Gabriele.
- Vérone, quatre ans auparavant.
Que fait un séducteur lorsqu'il grandit dans une maison close réputée d'une petite ville italienne proche de Venise ? Il séduit, bien entendu. Il faut dire que dans ce bordel, il y en a pour tous les goûts. Des grosses, des fines, des raffinées et des vulgaires, des jeunes et des vieilles. Fils de la tenancière, j'ai bien entendu les faveurs de toutes ces dames, sans exception, mais ce ne sont pas celles-ci qui m'intéressent. La facilité ne m'a jamais attiré, j'aime les défis, j'aime ce qui est hors-normes. Et j'aime encore plus rendre folle ma mère. J'ai donc jeté mon dévolu sur une petite créature fragile et encore pour le moins naïve, la petite protégée de ma maquerelle maternelle, qui souhaitait sans doute en faire une pièce maîtresse parmi les filles dont elle vendait les services aux plus offrants. Après tout, cette manipulatrice née ne fait jamais rien sans arrière-pensées. Si elle prend soin de cette jeune fille, c'est uniquement car elle peut en tirer quelques avantages, elle n'est pas du genre à perdre son précieux temps.
Cette femme a bien été capable de vendre l'un de ses fils...Même si je ne le saurai que bien plus tard. En tout cas, elle n'a pas tort, la petite pucelle qu'elle garde précieusement entre ses murs possède beaucoup de potentiel, et je n'ai pas mis longtemps à m'en rendre compte, et à commencer mon avancée des plus ingénieuses, à la manière des requins qui s'approchent de plus en plus de leur proie en rétrécissant le cercle autour d'elle.
« - Esmée ? Il est l'heure de ta leçon. »*
Voici ma stratégie. Depuis plusieurs semaines, je m'arrange pour que ma mère me laisse apprendre la lecture et l'écriture à la jeune ingénue. Je gagne petit à petit du terrain sur le cur de l'innocente qui ne tardera sans doute pas à me céder totalement. Les cours que je me suis mis en tête de dispenser portent leurs fruits de semaine en semaine, et à chaque fois que je la revois, je me souviens pourquoi je me donne tout ce mal. Les cheveux d'or dont les mèches lui tombent parfois devant les yeux alors qu'elle étudie et que j'ai envie de replacer, ce regard perçant dont la couleur fait écho au mien, et ce visage presque encore poupon tant il est juvénile. Je la veux à moi...Elle sera mienne, même si je dois patienter des mois durant. Il arrive parfois que le chasseur piste sa proie pendant des semaines avant de pouvoir enfin la mettre à terre, et j'ai tout mon temps devant moi, la chasse est grisante, presque plus que l'obtention du trophée. Il faut faire attention à la moindre brindille sous ses pieds, au sens du vent pour ne pas se faire repérer, la subtilité et la discrétion doivent être deux qualités maîtresses lorsqu'on veut s'approcher du gibier.
Je la mène, comme à chaque fois, dans un bureau aménagé spécialement, loin de tous les regards indiscrets, et de toutes les nuisances sonores propres à l'endroit où nous nous trouvons. Le lieu est propice à l'étude, et aux cheminements de pensée les plus divers. Dans mon cas, inutile de demander ce à quoi je pense. Je suis obnubilé par ma jeune élève, me demandant de quelle façon hâter sa reddition, sans pour autant la brusquer. Je ne tiens pas à obtenir l'effet inverse en la faisant se renfermer à nouveau.
Nous sommes jeunes, nous sommes beaux et désirables. Et si nous capitulions ensemble ? Rends les armes, belle candide. Tu ne pourras me résister à tout jamais. Le cours débute toujours par un même rituel : Je te fais écrire ton prénom, et le mien à côté, chaque jour une nouvelle fois, afin que tu maîtrises au moins cela. Puis je te les fais lire. J'aime la sonorité de mon prénom entre tes lèvres, ta voix est chaude et fait vibrer mon être. Même ta voix est séduisante. Je te veux. Maintenant.
Et je me retiens, une fois de plus, car je souhaite que l'abandon vienne de toi. Je ne veux pas essuyer de refus. On ne repousse pas Gabriele, jamais.
« - Tu progresses bien. »
Je suis debout derrière elle, et du doigt, je suis une ligne d'un ouvrage relativement simple. Je la fais lire, légèrement penché vers elle, la corrigeant de temps à autre, afin que son expression soit la meilleure possible. Je suis perfectionniste dans l'âme. Il faut que tout soit parfait. Autant qu'elle.
Imperceptiblement, je souffle contre son oreille, admonestant à voix basse les insuffisances de langage de la jeune apprentie. Je suis si proche de sa peau que je peux la sentir, que j'ai envie de la goûter. Je suis sûr qu'elle a une saveur exquise. Peut-être une effluve d'agrumes, ou bien de fleurs de saison. La lavande, qui sait ? J'ai envie de poser mes lèvres sur ta carnation. J'aimerais te dévorer toute crue.
Ici et maintenant.
Je me lance, je passe une main dans tes cheveux ambrés, et je me fige en attendant ta réaction, bonne ou mauvaise. Il me fallait te toucher, irrémédiablement. Il me faut te goûter dans l'instant. Savoure-moi toi aussi, profite donc du cadeau que je te fais. Toutes ne peuvent se vanter d'avoir à portée de main Apollon dans toute sa splendeur.
- * Pour plus de compréhension, le texte est laissé en français. Néanmoins Gabriele et Esmée ne s'exprimeront qu'en Italien.
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