Samsa
- "Je peux bien vendre mon âme au Diable,
Avec lui on peut s'arranger,
Puisque ici tout est négociable, mais vous n'aurez pas,
Ma liberté de penser." (Florent Pagny - Ma liberté de penser)
Pas de lumière éblouissante quand Samsa reprend ses esprits, ni de brise sur le visage. De l'humidité, oui, il y en a, sur toute une moitié de visage. La Cerbère gémit, commence à remuer avant de porter une main à sa tête. Une grimace lui échappe quand elle tâte l'arrière de son crâne à la chevelure mi-rousse mi-brune; elle sent clairement les deux bosses proches l'une de l'autre. Allongée par terre, c'est la pierre qui est froide et humide contre son visage. Lentement, Samsa commence à se redresser, à se rappeler ce qui s'est passé.
Shawie, la brigande qui l'a aidé à retrouver le chemin du Royaume de France.
Le pont, avec les gardes français qui ont refusé de la laisser passer.
Les Impériaux qui l'ont capturé avec l'aide des royalistes.
Et puis le noir.
Avec précaution, la solide Cerbère se remet sur pieds, titube, s'appuie sur le mur pour se maintenir. De l'eau croupie coule le long des pierres abîmées, infestées de moisissures. Le monde tangue sous ses pieds encore hasardeux, qui glissent quelque peu sur la pierre humide et la paille sale. Une botte renverse une gamelle métallique et Samsa jure.
-Merde pardi...
- Stille !**
Hein ? Putain elle ne comprend rien à cette langue de barbare. Au moins, la reine d'Allemagne, Rabi de Granezia, parlait le saxon, et les deux femmes arrivaient à se comprendre un peu avec ça.
Samsa et les prisons, ça fait deux. Elle n'en a jamais visité, elle n'en a jamais eu l'occasion, elle ignore totalement où elle peut être. Si elle pouvait réfléchir, elle conclurait que l'absence d'ouverture signifie qu'elle est sous terre. Un signe confirmé par l'eau qui coule sur les murs. En tout cas, une chose est sûre : ça sent pas bon, ici. Et il fait plutôt sombre. Seule la lueur d'une torche éloignée parvient à donner un peu de lumière dans la cellule où est enfermée Samsa.
Celle-ci prend le temps de récupérer ses esprits et commence à prévoir sa sortie. Elle imagine bien que ce ne sera pas simple, mais elle préfère se battre plutôt que de croupir ici.
-Hé ! Pardi !
-Still !
-JE SUIS SECRÉTAIRE ROYALE PARDI !
-STILL, SCHEI**E !
-JE PEUX DÉCLENCHER UNE AUTRE GUERRE CONTRE L'EMPIRE SI JE VEUX TÉ !
Et c'était même pas faux.
Le physique bordelais était certes trapu et robuste, réserve d'une puissance aussi explosive qu'insoupçonnée, mais Samsa n'était pas un homme. Bien qu'elle sache plaquer et charger à la perfection, elle ne gagnait pas aux bras de fer, ni aux coups de tête, pas plus qu'au levé de poids. Cependant, à la charge comme à "qui a la plus grosse" -de voix, bien sûr-, elle pouvait rivaliser, ce qu'elle ne se gêne pas à montrer à l'instant.
Les claquements de bottes résonnent dans la galerie, le bruit de la clé tournant dans la grosse serrure de la porte en bois massive seulement percée de quelques barreaux se fait entendre, et la lumière de la torche envahit la cellule. Debout devant la Cerbère, c'est un homme somme toute de carrure banale qui commence à l'agresser de sa voix bourrue.
-Noch ein Wort und ich machen Sie die Zun...***
-Va te faire foutre pardi, j'parle pas aux sodomites de ton genre pardi, j'veux parler à ton chef pardi. Et quand je dis "parler" té, ça veut dire "en autre chose que du baragouinage de canard ivre" pardi !
La Secrétaire Royale a répliqué sans même savoir ce que le garde lui a dit, l'interrompant même avec une autorité travaillée. Celui-ci n'en revient d'abord pas, puis la colère l'envahit, et la gifle est donnée avec violence. Samsa, en perte de réflexe depuis ses deux coups à la tête, n'a pas eu le temps de lever un bras pour se protéger. Elle part sur le côté, heurte le mur de son épaule. Bouclier, épée et couteau, elle n'en a d'ailleurs plus. Dans la petite sacoche à sa ceinture, on en a profité pour lui faire les poches. Décidément, Shawie était la plus honnête entre les Impériaux et elle. Quel comble !
La langue bordelaise vient essuyer une petite plaie à la lèvre, causée par l'écrasement de celle-ci contre une dent. Son sang a un goût de fer qui allume une étincelle métallique dans ses yeux sombres, à l'ombre de ses arcades sourcilières marquées qui leur donnent un air un peu sauvage. Il réveille ses sens et lui donne une poussée de raison. Bosses ou pas, il est à parier que Samsa a pleinement commencé sa transformation en son emblème, le Cerbère.
-Sa Majesté Lanfeust de Troy a succédé à feue Sa Majesté Zelha Ière, pardi.
Samsa se frappe le buste d'un poing fermé pour signifier un lien fort avec eux, avec ces deux souverains dont l'homme en connait au moins un. Touché coulé. Immobile, il s'en retourne soudainement, referme la porte à double tour et, après un dernier regard à la prisonnière, emmène la lumière avec lui, jusqu'à ce que les ombres prennent entièrement possession de l'espace clos.
* = citation de Louis Aragon
**= "silence !" en allemand
*** = "Encore un mot et je te cou..." en allemand
**= "silence !" en allemand
*** = "Encore un mot et je te cou..." en allemand
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