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[RP] Le discret berceau

Axelle
La voix du Maquis flottait dans la pièce comme un voile sédatif. Depuis bien longtemps elle ne s'était pas sentie si paisible. Il pouvait bien dire ce qu'il voulait, faire les gros yeux ou arrondir sa bouche d'un sourire doux, sa voix, sa présence, avaient ce don particulier de la calmer. Ils avaient beau ruer dans les brancards à intervalles réguliers, ces chamailleries étaient grade fou aux yeux de la gitane. Comme si les moments de paix étaient trop dangereux pour être autorisés à s'allonger trop longtemps, bordés qu'ils étaient par un impossible patient duquel il fallait régulièrement se reculer pour ne pas tomber en se cassant le cou, la tête et le cœur en mille éclats irréparables. Et pourtant, c'était bien toujours le même sentiment qui la tenaillait quand il était là. Celui de ne plus rien craindre, comme si un bout qui lui manquait venait s’emboîter à elle.

C'était ridicule vu la nébulosité des mois, voire de minutes à venir, mais c'était ainsi.


Un fin sourire se dessinait à sa bouche amusée en imaginant le Marquis en culotte courte, tête de mule tel qu'elle le connaissait, tapant du pied et le sourcil froissé pour un oui ou pour un non.


Rassurée, elle le fut. Point de magie noire du Très Haut dans cette affaire. Juste le fils de son père dans toute sa splendeur. Ainsi soit-il, donc. Que l'enfant braille de tout son saoul s'il marquait ainsi sa filiation cachée. Et si l’hérédité coulait dans les veines du minuscule monstre, la gitane ne pouvait cependant qu'espérer qu'Aimbaud, lui, ne marche pas trop dans les traces de son père, tant ce qu'il lui avait raconté à son sujet, lui laissait un goût bien trop sévère dans la bouche.


Le visage brun s'approchait déjà du pâle, sans même y penser, poussé par le désir de nouer à même ces lèvres l'acceptation de ce travers qu'il avait transmis à son bâtard, quand d'un regard et d'une question nobiliaires, le plancher lui croqua les mollets d'un coup sec.

D'un sursaut, son visage recula, alors que dans ses mirettes noires, la tendresse fut chassée violemment par une profonde lueur cruelle. De nouveau à ses tympans, la peau des joues du roi fou craquait sous sa lame comme un ritournelle inoubliable et ses mains se couvraient de la chaleur poisseuse du sang sous le regard fantasmé du vieux Casas. Les secondes durèrent des minutes, alors que ses espoirs se réduisaient en cendres.

Non, il ne faut pas que le tempérament se transmette par le sang,
égraina-t-elle d'une voix difficile, plus pour se convaincre elle-même que pour répondre à Aimbaud, quand la cruauté qu'elle avait commise en était que la preuve la plus évidente.

Reprenant ses esprits, elle balaya l'air d'une pichenette, ce qui réveilla l’atavisme d'Arnoul, qui à nouveau s'agita, ouvrant une bouche annonciatrice des pleurs à venir.


C'est rien. Un duel.
Tenta-t-elle d'éluder avant de faire trois pas en arrière. Nous devrions confier Monsieur votre fils à la nourrice si nous voulons entériner notre contrat le concernant, conclut-elle dans une grimace, tant l'idée d'un contrat aux termes notariaux entre eux l'écorchait.
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Aimbaud
Le marquis respecta le silence d'Axelle tout en l'examinant. Une marée d'idées sombres parut couler sur ce visage basané, abaissant le trait rieur de sa bouche et le pavillon de ses sourcils. Il en conclut que le titre de Prévôt de Paris devait lui apporter son lot d'escarmouches et de spectacles macabres. Quelle épreuve que d'exercer cette fonction dans une ville si corrompue ! Prévôt de Nevers ou Prévôt de Dijon, cela sonnait plus doux aux oreilles du hobereau qu'était le Josselinière (cela parlait de rondes joviales, de picole, d'arrestations gentillettes), quand "Prévôt de Paris" évoquait tout un lexique d'assassins, d'arnaque, de crime, de botanique...

Il sourit. C'était bien la seule chose qu'il se sentait autorisé à faire. Il gageait qu'émettre un jugement sur ce prétendu duel, la plaindre, ou prononcer ses inquiétudes, s'avérerait déplacé. Ils n'étaient liés par aucun serment et, sachant très peu de la vie de l'autre, ils ne se devaient pas d'aveu sur leurs conduites respectives... En vérité, Aimbaud avait moins de droits sur cette femme que sur une sœur, même que sur une fille de ferme de ses terres, même que sur un cheval. Même que sur un caillou. Elle était totalement abstraite de sa juridiction, en fait. En dehors de son contrôle. Pas à lui. C'était là tout le problème.

Il n'avait pas coutume de s'attacher à des choses sur lesquelles il n'avait pas de pouvoir. D'où le fameux contrat. C'était rassurant, ainsi. Pas un mariage ! Non non. Offrir ses terres à une fille sans lignage, avec des enfants d'un premier lit et presque noire, la question ne se posait même pas... Non. Là, c'était... Quelque chose de plus confidentiel. Une sorte... De bonne entente.

Il opina en accompagnant les yeux d'Axelle, et tapota le derrière d'Arnoul tout en le re-confiant à son berceau.


Soyez téméraire, mon fils ! Nous reviendrons assez vite assister à vos clameurs. Allons, allons...! Ceci m'est plus utile qu'à vous.

Fit-il en peinant à retirer ses doigts des pinces de l'enfant. Il desserra cette étreinte le plus doucement possible, s'en échappa, puis plissa tous les traits de sa figure en entendant la réponse excessive d'Arnoul. Alors on fit venir la nourrice, on quitta la pièce en catimini, on s'engagea dans l'escalier et parmi le froissement des vêtements et le grincement du bois, on y chuchota :

S'il est vrai que ce penchant colérique lui vient de moi, je dois encore une fois vous présenter mes excuses !

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Axelle
Les marches grinçaient certainement, mais Arnoul, certainement vexé d'être ainsi laissé aux bons soins de sa nourrice, se chargeait avec brio d'en camoufler les grincements. Ce qu'il ne parvint pas à étouffer cependant, fut le murmure du Marquis dans le dos de la gitane. Aussi, sur l’inconfort d'une marche, la Casas arrêta-t-elle la descente, qui pourtant promettait le calme, et se retourna. Relevant un visage grave vers Aimbaud, elle observa longuement ce visage bien trop haut à son goût. Puis un sourire claire et attendri orna sa bouche alors qu'elle remontait deux marches pour le rejoindre.

Sa main n'hésita pas longtemps avant de perdre une caresse légère à la joue pale et s'y poser tranquillement. Et sans lui demander son avis, s'approcha, jusqu'à ce que les corps s'embrassent avant que les bouches ne s’emmêlent avec la tendresse qu'ils savaient partager aussi bien que les cris. La gitane laissa les secondes fuir avant de libérer le bourguignon de sa douce emprise, puis posant son front contre le sien, le regard légèrement amusé planté dans le sien, murmura.


