Enjoy
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Des nuages ténébreux se rassasient au goulot de cheminées étriquées crachant de suie. Le miroitement de cette mer d'opacité subsiste et s'agite au gré de virevoltes rougeoyantes de quelques escarbilles. Des rangées entières de bicoques aux façades décrépites se serrent les unes contre les autres se couchant parfois sur leurs congénères et ne tenant que par des croisillons ou des poutres de soutien. Les bases des murs particulièrement entamées pataugent au sein d'un mélange de boue, de vomissures, de fèces et parfois même de fluides corporels. Le silence ne s'accordant que de rares pauses le tintamarre perpétuel couvre les cris d'un pauvre erre ravalant son extrait de naissance ou encore d'une candide ne dévoilant ses charmes que sous la contrainte d'une férocité inhumaine. Y règne une sensation dérangeante, une terre des interdits où les ombres hostiles happent les esprits les plus faibles. Diverses strates de la lie de la société y sévissent, besognant telles des ribaudes affamées et s'en évadant pour la plupart à l'orée du crépuscule. Ici seuls ceux appartenant à la plus haute caste y séjournent et imposent leur volonté malfaisante.
Tandis que la nuit tentaculaire dévore Paris, les fenêtres, semblables à des meurtrières, se parent de lumière. Des silhouettes dansantes se dévoilent à la lueur d'une bougie, les âtres tortionnaires infligent leurs courroux aux brasiers agonisants qui se réveilleront tels des phnix ressuscités et où les senteurs de mets fumés se mêlent aux effluves habituels de la cité. L'endroit se voudrait presque hôte affable en cette heure si tardive si les bruits inquiétants devenaient enfin aphasiques. Parmi l'agitation ensommeillée une imposante bâtisse insuffle le contraste. La demeure délabrée d'une Corleone glissant dangereusement vers le seuil d'une existence gangrenée où chaque décision n'a été qu'une marche de plus vers le vice. Un chemin sans issue duquel l'asphyxie longanime guette, attrape à la gorge et ôte le dernier soupir avec une telle ferveur qu'on la croirait religion.
Réanimant les flammes paresseuses à l'aide d'un vieux tisonnier, son regard sombre s'y égare un long moment avant que ses paupières se closent. L'inconscient tisse habilement des histoires à ses rêveries leur conférant un aspect réaliste bien que fantasmé. Evidemment de nombreux faciès d'outre-tombe s'incrustent et s'imbriquent au décor sans forcément y tenir un rôle particulier. D'innombrables tourments prédominent éternellement au sein de ses cogitations qu'elles soient éveillées ou non. Et lorsque la lionne s'apaise légèrement, ses songes la châtient en se muant en cauchemars. Jamais. Jamais elle ne trouvera le repos. Seule la mort le pourra. Elle pourrait en finir seulement ceux de son sang ne périssent pas de cette façon. Ils y préfèrent la violence des combats puisque du premier jour jusqu'à son antagoniste, ils consument la mèche par les deux bouts. Aucun n'ira rejoindre paisiblement sa couche en sachant l'aube orpheline de leur présence.
Une rémige à la barbe aux quatre vents se contorsionne, s'ébroue parfois d'une encre de piètre qualité et s'use de nouveau au contact d'un vélin neuf. Une attention toute particulière est portée aux courbes des lettres, les mots même si peu nombreux se délient avec la gracieuseté d'un ruban de soie. Les lippes transalpines se meuvent formant à l'occasion un léger rictus trahissant sa concentration. Sa destinataire tenait une place privilégiée et si le mors des déclarations servaient souvent, stoppant net tout épanchement, toute marque d'affection physique, l'implicite s'arrogeait la puissance caractéristique des non-dits. Cette missive se conférait une valeur aussi inestimable qu'un trésor. La quiétude de l'instant ne saurait être violée car ses conséquences seraient désastreuses. Mais, bien souvent les phrases s'estompaient avant de noircir la page comme si l'inspiration volatile s'efforcer de s'évader de sa cage à la moindre opportunité et ne reviendrait jamais y nicher de nouveau.
Lassée par sa penne inexpressive l'italienne déserta sa mise au profit d'un baquet d'eau chaude et vaporeuse. Humant les fragrances d'essence de rose avec délectation tandis qu'elles finirent leur ascension en embrassant le plafond. Alors que Corleone enchaînait les périodes de disette, son corps pouvait enfin se revigorer auprès d'un confort tout relatif. Puisque la toiture parsemée de trous fuitait allègrement, les courants d'air claquaient les portes intérieures malgré la lourdeur de ces dernières et la poussière ainsi que les toiles de ces artistes d'arachnides envahissaient pratiquement tout l'espace vital. L'ex-meneuse n'y séjournait désormais qu'épisodiquement et cela faisait bien des mois que son acariâtreté n'était pas venue hanter les ruelles infâmes du quartier. Âme errante en quête de contrats, le Clan et ses survivants paraissaient si loin. Un hier révolu, les cendres d'une gloire étiolée. La sienne. Et elle apprenait tant bien que mal à élaguer sa fierté afin que les bourgeons de sa vanité ne fleurissent plus même lorsque cela en sera la saison. Un mouvement de sa main forma des ridules au sein de son bain et happée une nouvelle fois par le calme hypnotique, ses yeux clignèrent avant que Morphée ne la porte entre ses bras.
Mare Tranquillitatis : Mer de la tranquillité.
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