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[RP] Sois sage, ô ma Douleur…

Gabrielle_montbray
        « Il disait tout bas :
        "Petit bouton de rose
        Aux pétales humides
        Un baiser je dépose"
        Optimistique-moi, Papa
        Optimistique-moi, quand j'ai froid
        Je me dis tout bas
        Quand rien ne s'interpose
        Qu'aussitôt tes câlins
        Cessent tout ecchymose
        Optimistique-moi, Papa
        Optimistique-moi, reviens-moi »

        - Mylène Farmer, Optimistique-moi -


      - Trois ans -


Les yeux bleu sombre de l’enfant fixent la lourde porte en bois. Elle ne peut pas l’ouvrir, elle le sait, elle a déjà essayé. Alors elle attend. Parce que ce qu’elle sait aussi c’est qu’elle va bientôt s’ouvrir et qu’il faudra saisir sa chance. Ce n’est pas très compliqué, personne ne fait vraiment attention aux petits enfants, la preuve, elle a réussi à venir jusqu’ici sans que personne ne la remarque et ne la ramène auprès de sa gouvernante. Mais c’est injuste qu’elle soit obligée de rester enfermée alors que Tristan, son frère du même âge, a eu le droit de sortir avec leur père. Elle n’a pas bien compris où ils étaient allés, mais ils y sont allés sans elle.

- Gabrielle ? Gabrielle ?

Se faire toute petite en attendant que la voix s’éloigne. Les adultes ne sont pas si malins qu’ils veulent le dire, il est souvent facile de les tromper, sans le vouloir vraiment, juste parce qu’ils sont perdus dans les choses sérieuses. Et pendant qu’ils sont occupés avec des parchemins recouverts de tas de signes incompréhensibles, ou qu’ils parlent avec un air grave en se murmurant des choses secrètes, ou au contraire qu’ils rient très fort, ils ne sont pas sur le dos des enfants.
Et puis lentement, doucement, la porte s’ouvre. Il y a toujours quelqu’un qui ouvre les portes et qui oublie de la refermer. Surtout quand le quelqu’un a l’air d’avoir envie de toucher sous les jupons de Tiphaine, comme celui qui vient d’entrer le fait toujours. Gabrielle les a entendu déjà, à toujours trainer derrière les tentures ou sous les tables, elle voit et elle entend des tas de choses, même si elle ne les comprend pas toujours. Elle attend que Ojean - c’est son nom à l’homme, elle le sait parce que Tiphaine fait souvent des drôles de petits bruits en disant « Ojean » quand il vient la voir et qu’il s’allonge sur elle – regarde ailleurs et elle fonce par l’ouverture providentielle.

La petite fille sourit et se met à courir. Elle sent la chaleur du soleil sur ses bras nus, l’odeur des pommes qui mûrissent sur leurs branches, celle de l’herbe verte et grasse. L’air de ce début d’été normand est saturé d’odeur de fruits et de fleurs, ça sent la terre lourde et riche, ça sent les groseilles et les coquelicots, le blé et une odeur que la petite fille aime par dessus tout, celle des chevaux. Si elle était son père et qu’elle avait le droit d’aller partout où elle veut, elle irait aux écuries parce que c’est l’endroit le mieux au monde. Et que ce serait idiot d’être un grand auquel tout le monde obéit et de ne pas en profiter pour aller là où c’est le mieux. La petite fille a oublié les adultes et l’interdiction de sortir. Son esprit est tout entier concentré sur ce lieu magique et interdit. Elle ne fait plus attention aux gens, ni à rien d’autre qu’aux grands animaux qu’elle n’a pas le droit d’approcher. Mais on a eu beau lui raconter plein d’histoires d’enfants écrasés, de chevaux qui s’emballent, deviennent fous, et autres joyeusetés que les grandes personnes aiment bien dire aux enfants pour les tenir sages, peu lui importe. Gabrielle tend une petite main vers les naseaux d’un cheval gris qui baisse la tête vers elle, encore un peu et elle pourra le toucher, et voir si…


- Gabrielle !