Surtout pas d'excuses. S'il est vrai que je manque de sommeil et que le plus beau cadeau que vous pourriez me faire serait une nuit pleine à roupiller, j'avoue sans l'ombre d'une hésitation, que ce caractère que vous avez transmis à votre fils, je l'aime.

Oui. Bon. Les lèvres du marquis avaient toujours ce même effet sur elle, de voir toujours les choses bien plus belles qu'elles ne l'étaient en réalité. Mais cela n'avait aucune importance.
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Aimbaud
À ce contact qui semblait si anodin aux yeux de celle qui le provoquait, notre marquis lui, sembla manquer d'air comme s'il venait de plonger en eaux... troubles ! Ou plutôt son poitrail doubla instantanément de volume et sembla plus gourmand d'air, d'espace, prêt à conquérir tout un territoire voisin. Il était capitaine de lui-même, comprenez bien ! Or en d'occasions pareilles, si rares, il arrivait au navire de s'emballer. Le vent boursoufflait les voiles, le canon se détachait, roulait dans la cale comme un tambour ! Il ne lui en fallait pas beaucoup plus pour chavirer, à cette coque de noix. Mais trois solutions s'offraient au valeureux agrippé à son gouvernail : se jeter à l'eau, très déraisonnable ! Prier, relativement peu efficace. Ou maintenir le cap, affrontant la tempête, coûte que coûte... Héroïque.

À ce moment précis de la journée, il oubliait de sonner la cloche, embrassait la brise marine et s'apprêtait à poser la main sur le bastingage d'Axelle... quand leurs bouches se séparèrent. Il cligna des yeux, sûrement à cause de l'eau de mer. Et il observa bêtement la sirène qui s'adressait à lui, ouvrant grand ses écoutilles à la chanson qu'elle lui fredonnait.

Il ne sourit pas. Non vraiment, il n'y avait rien de drôle ! C'était très puérile de l'enlacer de la sorte, alors qu'il tentait de garder une distance chaste entre leurs corps, qui empêcherait tout nouveau problème d'enfantement hors-mariage. C'était absurde. Pourtant ses mains contredirent cette logique et, guidées par la meute de loups qui couraient au bout de ses doigts, s'avancèrent au sein d'un lieu et à l'épaule d'un lieu qui n'avait rien de commun, le lieu, ça non non non.


Mais quand vous me donnez des baisers comme cela, comment voulez-vous que je sache encore apposer mon sceau sur de la paperasse...?


Se plaignit-il en la saisissant doucement, avec ce regard de gros chien qui ne saisit pas bien les intentions de son maître.

Je ne sais même plus me servir d'une plume, là ! Je ne sais même plus pourquoi j'ai voulu cet écrit !... C'est...

Il la lâcha soudain pour s'emparer du parchemin qu'il avait plié dans son pourpoint, le déchira presque en le tirant par les ficelles de son velours, et le secoua avec insolence pour l'écarter de lui, telle une tunique de lépreux qu'on lui aurait jetée à la figure ! Il sembla se battre avec le bout de papier qui, dans ces mouvements illogiques, craquait, s'accrochait à ses manches et refusait de s'envoler.

C'est du torche-cul, ça ne sert à rien ! Foutez-moi ça au feu !


Arnoul brailla.
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Axelle
Perchée sur les marches grinçantes, les oreilles remplies des braillements renouvelés d'Arnoul, la gitane, les yeux stupéfaits, observait les gesticulations du marquis sans encore les comprendre. Le papier voletait au bout des doigts nobiliaires, semblant s'y accrocher comme s'il était sournoisement enduit de glu. Mais plutôt que de venir en aide à son amant pour le libérer de cet étrange assaillant, la manouche releva avec lenteur sa main vers sa bouche, pour y poser un index circonspect.

Sa bouche était-elle donc douée d'un étrange pouvoir ? Un sortilège magique était-il donc tombé sur son souffle pour démener ainsi Aimbaud, le faisant renoncer à un contrat auquel pourtant il tenait depuis longtemps déjà ? Était-elle donc dotée d'un insolite pouvoir capable d’envoûter les hommes et de leur faire faire ce qu'elle désirait d'un simple baiser, aussi délicieux soit-il ? Dubitative, elle observa le bout de son index, le renifla en catimini, comme pour y déceler les effluves d'un filtre étrange et mystérieux, mais ne respira qu'un parfum flou de fraise, faute au pot de confiture qu'elle avait léché avec application avant de quitter le Châtelet. Était-ce possible ? Les fraises, ces petits fruits d'apparence si anodins, seraient-ils donc le réceptacle d'ancestraux pouvoirs prodigieux? Cette hasardeuse déduction n'était finalement pas si absurde dès lors que l'on observait plus attentivement cette baie en forme de cœur rougeoyant. Mais laissant là l'incroyable découverte ésotérique, la manouche héroïque, enfin, vint à l'aide du marquis empêtré, et d'un coup sec, arracha le feuillet de la main pale pour le relire malgré elle.

Citation:
Je, Aimbaud de Josselinière, Marquis de Nemours, Duc de Corbigny, Seigneur de Decize et de Saint-Robert,

• Jure de toujours veiller sur Axelle Tabouret Casas, de lui porter amitié, protection, aide et chaste respect, sans jamais atteindre à son honneur, attendre de contrepartie ou la contraindre d'aucune façon.
• Jure d'aimer, de protéger et d'aider son fils, Arnoul, dans les étapes de sa vie, et ce jusqu'à mon dernier souffle.


Moi, Axelle Casas, Dame de Savenès et de Bazens

• Jure de laisser Aimbaud de Josselinière visiter mon fils, Arnoul Casas, tant qu'il lui plaira, et lui en confie la garde s'il devait m'arriver malheur.
• Jure de ne rien demander à Aimbaud de Josselinière, ni pécuniairement, ni rien qui puisse le mettre dans l'embarras ou nuire à sa réputation.
• Jure garder le silence sur ce présent document et les causes de sa rédaction.


La grimace ne se fit pas attendre. Ce document, tant en le recevant qu'en le rédigeant, lui avait filé une sublime nausée, l'emplissant d'un sentiment mitigé, naviguant entre la vexation que son amant lui refuse sa confiance et la compréhension quand, somme toute, jamais encore elle ne lui avait offert de raison de croire en elle. Bien au contraire même, elle s'était toujours montrée versatile et instable face à lui. Aussi, bien que les gestes soient dénués de toute attention, le papier gagna le fond de sa poche en place et lieu des flammes réclamées. Si son cœur sautillait dans tous les sens de joie qu'Aimbaud renonce à ses termes notariaux, le spectre de l’envoûtement trompeur restait bien trop présent.


