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[RP] Il n'y a pas pire sourde...

Christabella
Roquefort sur la Douze, en Gascogne. Le monde au-dehors tremblait sous les frimas de cette fin de novembre. Les arbres avaient presque tous perdu leurs feuilles et le monde se préparait doucement à l’hiver, se parant de teintes hivernales, de gris, de bleus et de marrons. Un castel se découpait dans le paysage, faisant la fierté des habitants de la région et, dans la chambre la plus belle de l’édifice, une tragédie était en cours. Une splendide chambre conjugale, au demeurant. Un bel écrin pour une tragédie affreuse.


Serrez, Imoen.
Navrée votre grandeur, mais le tissu risque de céder.
Mais … Ah non!
Mais si.
C’est une conspiration!
La robe est trop petite.
Elle a rétréci vous voulez dire.
Euh… je ne crois pas, non. C’est vous qui…
Que nenni.
Euh… je vais chercher sœur Marie Clarence.


Et la servante s’en alla dare dare, redoutant une tempête. Bella soupira longuement. Une autre robe. Une autre, qui était devenue trop juste. Une tragédie. Quelques points n’y suffiraient pas, malheureusement. La jeune femme aux cheveux blond-blancs regardait le splendide tissu bleu de sa robe préférée choir au sol, vaincue par l’évidence. Trop petite. Si ce n’était pas la robe qui avait rapetissé, c’était elle qui avait forci... Quelque chose clochait, mais quoi? La robe n’avait pas rétréci, d’après Imoen. Une Imoen gênée, qui avait filé à toute vitesse, afin de ramener sa pire ennemie, Marie Clarence. C’était suspect. Une conspiration je vous dis! En chainse, abandonnée, Bella se rapprocha du feu qui ronflait dans le cheminée. Deux semaines de mariage, songea-t-elle avec un sourire. Oui, depuis deux semaines, elle était devenue sa rougissante épouse. Et enfin, ils se voyaient chaque nuit, chaque jour, sans se cacher. Même si les derniers temps, ils avaient de moins en moins fait l’effort de se cacher. Le secret était de polichinelle, et puis ils étaient fiancés. Cette fois, rien ni personne n’entravait leur passion. Sauf peut être le temps… Chacun travaillait d’arrache-pied, Wallerand plus que tout autre. La liste Union avait été montée avec toutes les bonnes volontés de tous les coins de Gascogne. Et puis tous le reste... Un léger soupir fendit l’atmosphère, tandis qu’elle considéra la deuxième robe devenue trop petite. Elle avait forci, surtout de … Elle fut interrompue dans ses pensées par une invasion. Imoen, suivie de Marie Clarence et Adalarde. L’une gênée, l’autre énigmatique, et une troisième rigolarde. Et décidées, avec ça ! Ce fut Marie Clarence, l’air pincé, qui commença. Bella sentait le coup fourré...

Votre grandeur? Nous devons parler.
Marie Clarence? Oh, vous tombez bien! Cette robe a rétréci. Dites moi… Comment se porte Fontrailles?
Le comtat va à merveille, les foins sont rentrés, et les troupeaux aussi. Mais je dois vous di…
Merveilleux! Voilà qui nous apportera de substantielles rentrées d’argent au printemps prochain, avec les récoltes et la poire qui sera affinée. Peut-être devrions nous penser à planter de la vigne sur le coteau en face. Qu’en pensez vous?
Judicieux, mais nous dev…
Ouioui, et il faudra veiller à faire tailler les cognassiers et les pruniers. Leurs confitures sont divines. Nous en reste-t-il encore?
Oui mais…
Mercé Marie Clarence, vous êtes une perle. J’espère que Beatrix a fait un gâteau, je meurs de faim. Vous pouvez disposer.


Bella lui avait coupé la chique ! Elle ne pouvait pas en placer une, elle qui pourtant avait sa confiance... La nonne avait raillé Imoen qui n’avait pas réussi à lui parler, mais cela était une gageure insurmontable. Il n’y avait pas pire sourde que celle qui voulait pas entendre !

Seigneur, mais cette tête de mule ne veut rien écouter!
Je sais, ma soeur, j’ai tout essayé.
Comment? Elle n’est pas encore au jus?


Ca, c’était Adalarde. La solide matrone avait suivi le groupe, étonnée que la jeune femme ne soit pas encore au courant de son état. Effectivement, elle ne voulait rien entendre.

Non, adalarde.
Mais… mais… même l’seigneur s’en doute!
Pardon? Il se doute de qui? De quoi? Comment pourquoi alors mais qu’est-ce que cela signifie, mesdames?
Vous êtes ence…
Non.
Mais si.
Je le saurai, Imoen me l’aurait dit.
Sauf que vous n’écoutez rien!
Oh, mais je comprends…
Enfin!
C’est ELLE qui a rétrécit mes robes! Je savais que c’était une conspiration! Et c’est de cela dont Wallerand se doute!
Mais non… Vous êtes encein…
Tutututut! Je n’entends rien!
Dit la jeune femme sur un ton chantant.
…te. Enceinte. Vous entendez ? Vous êtes enceinte.
AAaaaah.


Bom. Une femme à terre! Immédiatement, la nuée de femmes se démenèrent. Une qui alla chercher les sels d’ammoniac, une autre une tisane réconfortante, une dernière un coussin pour glisser sous la tête de la jeune femme. Le plus dur était fait. Quoique...
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Christabella
Imoen et Adalarde avaient transporté la jeune femme sur son fauteuil à bascule, et lentement, elle reprenait des couleurs. Elle recommençait à percevoir les sons, autour d’elle, mais se refusait à ouvrir les yeux. C’était trop tôt pour elle. Trop tôt après le mariage... Tandis que la mesnie avait délacé le corset, libéré la jeune femme de sa lourde robe, on avait installé la jeune femme en chainse, confortablement, et on lui faisait respirer des sels d’ammoniac. La respiration de la jeune femme restait ténue, légère comme la brise d’une aile de papillon, à peine un chatouillis sur le dos de la main d’Imoen. Adalarde observa les traits de la jeune femme, puis regarda Imoen d’un air entendu.

L’est aussi émotive, la comtesse, d’habitude ?
Non.
Bon. Vlà qui confirme alors. L’Wallchiant va avoir un moutard, ça alors !
Laissons-la se reposer, nous lui reparlerons ensuite.
On prévient Wallerand ?
Non, laissons la lui annoncer. Du moins, si elle accepte la vérité.


Bella, sentit avec soulagement qu’on éloignait les sels à l’odeur affreuse. Elle s’était bien réveillée, mais n’avait pipé mot ni ouvert les yeux. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était se retrouver seule un moment. Enceinte, cela ne pouvait être possible ! En fait si, dans les fait, c’était tout à fait plausible. Les deux jeunes gens ne s’étaient guère privés de partager les plaisirs de la chair, et cela même avant le mariage. C’était même un miracle que la comtesse ne soit pas tombée enceinte avant...

