La vie est faite de surprises, bonnes ou mauvaises, et Louison commençait à s'habituer à leurs apparitions. Il faut bien avouer que la vie aux côtés d'Euzen n'en manquait pas et qu'elle découvrait comme un silence pouvait avoir un sens bien plus révélateur que certains mots. Eux aussi, elle les apprivoisait avec timidité et découverte, comme un animal sauvage vers qui on tend la main avec l'espoir qu'il ne fuit pas. Euzen était un peu ça : une sorte d'animal mythique et respecté, comme le griffon majestueux et redoutable, qui attire les regards et décuple les envies de toucher du bout des doigts la robe de brouillard qui l'habille. Pas de geste brusque, jamais, au risque de le voir disparaître aussi vite qu'il était apparu, avec ce froncement de sourcils si habituel de l'homme torturé par ses propres pensées.
Le voyage en Béarn avait été la touche supplémentaire à ce lot de réjouissances auxquelles elle prenait goût. Difficile parfois de ne pas penser au calme des champs dans lesquels elle travaillait jadis, la simplicité de la vie de ferme était tout un paradoxe : un manque, comme une satisfaction de l'avoir quitté. Ce passé, elle y songe souvent, le remerciant intérieurement de l'avoir faite devenir ce qu'elle est : une cavalière qui garde un équilibre précaire dès lors qu'il s'agit de talonner plus fort la monture attitrée. La patience du Montbazon était évidemment ce qu'elle est, présente mais pas à rallonge, surtout qu'il est attendu ; et chaque entêtement féminin à rester digne ne faisait qu'accentuer un potentiel retard, jusqu'à trouver la solution adéquate et surtout intéressée de la jeune Montaigne. Chaque fois qu'elle se trouvait assise devant Euzen, un sourire naissait à le sentir passer les bras autour d'elle, simplement pour maintenir les rênes, mais le contact était là. Et lorsqu'elle se retrouvait derrière lui, le visage souriant et détenu reposant contre son dos, la prise se faisait inconsciemment plus possessive, refermant ses doigts sur le mantel du Baron. Un geste presque anodin et qui pourtant révèle ce désir de proximité omniprésente chez l'Hirondelle, chaque millimètre gagné étant perçu comme un soulagement.
L'arrivée suffit pourtant à ravir la demoiselle, non habituée de tant de route. Mais le Béarn était un monde nouveau pour Louison qui continue sa découverte, mais il était surtout un monde où ils étaient juste eux : proches sans trop l'être, les questions féminines récurrentes visant à comprendre davantage le Baron torturé, une proximité plus forte malgré les réserves respectives.
Une nuit sans aucun dérapage.
Une nuit sans aucune question.
Le réveil ne fut pas dans cette continuité, découvrant le vélin là où se trouvait préalablement le Montbazon. Tout en se redressant dans le lit et parcourant les quelques mots, les prunelles anthracites voyagent du parchemin à la robe lui étant destinée. Les couvertures sont rejetées et l'émerveillement prend forme sur le faciès de la Montaigne : les yeux brillants, la bouche entrouverte et le cur qui accélère alors qu'elle caresse le tissu précieux avant de rire doucement mais nerveusement. L'excitation qui en découla aurait pu s'apparenter à une scène digne des grandes comédies, examinant la tenue sous presque toutes ses coutures, ajustant les jupons pour ne pas marcher dessus, se contorsionnant pour lacer la fermeture de la merveille, ou grimaçant pour que sa chevelure sombre se dompte enfin.
Et la femme avait vaincu la panoplie... Du moins, c'est ce qu'elle avait pensé lorsqu'elle l'avait rejoint. Si Euzen était borgne, il était loin d'être aveugle et c'est c'est gênée qu'elle descendit les dernières marches qui les séparaient, ne quittant pas son regard, non sans mordre sa lèvre inférieure comme chaque fois où la nervosité pointait le bout de son nez. Dans le plus grand naturel du monde, comme si ce geste avait toujours été, les digitales féminines viennent se perdre dans la paume offerte, le sourire de bonheur avouant tous les mots de gratitude et de bien-être tandis qu'un murmure brise le silence :
" Vous êtes très beau..." Une fois n'est pas coutume, les us n'étant pas les habitudes de la Montaigne, le sourire est conservé surtout à cet éclat dont il la gratifie.
C'est ainsi, la main désormais glissée au bras son Mythique, qu'ils rejoignirent la cérémonie. Ensemble et assortis.
Faut-il seulement préciser l'angoisse qui lui vrille l'estomac à l'idée d'apparaître à son bras et surtout de rencontrer des personnes importantes, dans une tenue qui - quelque part - est une tricherie à sa condition ? Mais de la fille de ferme, elle en garde le courage et affronter la société sera une nouvelle expérience.
À peine les portes du lieu saint refermées sur eux, la convenance rattrape la jeune Montaigne qui lâche doucement le bras qui lui intimait tout la détermination de l'instant, laissant Euzen regagner cette place privilégiée qui lui revient ; et elle, regagner les bancs des invités avec précaution, ne voulant en rien faire honte à celui sans qui elle ne serait là.
_________________