Lucie
{Je t'ai cherchée à la fenêtre,
Les parcs en vain sont parfumés.
Où peux-tu, où peux-tu bien être
À quoi bon vivre au mois de mai ?}
- Aragon
- Un jeune garçon court, son beau visage auréolé de miel. Le paysage défile. Sous ses pieds nus, la boue dune rue miteuse laisse place à lherbe fraîche, si verte quelle semble irréelle. Il va si vite que sa chemise blanche, flottant sur ses épaules maigres, lui fait comme des ailes que son ombre vivante admire. Se tournant à demi, son regard menthe à leau accroche celui, absolument identique, de lombre. Un sourire barre son visage émacié. Généreux, il tend une main vers elle.
- - Viens Lucie, viens !
Elle ne répond pas, prend la main tendue. Ses doigts sont chauds contre sa paume, un peu rugueux, parfaitement connus.
- - Cours ma Luciole, jai un secret à te montrer.
Elle le suivrait jusquau bout du monde si il le voulait. Il accélère, elle avec lui. Son souffle est court pourtant. Un vent frais se lève pour fouetter ses joues, emmêler ses longues boucles. Au dessus deux le ciel est absolument limpide. Tout est bien, il faut le croire ; rien ne peut leur arriver.
- - Jai un point de côté, Simon
Il nentend pas. Leurs mains glissent, elle doit serrer de toutes ses forces pour ne pas briser le lien. Une première fois elle trébuche et se rattrape comme elle peut. Elle voudrait sarrêter de courir, mais elle ne peut pas. Elle est son ombre, elle doit le suivre. Absolument.
- - Plus vite Lucie !
- Je ne peux pas
Quelque chose ne va pas. Lherbe douce a laissé place à à sentier bordé de ronces. Les épines se prennent à ses vêtements, déchirent sa jupe. Lui ne semble pas les voir. Il est concentré sur son objectif. Où vont-ils ? Elle ne comprend pas pourquoi il est si pressé. Désespérément elle saccroche à sa main.
- - Simon, attends !
Elle trébuche encore. Le sang bat ses tempes. Ses membres sengourdissent. Elle a peur maintenant. Plusieurs fois elle trébuche, perdant la main du garçon.
- - Suis moi Lucie, cours !
Les ronces poussent, elles senroulent autour de ses chevilles, leurs épines senfoncent dans la chair tendre de ses cuisses. Immobilisée, elle tente de crier pour quil se retourne vers elle, pour quil revienne vers elle, mais il nentend pas.
Écartant les bras il décolle.
Prise au piège elle sécroule.
- - Simon ! Simon attends moi ! Ne pars pas ! Ne pars pas sans moi
Se réveillant en sursaut, Lucie se redresse brusquement, faisant grincer le lit étroit dans lequel elle reposait. Ses membres sont glacés et ses mains agitées dun incontrôlable tremblement. Sur ses joues roulent silencieusement quelques larmes. Cela fait très exactement trois ans et dix mois que son jumeau est mort. Elle est seule.
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