La jeune femme attendit que sa mesnie soit sortie de la pièce avant d’ouvrir lentement un œil. Seule. Enfin, seule. Enceinte... C’était vrai que sa poitrine s’était faite plus douloureuse, plus enflée ces temps ci. Elle avait mis ça sur le compte d’un léger embonpoint, doublé d’une douleur habituelle de fin de mois. Et sa robe de mariage, devenue un peu serrée ? Elle était sûrement trop ajustée. Et son humeur, en dent de scie ? Et sa fatigue ? Sûrement le temps, la saison, l’âge du capitaine et le prix de la graisse d’oie. Sa fatigue était inhabituelle, puisqu’elle faisait une sieste chaque midi dans son bureau de commissaire aux mines, bien qu’elle s’en défendit. Sûrement la saison, le stress du conseil. Elle ne pouvait pas être enceinte... Même si...Non, elle ne pouvait pas balayer cette hypothèse d’un revers de la main, ainsi, en expliquant chaque détail. Lentement, elle reprenait ses esprits. Elle était réellement tombée dans les pommes, perdant la notion de son environnement proche, et se sentait encore faiblarde. Bella se leva doucement de son fauteuil, et d’un pas mal assuré, alla se mirer devant la psyché. Enceinte. Elle, avec un enfant. Grâce à Milandor, elle était déjà mère de deux grands enfants, mais c’était autre chose qui l’attendait et lui faisait peur. Devoir élever une petite chose, dépendante d’elle, avide de temps et d’attention. Déjà, Wallerand refuserait qu’elle s’expose. Plus de cheval, plus de joutes, plus de mission au guet. Elle soupira longuement, puis s’exposa de profil, pour admirer sa silhouette encore longiligne, mis à part un tout petit ventre qu’elle avait toujours eu. Passant ses mains par-dessus le tissu de sa chainse, elle caressa doucement le petit ventre, s’étonnant qu’il soit devenu dur, très dur. Pas ferme, pas mou. Dur. Impossible de le faire disparaître par pression des mains. C’était donc vrai ? Enceinte...

La peur l’étreignit. Elle avait tant entendu ces récits de bonne femme, de femmes mortes en couches, de bébé mort nés, de décès prématurés. Une longue larme coula sur sa joue d’albâtre. Elle avait peur qu’il arrive quelque chose à la chair de sa chair. Non, ce n’était pas possible, ce n’était pas ça. Elle faisait de l’aérophagie, ou autre chose, mais elle n’était pas enceinte. Et puis comment Wallerand réagirait ? Il insisterait pour qu’elle se repose, qu’elle se préserve. Sauf qu’elle ne le souhaitait pas... Il serait sûrement heureux, oui. Mais que faire, si jamais elle perdait le bébé comme cela arrivait souvent, précocément ? Elle ne supporterait pas de voir le déception dans les yeux de son époux adoré. Mais elle se devait de lui dire...





Mon époux,

Nous devons parler, au plus vite.

Votre dévouée
B

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Christabella
La jeune femme était nerveuse, et marchait de long en large. Comment réagirait-il ? Ce n'était pas le moment, alors qu'ils travaillaient au conseil, qu'ils n'avaient pas le temps... Tibedaud s'était chargé de porter son petit billet, et le jeune page trouva le duc dans son bureau. Au moins, il était prévenu que sa soirée de travail serait interrompue par sa jeune épouse. Tibedaud revint entre temps, avec un message de son époux, et lui annonça qu'elle devait à partir de ce jour porter les armes de la Gascogne. Oui, elle était duchesse consort ! Elle sourit, amusée malgré elle, et considéra le vélin qui reprenait le blason. Un taureau, et un renard, cela lui changerait...

La jeune femme restait nerveuse, très nerveuse, alors qu'elle se préparait à ressortir ce soir là, malgré sa fatigue inhabituelle, et se rendit au castel. Il ne restait plus grand monde, à cette heure avancée, et elle savait qu'ils seraient à peu près tranquilles pour discuter de cela. Angoissée comme jamais, elle suivait comme une automate chaque flambeau qui égrenait les couloirs, dans un bruissement de robe. Mille et une questions s'égrenaient dans son esprit. Et s'il était déçu ? Si ce n'était pas le moment ? Ils travaillaient d'arrache pieds ces dernières semaines et ne se voyaient guère que les nuits, et lors de frustrantes réunions au conseil, durant lesquelles elle n'avait pas plus qu'un coup d'oeil amoureux, un frôlement furtif de la main. Arrivée devant la porte du bureau ducal, elle hésita à le déranger, en plein travail. Elle l'imaginait, marchant de long en large, se frottant le menton face à un souci à régler, comme à son habitude, ou écrivant à son bureau. Aucun bruit n'émanait du bureau, Bella n'entendait que le crépitement des torchères. Elle gratta à la porte, et lorsqu'elle entendit la voix aimée lui dire d'entrer, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il lui faisait toujours cet effet là. C'était le moment de lui parler... Comme elle l'avait imaginé, il était assis à son bureau, plume à la main, et un pli soucieux barrait son front. Son visage se détendit tout à fait lorsqu'il aperçut sa jeune épouse.

Bella...
Wallerand... Je suis désolée de vous déranger...
Ne dites pas de bêtises, entrez, ma chère, je vous en prie...


Elle prit une grande inspiration, l'émotion lui nouait les entrailles. Bella entra dans le bureau, et son époux se leva, l'accueillant, et posant ses lèvres doucement sur les carmines. Un sourire s'imprima sur ses lèvres, tandis qu'il l'invita à s'asseoir sur le fauteuil, et qu'il prit place sur le siège voisin. Pourquoi était-elle venue, si tard, pour lui parler ? Avait-elle un souci avec les mines ? Elle paraissait si fragile, si tendue, ce soir !

Je... je ne sais pas comment …
Est ce les mines qui vous posent souci ?
Non...


Non, tout se passait bien avec le frère de Wallerand. Oh, ils restaient froids l'un envers l'autre, se chamaillant souvent, mais lorsque la commissaire aux mines parlait au bailli, ils parvenaient presque à oublier. Elle parvenait presque à oublier que le jeune frère de Wallerand la détestait, pour lui avoir volé son frère, à ses yeux. Mais lorsqu'ils travaillaient, elle se surprenait à apprécier la compagnie d'un homme compétent, avec qui elle travaillait en bonne intelligence. Par contre, il ne cessait de réclamer, à elle et son père, une dot, une somme faramineuse de 5000 écus, qu'il était hors de question de payer.

Je... Ah ! Qu'il est difficile de parler de cela...
Dites moi.


Il lui prit doucement la main, en signe d'encouragement. Il était curieux de savoir ce qui la rendait aussi nerveuse, et ce qu'elle pouvait bien avoir à lui dire. Soudain, le visage de la jeune femme s'éclaira, et avec un air malicieux, elle continua.

J'ai été frappée.
Non ! Qui a osé s'en prendre à vous ? Est ce lors d'une joute ?
Non. Un de vos sujets s'évertue à me frapper continuellement... dans le ventre.


Il comprit soudain, et un sourire éclatant éclaira son visage. C'est qu'il s'était fait à merveille à cette idée, et la voilà enfin réalité. Il s'était douté ces derniers temps que quelque chose se tramait. L'air préoccupé de sa femme, le fait qu'elle ait pris un peu de poids, les coups d'oeil amusés d'Adalarde, tout s'expliquait. Il réalisait soudain. La jeune femme, se méprenant sur cela, commença à bredouiller, confuse...

Je sais que c'est rapide, je suis si désolée...

Mais le jeune homme, plus heureux que jamais, s'approcha d'elle et la serra dans ses bras, émerveillé, posant la main sur ce ventre très légèrement proéminent. Il était encore trop tôt pour ressentir quelque chose, surtout au travers des barrière de tissus...

Vous faites de moi un homme heureux.

Rassurée, la jeune femme sourit, tandis qu'il s'étreignirent. Doucement, ses lèvres se posèrent sur les siennes. Ils s'étaient toujours interdits, dans ce bureau, d'avoir des gestes plus significatifs qu'un baiser sur le front, un baisemain, ou un simple baiser sur les lèvres, mais cette fois, le geste se prolongea, de plus en plus fougueux. Une sorte de ferveur les unissait, une ode à l'amour qui trouvait son point d'orgue avec cet enfant en gestation. A cette heure, personne ne les dérangerait, ils étaient les derniers, elle le savait et lui aussi.