Les cris furieux d'Arnoul leur perçant les tympans, ce fut sans plus réfléchir que la Casas attrapa de sa main valide les doigts d'Aimbaud pour dévaler le reste de l'escalier et fuir jusqu'au petit jardin de curé pour se perdre entre les parterres d'aromates assaillant leur narines de leurs senteurs mentholées. Mettant fin à la cavalcade des deux parents déjà dépassés par leur création aux abords d'un banc de pierre, elle resserra sa main sur celle du marquis sans pourtant oser le regarder, et d'une voix timide frisant la crainte, murmura.

Faut-il que je vous jure par écrit de ne jamais plus vous embrasser ? Vous caresser ?
Le regard noir et doucement humide remonta vers le visage adulé. Vous... Mais le reste de la phrase se brisa dans sa gorge. Dévoré par le désir vorace de cette peau blanche à portée de langue. Brisé net contre le besoin poignant d'entendre les soupirs nobiliaires s'étirer de plaisir. Ravagé de frissons et de souvenirs ravageurs, sans qu'elle ne puisse rien y faire.
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Aimbaud
La chaleur faisait poudroyer la terre battue sous leurs pas, tandis qu'ils ralentissaient leur course dans le jardinet. Ce carré de verdure se trouvait découpé par l'ombre des maisons, et par la partie ensoleillée qui tranchait brutalement l'espace en deux. Aimbaud et Axelle se trouvaient dans l'ombre. L'air y était plus frais et moins encombré par les insectes qui bourdonnaient plus loin, sur les fleurs en bosquets.

Une parole fut échangée près d'un banc de pierre. Aimbaud recueillit la main de la parisienne contre lui. Il la regardait et la tenait avec une sorte d'impatience qui faisait tressaillir ses doigts, ses genoux, même les poils de sa moustache. Son visage chercha le bord du sien, il se mit progressivement à prendre plus de place sur elle. Cette politique de conquête de territoire était commise par lui sans questionnement préalable. Envahir d'abord, réfléchir après. Un peu comme les explorateurs. La tenant enlacée, et la respirant dans le cou qu'elle avait soyeux et parfumé, comme près à s'endormir contre cette créature, il murmura :


Galante Axelle. Ma mie, mon amante. Je vous déshonore, n'entreprends rien pour vous épouser... vous cogne dessus lors d'un combat de mêlée... vous fais un enfant infernal. Mais... Où cachez-vous la rancune, là-dedans ?


Fit-il en se dégageant de la jeune-femme pour faire bouger la taille agréable qu'elle lui présentait. Et il l'étudia comme pour en trouver la clef. Puis il observa ses yeux noirs avec sérieux.

Je sais que cette enveloppe charnelle peut bien en contenir. Ne dites pas le contraire. Est-elle là ? Ou là ? Ha ha ! Si cela pouvait se trouver avec les mains... Oh. Je suis si coupable des intentions qui me guident... Il soupira comme un veau et chercha à nouveau à se rapprocher d'elle par toutes les façons rendues possibles par son corps. Axelle. Axelle... Ah... Tu aimes un hypocrite. Attends... Mets tes bras autour de moi. Si tu le veux bien, j’oublie ce contrat d'abstinence. Je viendrai te visiter ici, à Paris, le plus souvent que je pourrai. Il est trop bon de te fréquenter...

Ses mains, trop heureuses de jouir de ce moment d'intimité — avait-il oublié que ce jardin appartenait aux moines de l'île ? — épousaient des rondeurs que l'épaisseur des tissus consentaient à leur laisser deviner, comme pour s'imprégner de leurs formes et ainsi, ne plus jamais les oublier.
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Axelle
L'uniforme était épais, lourd et, jamais de sa vie peut-être, la gitane ne l'avait à ce point détesté. Saleté de cuir et de drap trop épais ! Fallait-il qu'elle en soit engoncée le jour même que choisissait le Marquis pour lui rendre visite ? Voilà qu'il la prenait dans ses bras, respirait son cou, et elle ne pouvait ressentir la chaleur de son corps contre le sien, mais juste le contact désagréable du cuir. La vie était injuste, cet instant où elle glissait ses bras autour de la nuque nobiliaire le prouvait avec brio.

Pourtant, malgré l'injure des circonstances, le visage gitan s'égaya d'un sourire aussi heureux qu'amusé. Et ce nouveau pacte tacite fut, dans un élan presque enfantin, aussitôt scellé d'un baiser piquant, qui déborda, désordonné, sur le menton, les joues, le front de son amant. Puis reculant d'un pas, comme si elle craignait qu'attendre ne puisse effacer les mots qu'il venait de prononcer, fouilla ses poches pour en extirper une petite clé usée.
Voici la clef d'ici. Viens, quand tu le veux, et surtout, viens souvent. Pour moi, mais aussi pour lui. Ne craignez rien de la gouvernante et de la nourrice, votre fils les épuise trop pour qu'elles aient encore l'envie de cancaner. Et elles me sont dévouées.

Le visage jusque-là volubile se rembrunit pourtant. S'il avouait ses tares, elle devait faire de même, et nul doute que les siennes étaient plus lourdes et sujettes à provoquer la colère. Elle s'assit sur le banc, le tirant avec douceur par le bras pour qu'il l'accompagne. Si vous êtes honnête avec moi, alors il me faut bien l'être à mon tour. De la rancune, je n'en ai que peu, c'est vrai, du moins, pas pour les sujets que vous évoquez. Bien qu'effectivement vous m'ayez estourbie en mêlée, mais comment vous en garder rigueur, vous ne saviez pas même que c'était moi. Mais de tares, je suis truffée, et je crois qu'il vaut mieux vous les avouer avant que vous ne découvriez. Le regard noir remonta vers le visage encore humide de son emportement. Me déshonorer dis-tu ? Il me suffisait de dire non, mais je ne l'ai pas fait. Comment te juger coupable des maux dont tu t'accuses quand je les ai provoqué. Et comment être blessée que tu ne m'épouses pas quand je te blesserai et te déshonorai plus encore, moi qui ne sais être épouse tant je suis incapable d'en respecter le serment ? Je ne le peux pas, je ne puis qu'espérer qu'une chose. Que tu pardonnes mes faiblesses.

Elle baissa la tête, le regard paumé sur un escadron de fournis ordonné, ayant trouvé le Graal dans quelques miettes de pain sec égaré là.

Viendras-tu quand même ?
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Aimbaud
Elle parlait, et les odeurs du printemps dans les courants d'air chargé de pollen, se mêlaient au parfum de ses frisettes noires qui lui faisaient comme un cadre au visage. Un cadre un peu en bataille. Avec des yeux dedans, épouvantablement grands, salement noirs, diablement jolis. Elle avait la paupière bleue, le coin de la lèvre fendue, la bouche parfois grimaçante et des expressions bien trop théâtrales, mais notre marquis ne tenait pas compte de ces défauts. Il les acceptait avec bonhommie. Même, il trouvait qu'ils sur-élevaient ses qualités. C'était très agréable à observer. Évidement, elle lui parlait de le tromper. Mais bon. Nous l'avons dit. Elle était si jolie.