La petite fille sursaute. La voix de son père, Vicomte aimé et Capitaine respecté, vient de claquer dans les écuries. La petite main hésite, si près de l’objet de son désir, puis renonce finalement. Les yeux bleu sombre se lèvent pour trouver ceux plus clairs de l’homme qui s’approche. Il est grand, il est blond et il est le plus beau du monde. Elle lui sourit et tend les bras vers lui, mais c’est une main rude qui la tire brutalement et la soulève. Et sans bien comprendre, la petite fille se retrouve basculée sur les genoux de son père, son jupon relevé et la main paternelle s’abat. Il ne dit rien, il ne semble pas fâché, il n’y a ni cri ni sermon, juste cette main qui s’abat et qui fait mal. Les yeux sombres s’embuent de larmes, douleur et vexation, humiliation et frustration. Gabrielle ne pleurera pas. Ce sont les filles qui pleurent. Son père le dit souvent à son frère. Et Gabrielle veut faire comme Tristan, elle veut plaire à son père, si beau et si grand. Alors il ne faut pas pleurer. La main s’abat encore et encore, et puis alors qu’elle attend le prochain coup, il ne vient pas. La main rabat le tissu de la robe et vient se glisser dans les cheveux bruns de la petite fille. Et de nouveau les grands bras forts, la soulèvent, mais cette fois c’est pour la serrer contre le grand corps.

- Gabrielle, tu es vilaine petite fille… Regarde ce que tu m’obliges à faire mon petit rat…

Il sent bon son père. Il sent le chaud du dehors, le cuir et le fer. Il a la voix douce et la petite fille ferme les yeux et entoure les larges épaules de ses petits bras. Ce n’est pas souvent qu’il s’intéresse à elle. Il est occupé ailleurs et avec d’autres. D’autres choses et d’autres gens plus intéressants qu’elle. Elle est son petit rat, trop brune, trop maigre, qui se faufile partout.

- Je t’aime papa.
- Moi aussi, je t’aime, ma fille. Promets-moi d’être sage et obéissante.
- Je promets…


Elle recommencera pourtant. Demain. Plus tard. Bientôt. Et il la punira encore. Les mains s’abattront. Puis caresseront. Et jamais Gabrielle ne pleurera. Il ne faudrait pas décevoir papa…


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Titre : "Recueillement" de Charles Baudelaire
_________________
Enzo
     Cette autodestruction dans une sorte de monstruosité déchaînée, n'est jamais effectuée que par la présence d'un certain nombre d'individus qui détiennent un surpouvoir. Le surpouvoir du prince, du seigneur, du ministre, de l'argent, ou le surpouvoir du révolté.
    - Michel Foucault

    - Trois ans –

Il était là, au milieu de cet espace vide dans lequel il grandissait, petit seigneur enfermé dans l’attente que ses parents reviennent et lui sourient de nouveau. Une main se glissa dans les boucles brunes et les yeux verts quittèrent le feu qu’ils fixaient pour sourire à la femme qui vint l’embrasser sur la joue, délicatement. C’est Berthe, sa nourrice. Celle qui remplace maman quand elle disparaît à Paris, quand elle le laisse là, au Mont Saint-Michel, où il est, paraît-il, en sécurité. Avec ses petits bras il pousse pour se mettre debout et il observe Berthe, silencieusement. Maman est partie, et Enzo n’a pas envie de faire de bêtises, il pourrait pourtant, partir comme bien souvent, en se déchirant la gorge à hurler dans le logis, jusqu’à ce que Gauvin l’attrape au détour d’un corridor et le ramène dans ses appartements. Mais maman est partie et ça le rend triste, le petit garçon. Les boucles brunes sont secouées et il tend les bras à Berthe, exigeant, les sourcils froncés, fâché.

- « Vòli del lach ! »

Et un pied de taper sur le sol froid tandis que le petit garçon fronce encore plus les sourcils et tend de nouveau les bras prêt à déclencher une crise si elle ne s’exécute pas. Un soupir est abandonné par la nourrice qui prend le jeune Blackney contre elle et lui sort le sein que la petite main n’hésite pas à saisir et pincer avant d’y apposer sa bouche pour y boire, rageusement, mordant et faisant crier et se crisper sa nourrice, ce qui fait rire le petit garçon. Elle ne peut rien dire, c’est le petit seigneur, elle ne peut ni le frapper et le disputer risquerait de créer une crise de larmes et de colère que Berthe n’a pas envie de déclencher, alors elle le laisse faire, le petit seigneur, même quand il mord fort et qu’il tête violemment. Il soupire et ça semble le calmer alors elle lui caresse les cheveux et il s’apaise doucement. Le petit garçon va chercher du réconfort contre le sein, le martyrisant pour expulser ses petites frustrations. Les yeux verts observent le visage qui se tend quand il mord et il écoute le couinement que lâche Berthe. Il sourit et finit sa tétée avant de regagner le sol et se rendre à la fenêtre.

