Wallerand
- [Avant le grand jour - Tranches de préparatifs]
A lorée du mariage, il restait encore quelques choses à faire en marge de la très officielle publication des bans. Et pas des moindres... Par exemple, il fallait envisager lenvoi des invitations. Facile, dirait-on, mais cette anodine activité revêtait parfois un caractère un peu tendu.
Alors, nous sommes daccord sur votre père, Goddefroy, Rébecca et Malcom, et puis Ysoir. Ne sont évidemment pas négociables Acrisius, Alvira, Kenny, Karec, Max et Nortimer.
Et Martin. Vous oubliez Martin.
Ah oui, mes excuses. Peut-être Riwenn et Valeryane, aussi ?
Il y aurait lEndive avec Val...
Certes. Et javoue que ses grands airs... Bref. Riwenn, donc. Cela dit, rien nempêche linvitation à la maître couturière qui nous a habillés ? Dailleurs, où donc est planquée votre robe ?
Curieux ! Pas avant le mariage !
Tant pis, jaurai essayé...
Encore une fois, oui.
Donc, qui dautre invitons-nous ?
Cétait le moment que le Beauharnais attendait pour entamer sur le sujet qui, fatalement, mettrait un brin deau dans le gaz. Le petit flottement qui lui permettrait de caser la première étape...
Pourquoi pas Alans et Margauth ? Vous les appréciez.
Ca tombe bien, je voulais vous en parler.
Et Fred ? Lancien maire de Mimizan ?
Aussi. Et... Gerei ne pourra pas être là, mais jaimerais lui envoyer une invitation quand même... Si le message le trouve, en tout cas.
Oui... Où est-il, actuellement ?
Difficile à dire. Sans doute dans le désert. Son dernier courrier était pessimiste sur les chances quil avait de le traverser.
Ah. Effectivement, il aurait eu du mal à être votre témoin.
Et je le regrette... Je voulais aussi vous demander... Lui et Sashah sont plus que proches. Si jai bien compris, ils sont amants - courtois ou non, ça ne me regarde pas et je men fous. Mais je me disais que si elle était là, elle saurait lui dépeindre la cérémonie à son retour, si ça lintéresse. Elle est douée avec les mots, et ça pourrait être... Une sorte de rattrapage.
Et toc. Cétait lancé, mais manifestement pas apprécié. Le front de Bella sétait couvert dune ombre menaçante et au fond des yeux de jade dansait une petite lueur facilement reconnaissable tant elle ressemblait à celle qui lanimait quand elle avait découvert la fort brutale dernière correspondance entre Wallerand et son ancienne compagne. Levant lindex pour la couper dans son élan (cétait quil sentait venir la tempête, pas fou le guêpon !), le Beauharnais reprit :
Soyons clairs... Je ne ressens plus rien pour elle, rien du tout. Mais cest la première femme à qui jai été fidèle, et elle est liée à un homme que jestime assez pour avoir espéré quil soit mon témoin.
Mouais.
Et comme vous vous en souvenez sans doute, je lui ai écrit quelle serait la bienvenue à nos noces si elle le souhaitait.
Ca, vous auriez pu éviter.
Je men suis douté, vu votre réaction...
Vous y tenez vraiment ?
Vous savez quelle ne viendra sûrement pas.
Cest possible... Et si elle vient ?
Elle sera la bienvenue. Enfin, quest-ce qui vous gêne ? Je ne compte pas vous abandonner au pied de lautel, voyons !
Hmmm...
Cest plutôt moi qui devrais me faire du souci pour ça !
Un gloussement séleva à la dernière remarque du fiancé, manifestement taquin, et la bisbille fut oubliée au profit de baisers, autrement plus appréciables. Mais il restait encore à faire, évidemment ! Il restait à envoyer les invitations, éventuellement assorties dun mot plus personnel. Et ensuite ils finirent de décider, avec Béatrix et Adalarde, ce dont le repas qui suivrait loffice serait suivi. Et ils devaient encore décider sils embauchaient quelques uns de ces musiciens qui se donnaient en spectacle ici ou là en Gascogne. Et il fallait déterminer la manière dont ils orneraient léglise. Et... Et il y avait encore pas mal de choses à faire, au bout du compte.
