Arsene
- « La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secoués par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l'air noir des gigues nonpareilles,
Tandis, que leurs pieds sont la pâture des loups. »
Paul Verlaine Effet de nuit.
- En rase campagne Avril 1464.
La silhouette aux courbes effilées s'est fondue au creux du brouillard épais, scindant de sa stature impitoyable les volutes d'air chargées d'une humidité saisissante. Elle se mêle à l'obscurité ambiante, entraînant dans son sillon embué une myriade de gouttelettes. Sous l'auspice d'une fraîcheur recouvrée, Hiver s'immisce à nouveau, obstiné et acharné, il ne lègue sa place sans livrer bataille. La froideur, molosse belliqueux de la saison, étire ses griffes et ses mâchoires béantes sur les âmes errantes, aspirant sans vergogne la moindre parcelle de chaleur au sein des corps endoloris par le froid. Corleone s'avance, le bruissement de l'herbe humide sous ses bottes usées assistant chacun de ses pas, ritournelle incessante accompagnant sa pénitence. Elle s'éloigne vivement du bourg endormi, entraînant sur son passage sa troupe. Les sinoples atterrées s'attardent sur la silhouette des toitures encore perceptibles, cherchant à y déceler l'ombre familière de l'époux et du fils délaissés. Les entrailles se tordent violemment, déchirée entre ses responsabilités de meneuse et ses envies de femme, elle fait bonne figure. Arborant volontairement un masque de froideur, le visage aux traits hautains s'expose au regard de ses compagnons, fermé et acerbe. Et Corleone sous son faciès fier, prend des allures de suppliciée, veillant toutefois à ce que le fiel de son amertume ne craquelle sa carapace en une myriade de morceaux.
Sous couvert d'occupations, la jeune femme a organisé un tournoi interne visant à faire se mesurer des mercenaires déjà rodés à la rapine de grands chemins mais aussi de jeunes recrues qui tâteront du poing et de la lame pour la première fois. C'est également l'occasion de resserrer des liens qui apparaissent compromis par l'animosité des caractères différents qui se côtoient chaque jour. Et de rappeler à chacun l'esprit du clan. Frères d'armes et de larmes, remparts infatigables et insatiables contre les quidams belliqueux, le groupe se doit de rester soudé. Depuis quelques jours, ses pas sont mêlés à ceux de ces compagnons de fortune et les sinoples sattellent à veiller sur eux. A la faveur de la noirceur d'une nuit sans lune, les silhouettes efflanquées sont tapies au creux d'une végétation en quête de renouveau, les pupilles à la lueur vive et tenace se braquent régulièrement sur le sentier en contrebas, cherchant à y déceler la silhouette prometteuse d'un voyageur imprudent. L'ouïe se fait plus attentive dans l'espoir de distinguer le craquement singulier des pierres et brindilles sous une botte un peu trop aventureuse ou le choc tonitruant des écus d'une bourse bien trop remplie.
L'ombre du Cerbère et du vice plane derrière la Meneuse, gorgeant l'air de sa malveillante présence, l'animal antique s'élève et se dresse, veillant à emplir la raison féminine de ses envies. Son souffle brûlant s'attarde autour d'elle, emplissant ses poumons jusqu'à lasphyxie. Cerbère cherche à se repaître, se jouant de sa marionnette rousse pour mieux la contrôler. A vos armes, pèlerins et voyageurs ne sont plus loin.
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