Papa est parti dans une énième guerre, il ne sait pas laquelle, une autre. Il ne sait même pas si c’est en Normandie ou très loin, peut-être dans le sud. Enzo aimerait bien aller voir le sud une fois, il paraît que c’est beau là-bas et quand on lui raconte des histoires sur les hommes de la Gascogne, il sourit. Des guerriers forts et indestructibles, selon les légendes. Il aimerait ça être puissant, lui aussi, et montrer qu’il est fort et qu’il n’est pas que le cadet. Montrer à l’autre qu’il n’est pas qu’une lopette qui se cache dans les jupons de sa mère quand il vient le martyriser. Enzo ne l’aime pas, ce blond plus grand que lui, qui ressemble à leur père. Le portrait craché en un peu plus blond. C’est son frère pourtant, mais il prend tellement de place qu’Enzo est étouffé d’être le second, tout le temps. Il était jaloux, jaloux parce qu’il était plus petit et que maman, elle passait plus de temps avec lui, parfois. Et quand ils partaient, les parents, c’est Enzo qui recevait par vengeance les jalousies du fraternel.

Le petit garçon quitta la fenêtre et se ramena au centre de la pièce pour reprendre son petit bateau de bois délaissé plus tôt. C’est un pêcheur qui le lui a donné, quand il a réclamé qu’il voulait aller voir les bateaux de plus près. S’étalant au sol, sur le tapis, le petit noble promène le bateau en faisant des petits bruits, et en ordonnant à ses petits bonhommes de bois d’exécuter les ordres du Capitaine Enzo. La main attrape un modèle réduit de catapulte et le garçon y met une petite pierre pour l’enclencher et attaquer le mât du bateau.


- « Bam ! Mòrt !»

Et Enzo rit, faisant couler le bateau d’où sautent pour se noyer les marins qui s’y trouvaient. Le garçon se roule sur le tapis agitant brusquement les bras, criant « Òme a la mar ! » tandis que sa nourrice l’observe qui joue avec fougue et exubérance. Elle n’aime pas trop ça, la Berthe, elle pense que les enfants ça se doit d’être sages et que le petit seigneur devrait commencer à s’intéresser aux chiffres et aux lettres, mais chaque fois que le précepteur passe, il fuit ou hurle fort – en jetant parfois ses jouets – qu’il n’a pas envie et qu’il connaît ses chiffres et ses lettres. Ce qu’il préfère c’est courir et jouer avec ses petites affaires de bois. Et alors que le bateau du petit garçon se cabre et tente de rester maître du cap dans cette nouvelle bataille imaginée par le garçon, la porte claqua, fendant l’air et faisant sursauter Enzo qui, instinctivement, se leva avec son bateau et se dirigea vers Berthe, les yeux vert fixant qui venait d’entrer.

Lui. Le petit garçon contemplait la silhouette fraternelle, frissonnant légèrement. Étant l’aîné, il pouvait pratiquement faire ce qu’il voulait et Enzo ne pouvait rien en dire. Il admira les traits du mini-Alcalnn, perdant ses doigts dans les jupons de Berthe sur lequel il se crispa, s’empêchant de baisser les yeux, observant sa crainte, son admiration et sa haine, devant lui. Et il s’avança vers eux, Enzo serrant un peu plus le petit bateau contre lui, craintif. Maintenant que maman était partie, il ne pourrait plus aller lui raconter ce qu’il lui faisait. De toute façon, bien souvent, cela ne servait à rien. Maman le grondait et son fraternel n’avait pour lui que plus de haine et de mépris et bien entendu, recommençait. Enzo recula et buta contre sa couche, observant le blond qui venait de s’arrêter face à lui, offrant un sourire qui ne présageait rien de bon. La main adverse vint se saisir du bateau de bois et se leva dans les airs, tandis que le petit garçon lâchait un « non » plaintif, tentant de sauter pour l’attraper, ce qui ne changeait rien, puisqu’il était trop petit. Fâché, Enzo poussa de ses petits bras le grand frère qui pour se venger lâcha le bateau au sol, bateau qui explosa en plusieurs morceaux devant les yeux embués du petit garçon.