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Christabella
Elle avait réussi à faire bonne figure, lorsqu'il lui avait annoncé. Jusqu'à son départ pour Labrit. Un remplacement, au guet. Un léger sourire, un peu crispé, car elle savait qu'il préférait passer ses nuits à ses côtés. C'était le seul moment qu'ils avaient à eux ces temps-ci. Mais une fois parti, une longue larme coula sur sa joue. Bon sang, ce n'était pas la fin du monde, et ils se verraient en journée au conseil! Mais voilà... Enceinte, elle était sujette à de grosses crises de larmes, souvent, dans le secret de son bureau du commissariat aux mines. Et surtout, la journée, lors des débats, son époux laissait la place au Duc. Il n'y avait guère que les nuits, et encore, lorsqu'ils revenaient enfin du castel, qu'il pouvaient profiter l'un de l'autre. Et encore, si peu de temps, pour ne pas réduire le temps de sommeil, si important!

La veille, ils avaient passé un petit moment dans les bras l'un de l'autre, à sentir les petits coups donné par le bébé. Elle appréciait ces moments, où la main Beauharnaise caressait ce ventre proéminent. Fille ou garçon? La jeune femme aurait préféré une fille, tandis que le Beauharnais était persuadé que l'enfant serait un héritier, un petit garçon parfait, mélange de l'un et de l'autre. Ils se chamaillaient gentiment, instants souvent prélude au rire et au badinage amoureux, sur ce sujet. Bella souriait en imaginant le petit, n'ayant pas l'habitude des nourrissons, elle redoutait un peu la naissance. Elle avait tu à son époux ses craintes à ce sujet. Car sa mère à elle ne s'était jamais remise de l'accouchement, s'était étiolée petit à petit. Bella n'avait jamais connu sa mère, hormis quelques visites au pensionnat. Elle n'avait gardé comme souvenir qu'une femme diaphane, souvent malade, bien qu'aimante, elle lui faisait l'effet d'une étrangère, tant elle avait peu l'habitude de la voir. Elle ne voulait pas ça pour leur enfant.
Son époux de toute façon veillait au grain, ayant chargé Imoen et Béatrix de la surveiller, de veiller à ce qu'elle mange bien malgré ses nausées. Ces dernières lui avait fait la morale lorsqu'elle s'était mis en tête de chevaucher, pour essayer sa tenue guerrière. Même Marie Clarence l'avait sermonnée, car elle risquait selon ses mots de décrocher le fruit. Sans compter évidemment qu'elle ne pouvait même plus jouter. Il en était hors de question, c'était trop risqué. Ne lui restait que le guet, à contre-cœur. Elle ne devait pas s'exposer, cependant.


Vous pleurez, votre grâce?
Il me manque déjà, Béatrix.
Il fait son devoir, il ne vous a point quittée!
Je sais, je ne comprends pas pourquoi je réagis ainsi!
Votre état, votre grâce, une femme enceinte est fragile moralement, rien de grave.
J'ai réussi - snif - à ne pas lui montrer.
C'est bien. Inutile de l'accabler, il était déjà préoccupé de vous laisser seule.
Je sais...

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Christabella
La fin de la semaine approchait et Bella se sentait pousser des ailes. Bientôt, elle retrouverait son époux. Non pas qu'ils ne se voyaient pas au conseil, mais c'était différent. Ils ne faisaient pas montre de leurs sentiments, de leurs envies. Même que ça pouvait paraître froid entre eux deux, ce qui était dur à supporter pour la jeune femme alors que chaque soir, le duc rejoignait le guet de Labrit. Et non pas leur demeure de Lou Moun. Autant dire qu'elle accueillait cette fin de semaine avec une impatience qui n'était pas feinte. Toute la maisonnée s'était mise en frais d'accueillir le duc. Bella avait demandé à Béatrix de préparer des biscuits et gâteaux, à Adalarde son repas préféré, et Imoen de superviser le ménage de fond en comble. C'était comme une petite fête, songea-t-elle avec un sourire amusé. Dieu que cette semaine avait été longue !

Mais le Duc tardait ce soir là. Bella savait que le conseil lui prenait un temps fou, qu'il courrait d'une salle à l'autre, et que des cernes commençaient à se dessiner sous ses yeux doux... Elle s'inquiétait pour lui, autant que lui pour elle et pour leur enfant qu'elle portait. Aussi, lorsque la porte enfin claqua, Bella se précipita vers l'entrée – oh, elle en aurait presque couru pour se jeter dans ses bras – et fut désappointée de ne voir que Jehan. Seul...


Oh ! Bonjorn Jehan ! Le Duc vous charge de m'annoncer son retard pour le repas ?
Votre grâce...
Non, mais je vais faire mieux mon bon Jehan, vous irez lui porter un panier repas là bas, je sais qu'il a beaucoup de travail, mais il finira bien par rentrer !


Rien ne semblait gâter l'humeur joyeuse de la jeune femme, qui, faisant mauvaise fortune contre bon cœur, savait que le moment tant attendu n'était que retardé. Du moins le croyait-elle, car...

Votre grâce... Votre époux va rester cette semaine encore sur Labrit, il est rentré là bas... Le guet...
Oh ! Oh....


Désappointée, déçue, elle était arrêté dans son mouvement même, les bras et jambes coupés. La jeune femme exhala un soupir à fendre les pierres, les larmes aux yeux. Qui a dit que les femmes enceintes étaient sensibles ? Elle était à deux doigts de fondre en larmes dans les bras de Jehan, mais la décence le lui interdisait. Le guet, encore le guet, le devoir, c'était ainsi... Elle afficha un rictus qui se voulait aimable, remerciant chaudement le jeune page du duc. Mais la déception était trop grande... Elle prit congé de la mesnie, délaissant le repas pour lequel ils s'étaient tous mis en quatre. Oh, rien ne serait perdu, malgré la déception, le repas serait consommé par eux même. On allait pas laisser perdre un axoa, tout de même ! La jeune femme rejoignit le bureau, s'autorisant enfin à laisser couler quelques larmes. Puis, après un ultime soupir, elle attrapa un vélin, et sa plume de paon, puis laissa son cœur se coucher sur le papier...


Citation:


Mon cher époux...

C'est le cœur légèrement meurtri que je prends la plume. J'ai appris par Jehan que vous restiez cette semaine encore sur Labrit. Vous me manquez, affreusement. Le devoir est une maitresse exigeante, je le savais, je vous ai épousé en toute connaissance de cause. Mais les nuits étaient les seuls moments qui nous restaient à nous, le mari et la femme, en toute simplicité. Non pas que je ne vous voie pas au conseil, mais cela est différent. Au conseil, nous sommes le duc, et une conseillère quelconque. Non pas que le boulier ne me plaise pas, ne m'occupe pas, mais au conseil, nous nous comportons comme deux étrangers, et cela me pèse. Je ne suis pas Sashah, je ne vous demanderai pas de changer. Je vous donnais simplement des nouvelles, n'oubliez pas que je vous aime

Bella
.


Elle ne demandait rien, elle souhaitait juste partager son désappointement, qui devait être partagé. Dieu que cette période était difficile ! Elle se relut, et sourit. Même déçue, elle ne souhaitait pas qu'il prenne cette lettre comme un reproche acerbe. Juste partager avec lui cet amour qui les unissait. Une fois la missive scellée de cire, elle l'attacha à sa colombe voyachieuse, puis moucha la chandelle, avant d'ouvrir la fenêtre à meneaux.

Ne traîne pas en route, ma belle... Je compte sur toi, et tu auras de belles graines !
Grouuu grouuuu * ( * Pour des kraines, ch'affronterai le foleur de plumes !)
Bella ?
Oui, Adalarde ?
Vous devriez manger un peu, si ce n'est pour vous que ce soit pour votre petit. Il reviendra et puis j'le connais, il doit afficher une trogne de trois pieds de longs rien qu'à l'idée d'être loin de vous encore une semaine.


