[Port d'El Mina]Les préparatifs d'un tel voyage avait demandé des mois. Il avait fallu armer des caraques, trouver des équipages, engager pas loin d'un milliers d'hommes qui constitueraient leur escorte, prévoir les armes et les vivres en conséquence, décider d'un itinéraire tant maritime que terrestre et contacter les chefs de ports et les autorités villageoises.
Fort heureusement, Coligny les secondait à merveille dans cette tâche d'autant que ce n'était pas son premier départ pour Tamerlan, ayant été du premier voyage lorsque le prince impérial devait assister au couronnement de sa mère.
Au grand dam de l'Impératrice, une symbiose s'était opéré entre le jeune homme et ce pays si beau et si terrible. Il y avait gagné son surnom d'Amir Hazin et quelques amitiés solides dont celle de Djalal ad Din, un vieux sage qui lui avait patiemment enseigné la sagesse du désert et des hommes rudes qui y vivaient. Il avait essayé de puiser dans cette culture les bases permettant de la comprendre et de l'aimer. Il y avait appris la valeur d'une goutte d'eau quand d'autres font débauche de luxe et d'or et tout naturellement, un goufre s'était creusé entre celui qu'on appelait Amir Hazin et sa famille.
Lors de ce premier séjour, sa mère l'avait nommé Nizam de la guerre, la seule charge qu'il aurait acceptée. Toutefois, elle avait pensé le cantonner dans un bureau et, pour aussi confortable fut-il, son caractère s'était mal accommodé de cette situation, lui qui était homme de terrain et ne rêvait qu'être auprès de ses hommes. Comprenant qu'il la servirait mal, il avait décidé de rentrer en Empire auprès des ses frères d'armes. Pourtant, tout au fond de lui, il avait conservé la nostalgie de ce pays, aussi, lorsqu'Elektra lui proposa de retourner en Tamerlan, accepta t-il aussitôt.
Depuis que sa sur avait hérité de tous les biens de sa mère, il ignorait ce qu'il était advenu de l'Empire. Peut-être était-il retourné aux sables du désert... Ses missives envoyées à Djalal n'avaient jamais reçu de réponses. Étaient-elles seulement parvenues à leur destinataire... Les pirates régnaient en maitres absolus sur la méditerranée et chanceux étaient les navires qui arrivaient à bon port. Dans le meilleur des cas ils finissaient coulés, dans le pire, ils changeaient de capitaines pour battre pavillon noir et l'équipage était vendu au plus offrant. Quant aux femmes, elles finissaient le plus souvent dans un harem. Et c'est à cela que pensait le Ténébreux en fixant l'horizon, la main accrochée à un hauban et le pied reposant négligemment sur le bastingage. Il avait fait doubler les canons à bord de toutes les caraques et avait embarqué assez de tonneaux de poudre noire pour tenir tête à une armada turque.
Le Ténébreux avait entendu dire que les Portugais avaient ouvert une autre voie maritime qui longeait les côtes de l'Afrique jusqu'à doubler le Cap de Bonne Espérance, mais aucun équipage n'avait pu lui assurer en connaitre la route, route, qui, au demeurant, eut été bien plus longue, aussi n'avaient-ils d'autres choix que d'affronter la traversée de la mer bleue jusqu'au port d'El-Mina, où ils débarqueraient. De là, une caravane les conduirait jusqu'à Kandahar, la capitale du royaume d'Elektra : Hindi Kush qu'ils aborderaient par le Nord. Longtemps contrôlée par les Timurides, descendants directs de Tamerlan le boiteux, la région avait été plus ou moins pacifiée. Plutôt moins que plus d'ailleurs car les révoltes de chefs de guerre locaux compromettait l'équilibre de tout cet Empire fondé par sa mère et ses amis. Il faudrait donc se montrer très prudent dans les déplacements et envoyer moultes éclaireurs pour tenter de négocier le passage de la caravane en soudoyant chefs de villages, ou groupes armés. C'est pourquoi, le Ténébreux s'était assuré d'une armée de plus d'un millier d'hommes appuyée de couleuvrines et de canons. Combien de nuits, la tête blonde et la tête brune s'étaient-elles penchées sur des cartes... il n'aurait su le dire. Mais ils n'avaient rien laissé au hasard et avaient sécurisé cette expédition aussi bien qu'ils pouvaient le faire. Pour le reste, Mektoub !
La cabine principale de la caraque amirale aménagée pour offrir autant de confort qu'il était possible d'espérer sur un navire, abritait sa famille. Elektra bien sûr qu'il ne quittait pas d'un jour, et Alexander qu'ils n'avaient su se résoudre à laisser en Lorraine malgré les dangers d'un tel voyage. Le Ténébreux s'amusait de voir à quel point cet enfant qui n'était pas le sien, lui ressemblait davantage de jour en jour, point qu'on finissait par oublier les traits d'un autre tant ses mimiques en faisaient sa copie conforme, jusqu'aux froncements de sourcils qu'il avait singé au départ jusqu'à les faire siens. Tout comme lui, l'amour de la mer et de la navigation coulait dans ses veines et il avait fallu déployer la plus grande patience pour lui faire comprendre que grimper dans les haubans n'était pas de son âge. Tout naturellement, il était devenu la mascotte de l'équipage, de rudes marins pourtant peu enclin à s'épancher à la vue d'un gamin.
Et lorsque tombait la nuit, il n'était pas rare de les trouver tous deux couchés sur le pont arrière les bras repliés sous la tête à observer le ciel. Il lui racontait les étoiles jusqu'à ce qu'il s'endorme, épuisé de vent du large.
Le plus souvent, Elektra les rejoignait, s'installant plus confortablement sur sa large poitrine qui la recevait avec autant de bonheur qu'au tout premier jour de leur amour.
Il fallut un peu moins d'un mois pour arriver à Tripoli n'ayant à déplorer aucune mauvaise rencontre. Les équipages se chargèrent de débarquer la cargaison sous la garde d'une centaine d'hommes armés supervisés par Coligny tandis qu'il avait donné quartier libre au reste de la troupe.
Son premier soin fut de s'enquérir d''un lieu quelque peu éloigné du port afin d'y établir leurs quartiers pour quelques jours, le temps que la caravane soit prête au départ.
L'air était plein de chaleur et de l'odeur dépaysantes des épices. S'il n'avait été que de lui, il n'aurait guère attendu plus longtemps avant de parcourir le souk. Mais ils avaient besoin de repos.
Alexander, effrayé par tant de nouveautés, ne lâchait pas sa main. Sentant les craintes de l'enfant, il le souleva dans ses bras.
- Viens là, bonhomme, tu y verras mieux. Et ainsi rassuré par la poitrine paternelle, la curiosité du gamin ne tarda pas à reprendre le dessus.
- A c'est quoi ça papa ? Et ça !!!! Oh regarde mama ! Le zeval il a une bosse ! Le Ténébreux enlaça la taille de sa femme et glissa ses lèvres à son cou.
- Allons prendre un peu de repos, il sera temps demain pour quelques achats.Suivis par leurs plus proches amis, le petit groupe quitta l'effervescence du port pour la vieille ville.