Lettre pastorale adressée
Aux évêques de l’aristotélisme,
A l’universalité des fidèles,
A l’aube de l’automne et de notre nouveau mandat de Camerlingue de la Sainte Eglise
Aristotélicienne et Romaine, nous prenons la plume pour faire état de la situation à travers les
royaumes et nations du monde connu.
L’aristotélisme ne cesse de se propager par delà les frontières de la péninsule italique d’où il
rayonne. Les nations se rassemblent et l’on voit se créer le consistoire pontifical pour les
nations italophones et lusophones, les primaties et assemblées épiscopales pour le royaume de
Portugal et les territoires italiens, et déjà, auparavant la création des Eglises Aristotéliciennes
Autonomes en Orient. L’Eglise grandit et tente de rassembler tous les peuples auprès d’Elle
en jetant des ponts, notamment vers la Germanie qui reste encore trop en retrait du reste de la
communauté.
Toujours plus efficace, la diplomatie romaine intervient de plus en plus dans la résolution de
conflit, que se soit entre le Royaume de France et le Duché de Bretagne, ou plus localement
entre deux comtés comme se fut le cas entre le duché de Berry et le duché de Touraine. Son
influence dans les sphères du pouvoir temporel se fait également de plus en plus ressentir, et
l’on a vu l’Eglise intervenir fermement et faire preuve d’insistance auprès des comtés d’Artois
lors d’une révolte menée par des hérétiques, ou de Rouergue lorsqu’un conseiller
excommunié s’est vu choisi pour comte. Les relations diplomatiques avec certains cantons
d’Helvétie ont enfin couronné les actions menées militairement dans la région, rétablissant un
début de confiance envers l’Eglise et parachevant la lutte contre l’hérésie, malgré le fait que
ces entreprises restent précaires et incertaines.
Les dicastères romains ne cessent d’œuvrer à la grandeur de l’Eglise. Le Saint Office poursuit
son œuvre de traduction des textes avec sérieux et compétence, alors que la Sainte Inquisition
est en phase de se doter d’un nouveau droit canonique plus claire et performant avec une
décentralisation déjà entamée depuis plusieurs mois au profit des diocèses et de leurs
officialités. La congrégation des Saintes Armées accepte en son sein un nouvel ordre italien et
opère un assainissement de ses différents organes internes. Les légistes pontificaux quant à
eux, œuvrant depuis de longues semaines à l’édification d’un droit canonique fonctionnel sur
le clergé régulier, ont vu leur travail consacré lors de la publication de la bulle pontificale
« Regimini Régularis Ecclesiae ». L’office du Grand Camérier et la Congrégation pour la
Diffusion de la Foi, eux non plus, n’en sont pas en reste. Enfin, la nomination et la
redistribution des Chancelleries au sein du Sacré-Collège, selon les compétences de chacun,
est une pierre supplémentaire ajoutée à l’organisation plus commode des congrégations
romaines.
L’Eglise n’en oublie pas pour autant son magistère spirituel, et l’action des évêques au sein de
leur diocèse s’établit toujours plus fermement de jour en jour, même s’ils se trouvent parfois
confrontés à quelques réticences de la part des pouvoirs locaux ou des populations. La
stagnation des vocations et des études théologiques tend à ralentir la course de la Vraie Foi et
du magistère spirituel de l’Eglise, alors que curés et diacres sont surchargés de travail,
s’occupant parfois de nombreuses paroisses laissées vacantes par manque de théologien. Nous
tenons d’ailleurs à féliciter chaudement ces clercs au plus proche du peuple qui vouent plus
que leur existence à l’Eglise, et nous les encourageons à poursuivre, car même si leur travail
est parfois occulté sinon oublié des hautes sphères, s’ils ne sont pas récompensés ici bas par
quelque gratification, ils ne manqueront pas d’être récompensés au paradis solaire pour leurs
actions. Mais il vous faut aussi, vous évêques, encourager vos fidèles à s’engager au service
de l’Eglise. Le travail et la position de chacun est d’une importance capitale.
L’avancée de l’hérésie, quant à elle, semble de plus en plus maîtrisée et confinée, malgré
certaines résurgences en des points isolés des royaumes. Par contre, nous sommes
sensiblement préoccupés par la récurrence des actes et paroles blasphématoires des fidèles
croyants. Trop souvent d’aucuns s’arrogent des compétences qu’ils n’ont pas, des facultés
d’interprétation des textes, du dogme ou de la religion, commentant à tort la parole divine et
niant par la même l’autorité spirituelle et d’interprétation de l’Eglise, l’utilité de la hiérarchie
ecclésiastique et le fondement même de l’Institution divine.