Le rire de son frère provoqua une boule de colère dans le ventre d’Enzo qui se précipita poings fermés sur lui, cognant dans le ventre de ce dernier qui le repoussa. Il recommença toutefois, allant jusqu’à le mordre et lui filer des coups de pieds, écoutant les sons plaintifs que lâchait parfois le blond et qui sonnaient comme une mélodie à ses oreilles, comme un apaisement après l’humiliation qu’il venait de subir. Mais le blond était plus fort et Enzo fut rapidement repoussé au sol et abandonné là, comme une petite chose dont on ne veut pas. Se relevant, le petit garçon fixa son frère, haineux, et partit à courir pour attraper un cadeau que leur père lui avait offert, à son dernier retour de guerre, les larmes aux joues, Enzo le saisit violemment et le lança avec rage au sol pour qu’il explose tout comme son petit bateau.


- « Aissosi ! »

Mais Berthe avait déjà renvoyé le frère vers sa gouvernante et le petit garçon se mit à pleurer et crier, tapant sur le sol. Et ça serait encore comme ça des années, à subir l’intimidation de son aîné, lui qui n'était rien d'autre que le cadet, et qui tenterait du mieux qu'il pourra de se faire valoir auprès du frère et du père.

Traduc.
Je veux du lait.
Bam ! Mort !
Un homme à la mer.
Je te déteste.
x
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Gabrielle_montbray
        « Badam-badaboumbambim
        Non ça n'est pas ce que l'on pense
        Rien qu'un jeu d'amis intimes en toute innocence
        Quelques figures acrobatiques,
        trois coups de baguette magique
        Puis s'en est allé
        Il s'en est allé »

        - Judith, Badaboum -


      - Sept ans -


La vie avait changé. Papa était parti. Et il avait emmené Tristan. C’était tôt un matin, il faisait encore nuit et il était entré dans la chambre. Il avait pris Tristan encore ensommeillé dans ses bras, et il était parti. Il avait sourit à Gabrielle, lui avait caressé les cheveux et il était parti en emmenant son frère. Sans un mot. Il était parti et il n’était jamais revenu. Gabrielle avait attendu des jours, des semaines, des mois. Elle attendait toujours après tout ce temps. Elle avait commencé à faire des cauchemars, et à ne plus dormir pour les éviter. Elle restait les yeux grands ouverts, collée contre le corps rassurant de sa mère dont elle partageait la couche depuis cette funeste nuit d’abandon et de disparition. Avec son père avait disparu également la main sévère et caressante, celle qui punissait et cajolait. Une main qui faisait mal. La petite fille avait provoqué souvent, et immanquablement, cela captait l’attention de son père. Elle agissait mal ou parlait mal et attendait, elle regardait les bottes, toujours bien cirées, qui venaient vers elle. C’est encore les bottes qu’elle fixait quand la main s’abattait sur sa peau nue. C’était calme toujours. Papa l’allongeait en travers de ses genoux, il relevait les jupons, presque doucement, tendrement, et le claquement qui suivait lui faisait monter les larmes aux yeux. Pourtant, Gabrielle aimait ces moments intimes. Des moments juste entre elle et lui. Des moments où il était tout à elle. Oui, la main paternelle faisait mal, mais elle le faisait bien.