Bella ne put s'empêcher de rire aux dires de l'intendante, qui lui avait emmené une écuelle de ragoût et l'avait posé de force sur le bureau, quitte à faire tomber rouleaux de papier et plumes en pagaille, le tout avec un petit pain moelleux. L'odeur du repas aiguisait malgré tout son appétit, même si elle ressentait encore cruellement la déception. Mais elle comme elle l'avait spécifié dans sa lettre, elle ne lui reprochait rien. Le devoir était le devoir, pour l'un comme pour l'autre. Le lendemain matin, sa colombe était revenue et tapotait à la fenêtre. Se réveillant en sursaut, à l'aube, Bella ouvrit grand les yeux, le cœur battant à tout rompre. Elle sourit, car elle se comportait comme lorsqu'ils commençaient à se fréquenter. Leurs lettres, ses impatiences, leurs retrouvailles... Elle avait hâte qu'ils se retrouvent. Fébrile, elle décacheta le pli, c'était lui ! Elle aurait volontiers embrassé le vélin, sur lesquels étaient couchés les mots de son époux.


Citation:


Ma chère épouse,

Si vous saviez comme j'aime écrire ces mots, même si je préfèrerais vous les glisser à l'oreille... Malheureusement, le Prévôt avait encore besoin de monde à Labrit, et il faudra encore une semaine avant de vous les souffler. Le temps me sera long, ainsi éloigné de vous. Même Marie-Clarence en viendrait à me manquer, parce que si elle était là, ça signifierait que vous le seriez aussi. Je languis de vous serrer contre moi, et plus encore.

Je suis désolé si je vous parais distant au Conseil. Sans doute est-ce une manière pour moi de ne pas mêler mes sentiments à ce que j'ai à faire. Je me connais, je suis un sanguin, et cette modération que je m'impose est parfois bien difficile à soutenir. Si je vous disais que l'idée de nous enfermer dans votre bureau, ou le mien, me taraude au point que je dois en nettoyer ma plume, de crainte que la rêverie ne m'emporte et que je ne gâche sa pointe...

J'ai hâte de vous revoir, mon amour.

Vôtre,

Wallerand
PS : soyez assurée que je n'ai qu'une maîtresse, et c'est celle que vous connaissez. Pardonnez-moi, la plaisanterie était trop tentante...


Elle ne put s'empêcher de rire. C'était comme s'il était là, elle pouvait presque le voir lui sourire en écrivant ces mots. Oui, le devoir était une maîtresse exigeante...
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Christabella
Elle avait reçu une pile de missives qui trônaient sur le bureau. Mimizan, le port, le guet... Une commande de hache, des invitations. Erasme, une vieille connaissance, allait convoler. Elle en fut heureuse pour lui, d’avoir su trouver chausse à son pied, après avoir connu le veuvage. Évidemment, elle allait honorer cette invitation... Trouver une robe - on ne se refait pas - , prévoir la route par ce temps...
Perdue dans ses pensées, la jeune femme observait son jardin, la tempe posée contre le rebord du mur épais. L’hiver était bien là, froid et sec, et la nature s’était endormie durablement, triste et grise. Un temps déprimant, mais malgré tout, son cœur était à la fête, gonflé d’espoir. Oui, chaque jour approchait l’heure des retrouvailles avec son époux. Le vélin qu’il lui avait envoyé avait été lu, relu, il l’aidait à supporter l’attente. Comme si chaque mot lui avait été susurré à l’oreille, tendrement. Évidemment, ils se voyaient au conseil, mais ils s’attachaient à ne rien laisser paraître, tout simplement. Aussi frustrant que cela puisse être. Après un petit soupir, Bella se réinstalla à son bureau, et prise d’une inspiration subite, attrapa sa plume de paon coucha quelques mots à nouveau pour son époux.


Citation:


Mon cher époux,

Que vos mots sont doux à lire... Des mots qui guérissent mes maux. Je peux presque percevoir votre sourire, votre regard attentionné dans ces quelques lignes. Comme si vous étiez à mes côtés. Alors je lis et relis votre lettre, à m'en user les yeux. J'aimerai vous dire que je me porte comme un charme, mais je suis prise de violentes quintes de toux, et je sens que cela dérange notre fille qui remue sans arrêt. Car contrairement à vous, je suis persuadée que ce ne sera pas un fils. Vous verrez!
Enfin... Je vous écris pour vous annoncer que je pense aller bientôt sur Mimizan, messire Julain a besoin de mes connaissances en forge. J'en profiterai pour voir un médecin, si cela continue, Marie Clarence me tanne pour le faire, je vais céder... Peut-être nous verrons nous sur Labrit, et peut-être m accompagnerez vous pour ce petit séjour!
Je vous aime,

Bella


Elle espérait ne pas l’avoir alarmé sur son état de santé. En effet, depuis quelques jours, la jeune femme traînait une crève assez impressionnante, une toux caverneuse et irrépressible. A chaque quinte de toux, elle sentait dans son ventre le bébé remuer, comme s’il avait été réveillé et pestait d’être autant secoué. L’ensemble des femmes de la mesnie la couvait, ce qui avait le don de l’agacer. Ici, avec des tisanes au miel, là, avec des châles, des braseros allumés dans chaque pièce qu’elle fréquentait... Marie Clarence la tannait pour qu’elle abandonne le guet, les sorties en général – vous vous rendez compte, le château ducal est plein de courant d’air !- et surtout, pour qu’elle consulte un médecin. Tout le monde avait peur que Bella finisse par accoucher trop en avance et que le bébé ne survive pas. Mais sur Lou Moun, il n’y avait pas de médecin... Il lui faudrait aller pour cela sur Mimizan. Où justement, on la mandait, elle, et ses connaissances sur le métier de forgeron. Ou comment faire d’une pierre, deux coups ! Et même trois, car elle passerait par Labrit voir son époux, au passage. Qui peut-être l’accompagnerait lors de son séjour... Elle sourit à cette perspective, avant d’attacher le petit mot à la patte de la colombe voyachieuse.
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Christabella
Le voyage s'était bien passé depuis Lou Moun, à un rythme lent, peut être trop lent à son goût. Imoen et Marie Clarence veillaient sur elle et n'auraient pas permis qu'elle aille seule, à dos de cheval sur les routes... Pas dans son état. Même si elle se languissait de revoir son époux. Elle participait au bavardage des deux femmes, intarissables sur le sujet qui les préoccupait : la grossesse, ses joies et ses risques, et les milles et une manières de s'assurer d'avoir une fille ou un garçon. Manger salé pour un garçon, sucré pour une fille, prier à la pleine lune, déposer un cierge à sainte Gontrude, éviter les chats noirs, les échelles et les bossus... Belle buvait leursparoles lorsqu'il s'agissait de concevoir une fille. Elle était presque sûre d'elle, et avait suivi chacune de leurs recommandations sauf une, atroce, boire de la tisane d'ortie au raifort. L'odeur lui avait retourné l'estomac !
Le voyage lui avait paru si lent... elles étaient arrivées à labrit à la tombée de la nuit, tard. Bella soupira, elle ne savait pas où chercher son époux. Mais très vite, elle fut attaquée par une paire de bras, et une tempête de baisers fiévreux. Bella aurait reconnu entre mille son époux, même dans le noir. Elle nicha son visage dans son cou pour se repaître de son parfum, s'en enivrer.


Vous m'avez tant manqué, ma chère...
Et moi donc, j'aimerai qu'on ne se quitte plus comme ça...
J'y compte bien ! J'espère pouvoir vous rejoindre à Mimizan, si je puis me libérer de mes gardes...


