne fallut pas plus d'une minute pour que l'attaque trouve riposte et que s'ensuive le joyeux bazar décrit un peu plus tôt.
Allongées, accroupies, tourbillonnant ou sautant au milieu des tas dévastés, les nonnettes auraient pu faire l'objet d'une toile respirant la félicité et la simplicité.
Mais enfin que s'est-il passé ici ? Le vent eut fait moins de dégâts !
Il eut une série de murmures suivis d'une chorégraphie mille fois répétée. En quelques secondes les dix novices étaient par deux devant la mère supérieure.
Arylis ...
Il eut un bruissement au fond de la ligne, mais personne ne bougea.
Mesdemoiselles s'il-vous-plaît, pourriez-vous laisser Arylis me rejoindre.
Sans se préoccuper du frémissement d'hésitation de ses compagnes, la brodeuse se fraya un chemin jusqu'au premier rang.
Ma mère ...
Peux-tu m'expliquer ce qu'il s'est passé ?
Je dirais que nous avions un peu froid et que l'une de nous a trouvé le moyen de nous réchauffer. Theu theu. Et ce fut efficace ! Même si je reconnais qu'à présent tout est à refaire ...
Les yeux clairs survolèrent le jardin avec une expression embarrassée.
Et tu vas me dire que tu n'as rien à voir dans tout ça ?
Arylis se racla la gorge.
Rien à voir ce ne serait pas vrai ma mère, mais je peux vous assurer que ce n'est pas moi qui ais commencé.
Et qui donc ?
Theu theu Là je ne saurais vous dire. Ca a vite été la folie. Je moccupais de ce petit carré là-bas et tout dun coup THEU THEU THEU THEU
Cette fois-ci la toux courba en deux le corps de la brodeuse. La mère supérieure soupira. Depuis quelques jours son petit monde tombait malade. Les unes après les autres, novices et surs attrapaient ce drôle de mal venu tout droit du sud. Comme quoi ce vent nétait pas porteur que de chaleur. Dun geste résigné elle désigna lune des nonnettes.
Peux-tu accompagner Arylis à sa chambre je te prie. Pour les autres, nous allons laisser la nature telle quelle pour aujourdhui. Une soupe chaude vous attend à la cuisine. Et par pitié couvrez-vous ! Je nen veux plus une seule au lit à cause de cette fichue maladie !
Un silence surpris suivit les propos de la matriarche. Dix paires dyeux ébahis fixaient la vieille femme dont le vocabulaire venait dêtre le plus vulgaire jamais entendus entre ces murs par les vingt oreilles, plus ou moins chastes. Si la sage femme sen rendit compte, elle nen laissa rien paraître et tourna explicitement le dos au petit groupe.
Et plus vite que ça je vous prie !
Le froufrou des robes qui lui répondit lui indiqua que les filles sétaient mises en branle.
[1er Novembre de lannée 1463, une cellule du couvent des Saintes-Anges.]
Bonjour Ary !
La crinière blonde bougea dans le lit. Les yeux clairs souvrirent au-dessus de la couverture de grosse laine. Un murmure se fit entendre.
Bonjour
He bien On dirait que ça ne va pas beaucoup mieux
La jeune nonne qui était entrée dans la pièce posa un plateau sur lunique tabouret de la pièce avant de coller sa paume contre le front de la brodeuse.
Pourtant ta fièvre semble moins forte. Et moi qui tapportais une bonne nouvelle. Tu nes peut-être pas en état
Un éclat de curiosité brilla dans le regard enfiévré.
Tout ce qui peut me sortir de ce lit est le bienvenu. Dis-moi [size=12]theu theu theu theu[/size]
La novice laissa passer la toux de sa compagne avec un air tracassé. Cela faisait maintenant plus dune semaine quArylis était alitée, beaucoup plus longtemps quaucune autre malade du couvent. Et en dehors de linquiétude que provoquait la lenteur de la guérison de la mésange, son rire manquait dans les couloirs rendus froids par lautomne.
Bois ça et je te le dis ensuite.
La brodeuse se redressa sur sa couche. Pendant quelle avalait avec difficulté un bouillon de légumes, sa compagne sefforça de mettre un peu dordre dans la pagaille de la chevelure blonde.
Alors ?
Avec un sourire, une lettre fut tendue à la malade.
La bouche trop large sétira, illuminant le visage creusé par la fatigue.
Arylis sinstalla plus confortablement et décacheta la lettre avec délicatesse. Elle avait reconnue lécriture élégante.
Hier encore, J'emmenais avec moi une brodeuse qui adore la soule, amoureuse d'une porte et charmante. ...J'improvisais un tour du Poitou initiatique pour un papillon de Saintes récalcitrant à tout voyage. De force, parce que le voyage, quelqu'il soit, est nécessaire à l'accomplissement de soi. J'ignorais encore que le voyage me mènerait si loin. Ou si près.
Hier encore, il y eu cette nuit de la Samain. Auras-tu lu dans les grimoires des Saints-Anges ces mots de St Jean de Croix? « Pendant cette heureuse nuit, je suis sortie en ce lieu secret où personne ne me voyait et où je ne voyais rien, sans autre guide et sans autre lumière que celle qui luisait dans mon cur, elle me conduisait plus sûrement que la lumière du midy. »
Nuit de la Samain qui emporta nos sens dans le tumulte et l'ivresse de nos corps qui se sont trouvés...jouant ensemble la partition, italienne et brodeuse en un accord parfait.
J'y pense encore.
Nadjka
La blonde senfonça davantage dans ses draps, le visage écarlate. La novice qui lavait laissée lire en paix, aérant la pièce et soccupant à dinutiles arrangements dans un espace aussi restreint, la regarda avec surprise.
Ben quest-ce quil tarrive ?
Quand elle posa de nouveau sa main sur le front de la souffrante son expression devint angoissée.
Mais tu es brûlante ? Cest le bouillon qui te fait cet effet ? Tu fais une rechute ? Attend je vais chercher sur Angélique.
Arylis laissa sa compagne prévenir la sur infirmière, sachant quil ny avait nul remède pour cette crise soudaine.
Elle relut le courrier avant de le serrer sur sa poitrine, un sourire tendre fendant ses joues rougies, non pas par la maladie, mais par lexcitation. Les mots de litalienne avaient réveillé en elle un feu qui ne devait rien à son mal. Les images qui se bousculaient sous ses paupières, à présent fermées, navaient rien dhallucinations provoquées par la fièvre. La boule qui contractait son ventre avait une toute autre origine quun éventuel rejet du bouillon ingurgité quelques minutes plus tôt.
Quand à lunique larme qui perla au bout de ses longs cils, elle était un savant mélange de fatigue et de nostalgie, damour triste et dheureux regrets.
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De petites fées ...