Samsa
- "Plus la patience est grande et plus belle est la vengeance." (Massa Makan Diabaté)
Et de la patience, Samsa en avait. Parfois, ça partait très vite, avant même qu'on ait eu le temps de la voir, et d'autres fois, on avait beau tenté de l'user, on avait beau s'y acharner, la Cerbère restait d'un calme olympien. C'est à peu près ce que Rose constatait en grignotant la patience bordelaise, parvenant parfois à en venir à bout. Et puis parfois, elle n'y arrivait pas, et c'était pas faute d'essayer pourtant. Les deux femmes étaient comme deux rouages différents d'apparence qu'on voulait faire fonctionner ensemble, et on ne pouvait pas leur en vouloir lorsque l'une ou l'autre grinçait, ne se connaissant que depuis un mois. Peu, certes, mais elles voulaient tenter, s'accrocher, se donner une chance et, au final, ça ne marchait pas trop mal.
Samsa l'avait trouvé à Chinon, dans ce récent désert qu'elle avait jadis connu comme une oasis de paix. La Cerbère avait quitté son groupe quelques jours, cherchant une sorte de bénédiction avant de s'en aller en guerre. Elle avait pensé la trouver à Chinon, le lieu ancien de sa vie, là où dormait tant de souvenirs que les gens savaient réveiller. Mais cette fois, il n'y avait eu personne pour cela. Personne de ce passé, personne pour le rappeler, personne qui n'habitât ici. Personne d'autre que cette Loutre, belle, mordante, cette Épineuse louvoyante que Samsa peinait à cerner, pour son plus grand plaisir personnel. Une personnalité complexe ! Elle l'avait informé qu'elle partait combattre les angevins, ces gens qu'elle n'avait jamais pu supporter. Comme disait Lily dans une de ses récentes lettres, les vies, les gens, les régions changeaient, mais pas les ennemis. Et Rose l'avait suivi, juste comme ça.
Était alors venu le temps de la patience qui faisait si défaut à nombre des camarades de la Cerbère. Il fallait avouer que combattre en armée royale, c'était particulier, et il fallait avoir l'habitude. L'habitude d'avoir l'impression de ne rien faire quand on ne tournait pas en rond, l'habitude du manque d'information, l'habitude de savoir que si, on allait finir par bouger. Certains du groupe initial n'avaient pas tenus. Rose avait manqué de ne pas tenir.
Mais elles venaient de passer les remparts désertées de La Flèche.
Une malheureuse angevine avait tenté de s'échapper, et les deux armées emplies de soldats impatients s'étaient jetées sur ce lapin détalant soudainement. Ainsi, l'Anjou comptait une âme en moins. Une sorte de début des hostilités. En la ville, nulle âme qui vive, nul vivre sur le marché. Mais bah, quelle importance ? Ils n'avaient besoin de rien de tout cela, bien qu'un angevin passé au fil de l'épée aurait été un divertissement de courte durée, mais agréable.
La nuit suivante, ils avaient rendu la ville franche, et Samsa, appuyée sur les créneaux pour sa garde, regardait au loin les faibles lueurs d'Angers, la capitale retranchée. La Cerbère n'avait rien de stupide, elle avait même un sens très développé de cheffe et de stratège. Un sens que d'autres avaient déjà utilisé, mais dont elle n'avait jamais pu prouvé par elle-même.
Samsa était de ces gens qui rêvent de lumière et de gloire, après avoir passé tant de temps dans l'ombre des Grands qui, finalement, ne l'écoutaient pas tant que ça. Zelha, oui, Zelha, sa vieille amie, elle l'avait écouté. Placée comme Secrétaire Royale, Samsa avait commencé à creuser son petit trou, trou qui était devenu véritable tunnel lorsque son amie la reine était tombée malade. Mais là encore, qui l'avait remercié ? Qui l'avait mentionné ? La seule reconnaissance qu'elle avait eu la chance d'avoir, contrairement à sa collègue Keltica, c'était d'avoir été reprise au service de Lanfeust, séduit sans doute par le réseau national et international que la Bordelaise s'était forgée. Mais depuis ? Samsa n'avait plus le pouvoir de maîtriser quelque peu la correspondance. Samsa n'avait plus l'infime pouvoir auquel elle avait goûté. Samsa manquait de reconnaissance.
Ici, oui, peut-être, ici, elle vaincrait enfin les angevins.
Ici, peut-être, elle rentrerait un peu dans un morceau d'Histoire.
Ici, elle savait, elle ne serait pas célèbre.
Mais ici, elle savait qu'en cas de victoire, le bonheur serait phénoménal.
Parce qu'au final, Samsa ne faisait que cela, guerroyer et courir d'un lieu à l'autre, dans l'unique but de savourer le lait de la vengeance.
D'aucuns aurait affirmé que la vengeance était une maîtresse, et que Samsa en était une esclave plutôt assidue. Mais, paradoxalement, c'était ainsi que la Cerbère se sentait le plus libre.
Après tout, pourquoi pas ?
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