Elle soupira, regrettant l'ensemble de leurs devoirs à cet instant... Et le serra dans ses bras, résolue à ne perdre pas une seule miette du temps qui leur était imparti.

Marie Clarence et Imoen vous rejoindront ? J'aime à vous savoir bien entourée...
Oui, elles sont à l'auberge, en train de finir le repas... J'espérai vous entrapercevoir avant le début de votre garde...
J'aurai du rester ici cette nuit, une nuit de plus, nous aurions eu la journée pour nous voir...
N'ayez aucun regrets, j'essayerai de vous rejoindre. A propos... Comment va notre fils ?


Il eut un sourire taquin, innocent, tandis qu'elle éclata de rire.

Notre FILLE va bien, regardez plutôt !

Elle lui posa la main sur son ventre, déjà bien rebondi, et à ce moment précis, un doux frémissement se fit sentir. Le bébé gigotait, doucement, réagissant à la voix de son père. Pourvu que ce soit une fille, songea t-elle...

Ce sera un grand garçon, bien vigoureux, à ce que je peux voir...
Vous aurez l'air malin, si j'ai raison !
Je peux vous retourner le compliment, ma chère...
Soit, je conçois que je puisse me tromper, mais... Je suis certaine de mon coup.


Le coup du cierge à saint Gontrude, elle l'avait fait et évitait de manger salé. Cela devrait suffire ! Néanmoins, elle répondit au sourire et au regard rieur par un petit rire amusé. Il se pencha sur ses lèvres pour l'embrasser tendrement, ignorant le monde au dehors qui pouvait apercevoir le spectacle du couple qui s'enlaçait.

Quoi qu'il en soit, je serai le père le plus heureux du monde. J'entends d'ici les crieurs publics tempêter que les Beauharnais se multiplient lorsque votre état sera connu...
Hum... Je n'aime pas trop les crieurs...
Lorsqu'on a pas de courage, on passe par ce biais. Bella... Vous devriez y aller, pour avoir le temps de vous reposer avant de repartir demain, avant de visiter l'arsenal...
Oh que je regrette de devoir partir si vite...


Il la serra contre lui, posant un baiser dans ses cheveux, puis sur son front. Lentement, ils commencèrent à cheminer vers l'auberge de la jeune femme, bras dessus, bras dessous...

Même si j'adorerai vous garder avec moi... Ma garde commence bientôt.
Faites attention à vous, mon amour...
Comptez sur moi, j'entends bien continuer à vous pourrir la vie un bon nombre d'années !


Il l'embrassa encore, une dernière fois, avant de la relâcher et de s'éloigner à regrets, sur un...

Je vous aime !
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Christabella
Bella avait été impressionnée par la visite de l’arsenal, en cours d’agrandissement. Il y avait quelque chose de fascinant à voir tous ces gens travailler, de concert, et le lieu lui faisait l’effet d’une immense ruche, bourdonnante de bruit et de cris. Lahire la salua devant la tente- forge mobile qu’il avait installée, la même qu’il installait lors des joutes pour s’occuper de son armure et des fers de son cheval. Car son forgeron était aussi maréchal ferrant à ses heures perdues, un bien grand atout pour les domaines vastes qu’elle avait pour fief, avec son époux. D’un sourire, elle fut satisfaite de voir son forgeron prêt à travailler, comme elle avait promis à Julain. Puis, ses pas la menèrent vers le côté du port déjà terminé, où stationnaient de magnifiques nef, La jeune femme admira les bateaux, chef d’oeuvre voguant sur les mers, espérant un jour monter à bord de l’un d’entre eux, et voguer sur l’océan. Ah, l’océan... Elle se souvenait de leur petite escapade, lorsqu’il voulait le lui présenter. Et de ses vœux lors de leur mariage, et elle sourit.
Epuisée par tant de marche, elle continua sa promenade et alla s’asseoir sur un rocher surplombant la plage de Mimizan, admirant le ressac, éternel et continuel, le vol des albatros. Et elle sortit son écritoire portatif de sa besace, pour écrire à son époux...


Citation:


Mon cher époux,

Je suis bien arrivée à Mimizan, et la visite de l’arsenal me fascine au plus haut point. Lahire est déjà prêt à abattre la besogne pour Julain, ce qui est une bonne chose. Les bateaux sont impressionnants... J’espère qu’un jour, nous aussi nous aurons une de ces nefs qui filerait sur l’océan, fière et belle. Un jour, peut être... J’ai appris par notre prévôt que vous ne pourrez point me rejoindre cette semaine. Évidemment, je suis déçue, car vous me manquez déjà, et notre entrevue si rapide sur Labrit m’a laissée sur une faim inextinguible, je le crains. Oh, j’exagère à peine ! Je vous écris en regardant l’océan, et je pense à vous. Toutes mes pensées vont vers vous, je vous embrasse.

Bella

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Wallerand
La journée s'était déroulée comme les précédentes, malgré les débuts du nouveau Conseil ducal. En soi, l'équipe varierait peu, et Wallerand s'en réjouissait. De très bons éléments s'étaient révélés, timides parfois, qui avaient progressivement, au cous des huit semaines de son premier mandat, appris à s'ouvrir et à exprimer sans crainte leurs avis. Il espérait bien que cela continuerait de la sorte, et sentait comme un fourmillement d'impatience chez les nouveaux Conseillers. Une petite retenue, aussi, peut-être, mais qui ne demandait qu'à être battue en brèche à coups d'aménité et de dialogue ouvert.

Les chevauchées quotidiennes seraient cependant plus longues car, grâce à Okagi, le Beauharnais entendait bien rejoindre sa jeune épouse à Mimizan, où les forgerons de son atelier s'affairaient sur le site du futur arsenal de Gascogne. L'entrevue du jour précédant avait laissé le Gascon sur une faim terrible, et il ne s'était arraché aux bras de Bella qu'à contre-coeur, maudissant soudain ce fameux devoir auquel il sacrifiait nuits en gardes et jours en activité au sein du Conseil ducal. Il n'y avait pas à dire, le rythme était éreintant, mais il y avait un certain plaisir à ce galop effréné. Quand il y repenserait, au crépuscule de sa vie, il pourrait se dire qu'il l'avait bien employée...

Mais la vieillesse n'était pas pour le lendemain, non : le lendemain était réservé à une bonne nouvelle, que Wallerand s'empressa de jeter, avec la réponse en souffrance aux lettres de sa blondissime, sur un parchemin avant de s'occuper de son paquetage. Il aurait de la route à faire cette nuit-là, comme la colombe jauzacienne - toujours d'aussi mauvaise plume (car il était difficile pour le volatile d'être de mauvais poil, avait un jour constaté le Beauharnais dans un sourire) - qui fut relâchée avec, cachetée d'une simple goutte de cire, un court pli du Régent.


Citation:
Ma chère épouse,

Demain, nous pourrons contempler l'océan ensemble. Le Prévôt me relève à Labrit pour me permettre de vous rejoindre... Je crois que je l'aurais embrassé tant la nouvelle m'a comblé ! Je n'aime pas être loin de vous pendant si longtemps - car le Conseil ne saurait tout rattraper...

Vous êtes-vous remise ? Je n'ai pas eu le temps de vous en parler quand nous nous sommes croisés avant-hier, mais j'en ai conçu grande inquiétude. Je vous en prie, ménagez-vous. Même si je pourrai le vérifier moi-même dès demain, je serais fort marri que vous attrapiez quelque mal qui nuise à notre enfant.