Je bénis ta frivolité, qui t'offre à moi, qui fait ma joie ! Aussi je ne puis t'imposer de m'être fidèle, ni te contraindre à mes lois. Aucun contrat de te lie à moi, nous venons d'en convenir.


Il serra la clef dans sa paluche, comme si elle venait de lui remettre la relique véritable du métacarpe d'Aristote. Puis il soupira en l'embrassant, à la façon du pire chevalier de roman d'amour courtois de station de halte pour carrosse, ou comme le plus sincère des amants perclus d'impatience (la nuance est souvent délicate à percevoir), en lui murmurant des mots qui mourraient étouffés sous le liseré de sa propre moustache, dans la tiédeur du ce cou basané.

Que cette clef soit gage de notre affection ! Elle ira droit à mon trousseau. Je viendrai, oui. Je viendrai... Dans quatre jours, s'il vous plait ?


Et il se rattrapa au banc de pierre pour ne pas basculer avec elle dans le romarin.
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Axelle
Museau baissé, les épaules déjà relevées, elle attendait le coup de bâton. Sans aucun doute l'aurait-elle mérité dès lors qu'elle assumait si haut, avec arrogance presque, cette infidélité qu'elle traînait dans chacun de ses pas dansant, sans en éprouver le moindre regret ni ressentir la nécessité de se corriger. Pourtant, elle comprenait parfaitement combien cela pouvait être vexant de savoir que, malgré les sentiments, elle n'appartiendrait jamais plus à un seul. Elle savait pertinemment combien cette attitude vilainement égoïste pouvait s'avérer et blessante pour tout être normalement constitué quand la fuite ne constituait tout bonnement pas le dernier mot de l'histoire. Elle savait tout aussi pertinemment que le fait d'accorder en retour la même liberté n'effacerait pas ce qui pouvait facilement être perçu comme un affront.

Les « sacs à foutre », « puterelle » ou autres gentillesses du genre qu'elle avait récoltées n'avait jamais su corriger ce travers. Tout au contraire, elles n'avaient fait qu'enfler un penchant qui se dessinait. Penchant à présent certifié qu'elle portait non plus comme un fardeau, mais comme un symbole de liberté et d'indépendance. Soit, c'était certainement le plus ridicule, imbécile et misérable symbole qu'un jour une bougresse de son espèce ait pu trouver, mais c'était ainsi, faute certainement à un jugement rendu avant même que la faute ne soit commise et qui, bien qu'oublié depuis longtemps, avait laissé une cicatrice assez profonde pour que jamais elle n'accepte de recevoir un autre coup de ce genre.


Le prix à payer, elle en était persuadée, était d'accepter de se tenir cachée. Et si cet état de fait l'égratignait régulièrement, elle ne pouvait finalement que s'en prendre à elle-même et l'acceptait sans grimacer.

Elle attendait, donc, mais point de coup de bâton, mais des paroles que jamais elle n'aurait cru entendre de la bouche du Marquis. Elle remonta un œil curieux, comme pour s'assurer que ce n'était pas un guet-apens finement cousu d'un baiser lui faisant fondre l'âme mais éclairant ses mirettes d'un reflet de doute.


Mais le souffle envieux dans son cou aidant, elle envoya valser au loin tous les scrupules. Aimbaud bénissait sa frivolité, mieux même, faisait sa joie? Alors pourquoi diable continuait-elle de se faire ch*er avec tout ça. Il l'acceptait comme elle était, Hosanna au plus haut des cieux ! Frivolité, célébrons ton nom d’un cœur reconnaissant ! Oui, de temps à autre, la gitane avait des élans fervents de bigoterie et quelle piètre croyante elle aurait été de douter encore. Alors, elle tendait le cou pour recevoir les prières du chapelet de baisers dévots à sa peau, l'esprit léger malgré cette main sacrilège les retenant de plonger tout droit dans le bénitier du romarin alors que ses doigts jouaient un oratorio le long du dos nobiliaire jusqu'à ce qu'elle hausse un sourcil, soudain contrariée que la messe semble déjà finie.

Dans quatre jours ? Il me plaît, oui, et plus que ça, mais...
Elle tordit sa bouche, la mine dépitée. Cela veut-il dire que pour l'heure, tu pars ?

C'était qu'en ces moments d'intense ferveur, la gitane avait bien du mal à être patiente. Moins encore que d'ordinaire, c'est pour dire.

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Aimbaud
Les insectes bourdonnaient dans la courette parisienne, effectuant des rondes dans les lambeaux de lumière échappés des façades. Les aromates distribuaient leurs senteurs au gré des courants d'air tiède. Le basilic prenait le dessus, puis c'était le romarin. Et enfin le thym fleuri. Les deux pécheurs enserrés l'un à l'autre, sur leur banc de pierre, s'échangeaient des mots tendres et partageaient des rires tranquilles.

Aimbaud expliqua à son amante que sa fille espérait à son retour dans la soirée. Ils parlèrent de leurs enfants puis devisèrent sans sérieux, jouant l'un et l'autre à se complimenter, à se pâmer d'aise, à s'asseoir sur les genoux de l'autre et à s'étreindre impudiquement en soufflant des mots d'adieu. Enfin, ayant salué son fils rendormi en prenant garde aux planches du parquet qui risquaient de grincer, le marquis quitta les lieux.

Il retourna à ses pénates avec Armant, et vaqua à ses occupations avec une bonne humeur décuplée. Durant les jours qui suivirent, sa fille eut tous les traitements de faveur qu'elle réclama. Il la mena même à la chasse, l'asseyant devant lui sur son palefroi, et piquant fréquemment des pointes de vitesse en forêt qui la faisaient hurler de rire. Il n'attrapèrent rien mais passèrent un temps agréable. Il lui arriva plusieurs fois de garder la paume de sa fille posée dans la sienne, et d'en observer la taille avec intérêt, tandis qu'il songeait à la main d'Arnoul qui était encore plus petite.

Il regagna Paris et la pointe de l'Isle, seul, le quatrième jour. Son coeur était marqué par une petite emprunte de culpabilité, mais il battait plus que tout d'impatience. À peine eut-il toqué que les mains basanées accostèrent sur le velours de son habit. On le mena dans la cuisine pour lui offrir à boire, mais arrivé là, les mots lui manquèrent et il se senti forcé de signifier une autre soif qui l'amena, lui et son hôte, à repenser sur-le-champ l'utilité d'un plan de travail.

Axelle s'assit dans la farine. Aimbaud se cogna la tête dans une porte de placard. On mit la main dans une marmite vernie, au fond, par un reste de compote durcie. Un pot de cuillères en bois se trouva éparpillé sur le carrelage. Un torchon fut déchiré à son clou tandis qu'on s'y accrochait. Une pile de chaudrons versa parterre. Et à ce ramdam gastronomique s'ajoutaient deux voix qui avaient tant souffert d'être longtemps séparées, qu'elle s'unissaient désormais avec bien peu de vergogne, et riaient aussi parfois. Et notre Aimbaud, à l'issue de cette éprouvante hardiesse culinaire, debout contre son comptoir comme un pâtissier à l'ouvrage, qui ne pétrissait cependant pas de massepain, mais plutôt — oserions-nous ? — .. les belles miches ambrées de la trouvaille qu'il avait hissée sur ce promontoire, reprenait maintenant haleine, le nez dans une forêt-noire de cheveux parfumés.