Nous voyons également naître diverses tendances au sein même de notre communauté ;
certaines trop tolérantes, d’autre trop fondamentalistes. Il est important de trouver le juste
milieu entre ces deux attitudes, car l’une comme l’autre agisse contre les intérêts de l’Eglise,
et donc, contre le Tout-Puissant.
Le mot de « tolérance » est bien souvent recouvert de différentes significations, souvent
erronées ou utilisées mal à propos, et parfois même jusque chez les successeurs des apôtres.
Et comme nous le disions dans notre essai sur « La Croisade et de son absolue nécessité »,
«…il est des tempéraments plus prudes, plus angéliques, que les seuls mots de tempérance et
de liberté de for rendent heureux, mais qui s’effraient, voire s’offusquent d’entendre que des
hommes se battent au nom de Dieu. Pourtant, ces âmes pieuses qui défendent corps et âme ce
respect individuel et qui condamnent tout ce qui pourrait faire couler le sang pour la gloire du
Tout-Puissant, tolèrent d’autre part que l’homme, créature de Dieu et enfant du Père insulte
son Géniteur ». La tolérance n’a lieu d’être qu’entre fidèles de la Sainte Eglise. Il ne doit point
y avoir de bienveillance envers les hérétiques qui se complaisent dans leur blasphème
perpétuel. L’Eglise doit tendre la main, mais l’Eglise ne doit pas oublier qu’elle est Le
Représentant de Dieu sur terre.
D’autre par, cette « intolérance » que nous venons de prescrire envers l’hérésie, ne doit pas
pour autant nous conduire vers le fondamentalisme intégriste qui voudrait imposer par le feu
et le sang la Vraie Foi. Cette option peut s’avérer nécessaire et la Sainte Institution l’a déjà
utilisée à plusieurs reprises afin de contenir, sinon d’annihiler une hérésie naissante devenue
trop importante. Mais la violence rebute les populations souvent pauvres. Voir leurs œuvres,
acquises à la sueur de leur front par un labeur quotidien, détruites par une guerre, les réduisant
à l’état de mendicité, est sans doute la vision la plus dramatique qu’ils puissent imaginer. La
protection de leur famille est aussi l’une de leur préoccupation. Comment ne pas entendre et
comprendre cette voix ? La Sainte Eglise serait alors responsable de leur déchéance pour
avoir voulu imposer un concept qu’ils maîtrisent peu ou mal, eux qui n’ont point atteint l’état
de contemplation et d’adoration que nous autres prélats et curés avons atteint. Ils aiment Dieu,
c’est à n’en point douter, mais sont-ils près pour autant à tout perdre pour Lui ? Nous en
doutons, et c’est à l’Eglise de leur apprendre qu’une vie ne vaut pas la gloire du Très Haut,
mais que le Très-Haut vaut plus que toutes les vies de ce bas monde.
N’oublions pas que la créature sans nom est sans cesse à notre porte, et que la peur engendrée
par les guerres, fussent-elles saintes, est de son entreprise. Luttons contre cette peur avant
d’imposer une image idéalisée de la cité idéale entrevue par le prophète. La précipitation de sa
mise en place annihilerait tous les espoirs futurs de la voir naître éclatante. Il est prématuré de
croire que l’ensemble des populations est prêt à adhérer à un gouvernement où le spirituel
guiderait de manière totale le temporel qui lui serait subordonné.
Il est utopique de penser que la nourriture spirituelle suffirait à rassasier les peuples dont le
taux de foi fluctue au fil des saisons et des évènements. La noblesse n’est même plus une
référence en matière de religiosité, et l’on voit de plus en plus athées et hérétiques se voir
gratifier de l’état noble alors qu’ils n’ont de noblesse que le nom. Etrange conception d’un
« Foi, Vertu et Loyauté » que celui des Etats et institutions nationales qui accèdent aux
demandes d’anoblissement de telles personnes, qui n’ont d’égales que les condamnés
sélénites. La logique temporelle est dans bien des cas bancale. En actant ces patentes, ces
institutions, responsables et soi disant gardiennes de la noblesse, invitent l’hérésie et la
créature sans nom au sommet de « l’Etat des héros », sensé être porté en exemple auprès des
populations, conduire celle-ci, et régir leur vie quotidienne. Trop timorées pour prendre enfin
de réelles mesures, elles préfèrent se dédouaner de toute impiété en imposant à ses gardiens,
que l’on nomme hérauts, d’être baptisés. La logique temporelle fait une fois encore défaut.