Parlant de lui... Il va nous falloir sérieusement songer à son nom ! Le terme approche à grands pas, et il serait dommage que nous ne soyons pas prêts. Que diriez-vous de Louis, s'il était un petit héritier, ou de Marie, si elle était une fille ? Nous pourrions y adjoindre les prénoms de nos pères ou mères respectifs, en souvenir. Louis Bengouin Eugène ou Marie Hermine Elsianna de Beauharnais, qu'en diriez-vous ? Les prénoms manquent un peu d'originalité, et je vous aurais bien proposé plus original, comme Loup, Eleuthère, Foulque ou Lubin, et Yselda, Aelis ou Elianor... Mais j'ai l'imagination un peu vive sur le sujet, et il nous faudra donc en parler pour que vous la calmiez !

Vôtre,

Wallerand

PS : n'oubliez pas de porter désormais vos armes personnelles, jusqu'à ma nouvelle reconnaissance par Sa Majesté.

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Christabella
Le temps passait, et Bella arrivait bientôt au terme de sa grossesse. Enlacée dans les bras de son époux endormi, elle sentait le bébé donner des coups de pieds vigoureux. Loin de s'en offusquer, elle souriait, consciente que cela voulait dire qu'il était vivant et en bonne santé, que tout allait bien. Avec fascination, elle avait vu la peau de son ventre se tendre et se distendre lorsque le bébé bougeait, lors du bain pris avec Wallerand au cours de la soirée. Comme une mer en furie, non! Comme l'océan. Un instant tendre et agréable, un instant de détente, mais le sommeil la fuyait, pourtant, à présent. Elle avait dû monter une armée, et pour l'instant, elle ne pouvait encore ni monter à cheval ni beaucoup se déplacer. Son époux n'avait pas beaucoup aimé l'idée, mais ils n'avaient pas trop le choix, c'était ainsi. Fermant les yeux, elle se surprit à repenser à leurs débuts, à la folie de l'instant. Son époux regrettait-il leurs épousailles? L'enfant était venu si rapidement, que cela allait tout changer, peut être, entre eux deux. C'est sur ce constat un peu angoissé qu'elle s'endormit, bercée par le souffle ténu de son époux dans son cou.
Lorsqu'elle s'éveilla, elle était seule dans le lit. Elle qui avait l'habitude de se lever aux aurores, cette fois, personne n'avait osé l'éveiller alors qu'elle se reposait si bien... Et lui était déjà parti, pour le conseil, ou une balade matinale. Pourtant, un billet doux l'attendait sur son oreiller, accompagné d'une rose blanche à demi ouverte.





Ma chère épouse,

Certains disent que l'amour s'émousse avec les épousailles. Que les femmes sont toutes les mêmes, douces tant qu'elles ont ce qu'elles veulent et aigries, ou mesquines, ou les deux ensuite. Qu’une maîtresse est la seule solution pour supporter son épouse. Ou que le mariage apporte son lot de chaînes à traîner sans grande compensation. Et pourtant... Je n'ai jamais été si heureux qu'avec vous. De notre rencontre à Peyrehorade à notre séjour mimizanais, d'un premier dîner à des noces, d'une nuit de folie à, bientôt, notre enfant, vous m'avez transformé et rendu meilleur. Et, pour votre patience, pour votre altruisme, pour votre dévouement, pour vos rires et votre humour, pour nos disputes, pour nos incompréhensions, pour ce grain de folie qui vous habite, je vous aime de tout coeur. Puisse cette modeste rose blanche vous rappeler chaque jour la pureté de mon amour, chaque jour plus grand, et vous assurer que mon coeur n'est et ne demeurera qu'à vous.

Vôtre, W.


Le sourire lui vint aussitôt aux lèvres, irrépressible. Comme s'il avait senti ses interrogations... Elle relut la lettre, si belle, et se leva pour lui écrire la réponse. Cela ne prit pas trop de temps, car les mots venaient comme s'ils coulaient de source. Deos, qu'elle l'aimait... Et bientôt, la réponse fut accrochée à la patte de sa colombe voyachieuse, qui s'envola à tire d'aile à la recherche du Beauharnais.



Mon cher époux,

Certains disent que l'amour est un sentiment surfait, qu'il s'étiole avec le temps. Que l'attrait de l'amant pour la femme s'amoindrit, que la passion s'affadit... Que les amants se lassent, se contentent souvent d'attendre en espérant mieux. Et pourtant, le temps passe et au contraire, cet amour bien loin de s'étioler se construit et s'améliore, chaque jour. Parce que nous nous sommes mariés, et que allons avoir cet enfant... Je vous aime chaque jour plus encore.

Depuis cette soirée à Peyrehorade, je suis persuadée que nous étions destinés l'un à l'autre, destinés à nous trouver, à nous aimer, malgré tous les malheurs par lesquels je suis passée. Pour preuve, nous nous sommes reconnus et je vous ai aimé dès le premier jour, mon coeur était déjà votre. J'étais déjà sous votre charme ...Pour reprendre vos mots, vous m'avez rendu le soleil, l'espoir dans la vie. Pour cela, je vous aime chaque jour plus encore.

Cette modeste rose n'est qu'une goutte dans l'océan. Que sa modestie ne reflète en rien le sentiment puissant qui me lie à vous. A chaque instant, j'espère être digne de vous, de votre ambition et de votre travail. Car chaque jour, je vous aime plus encore.

Cor Meum Tibi offero*


* je t offre mon coeur
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Christabella
La plume grattait sur le parchemin, tandis que Bella consignait les besoins de l’armée. Matériel, nourriture, armes... Bientôt, ils devraient prendre la route vers Lou Moun. Elle ne l’entendit pas entrer dans la pièce de travail, toute à son occupation. Elle avait encore de nombreux points à travailler, des missives à écrire, des ordres à donner, des trajets à définir... Leurs mains se mêlèrent un instant, alors qu’il lui prit la plume des mains pour la nettoyer. Elle sourit, heureuse de cette interruption, mais Bella s’aperçut, à son air grave, qu’il se passait quelque chose. La sagesse Jauzacienne fit qu’elle ne le pressa point, le laissant prendre son temps pour lui annoncer ce qu’il avait à lui dire. Pas un instant, elle n’eut peur, ayant une confiance aveugle en son époux... Pas un instant, elle ne s’était doutée de ce qu’il avait à lui dire. Elle pensait qu’il allait lui annoncer une nouvelle mission loin d’elle, pour le guet, alors que la délivrance était proche... Elle était loin du compte.
Bercée par sa voix grave, elle se laissa voguer au gré de son histoire, de son enfance, sursautant presque à la mention de cette sœur. Ainsi donc, ils avaient une sœur...
Elle pressa doucement sa main, d’encouragement, tandis qu’il s’épancha sur la disparition de cette dernière, consciente de la blessure dans cette famille... Mais sans se douter du secret de famille qui se cachait derrière. Quelle famille n’avait pas de secrets ? Elle comprenait qu’il se dépêche d’aller voir cette sœur revenue. Il n’empêche qu’elle avait remarqué comme une tension chez son époux. Le lendemain, alors qu’elle lui donna son congé, son assentiment – bien que la décision soit déjà prise – pour cette visite à ce passé comme revenu d’outre tombe, Bella lui caressa la joue, geste qui se voulait réconfortant. Elle n’était pas dupe. Sous des airs indifférents, son jeune époux était profondément troublé. Sinon, pourquoi tant de précautions pour lui annoncer cela ? Elle ne savait encore pas que son intendante avait fureté, qu’elle avait lu par transparence la missive. Que la croisade de Marie Clarence contre Wallerand avait reprit, sous la forme d’un quiproquo, qu’en ce moment même l’intendance remâchait ce qu’elle croyait savoir, ou deviner de l’histoire. Car pour elle, il ne pouvait s’agir que d’un code. Que le duc de Poudenx couvrait son frère pour des frasques, avec une femme qu’il appelait sa sœur, alors qu’il n’en avait point. Et cette signature, ce signe cabalistique...