Ah ! Que c'est bon, que c'est bon, que c'est bon... Que le ciel est bon avec moi...

Soupira-t'il, exténué, trouvant seulement la force de proférer sa joie. Ils rirent ensemble, dans la lumière du soir échappée par une lucarne, qui devenait orange à mesure que le temps s'écoulait. Ils échangèrent des paroles en rajustant leurs vêtements, brisèrent la cire qui capuchonnait une bouteille de vin et se désaltérèrent joyeusement. La main d'Axelle laissa une nouvelle emprunte dans la farine.

Dis moi, je veux savoir, que fais-tu quand tu n'es pas avec moi ?

Il se trouvait derrière elle, glissé là comme un gros sanglier imitant la discrétion de l'anguille, et l'étudiant de ses deux mains, avec cette façon qu'il avait de procéder, comme un artisan vérifiant au toucher les proportions d'un bel ouvrage. Il lui décrivit bien volontiers les grandes lignes de sa vie sans embuche, ses tranquilles devoirs sur les terres de Nemours et de Corbigny, l'attention portée à sa fille, et les visites rituelles au Louvre ainsi qu'à la cour de Bourgogne. C'était un récit si trépidant qu'il tenait en une phrase. Il ressentit une honte certaine en lisant de l'ennui dans le regard de sa maîtresse, à l'évocation de ces insipides occupations. Il vivait paisiblement et sans surprise, et son or ne lui apportait pas de grande distraction...

Et toi, dis.
Veux-tu vraiment le savoir ?
Eh bien... Faut-il que tu me le caches ?


Un vent plus frais passa par la lucarne, le soir s'installait. Aimbaud se pencha sur la jeune-femme pour mieux la scruter.
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Axelle
Était-ce le petit vent frais qui fit frissonner la gitane ou le regard doucement inquisiteur que son amant posait sur elle ?

Ce que j'aurai vraiment à cacher, je te l'ai dit, ici même, il y a quatre jours. Juste que je ne suis pas certaine que tu veuilles vraiment l'entendre.

Ce qui la faisait frissonner était que, depuis cet après midi à la cour de Louvre, jamais il ne l'avait interrogée. Jamais même il n’avait semblé vouloir savoir plus que ce qu'elle acceptait d'avouer quand cela paraissait déjà souvent trop. Et finalement la gitane n'avait pas la moindre idée du visage que pouvait prendre le Marquis dès lors qu'il pouvait parler affaires. Et préférer ne pas entendre, c'est ce qu'il fit encore, laissant glisser le nectar rouge dans sa gorge.

Allons ! Ne me dites que des choses qui me plaisent. J'ai bien assez de tristes gens dans ma mesnie ! Que vos mots soient doux à mon oreille, comme de l'hydromel. Ne me fais montre que de tes vertus !

Et ainsi en fut-il alors que leurs bouches se chatouillaient le cou ou se bagarraient jambon sec ou saucisson à l'ail comme deux mômes joyeux d'oublier la réalité morose de leur existence. Même la démission de la Casas de la prévôté de Paris et le récit de l'entrevue catastrophique avec le Roi de France au plaid fut sujet de plaisanteries, le Marquis se jouant même de la situation pour l'effrayer en lui décrivant les angoissants spectres hantant les couloirs du Louvre, dévoilant, aux yeux agrandis de la Casas, la réalité de cette malédiction planant sur les monarques que tous la chuchotaient sans oser la clamer haut et fort.

Peut-être le Sans-nom rôde-t-il autour du trône de nos bons souverains... Avait-il commencé d'un ton très mystérieux en glissant sa main sur la cuisse gitane. Ils hantent la nuit les recoins du Louvre, quand tous les volets sont baissés, on les voit miroiter dans les carreaux comme des feux follets... Et tant avait-il eu l'air de savoir de quoi il parlait, que la gitane, une tranche de jambon au bout des doigts, en avait oubliée la bouteille tant elle était occupée à boire ses mots. Si je te disais... qu'une fois... la main de Béatrice, blanche comme le lait, translucide comme le verre, s'est doucement immiscée entre les fils d'une tapisserie quand je passais dans la salle des doléances, par une nuit sans lune... et que du bout de ses doigts, qui semblaient sanguinolents... elle a... SAISI MON BRAS ! Traître marquis qui, alors que les mots s'écoulaient encore de sa bouche, avait attrapé le bras gitan en s’esclaffant de rire. Pale comme un linge et le cœur battant de trouille, il avait fallu quelques instants à la manouche pour comprendre combien il c'était foutu d'elle.

VILAIN!

Hin hin hin hin !
J'aurai dû m'en douter, chez toi, j'ai déjà eu peur! Et voilà que tu recommences! Lui aurait-elle filé un taquet derrière la tête que le Marquis n'aurait rien senti tant il se marrait comme un bossu, faisait grincher la gitane davantage encore.
Ça marchait à tous les coups avec ma sœur ! AH ah ah ah. Tu as eu peur ?! M'eeeeeeenfin. J'ai menti, je m'en confesserai, hin hin hin hin. Tu n'as pas à avoir peur, il n'y a pas eu de crime dans mes pierres !
Si tu me fais marcher comme ça, il y en aura un entre ces pierres ci! Ne trouva-t-elle qu'à répondre en pointant du doigt le mur de la cuisine en bataille. Pourtant, de représailles, elle ne su qu'assaillir le cou nobiliaire de baisers.

Certainement auraient-ils mieux fait de s'en tenir aux blagues potaches et à engloutir tout ce qui pouvait leur tomber sous la main de tourtes, et fromages et de fruits. Mais, entre la pensée du fumet d'une poule au pot et une nouvelle gorgée de vin, la question pourtant anodine se glissa entre les murs.


Que vouliez-vous me dire, à propos de cette milice privée ?
Et bien, j'ai beau avoir des joli revenus, j'aurai besoin d'une aide financière pour lancer les choses. Mais je rembourserai tout!
Donc, c'est légal ? Face aux mâchoires nobiliaires toutes occupées à mâchonner, la bouche gitane se tortilla.
Ah je vois. Tendant le bras, le Marquis se déboîta l'épaule pour atteindre la bouteille avant de se rincer le gosier pensivement. Bon, trêve de plaisanterie. Il faut m'expliquer mieux que ça votre plan et vos motivations.

