Samsa
- "Promenons-nous dans les bois,
Pendant que le loup n'y est pas.
Si le loup y était,
Il nous mangerait." (comptine française)
Elle l'avait promis à la reine d'Allemagne quand elle l'avait rencontré à Joinville : elle viendrait la voir un jour, en Allemagne. Elle s'était décidée maintenant, et, maintenant revenue du sud, elle faisait route vers l'Est, traversant les paysages encore désolés de la guerre et des sièges en Champagne. Que de bêtises et de déshonneur pour la France. Comme si se battre jusqu'au dernier était une preuve d'honneur et d'intelligence, et comme d'habitude, on ne l'avait pas écouté quand elle avait prédit le raid angevin dans le dos. On ne l'écoutait jamais de toute façon, seules Zelha, Rabi et Hersent avaient su faire preuve d'écoute, d'humilité et d'intelligence. Mais Zelha était morte, Rabi était reine d'Allemagne, et Hersent n'avait pas assez de pouvoir en tant que GARF, et voilà comment Samsa, telle une presque Cassandre, prédisait sans jamais être ni écoutée ni crue. Elle en finissait par laisser tomber la France, par ne plus essayer de tendre un filet salvateur. Voilà, elle s'en irait en Allemagne quelques temps, ça lui ferait du bien. Elle ne supportait plus personne de très haut-placé de toute façon.
Quel comble pour une Secrétaire Royale.
Elle flatta l'encolure de sa monture quand ils entrèrent en Empire. Elle ne montait pas Guerroyant cette fois, son grand et courageux destrier bai qu'elle utilisait durant ses charges à la guerre, car elle avait dû le laisser à un soigneur pour des soucis de vers. Celui-ci était gris, robuste, mais plus craintif que son Guerroyant. Souvent, Samsa avait dû le reprendre parce qu'un lapin traversait la voie en détalant. Au moins, elle serait certaine qu'elle ne combattrait pas contre son gré avec lui. C'était son truc, se battre contre tout et n'importe quoi, et ça se voyait.
Rustique, Samsa n'était pas vraiment grande, ni qualifiable de petite. Elle avait une silhouette charpentée qui renfermait une force difficilement visible et jugeable, surprenant souvent ses adversaires par la puissance qu'elle pouvait déployer pour une femme de son gabarit. Vêtue de gris et de noir, seules ses braies étaient blanches, et il était hors de question pour elle de les changer au profit d'une couleur plus harmonieuse; elle y tenait plus qu'à n'importe quoi, seul souvenir matériel de sa vie à Chinon, et donc de l'époque de Zyg. Sous ses braies, dissimulées, elle portait des grèves, fait qui n'était pas pour les cuissots sur ses cuisses. Toujours une cotte de maille l'habillait sous sa chemise, presque aussi inséparable que l'épée à sa hanche gauche. Un bouclier était fixé à son épaule gauche par une lanière de cuir en bandoulière, et des gantelets, de cuir en dessous et de métal au-dessus, protégeaient sans cesse ses mains. La barbute était accrochée à la selle, réduisant trop son champ de vision latéral pour être portée à cheval durant un voyage. Ses petits yeux sombres aux étincelles métalliques éparses pouvaient ainsi former leurs mouvements vifs sur son environnement. Un léger coup de tête vint écarter une mèche de son visage martial qui savait cependant s'animer de tout sentiment. Ses cheveux, quant à eux, étaient entre le roux ou le brun, et elle se demandait encore si elle était rousse ou brune. Les deux, sans doute.
Lentement, le soleil déclinait, posant sur le ciel des reflets roses et orangés qui s'accrochaient aux arbres de la forêt d'en face. Samsa tira un instant sur les rênes pour arrêter son cheval et s'appuya sur son encolure pour prendre le temps de savourer cette vision.
Vivre, elle avait su. Mourir, elle ne savait pas, mais tenter, elle savait. Revivre, elle apprenait, et ça passait entre autre par ce sourire qui nait sur ses lèvres, serein. C'était déjà beaucoup quand on savait toutes les épreuves, tous les états, qu'elle avait traversé Elle prenait la beauté de la nature comme un cadeau qui lui était fait, un signe qui lui était adressé, de la part de Zyg.
Elle enserra les flancs de sa monture de ses talons pour lui intimer l'ordre de repartir, vers la forêt. A l'instant où la plaine fut derrière, où la forêt fut le nouvel environnement, la Cerbère raccourcit ses rênes, son épaule protégée se releva légèrement et ses muscles se parèrent à toute éventualité, donnant la sensation extérieure qu'elle se ramassait sur elle-même.
Quel meilleur endroit pour se prendre une coquille sur la tête ?
_________________