Non, Bella était loin de se douter de ce qui se tramait au sein de sa mesnie. Elle restait pensive, ayant délaissé son travail interrompu. Elle-même n’avait pas eu de frère, ni de sœur, songea-t-elle en jouant avec une figurine en forme de cheval d’ivoire qui trônait sur la bibliothèque. Longtemps, elle avait regretté de ne pas connaître vraiment sa famille. Elle n’avait vu que rarement sa mère, souffreteuse, et peu son père, qui lui apportait des présents dès qu’il le pouvait à son école couventine. Dont cette figurine, qu’elle observait, vestige d’une enfance solitaire et morne. La maladie de sa mère prenait tout son temps, à ce père qu’elle voyait trop peu... Pas de frères, de sœurs... Aussi, avait-elle conscience de ne pouvoir comprendre ce qui unissait les Beauharnais. Pourquoi Mahaut avait disparu, pourquoi Wallerand avait-il fait comme si elle n’existait pas jusque maintenant. Elle reposa la figurine, finement ciselée, puis se réinstalla à son pupitre après un léger soupir de regret.

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Soeur_mc_des_batignolles
Ce matin là, l’intendante de Bella était de bonne humeur. Les comptes étaient au beau fixe, elle avait une armée de petites mains à diriger, à houspiller, son domaine était on ne peut plus net et sans bavure. Aussi, lorsqu’un page amena la missive d’Acrisius de Beauharnais, elle se dépêcha de l’envoyer aux cuisines et de lui enlever son menu fardeau. Pour le tourner, le retourner entre ses doigts, jouant avec le cachet de cire sans oser le briser. Par transparence, car la missive était écrite sur un vélin très fin, elle distingua les quelques mots. « La sœur est là. Ne t’énerve pas. ». Elle était presque sûre d’elle, et c’était suivit d’un signe cabalistique, sûrement un code secret... Elle interrogea le page, qui lui assura venir de Poudenx, porteur d’une missive pour le duc Wallerand.
L’intendante le remercia d’un sourire aigre, qui sonnait faux. Wallerand n’avait pas de sœur, elle en était presque certaine. Juste un frère souffreteux et malingre, aux allures monacales. Elle interrogea Archibald, puis le page sur les allées et venues à Poudenx, mais le jeune homme ne savait rien. L’enquête ne faisait que commencer...
La vieille femme interrogea chaque valet, chaque femme de chambre, sur les habitudes du Beauharnais. Elle engrangeait chaque information, avec un plaisir non feint... Car elle aimait avoir raison, et bientôt, elle pourrait démontrer à Bella qu’elle avait eu tort, tort de faire confiance à ce bellâtre, tout noble qu’il soit devenu.
Elle apprit ainsi qu’avant de connaître Bella, il s’était entiché d’une autre noble, mais aussi qu’il avait connu de nombreuses femmes avant elles deux, des femmes de petite vertu. Dans son esprit tordu, tout se mettait en place. Ce message était un code secret. L’homme avait une maîtresse, sûrement bien décidée à se faire connaître, ce qui ferait du mal à Bella. Elle continua à interroger la mesnie, glissant çà et là quelque information sur cette femme mystérieuse, qui se disait « soeur », et qui l’énervait, lui, d’habitude si affable... Ses questions étaient si habiles, qu’elle mit le doute dans le cœur de certains servants, même Imoen, pourtant encline à défendre le Beauharnais, d’habitude. Bientôt, tout Arengosse vibrait d’une drôle de rumeur... Au grand dam d’Adalarde, qui passait son temps à nier de telles billevesées de toute la force de son caractère. Elle avait vu, Adalarde, les débuts de ce couple si amoureux, et elle ne douta pas un instant de son suzerain et ami. La dispute résonnait dans les communs...


Mais enfin, Marie Clarence, j’vous dit qu’il l’aime ! Il a pas d’maîtresses !
Mui... Mais j’ai bien lu.
Z’êtes sûre d’avoir bien lu ?
Ca disait que sa sœur est là, à Poudenx puisque c’est de là que le message vient !
Mais il a pas d’soeur !
Je sais bien, donc c’est qui, cette « soeur » ?
J’en sais rien moi, c’est peut-être une nonne, une bonne sœur !
Pourquoi l’énerverait-elle ?
C’est pas mon affaire. J’vous dis juste qu’il tromperait pas Bella. Et puis, c’est pas bien de lire le courrier à autrui, ni de colporter des vilains ragots !
Christabella
L’armée s’immobilisa enfin, aux portes de la ville. Bella aperçut de la voiture avec soulagement les hautes murailles de pierre, le clocher de son église, et au loin, l’endroit où se trouvait son manoir de pierres blanches. Elle eut un long soupir de soulagement, car le voyage avait été un calvaire pour elle, entrecoupé de siestes, de coups de pieds du bébé, et d’une douleur lancinante au dos, par moment. Ils étaient enfin arrivés, elle pourrait se reposer. Le soleil était encore haut dans le ciel, parsemé de nuages... Elle sortit lentement du carrosse, avec précaution, pestant contre ses douleurs dans le dos et dans les jambes, puis alla au-devant des quelques soldats pour leur donner les ordres. Ils étaient arrivés à bon port, c’était là l’essentiel. Le reste de la manœuvre leur appartenait, songea-t-elle avec soulagement. C’est avec délices qu’elle retrouva son manoir, accueillie par sa mesnie, Par Béatrix et Marie Clarence, qui lui préparèrent un bain chaud et une petite collation.
Une fois propre et habillée plus légèrement, elle se remit au travail. Du bureau, elle voyait le soleil se coucher entre deux nuages gros foncé, tel une grosse balle jaune-orangé. Elle rédigeait encore quelques ordres, quand Marie Clarence toqua à la porte, l’air renfrogné des mauvais jours.


Votre grâce, nous devons parler.
Je vous écoute...
J’ai ouï dire qu’une deuxième armée stationnait à Lou Moun. Arrivée avec... vous. Et pire... que vous étiez aux commandes !
C’est bien cela, Marie Clarence. Je ne vous cache rien.
Mais... Mais...
Mais ?
Vous êtes … complètement folle ! Inconsciente ! Irresponsable ! Vous êtes prégnante !
Mais...
Qui a eu cette idée inconsidérée? Vous ?
J’ai.. j’ai obéi au Duc.
Oh ! C’est … Lui, qui a eu cette idée ! Et vos vœux alors ? Vous y pensez ? Et votre bébé ?
J’ai acquiescé.
Mais... il veut vous tuer !
Je... je ne vous permets pas !


La moutarde commençait à lui monter au nez. Qu’on lui fasse la morale passe encore, mais le ton employé ne lui plaisait pas. Elle n’était pas une enfançonne ! Et mettre en cause Wallerand, sans savoir... Alors qu’il s’inquiétait à chaque instant de son état, alors qu’il était aux petits soins... Et cette douleur, qui lui vrillait les reins, encore... L’énervement semblait décupler la douleur. Et la douleur accentuait sa mauvaise humeur.

Il veut vous tuer, et vous remplacer par une maîtresse !
QUOI ? Mais...
Il dit que c’est sa sœur, mais il n’a pas de sœur !
Mais...
J’ai enquêté dans tout Arangosse, je n’osais pas vous en parler...
… TAISEZ VOUS !


Cette fois, c’était la colère, une rage froide qui l’imprégnait toute entière. Des larmes de rage coulaient sur ses joues, non pas qu’elle doutait de Wallerand, mais parce que cette idée la rendait malade. Et tout Arangosse en parlerait à présent...