La petite fille avait bien essayé de capter l’attention des hommes de la maison. Il n’était pas pas son père ni son frère, mais il restait des hommes. Mais aucun n’avait plus levé la main sur elle. Elle restait la fille du Vicomte et aucun des gens qui demeuraient auprès de sa mère n’était en position de la corriger. Mais les enfants ont de la ressource et une manière d’aborder le monde comme s’il pouvait vaincre tous les obstacles qui leur est toute spécifique. Gabrielle ne s’avouait pas vaincue et elle cherchait de manière floue et sans le savoir vraiment à retrouver les émotions si particulières que seul son père avait réussi à faire naitre dans son esprit innocent. Toujours auprès des hommes.
Enfant solitaire, elle n’aimait pas les autres petites filles. Les petites roturières la jalousaient et les petites nobles se moquaient d’elle. Elle était moins gracieuse, moins jolie, moins sociable, moins souriante. Gabrielle détestait ces petites pestes capricieuses qui parlaient déjà mariage, dot et succession. Les Princes des histoires n’existaient pas. De cela Gabrielle était bien convaincue. Ou alors ils finissaient par partir. Comment aurait-il pu en être autrement ? Pourtant, elle avait rencontré le sien de Prince. Un garçon plus âgé qu’elle, Gauvin. Un sale gamin disait-on, violent et agressif. On avait formellement interdit à Gabrielle de le fréquenter. Et bien évidemment, de l’interdiction nait la curiosité. Et de la curiosité, la fascination. La petite fille lui rôdait souvent autour « par hasard ». Il était le fils du maitre des écuries. Et elle aimait les chevaux. On ne lui interdisait plus d’aller les voir comme avant. Et là bas, elle croisait Gauvin. Il la laissait la suivre, à distance raisonnable. Ou bien elle s’asseyait sur une botte de foin et elle le regardait aller et venir comme le jeune palefrenier qu’il était. La plupart du temps il se contentait de l’ignorer mais parfois, il lui jetait un regard. Souvent un peu moqueur. La gamine du Vicomte qui venait s’encanailler chez la gueusaille. Parfois, il lui donnait quelques coups de bottes dans les mollets quand il passait près d’elle. Et elle lui souriait. Et lui aussi lui souriait. Il était beau Gauvin. Pas aussi beau que Papa ou Tristan, mais beau quand-même.
Et puis il y avait eu cet après-midi où il avait simplement dit « suis-moi ». Et Gabrielle l’avait suivi. Elle trottinait derrière lui qui avait des grandes jambes de presque jeune homme. Il avait marché jusqu’au petit bois, et elle l’avait suivi. Il lui avait demandé de se déshabiller. Et elle avait obéit. Elle n’avait pas tout enlevé, juste sa robe. Il avait ricané un peu. Mais elle était habituée. Les autres petites filles nobles faisaient ça aussi quand elle était là. Elles se chuchotaient des choses à l’oreille et elles pouffaient en regardant Gabrielle du coin de l’œil. Gauvin, lui, il la regardait vraiment, et même s’il riait un peu, il lui souriait. Il lui avait demandé si elle était courageuse. Et Gabrielle avait répondu que oui, sauf avec le noir et les loups. Gauvin avait dit que ce n’était pas trop grave et que si un loup arrivait, il la protégerait. Et il lui avait demandé si elle serait capable de traverser les orties sans pleurer. Les yeux bleu sombre l’avaient fixé un instant, mais elle l’avait fait. Elle avait traversé les orties, les plantes l’avaient piquée sur ses mollets et ses genoux nues, ils avaient traversé la fine épaisseur de tissu de la chemise. Gabrielle avait senti ses yeux se mouiller, elle avait eu envie de crier, la brûlure était atroce, ça démangeait et ça piquait. Et sa peau était toute recouverte de petites boursouflures douloureuses. Elle allait se mettre à pleurer mais Gauvin l’avait regardée et lui avait fait un beau et grand sourire. « C’est bien, je suis content ». Alors elle n’avait pas pleuré.

Elle n’avait pas pleuré non plus quand il avait voulu tester sur elle si les branches de noisetier pouvait faire une bonne badine pour les chevaux et qu’il l’avait abattue sur sa cuisse. Ni quand il lui avait boire de l’eau boueuse qui sentait la pisse. La petite fille essayait bien de protester devant les demandes du jeune garçon, mais il disait simplement « ça me ferait plaisir ». Alors elle s’exécutait. Souvent aussi, Gauvin discutait avec elle. Il lui disait que quand son père reviendrait, il serait fière d’elle et qu’elle soit aussi courageuse. Il la protégeait des autres enfants qui voulaient la tourmenter. Il jetait des pierres pour chasser les chiens errants qui lui faisaient peur. Et parfois, très rarement, il lui prenait la main. Et chaque fois, le cœur de la petite fille lui semblait s’arrêter le temps d’un battement. Elle serrait bien fort la main du grand garçon et elle attendait qu’il exige d’elle ce qu’il voulait.

Obéissante et servile.
Sage et soumise.
Solitaire et secrète.

Sept ans, l’âge de raison.