Que le soupir fut âpre à ravaler. Nemours et Clichy avaient beau s'entendre comme chien et chat, voilà que d'un coup, ils se ressemblaient comme deux frères à poser les mêmes questions. Soit, ces questions étaient plus que légitimes, sauf qu'une fois de plus la gitane se perdit dans des détails qu'elle n'aurait pas même dû évoquer, incapable qu'elle était à ce moment d'aller droit au but et de donner l'explication claire et nette que l'on attendait d'elle. C'était simple pourtant, une milice privée pour assurer la tranquillité de Paris sans être écrasée d'une autorité qu'elle ne reconnaissait pas, supportait encore moins, et entravait son travail. Et peut-être aurait-elle dit cela, aurait-elle évité :

Mais qu'est-ce que vous prévoyez, exactement ?

Parce que pour tout dire, si déjà elle se paumait dans son argumentaire désordonné et boiteux, elle servit alors une logorrhée indigeste qui aurait fait fuir les plus téméraires. Le Marquis ne fila pourtant pas à toutes jambes, mais croisa les bras, allant droit au but quand elle n'avait pas été capable de le faire.

Vous savez, Axelle, pour moi l'argent n'a pas grande importance. Seuls comptent mes engagements à mes terres et à mes suzerains. Si ma réputation est entâchée, j'entâche mes suzerains. Je fais défaut à mes devoirs. Mais si tant est que mon nom ne soit pas mis en lumière, je peux vous financer. Toutefois il faut m'assurer que votre œuvre est juste, que vous n'employez par de mécréants, que vous n'allez pas déclencher de guerre civile en Paris. Ce genre de choses qui rassureraient ma conscience.

Et bam pouf patatras. Et oui. Si Aimbaud était son amant, s'il la couvrait de présents et la regardait souvent avec des yeux qui ne manquaient jamais de faire fondre la noirceur qui pouvait onduler dans ses prunelles, il était avant tout Marquis, vassal du Roi, et de ce fait avait des obligations que la gitane, imbécile heureuse, avait occultées tant il était plus facile de fermer les yeux sur cette réalité qui les séparait. Et cette promesse là, elle ne pouvait la lui faire sans mentir comme une arracheuse de dents.

Je ne veux pas vous entraîner dans une affaire que risquerait de trop vous déplaire et de vous attirer des ennuis. Excusez-moi de vous en avoir parlé, c'était idiot.
Vous n'êtes pas sérieuse. Je vous disais que j'accepte. Qu'est-ce que vous me jouez ?
Je suis très sérieuse, car je ne peux en aucun cas vous rassurer sur mes agissements futurs.
Expliquez-vous.
Non. J'ai fait une erreur, c'est tout.
Ne faites pas l'enfant

L'agacement était perceptible jusqu'aux sourcils froissés du Marquis, pourtant la mine gitane ne cessait de garder son masque buté.

Je ne fais pas l'enfant. J'ai assez rendu de compte pour ne plus vouloir en rendre. J'ai fait une erreur en vous en parlant, c'était idiot de ma part. Je n'ai pas à vous entraîner, d'une quelconque façon que ce soit, dans mes projets, surtout ceux-là.


Peut-être aurait-elle alors dû se prendre une torgnole pour lui remettre les idées en place, mais certainement celle-ci n'aurait pu être aussi cuisante que les mots qui suivirent.


Donc vous refuserez toujours mon aide. Il est dit que nous ne nous devrons rien, jamais.

Silence lourd
Il serait mensonge de vous assurer que tout sera juste, qu'aucun malfrat ne sera membre de la milice, qu'aucune guerre ne sera déclarée. Et vous mentir, je m'y refuse. Vous m'avez donné vos conditions, je ne peux y répondre, il n'est rien de plus simple.

Oui, une torgnole aurait certainement été la meilleure réponse à donner, mais ce furent deux gentilles mains qui vinrent se poser sur les bras gitans.


Mais dans quel pétrin vous fourrez-vous ?

Rien dont je ne saurai me tirer d'affaire, rassurez-vous. Les choses sont bien mieux ainsi, et m'aider, vous le ferrez, quand vous seul savez me faire rire. Vous, vous serez mon refuge.
Vous faire rire, ouais. Avec mes cadeaux, ou mes propositions de financement.

Et si. Finalement alors que les épaules gitanes s'affaissaient, elle la recevait, la torgnole. Et cuisante. Et amère. Et méritée quand le goût d'avoir déçu, d'avoir blessé, inondait sa bouche.

Bahhh ! J'accepte, puisque je ne connais pas d'autre manière de vous faire plaisir. Menez-moi voir la créature sauvage qui vit à l'étage. A-t-il des dents ?

Et la gitane, de le suivre à l'étage, préférant se taire pour l'heure.

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Aimbaud
Les visites se renouvelèrent. Diurnes, parfois nocturnes. Aimbaud passait toujours la porte, les bras chargés d'un menu présent ou d'un paquet de victuailles, et n'en ressortait qu'au matin suivant, en promettant de ne plus jamais rien apporter.

Les colères d'Arnoul prenaient une nouvelle tournure, vis-à-vis de ce visiteur passager. L'enfant passait de la morgue hurlante, à l'indifférence chouinarde, en cherchant toujours à lui distribuer des coups de pieds. Mais Aimbaud, qui trouvait le moyen d'en rire avec la mère, prenait la chose avec bonhommie, en apposant une grosse main sur les petons du marmot, comme une chape de plomb qui les empêchait de bouger, lorsque cet animal moulinait pour frapper dans le vide. Et puis, soudain sans prévenir, tandis que l'on discutait à table, autour d'un pichet de vin ou un fond de mirabelle, on se rendait compte qu'Arnoul s'était tut, et on l'observait dormir avec les mêmes sourires béats qu'ont les naufragés lorsqu'ils touchent le sable d'une terre d'asile. Comme ces moments étaient précieux !

Axelle lui faisait toujours bon accueil, avec sa naturelle impudeur. Auprès d'elle, tout ce qui avait trait au corps semblait découler d'une rare évidence. Les besoins qu'elle éprouvait, elle les contentait. C'était tout. Tu as faim ? Mange. Sommeil ? Dors. Du désir ? Viens. Elle lui adressait souvent de grands regards naïfs, dénués de la moindre petite once de culpabilité, pareil à une enfant sauvage, lorsque lui, exprimait des hésitations ou des réflexes emprunts de gêne. Dans ces instants, face à elle, il se sentait profondément idiot. Mais tout en voulant lui plaire, il ne pouvait se défaire de ses manières alambiquées, ni oublier les doctrines qui avaient formé sa morale depuis la petite enfance. Il leur arrivait de ne pas se comprendre. Mais vraiment pas un mot. À tout dire, ils ne se comprenaient qu'en d'occasions rares.

Leurs querelles avaient toujours lieu à voix basse. On évitait de lancer des objets contre les murs, ou de monter le ton, au risque d'éveiller la Bête au berceau. On chuchotait cruellement, on avait des murmures assassins, des perfidies au bout des lèvres. L'un désespérait, l'autre versait une larme. On se raccommodait sans les mots, avec les mains. On s'endormait le souffle court. On se quittait au matin. Et cætera. Et ce discret manège, autour du discret berceau, s'entretenait de la sorte sans faire d'éclat.