C’est NORMAL que vous ne sachiez rien de cette sœur. Comment avez vous su ?
Je.. j’ai lu.
Vous avez LU NOTRE COURRIER? Comment osez vous ? Et vous vous prétendez fidèle, serviable ? Si je ne puis avoir confiance en vous...Je vais devoir me passer de vos services. Je vous chasse !Aaah!


La douleur venait de lui vriller le dos, et elle se pencha sur la table d’acajou, serrant les dents. Heureusement, cela passait vite. Instinctivement, elle avait bloqué sa respiration. Elle osa expirer de nouveau lorsque la douleur cessa enfin. Beatrix, alertée par les bruits de la dispute, arriva peu avant la sentence, et se précipita vers Bella, la prenant par les épaules, l’air alarmée.

Votre grandeur, qu’avez vous ?
Le voyage a été éprouvant, rien de grave...
Que ressentez vous ?
J’ai …
Elle serra les dents, car la douleur revenait... J’ai mal au dos... Et le bébé bouge...
Votre ventre... regardez... c’est une contraction.
Une...
Oui. L’enfantement commence... Nous allons prévenir le Duc. Allez vous allonger...

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Christabella
Interdite, elle agissait comme un automate. Jusqu’à maintenant, elle n’avait pas conscience de porter un bébé, mais simplement d’être enceinte. Elle n’imaginait pas encore un bébé vagissant, réclamant ses tétées, devant être lavé et changé ! Et cela lui faisait peur. C’est lorsque Béatrix réitéra son conseil, calmement, qu’elle prit conscience que bientôt, elle donnerait naissance. Il fallait aller s’allonger. Et la peur la submergea, tandis qu’avec difficulté, elle s’installa sur la couche. Imoen avait installé plusieurs draps pour la délivrance, et Bella claquait des dents, nerveuse, encore sous le coup de la colère causée par son intendante. Qui, rouge de honte, s’était retirée. La douleur revenait, chaque fois plus forte, et Bella se surprit à observer les détails du plafond, des boiseries, des tapisseries, pour penser à autre chose qu’à la douleur. Beatrix eut un sourire qui se voulait rassurant, lui serrant la main.

N’ayez point peur, je suis là.

Bella savait que la délivrance serait pour elle un saut dans l’inconnu. C’était aussi une épreuve dont certaines ne se relevaient pas. L’inquiétude la rongeait, et troublait ses jades. Pendant ce temps, un coursier était parti à la recherche du Duc, pour le prévenir.
On lui avait dit que l’enfantement était difficile, douloureux, surtout que c’était le premier. Pour l’instant, Bella avait supporté stoïquement la douleur, sans un cri, sans une larme. Mais...


J’ai peur, Béatrix.
]C’est normal...
Vous savez... Ma mère... Elle n’a pas supporté l’accouchement. Elle est restée faible et souffreteuse, jusqu’à en décéder. Kenny, feue ma tante, n’a pas survécu à l’accouchement des jumeaux.

Vous êtes plus forte... Regardez votre père !
Mais si la faiblesse m’emporte ?

Ttttt... Tout se passera bien, vous verrez. J’ai connu Kenny, et navrée de vous décevoir, mais vous tenez plus de votre père. Permettez-moi, je vais voir...
Faites donc...


La gouvernante et cuisinière regarda sous le drap, et fit son inspection, tandis que Bella se mordit la lèvre, les joues empourprées. Après un court moment, durant lequel la douleur revint encore une fois, Béatrix lui sourit.

Vous n’avez pas encore eu les eaux, et j’hésite à forcer. Cela peut accélérer le processus. Sinon, cela se présente bien, je crois sentir la tête.
Cela peut durer longtemps ?

Oh oui... Toute une nuit, parfois un jour entier...
Un jour … entier ? Et... on ne dort pas ? Alors pourquoi hésitez-vous ?

Attendons un peu que cela avance, le col n’est pas assez ouvert. Vous souffrirez trop sinon.

Ce n’était que le début. Tandis qu’on s’affairait autour d’elle, elle espérait que Wallerand ne se ronge pas trop les sangs. Et le temps était rythmé par la douleur qui revenait, comme une vague, une marée, sans cesse, qui ponctuait les instants. La mesnie s’affairait, elle se sentait seule dans la chambre. Elle aurait voulu attraper son livre d’heures, son psautier, pour passer le temps. Mais elle avait peur que tout aille si vite... Bella ne croyait qu’à moitié Béatrix. Une heure ou deux, oui, mais un jour entier ? Pourtant, le temps lui paraissait long. Rien ne changeait, de temps en temps, Béatrix venait l’examiner de nouveau, et elle secouait la tête. Visiblement, ça n’avançait pas vite. La douleur allait croissant, imperceptiblement. C’est long, ça dure des heures, ça ne vient pas... Et là, on ne parle que de la conception !* - Coupez ! On la refait !

Bella soupirait avec force. Lorsque la douleur venait, elle serrait les dents, retenait sa respiration le temps que cela passe. Les derniers instants de communion et d’harmonie avec son bébé prenaient fin. Car pendant neuf mois, elle l’avait porté, senti bouger, elle avait presque l’impression de pouvoir communiquer avec.



Béatrix... Cela fait combien de temps, Beatrix ? Au moins deux heures ? Dites moi deux heures...
À peine vingt minutes, Bella.
Pffffff...

Ne me broyez pas la main, s’il vous plaît...
Pardonnez moi. Parlez moi.

Hum... Fille ou garçon ?
Ce sera une fille, je le sais, je le sens.Je ne sais pas...

Vous verrez bien.
L’important est qu’il soit en bonne santé.



Les deux femmes bavardèrent, pour passer le temps et lui changer les idées, tandis que les contractions se rapprochaient, devenaient de plus en plus douloureuses. - Comment ça, je me répète ? - Tout y passa, de la discussion pour le prénom, qui avait été âpre mais néanmoins tendre, à diverses anecdotes. Pour le prénom, elle avait refusé Foulques et Loup, tout en proposant Ascelin, pour un garçon, et il avait refusé Laure pour une fille, trop proche de Laureen, et elle Marie, trop commun. Ils s’étaient décidé pour Elianor, Mathilde et Clothilde. Bella avait sourit, tandis qu’elle racontait par le menu l’ensemble de la discussion sur le prénom à une Béatrix et une Imoen, hilares. De temps à autre, Béatrix allait vérifier son état, jusqu’à ce que...

Bella ? Accrochez vous. Je vais rompre la poche des eaux.
Mmhm !!!!

Aussitôt, la douleur s’était accrue d’un énorme cran, insupportable. Elle ne put retenir le gémissement, elle qui n’était pas spécialement démonstrative en terme de douleur. Ses mains se crispèrent sur le lit jusqu’à la fin de la contraction. Jamais elle n'avait ressenti telle douleur, et, haletante, le front imprégné de sueur, elle avait l'impression de ne plus avoir aucun répit, à peine le temps de souffler avant que cela ne recommence.

Bella ? Il va falloir pousser. La tête est engagée. Allez y !

À chaque contraction, la future mère tentait d'expulser son passager clandestin. Et enfin, après bien des cris et des larmes... Un petit vagissement se fit entendre. Qui aussitôt lui fit monter les larmes aux yeux, oubliant son épuisement et la douleur ressentie. Il était tard dans la nuit, proche de l'aube, lorsqu'une Beatrix échevelée lui présenta un petit bébé, encore enduit par endroit de son vernix, et lui posa dans le creux de ses bras. Une toute petite chose, un petit nez, des petites mains, des petits ongles, parfaitement formés. Et qui pleurait de toute la force de ses poumons.

C’est un garçon, Bella.
Bonjour, toi...

Le bébé se calma aussitôt, au son de sa voix, tandis que Béatrix les couvrait tous les deux. Garçon ou fille, ça n’avait plus d’importance. Elle était épuisée, mais heureuse.
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