Axelle
Il faisait froid, et l'homme expliquant ses boutures à la gitane affichait un nez rouge d'où une goutte menaçait à chaque instant de s'écraser sur la terre meuble dans un petit "ploc" morveux. Elle qui, depuis son arrivée sur ses terres, avait écouté avec attention les explications de ces hommes amoureux des arbres fruitiers courant sur tout Savenès, se contentait de hocher la tête de-ci de-là, sans écouter le moindre mot des préoccupations de son contremaître s'alarmant de l'hiver trop tardif, observant avec une inquiétude pleine de minuscules bourgeons arrogants que le gel finirait bien, un jour ou l'autre, par rembarrer d'une grande claque glacée.
Tout finissait par se faire rembarrer d'une grande claque glacée, bourgeons compris.
Emmitouflée dans une cape de laine, la zingara n'avait qu'une envie, rentrer. Et c'est ce qu'elle ne tarda pas à faire, s'excusant d'être fatiguée. Prétexte qui pouvait difficilement être mis en doute au vu de ses traits tirés et amaigris. Comme si la bosse qui lui poussait sur le ventre la grignotait doucement de l'intérieur pour s'afficher avec orgueil, voire indécence.
Depuis quelque temps, le pavillon de chasse où elle s'était installée dans un premier temps, était retombé dans le silence. Ne restait plus que quelques affaires disséminées ça et là, prenant la poussière, dont un carnet de croquis de ce qu'elle avait cru une famille, traînant à côté d'une paire de bottes d'Alphonse.
À présent c'était dans le silence la vaste demeure de la seigneurie que la gitane perdait ses soupirs. Chichement meublée et décorée, la Casas avait néanmoins appris à aimer ces lourdes pierres, et ces quelques tentures. Antoine, encore titubant sur ses jambes, armé d'une épée de bois, s'employait à faire résonner ses rires ou ses colères dans la vaste bâtisse. Il donnait du cur à l'ouvrage, comme si lui aussi, tentait de meubler une absence qui pourtant résonnait cruellement dans ses grands yeux noirs.
Mais en cette fin d'après midi, tout était calme, Pernette ayant décrété que la sieste était le sésame de la réserve de confitures. Et Antoine, du haut de ses presque deux ans, avait parfaitement compris que cette fois, la vieille nourrice ne se laisserait berner ni par ses moues attendrissantes, ni par ses pleurs désespérées.
La porte de la chambre avait été tirée silencieusement sur la silhouette manouche. Il y faisait chaud, et un feu nourri crépitait dans l'âtre. Un instant, la gitane posa son regard sur la petite vierge noire de bois qu'elle avait définitivement renoncé à peindre, avant de sasseoir sur le bord du lit, droite et les genoux serrés, à côté de son uniforme de Prévôt de Paris. La noirceur du Châtelet semblait s'agripper à elle, avalant ses sourires et sa bonne humeur comme une lente gangrène, effaçant lentement le jupon rouge et désinvolte virevoltant sous la lune tzigane. D'une façon ou d'une autre, la gitane était la première prisonnières des geôles. Mais elle refusait d'y réfléchir davantage. Le plus étrange peut-être dans cette chambre, étaient les robes rouges, ivoires, noires, dégueulant des coffres sombres. Les bagues et bracelets d'argent et de turquoises, les lourds colliers plastron de nacres et de perles multicolores et autres pommes de senteurs s'éparpillant sur sa table de toilette. Toutes ces fariboles que lentement, elle acceptait comme outils.
Mais qu'importait finalement que ce soit étrange, quand personne ne passait cette porte. Quand l'ami sappelait solitude, et que la gitane, flamboyante de sensualité disait-on, n'était pas fichue d'offrir un père à ses enfants. Solitude, belle amie qui jamais ne l'avait abandonnée, fidèle parmi les fidèles. En cela au moins, Axelle Casas, Felryn, ou Tabouret, restait elle-même. Solitaire et sauvage. Même malgré elle.
_________________
Tout finissait par se faire rembarrer d'une grande claque glacée, bourgeons compris.
Emmitouflée dans une cape de laine, la zingara n'avait qu'une envie, rentrer. Et c'est ce qu'elle ne tarda pas à faire, s'excusant d'être fatiguée. Prétexte qui pouvait difficilement être mis en doute au vu de ses traits tirés et amaigris. Comme si la bosse qui lui poussait sur le ventre la grignotait doucement de l'intérieur pour s'afficher avec orgueil, voire indécence.
Depuis quelque temps, le pavillon de chasse où elle s'était installée dans un premier temps, était retombé dans le silence. Ne restait plus que quelques affaires disséminées ça et là, prenant la poussière, dont un carnet de croquis de ce qu'elle avait cru une famille, traînant à côté d'une paire de bottes d'Alphonse.
À présent c'était dans le silence la vaste demeure de la seigneurie que la gitane perdait ses soupirs. Chichement meublée et décorée, la Casas avait néanmoins appris à aimer ces lourdes pierres, et ces quelques tentures. Antoine, encore titubant sur ses jambes, armé d'une épée de bois, s'employait à faire résonner ses rires ou ses colères dans la vaste bâtisse. Il donnait du cur à l'ouvrage, comme si lui aussi, tentait de meubler une absence qui pourtant résonnait cruellement dans ses grands yeux noirs.
Mais en cette fin d'après midi, tout était calme, Pernette ayant décrété que la sieste était le sésame de la réserve de confitures. Et Antoine, du haut de ses presque deux ans, avait parfaitement compris que cette fois, la vieille nourrice ne se laisserait berner ni par ses moues attendrissantes, ni par ses pleurs désespérées.
La porte de la chambre avait été tirée silencieusement sur la silhouette manouche. Il y faisait chaud, et un feu nourri crépitait dans l'âtre. Un instant, la gitane posa son regard sur la petite vierge noire de bois qu'elle avait définitivement renoncé à peindre, avant de sasseoir sur le bord du lit, droite et les genoux serrés, à côté de son uniforme de Prévôt de Paris. La noirceur du Châtelet semblait s'agripper à elle, avalant ses sourires et sa bonne humeur comme une lente gangrène, effaçant lentement le jupon rouge et désinvolte virevoltant sous la lune tzigane. D'une façon ou d'une autre, la gitane était la première prisonnières des geôles. Mais elle refusait d'y réfléchir davantage. Le plus étrange peut-être dans cette chambre, étaient les robes rouges, ivoires, noires, dégueulant des coffres sombres. Les bagues et bracelets d'argent et de turquoises, les lourds colliers plastron de nacres et de perles multicolores et autres pommes de senteurs s'éparpillant sur sa table de toilette. Toutes ces fariboles que lentement, elle acceptait comme outils.
Mais qu'importait finalement que ce soit étrange, quand personne ne passait cette porte. Quand l'ami sappelait solitude, et que la gitane, flamboyante de sensualité disait-on, n'était pas fichue d'offrir un père à ses enfants. Solitude, belle amie qui jamais ne l'avait abandonnée, fidèle parmi les fidèles. En cela au moins, Axelle Casas, Felryn, ou Tabouret, restait elle-même. Solitaire et sauvage. Même malgré elle.
_________________