- [14 novembre 1463 - Jour J]
Dire quil sétait levé aux aurores était tout, sauf un euphémisme. Wallerand avait eu un mal de chien à trouver le sommeil la veille, plus par impatience que par angoisse. En soi, lidée dépouser une femme - pas nimporte laquelle, certes - avait fait son chemin si naturellement quelle ne le faisait plus bondir comme dans sa jeunesse quelque peu dissolue. Elle le réjouissait, même. Même la pire demande imaginable, même lopportunité pour sa maîtresse daccéder à de hautes fonctions ecclésiastiques (si malheureuses quen aient été les circonstances), même ses propres insuffisances et ses défauts navaient pas empêché que cela arrive... Donc ces épousailles devaient être écrites. Le sentiment dun destin qui saccomplissait avait quelque chose dexaltant, même si le jeune homme avait u la sensation de passer son temps à courir pendant les quelques jours qui avaient précédé ce samedi.
Avec laube qui se levait, il put constater de la fenêtre de son appartement, cadre familier réintégré pour se retrouver seul et totalement tranquille à la veille dun engagement comme il nen avait jamais pris, que ce serait une belle journée... Avant de commencer à faire les cent pas. Alliances ? Nortimer avait dû sen occuper. Ou Alvira. Idéalement, les deux ensemble : ça leur aurait sans doute évité de tomber dans diverses fantaisies dont ils étaient capables seuls. Habits ? Préparés par Valeryane quelque temps plus tôt, pliés dans son coffre ad hoc, prêts à être passés, impeccablement propres. Autres éléments ? La décoration de léglise, florale et discrète, était faite depuis la veille au soir ; le repas avait été élaboré par deux cuisinières sentendant comme larrons en foire ; le problème de la musique avait été réglé ; les invitations avaient été envoyées...
Moralité, il ny avait vraiment pas de quoi sinquiéter, et Wallerand avait largement son temps avant davoir à se rendre à léglise. Aussi entreprit-il, alors que séveillait la cour commerçante au-dessus de laquelle il logeait pour sa dernière nuit de célibataire (curieux concept), une toilette plus soignée encore quà son habitude, pourtant déjà particulièrement exigeante par héritage du temps passé presque continuellement en représentation du temps où il était commerçant. Evidemment, il fallut faire chauffer de leau et ce ne fut pas immédiat, mais bientôt le Beauharnais se récurait avec enthousiasme, avant de sattaquer à un rasage largement plus prudent que dordinaire. Il ne manquerait plus quil se pointe avec une estafilade lui barrant une joue... A coup sûr, il en entendrait parler pendant longtemps si tel devait être le cas ! Le fiancé chantonnait joyeusement, fredonnant en boucle un air appris longtemps auparavant dans sa Champagne natale. Il en arrivait au couplet sur la fidélité pour la deuxième fois («Qu'adès sans tricherie chierie vous ay et humblement») quand Jehan le trouva, habillé simplement de braies, en train détaler sur son lit la vêture du jour. Rouge et blanc sy entrelaçaient élégamment, trouvait-il. Cen était presque dommage quelle soit réalisée pour une occasion unique. Mais enfin, ses éléments pourraient toujours reprendre du service séparément... Quimportait.
Une fois nétait pas coutume, ce jour-là, Wallerand était prêt en avance. Très largement en avance, même, car il se trouvait assis sur son lit, rasé, lavé, habillé, vérifié et impatient, presque fébrile, bien avant que lheure ne soit venue. Alors, au page qui furetait dun oeil curieux, découvrant le lutrin dans lequel le Beauharnais avait investi quelque temps auparavant, il finit par poser une question bête.
Jehan ? Tu as vu Nortimer ce matin ?
Développons le «pourquoi» du fait que cest une question bête. En soi, cest fort simple. Cétait une question bête déjà parce que si Jehan avait croisé deux fois Nortimer dans sa vie, ça devait être le bout du monde. Ensuite, cen était une parce que le témoin ne logeait pas à proximité immédiate mais dans une auberge (devinez laquelle) chère au coeur de son cousin. Enfin, parce quétant autant en avance, il ny avait pas de raison de sinterroger ou de sinquiéter de ce que faisait le Nortimer en question. Aussi, avec une surprise non feinte, Jehan répondit-il :
Non, je ne crois pas... Cest votre cousin, cest ça ? Avec la barbe et le visage plus ?...
Oui, cest lui. Normalement, il est descendu à lauberge dAdalarde. Tu peux aller le chercher, sil te plait ? Au moins lui secouer les puces, histoire quon ne soit pas en retard à léglise et quil noublie rien...
Sitôt dit, le page avait levé le camp pour aller chercher le futur témoin. Mais il avait sans doute bien compris le but de la manoeuvre de Wallerand. Au matin dun mariage, il fallait pouvoir se retrouver seul. Ne serait-ce que pour penser calmement.
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