_________________
Enzo
    « […] It's a jungle out there
    Disorder and confusion everywhere
    […]
    People think I'm crazy, 'cause I worry all the time
    If you paid attention, you'd be worried too
    You better pay attention […] »

    - Générique Monk.

    - Sept ans -

Ce soir là, dans sa couche, le jeune garçon eut plus de mal à dormir qu’à l’habitude, fixant ses yeux sur la porte toujours close de sa chambre, les couvertures sur le menton. Des terreurs nocturnes, à en pisser parfois au lit, l’empêchaient de fermer l’œil. Non pas qu’il s’en souvenait, au contraire, mais la panique de Berthe et les remontrances sur le fait qu’il mouillait encore son lit parfois, lui suffisait à ne plus vouloir fermer l’œil de la nuit. Alors il restait, ses petites mains crispées sur son édredon, à fixer une porte qu’il voyait peu, dans ce noir presque absolu, de son lit bien trop grand. La perspective d’être encore humilié par son frère motive Enzo à resté éveillé, sans parler de la déception qu’il lirait sans doute dans le regard de son père et des remontrances de sa mère qui n’avait pour lui plus le même attendrissement. Puisque ses nuits semblaient tourmenter tout le monde, il ne dormirait plus.

- « Dominer la peur, résister à la douleur, dominer ma peur, résister à la douleur…avoir le courage d’un Chevalier… Dominer ma peur. »

Et Enzo quitte sa couche, glissant pour faire rejoindre le sol à ses pieds de petit garçon angoissé. Il ne sait pas bien ce qu’il répète, mais on le lui dit souvent, lors de ses leçons, quand le bâton du Maître d’armes s’abat vers lui et qu’au lieu de riposter, il ferme les yeux en crispant sa main sur son épée de bois comme si forcément, quelque chose de grave allait lui tomber sur la tête. Et alors il sent la douleur du bois sur ses mollets et se retient de hurler, parce que parfois, son père est là. Il l’observe et quand il est là, Enzo ne veut pas passer pour une mauviette. Il est fort et lui aussi, il sera fort. Il le faut. C’est important. Très. Prouver à son frère et son père qu’il peut le faire, qu’il peut devenir un grand homme militaire, qu’il le fera, parce qu’il le veut et parce qu’il le faut. Après tout c’est la coutume gasconne que le second fils finisse par faire la guerre et montrer la bannière familiale sur les champs de bataille. Et le jeune garçon doit prendre sa place maintenant, il doit s’imposer dans cette vie familiale décousue, entre la mère toujours à Paris, le père constamment en guerre ou en politique et un frère insupportable. Ici aussi, tout a changé. Elle est blonde, petite, capricieuse et elle s’appelle Hélène. C’est sa petite sœur et pendant que maman la dorlote, elle l’oublie lui, son fils préféré, Enzo.

Le petit corps frémit quand les pieds nus touchent le sol et d’une main légèrement tremblante, Enzo retire le bonnet qui recouvre ses oreilles et ses longs cheveux. Il trottine doucement vers la fenêtre pour observer la baie du Mont Saint-Michel d’où bientôt le soleil se lèvera. Et une nuit sans dormir, une. Au bout de quelques instants, le garçon quitte la fenêtre et rejoint ses jouets mal rangés qu’il a abandonnés là, avant d’être mis au lit. Et la main qui plutôt tremblait attrape un des soldats de bois. Bientôt, mille cris se feront entendre et un vacarme incessant viendra englober sa journée. Le bruit des armures, des cuisines, des ordres, ceux qui parlent trop fort dans les couloirs… La vie de mesnie est remplie de bruits divers qui terrorisent bien souvent Enzo, inquiet face à toutes ces choses qu’il ne peut pas prévoir, tous ces bruits qui vont et viennent. Et lui, il n’est qu’un petit garçon perdu dans ce logis où il se sent bien seul. Alors il fuit souvent, pour rejoindre le port, le marché, dévaler dans les rues du Mont en laissant la chaleur de l’été lui caresser la peau et l’air salin lui rappeler qu’il aime nager. Il fuit aussi pour éviter ses leçons, pour l’éviter lui, pour oublier qu’il se sent seul et que dans cette maison, il y a la nouveauté, cette petite chose blonde et grouillante qui piaille sans cesse et qui a droit à toutes les attentions du monde. Alors il se cache et évite d’affronter, de toute façon, son frère le lui répète souvent, il n’est qu’un sale petit trouillard.