Enfin, et pour finir, nous aimerions brosser un tableau, que nous aurions aimé sans doute
différent, de la religiosité des comtés de langue francophone, où l’Eglise a depuis toujours lié
de nombreuses relations diplomatiques. Et c’est conscient de la nécessité de glorifier ces
comtés qui œuvrent à la propagation de la Vraie Foi, et de stigmatiser ceux, qui au contraire,
abandonne le Tout-Puissant, que nous avons entrepris un relevé méthodique de différents
critères allant de la prohibition des cultes infidèles à la légitimation du pouvoir comtal par
l’Eglise, en passant par les privilèges cléricaux et dicastèriens – officialités épiscopales et
garde épiscopale –. Sur vingt-trois comtés en lice, seuls cinq peuvent se targuer d’être comté
aristotélicien, nation fille de l’Eglise.
En outre, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que les provinces les plus stables
politiquement, les plus florissantes économiquement, et les plus sages socialement, sont les
comtés où l’aristotélisme n’est plus illusion, mais fait réel. Que nous citions Rennes ou Dijon,
tous louent la réussite de ces régions. Grâce à la Champagne, qui dernièrement encore,
accordait une aide financière conséquente à l’épiscopat local de manière régulière et fixe, et à
l’Orléanais, le Domaine Royal pointe doucement hors de l’ombre honteuse dans laquelle il est
plongé, tiré vers le bas par Rouen. Mais il s’y trouve toujours, hélas…
Puisse Dieu inspirer la crainte aux comtés réfractaires, mais aussi sagesse pour qu’ils
recouvrent le droit chemin, et qu’ils œuvrent enfin à la sanctification de Son œuvre.
Sans surprise, la Bretagne (17) pointe en tête, suivie de la Bourgogne (15), des Flandres
(15) et de la Provence (15), le duché de Champagne (14) sauve l’honneur du Domaine Royal.
Vient ensuite l’Orléanais (13), l’Auvergne (10), la Touraine (10). Les duchés et comtés
d’Alençon (9), d’Artois (9), de Lorraine (9), du Maine (9) et du Poitou (9) accèdent à un
même niveau. Le Berry (8 ) et le Languedoc (8 ) suivent hélas péniblement. La Franche
Comté (7) et la Savoie (7) obtiennent sensiblement la même place. Enfin, viennent six
provinces du Royaume de France qui n’ont de considération pour le Très-Haut que la
moquerie et l’insulte. Celles-ci sont le Dauphiné (5), la Guyenne (5), la Normandie (5),
le Limousin (4), le Périgord (2) et l’Anjou (0). Les nouveaux duchés et comtés que sont
l’Armagnac, le Béarn, la Gascogne, le Rouergue et Toulouse, placés récemment sous
l’autorité suzeraine du Roi de France, n’ont pas été pris en compte.
Et déjà, nous voyons plusieurs provinces de l’Empire reconsidérer la place de l’Eglise au sein
de leur organisation, ouvrant la voie à de nouvelles négociations concordataires. Le chemin de
la Lumière n’est pas loin et les volontés de rapprochement de la part des autorités temporelles
sonnent comme une ère de renouveau, où foi et politique gèrent ensemble et en osmose la
Cité. Et c’est dans cette optique que nous encourageons ces comtés à poursuivre leur œuvre et
rejoindre ainsi le peloton de tête auquel ils sont destinés à appartenir.
Nous voudrions conclure cette lettre en vous affirmant de la manière la plus vive notre souhait
que vous poursuiviez la route qui mène au Très-Haut, que vous découvriez toutes Ses facettes
et que vous accédiez au plus proche de la vertu. Nous terminerons enfin en vous accordant
notre bénédiction apostolique.
Vicomte Aaron de Nagan,
Cardinal-Archevêque de Reims,
Camerlingue de la Sainte Eglise Aristotélicienne,
Chancelier de la Nonciature Apostolique.

Donné à Rome, en notre palais de la Nonciature, le XXVIII septembre de l’an de grâce
MCDLVI de notre Seigneur.