Or, les franc-comtois avaient en ce temps-là des barbes si longues (les hivers étaient rudes et ils s'en servaient de couvertures), qu'à l'heure de s'élancer dans la plaine pour rouer notre Chevalier de coups, ils trébuchèrent dessus. Et tombèrent. Roulèrent, roulèrent, rrrrouplombplombpatapom, et s'empelotèrent. Arrivés aux pieds du Chevalier du Chaos, ils étaient en tout point pareils à des pelotes de laine sauvage.

Alors Thomas clama : "Oh mon maître, transperçons ces félons !"

Mais, Arnoul écoutez bien au lieu de gigoter, le Chevalier du Chaos répondit :

"Non non, Thomas, ce serait leur faire trop d'honneur. Charge-les dans la charrette, nous les porterons au marché de la Saint-Lycon."

Thomas exécuta les ordres sans bien comprendre quel serait le châtiment des franc-comtois. Et savez-vous lequel il fut, mon fils ? Le Chevalier du Chaos les brada à 6 deniers la pelote aux tisserands de Châlons, qui en tricotèrent des chemisettes pour tous les petits enfants de Bourgogne, lesquels passèrent un hiver au chaud, et sans guerre.


Là dessus, le marquis réchauffa le ventre rond d'Arnoul en le flattant, vérifia qu'il était rendormi, et se redressa pour constater que le jour commençait à poindre par la lucarne. La scène que lui avait fait Axelle, la veille, lui avait encombré l'esprit de pensées conflictuelles. Il n'avait pas pu fermer l’œil, et s'était naturellement trouvé à réagir le premier lorsque l'enfant s'était agité dans son berceau. Ayant chuchoté ce conte au prince caca-nerveux, et observé Axelle dormir un instant, il quitta la maisonnette sans faire de bruit. C'était sans savoir qu'il ne repasserait plus jamais par ici.

Il paya un aubergiste pour le bouchonnage de son palefroi et chevaucha vers Nemours dans la fraîcheur du petit jour, avec un infini plaisir.

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Axelle
Quelques temps après, partie de Guyenne...


Citation:
À Savenès, le 23 du mois d’août 1464.

Aimbaud,

Longtemps, votre volonté de vous remarier m'a paru idiot tant après mes déconvenues, je ne voyais plus l'intérêt de lier son destin à celui d'un autre pour n'en récolter que chagrin et déconvenues. Mais après y avoir longuement réfléchi, je comprends. Je comprends si bien qu'à mon tour, il me semble nécessaire de me remarier également. Nul doute que si un homme a besoin de cette stabilité et cette image à offrir, une femme en a plus besoin encore.

Néanmoins, dans mon ambition, se dresse un obstacle de taille. Un fils, sans nom. Sans père connu. Un enfant qui, sans le moindre doute, ferra fuir les nobles qui accepteront de poser un regard sur moi. Un enfant que tout comme vous, je ne peux davantage reconnaître et assumer au grand jour. Un enfant. Votre enfant.

Aussi, ai-je décidé de confier notre fils à Aurélien Bodargues, homme en qui j'ai suffisamment foi pour lui confier l'entière gérance de ma terre de Savenès en Guyenne. Sa femme est aussi bonne qu'il peut l'être et leurs enfants de joyeux poupons aux joues roses de santé. Arnoul y sera heureux. Bien plus que calfeutré dans mon appartement parisien. Vous pourrez évidemment lui rendre visite aussi souvent que vous le souhaitez, bien qu'un jour au l'autre, quand il aura l'age d'écouter, il faudra trouver comment vous présenter à lui.

Pourtant Marquis, en écrivant ces mots, l'amertume me gagne. Si vous m'aimez comme vous le dites. Si vous aimez notre fils, alors peut-être les jupons soyeux des princesses ne devraient-ils pas être si enviables à vos prunelles, quand femme et héritier vous avez. Il ne vous suffit que de les cueillir, malgré la légèreté du coquelicot.

Tu phir sar zanes.

Axelle.



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Aimbaud
Citation:



    Axelle,

    Mon ire était telle à la réception de votre missive, que toutes mes plumes ont brisé dans ma main, m'astreignant à laisser courir quelque délai avant que de vous répondre. Le temps qu'en poussent de nouvelles au cul des coqs. Durant ce moment d'attente, j'ai pu convenir qu'en vérité, je vous régalais en tombant dans une pareille colère, et comblait toutes les attentes qui sont vôtres.

    Car oui, ma petite Montalbanaise, vous vous délectez toujours des colères qui me prennent. Je commence à bien l'entendre, pensez, depuis le temps que l'on fricote. Vous adorez ça ! Cela vous distrait. Vous êtes en somme, une amatrice de théâtre. Vous aimez le drame. Les grands monologues jetés. L'emphase. Cela vous berce, j'imagine. Vous rappelle les moments mouvementés de votre jeunesse de sans-le-sous, les coups de bâtons de votre père ou que sais-je. En tous cas, vous m'aimez colérique. C'est amusant. Mon marquis est fou de moi ! Il glapit lorsque je le trompe. Il se désespère lorsque je le quitte. Il pleure lorsque je lui enlève son fils. Comme c'est divertissant. Spectaculaire.

    Or, mon amie. Moi, votre abonné, votre serviteur, je dois maintenant vous l'avouer. Je n'aime pas ça, le théâtre. C'est grossier. Convenu. Ça y crie, ça y pète, ça y braille, ça s'y transperce, ça y dégouline, ça m'ennuie. Moi je suis un homme de musique, plutôt. J'aime les mélodies bien composées, avec des voix qui s'accordent. Vous en avez sûrement entendu, de ces jolies bassedanses qui se jouent à la mode d'aujourd'hui ? Très douces, à suivre en couple, majestueuses. Ça ça me parle. Tout s'huile, s'agence, se rejoint. C'est plaisant. Cela me divertit.

    Évidement, me direz-vous, ouaaais bon vous, là, marquis, avec vos goûts de nobles à la troulalère-que-va-t'en-m'en-jeter-un-par-derrière, vous n'aimez que l'amour courtois, blablabli, vous vous croyez dans un manuscrits romanesque, gné gné gné. Et là je vous réponds : NON, fillette. J'ai AUSSI un goût immodéré pour les chansons paillardes. Je vous en chanterais bien même toutes les nuits du reste de ma vie d'insatiable pécheur, si tant est que je donne encore de la voix à l'heure de mes quatre-vingt-huit ou neuf ans.

    Il est à ce propos une chose que vous savez. Que vous ne daignez pas saisir. Et pour laquelle vous veillez à me punir, d'une animale façon. Et cette chose est la suivante : que les chansons paillardes ne se chantent qu'en privés quartiers. Jamais au vu et au su de tous. Ni avant. Ni après. Ni un jour. Onques. Point. Jamais. C'est ainsi. Car tout musicien que je suis, moi, j'ai honte de les connaître.