Mais le petit garçon s’apaise parfois, seul dans la bibliothèque, les yeux rivés sur des mots et des phrases bien trop compliqués pour lui, en théorie. Sauf que l’avantage quand on oublie de s’intéresser à toi, c’est que tu peux prendre le temps d’apprendre et que personne ne sait que tu sais. Alors il lit, beaucoup. Et il dessine aussi. Il trace des plans et fait des calculs. Et en regardant ses petits plans bien dessinés, il tripote des bouts de bois, pour refaire son dessin en « vrai ». Non, ça ne l’intéresse pas d’écouter le précepteur lui raconter l’histoire de la Normandie et la géographie des Royaumes, lui, ce qu’il veut, c’est reproduire ces choses énormes qu’on appelle « artillerie » dans son livre, découvrir que les vikings ont fait des raids en Normandie, mais aussi en Gascogne, là d’où son père venait. Et aussi de les replacer tous à leurs places, les livres. Minutieusement. Impeccablement. Il n’oublie jamais de les replacer à l’endroit exact où il les as pris, ses livres. Ni vu, ni connu, toujours. Et ça lui fait du bien, de les placer. La bibliothèque c’est calme et il a le contrôle. Il prend et remet sur l’étagère, à la suite d’un grand ou d’un petit livre. Parfois, il tombe sur des manuscrits, et alors là, il s’assure que chaque page tournées soient déposées l’une sur l’autre, correctement.

Et quand, apaisé, il décide de revenir vers les autres, rarement on lui dit quelque chose, le fixant bien souvent avec l’angoisse qu’il se mette à hurler et frapper le sol jusqu’à ce qu’on le laisse tranquille où qu’on lui donne ce qu’il exige. Ce qui bien souvent, ne tarde pas. Cadet, mais petit seigneur sur ce grand rocher où il passera la majeure partie de sa vie d'enfant. Si on ne lui disait rien, il ne disait rien non plus, se laissant même aller à écouter le précepteur ou le maitre d’armes et acceptant, sans ronchonner,de monter sur un cheval pour une balade, dominant petit à petit, dans ses manies, ses craintes inutiles, se relevant quand il tombait au lieu de crier, fixant ses yeux vert sur le maitre d’armes quand l’épée de bois arrivait vers lui. Petit à petit. Allant jusqu’à se motiver en lisant des recueils de guerre et s’intéressant de prêt à ses gros engins qui s’imposait dans sur les dessins qu’il trouvait parfois. Il ne pouvait pas rester le petit garçon qui décevait constamment. Il devait devenir fort. Très fort. Plus fort que son frère. D’un geste, le petit garçon ouvrit le coffres contenant le reste de ses jouets et rangea ceux qui trainaient, s’aidant d’une bougie pour s’orienter. Une fois cela fait, il retira sa chainse, se frotta avec un savon et de l’eau froide et s’habilla minutieusement, prenant le temps qu’il lui fallait pour faire une boucle parfaite à ses braies avant de mettre sa tunique, une ceinture et ses petites bottes noires. Toujours rangées au même endroit. Il alla ensuite regarder le soleil se lever et dégringola les escaliers pour réclamer crêpes et confitures avant que les bruits ne reviennent encore et encore mettre le tourment dans sa tête.

Se relever, toujours. Ne plus avoir peur. Dominer. Affronter. Résister.
La découverte des habitudes et de l’orgueil, 7 ans, l’âge de raison.


Trad.
C'est la jungle la dedans
Le désordre et la confusion partout
Les gens pensent que je suis fou parce que je suis inquiet tout le temps
Si vous faisiez attention vous seriez inquiet aussi
Vous feriez bien de faire attention

_________________
Gabrielle_montbray
        «Et dans le bruit, je cours et j'ai peur
        Est-ce mon tour ?
        Vient la douleur...

