Desiree.
- « Solitude : douce absence de regards. »
Milan Kundera.
Il est là. Il est beau. Grand. Brun. Musclé. A la lueur du feu dans sa chambre, au cur de l'hostel dijonnais, elle l'observe. Si beau. Si proche. Si désirable quand il se penche sur elle et effleure son cou du bout des lèvres.
Elle tremble.
Cela fait des mois que son corps attend. Appelle. Et qu'elle le fait soigneusement taire, l'enfouissant sous toujours plus de soie, toujours plus de luxe. Nier le désir, pour mieux l'étouffer.
Et pourtant cette nuit, elle a cédé.
La preuve, puisqu'il est là, et qu'après sa nuque, c'est le creux de son poignet qu'il embrasse. Elle frissonne sous le souffle tiède, et sa peau se hérisse. Qu'il est bon de se sentir désirée, enfin, encore.
Il veut prendre son temps mais elle est pressée, son ventre gronde. Cela fait trop longtemps.
Les mains la brûlent et la glacent. Elle se cambre et soupire. Se cramponne et caresse.
Qu'il est bon de se sentir palpiter encore. Les bassins se frottent et se trouvent. Elle soupire. L'immémoriel ballet commence. Peu importe l'ordre des pas ou qui fait les portés.
Les peaux se frôlent et se frottent.
Elle se sent enfin entière quand les râles mâles heurtent son oreille.
Elle s'alanguit et le regarde. Les yeux gris, la mâchoire carrée. Un géant. Massif. Ou bien fin, avec un regard vairon ?
« Christopher... »
« MIAAAA OUUUUU »
Un sursaut.
« Persépoil, putain ! »
Un soupir.
« Un rêve. Juste un rêve. Foutrecul. »
Une main ferme chasse le chaton ronronnant du lit. Il n'a rien fait mais elle lui en veut. De ne pas être un homme. Un colosse qu'elle connaît depuis toujours, ou presque. Mais si possible avec des yeux vairons et un léger accent anglais.
Non, non, non.
Il ne faut pas penser ça.
Surtout pas.
Jamais.
Honnir Thorvald. L'agonir d'injures. Fermer les yeux. Le haïr, proprement et simplement, en scrutant par l'imagination son beau visage. Soupirer, et glisser une main sous les draps, pour éteindre l'incendie allumé par un petit rêve de rien du tout.
Laisser les doigts faire leur travail.
Glisser et caresser, là où des mains mâles étaient désirées.
Tourner la tête, mordre l'oreiller.
Gémir.
Et pleurer, finalement, quand enfin le corps se relâche et laisse l'esprit libre de penser à sa guise. Pleurer sur son sort, c'est facile et lâche, et ça fait du bien, un peu.
Pleurer sur sa solitude, quand on vit dans une maison, entourée en permanence, et qu'on vit un rêve permanent, c'est assez incongru.
C'est une faiblesse, que de se sentir seul.
Elle hait se sentir faible.
Il n'y a que là, sous le mince drap moite de sa chambre surchauffée, le nez enfoui dans son oreiller, le ventre encore palpitant d'un désir trop vite et trop mal assouvi, qu'elle s'autorise à pleurer sur son sort de pauvre femme gâtée et malheureuse.
Priant pour que personne ne l'ait entendue.
Parce que l'amertume des larmes et l'ignoble solitude d'un lit n'ont pas suffit à taire le désir atroce de son ventre, et que les doigts, déjà, reprennent le chemin de l'apaisement.
Jusqu'à sombrer de nouveau dans le sommeil. Sans rêves, cette fois, si possible.
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*Pablo Picasso.
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©Linda Ravenscroft, création Atelier des Doigts d'Or.