    Vous épouser, dites-vous ? Mais pensez, seulement, rien qu'une fois. Pensez. Offrir les terres de mon père à une fille née dans la rue, de noblesse à peine ? Être fait cocu dans les trois jours ? Donner le nom des Josselinière à une tripotée de marmousets à la peau cuivrée, baragouinant mots de gitan en guise de bon français ? Mais ma pauvre, ma toute charmante Axelle. Jamais de la vie. Tout bonnement. Au théâtre s'il vous plait. Pas chez moi. L'évoquer c'est déjà manquer de jugement.

    Ceci étant dit, si vous n'étiez pas dotée de ce si sauvage comportement - qui me plait tant au lit mais guère au dehors - il y a longtemps que je vous aurais installée dans mes quartiers, et fait vivre, dans le secret de mes murs, la vie de marquise que vous réclamez. Au lieu de cela, vous avez préféré battre le pavé du châtelet, mettre au fer et torturer des assassins, et puis vous jeter tous les jours dans des escarmouches à la petite semaine contre des brigands de Paris. Eh bien, ma foi, grand bien vous fasse. On a les loisirs qu'on peut.

    Vous vous remariez. C'est bien. Tous mes vœux.

    C'est sans grande surprise bien sûr, que je vous annonce mon désaccord quant au placement de notre fils chez un couple de paysans abêtis par le travail des champs, quelque part dans votre trou paumé de village du Tarn. J'enverrai dans la semaine un de mes hommes l'y chercher. Il sera placé auprès de mes gens à Nemours. J'aurai pour lui l'affection que vous ne pouvez lui promettre et, plus tard, l'encouragerai vers la chevalerie ou les ordres, suivant les aptitudes qu'il saura montrer. Ne vous opposez pas à cette décision, ce serait idiot, car elle comble vos attentes autant que les miennes, et j'entends qu'il en soit toujours ainsi entre nous.

    Je terminerai cette lettre en redisant avec quel plaisir profond je vous ai aimée tout le long de nos moments d'ensemble, et combien je me sens creux de m'apercevoir que, certainement, plus une seule de vos heures à venir ne me sera consacrée. J'avoue qu'au moment d'en convenir, mes poings perdent de leur vigueur, et ma gorge se serre de peine et d'envie. Je vous souhaite bien du bon temps, à et votre époux, des cornes longues, longues.

    Quelle pitié de traiter ces choses sur le papier plutôt que sur l'oreiller.

    Adieu mon Axelle, ma petite maîtresse, ma tant adorée.
    Je vous aime de par le ventre et l'esprit.
    Je vous aime beaucoup.


      Aimbaud de Josselinière


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Axelle
Citation:
Nemours,

Vous vouliez cacher votre colère ? Vous auriez certainement dû quand, de fait, je ne fais que suivre votre exemple. Mais baste, je n'aurai pas votre auguste pudeur quitte à ce que la pointe de ma plume déchire le vélin et que l'encre tache mes mots de vilaines éclaboussures. Votre prose m'inspire tant de révolte que je ne sais par où commencer.

Vilain homme.

Comment pouvez-vous sur la même page écrire m'aimer beaucoup et me cracher dessus comme vous le faîtes ? Dresser mon procès. Persifler mon passé, mon présent, mon futur. Ce passé même que j'ai accepté de vous confier quand il aurait été si facile d'en coudre un bien plus beau, bien plus mystérieux. Naïvement confiante, je vous ai dit la vérité, la triste vérité, la douloureuse vérité, et vous me la recrachez au visage comme si celle-ci déjà n'était pas assez pénible.

Méchant homme.

Persifler mon présent. Saboter mon travail. Souffleter mes efforts pour que ceux de votre sang puissent courir la ville sans risque. On a les loisirs qu'on peut dites-vous ? Alors que peut un homme dont le loisir est de brûler sa peau sur celle, trop sombre, trop indigne, d'une romanichelle ?

M
auvais homme.

Persifler mon futur, crachant et raillant la volonté que je mets à m'extraire de cette fange dans laquelle je suis née. Souhaiteriez vous me détruire que vous ne vous y prendriez pas autrement.

Pourtant vous avez une excuse que malgré ma colère, je vois. Que pouvez-vous comprendre de ce que je vous dis quand vous, c'est la soie qui vous à vu naître, vous épargnant dès votre premier cri le fardeau de devoir vous battre ?

Vil menteur.

Me faire vivre entre vos murs dites-vous ? Me pensez-vous assez idiote pour croire ces bas mensonges ? Jamais, jamais vous n'auriez pris le risque de faire vivre maîtresse et bâtard auprès de vous quand le regard de vos gens, de votre fille, de votre future épouse pouvait tomber sur mon ombre. Non, vous êtes bien trop pleutre pour prendre ce risque. Et vraiment, croyez-vous que j'aurai pu être heureuse, cachée à l'ombre de vos murs ? Oh, nul doute qu'à votre grande satisfaction, j'en aurai perdu mes couleurs. Une cage dorée, voilà donc ce qu'aujourd'hui vous agitez sous mon nez comme vous agiteriez un sachet de friandises sous le nez d'une gamine sans le lui donner pour la punir de son indocilité ? Tant pourrais-je vous aimer que jamais mon sang gitan et fier ne pourrait accepter finir putain.

Pour clore sur ce chapitre, mon époux aura peut-être des cornes, mais certes pas une femme aux cuisses froides dans son lit.

Indigne géniteur.

Entendez ce qu'il vous chante, chansons douces ou paillardes et reprenez vos décisions, vous n'avez aucune autorité pour les appliquer. Amer revers de médaille à ce secret si cher à votre cœur. Nul ne sait que dans les veines de cet enfant coule votre sang. Plus encore, nul même ne sait que vous et moi nous connaissons. Et je mets ma main à couper que jamais vous n'aurez le courage d'étaler vos péchés aux yeux de tous.

Lâche que vous êtes.

Envoyez un homme chercher mon fils et jamais plus vous ne le verrez. Envoyez en deux et tout Paris saura quel plaisir vous avez pris entre mes cuisses. Et miséricorde, ne mentez pas davantage en disant l'aimer quand sur lui aussi, vous crachez. De toutes vos injures, c'est bien la pire. Marmouset à la peau cuivrée, baragouinant mots de gitan en guise de bon français. Tels sont vos mots qui, s'ils s'appliquent aux frères qu'il aurait pu avoir, ne peuvent que s'adresser à lui également. J'en rirais presque à vous lire parlant de l'affection que vous lui porteriez si ce n'était si triste.

Vous m'aimez beaucoup ? Je vous ai aimé Nemours, avec passion. Aujourd’hui, c'est follement que je vous déteste.

Que le diable vous emporte et méfiez-vous, si les gitans sont à ce point rejetés et méprisés, c'est car leurs sortilèges ont pour habitude de se réaliser.

Axelle Casas.




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