        Dans cette douce souffrance
        Dont j'ai payé toutes les offenses
        Ecoute comme mon cœur est immense

        Je remue le ciel, le jour, la nuit
        Je danse avec le vent, la pluie
        Un peu d'amour, un brin de miel
        Et je danse, danse, danse, danse, danse, danse, danse»

        - Indila, Dernière Danse -


      - Douze ans -


Les yeux bleu sombre étaient restés secs lorsque la boite en bois avait été descendue dans le trou creusé dans la terre humide du cimetière de Belley, en Savoie. La gamine le savait bien que ce serait une terre maudite et qu’elles auraient du rester en Normandie. Mais il y avait eu la guerre et elles avaient fuit. Gabrielle ne pleurait plus. Cela ne servait à rien. Tristan n’était jamais revenu. Ni son père. Et maintenant, elle, sa mère. Gabrielle avait douze ans et elle était seule. Il n’était plus temps de pleurer. Elle avait vendu les biens de sa mère. Elle n’avait rien gardé. Juste des écus. Une somme qui lui permettrait de tenir quelques temps, Gabrielle devait retourner en Normandie et se mettre en quête de son père qui devait bien être quelque part. Probablement qu’il l’enverrait dans un couvent en attendant de pouvoir se débarasser d’elle, une fois encore, en la mariant au premier parti convenable qui voudrait bien d’elle. En lâchant une poignée de terre sur le cercueil de sa mère, Gabrielle lui en voulait presque de lui avoir fait un coup pareil. Elle avait douze ans et elle était seule.

La gamine fit stopper le convoi léger qui quittait les routes de Savoie. Un convoi qui ne portait aucun écu visible. Gabrielle était fille de Vicomte mais si ces parents avaient échangé quelques serments devant un maire il y avait des années de cela, Rome n’en tenait pas compte et elle ne restait qu’une enfant illégitime aux yeux de tous. Elle aurait pu attendre le soir, que la petite troupe s’arrête dans une auberge, mais elle ne tenait plus. Depuis que sa mère avait rendu son dernier souffle dans un crachat ensanglanté, Gabrielle refoulait. Des jours qu’elle offrait à tous une muraille glacée, calme et sereine alors que c’était l’incendie au fond de son âme, qu’elle se sentait complètement perdue et terrifiée. Elle mit pied à terre et s’enfonça dans le sous-bois. Gabrielle cherchait à calmer l’angoisse sourde qui lui tenaillait le ventre. Et elle ne connaissait qu’une seule manière d’y parvenir. La douleur. La douleur choisie et consentie. La douleur qui calmait et apaisait. La douleur qui faisait du bien. Comme avant, quand son père abattait ses mains sur elle. Comme quand Gauvin lui faisait traverser les champs d’orties. Comme quand elle était seule la nuit et qu’elle tentait de retrouver la douce volupté qui suivait les souffrances qu’elle s’infligeait. C’était son petit secret. Elle ne savait pas si la chose était normale ou pas. Si d’autres faisaient de même. Si d’autres avaient le corps qui s’enflammaient et vibraient après avoir eu mal. Mais Gabrielle pressentait qu’elle ne devait pas en parler. Et à qui donc aurait-elle bien pu dire quoi que ce soit à ce sujet de toute façon ? La gamine avançait dans le bois, prenant garde qu’on ne la suive pas. Son regard cherchait ce qui serait l’objet de sa douleur et de sa libération. Elle n’avait pas de critère particulier, mais quand elle le vit, elle su que ce serait lui. Elle s’approcha du tronc noueux et fit glisser sa main dessus avec un léger sourire. Assurée d’être seule, Gabrielle se déshabilla, dans le froid et la légère pluie qui tombait, mais que pouvait bien lui importer. Au contraire, ce temps gris et glacé s’accordait parfaitement à ses humeurs et il lui semblait bien que ce n’était pas uniquement le fait du hasard.
Gabrielle soupira légèrement quand sa peau entra en contact avec la surface rugueuse du tronc. Elle sentait le piquant et la dureté de l’écorce sur son corps et déjà, il lui semblait que ses tourments étaient moins profonds. Et là, contre ce tronc, à s’en arracher la peau, à en saigner, Gabrielle calma sa peine immense. Cela ne durerait pas, elle le savait, mais sur l’instant c’était si douloureusement délicieux. Si merveilleuse torture qui faisait reculer ses afflictions. Se déchirer le corps pour réparer son âme tourmentée et son cœur si triste. Se faire mal jusqu’à ne plus rien sentir que cette douce chaleur qui envahissait tout et qui pendant un instant, si beau et si court pourtant, faisait tout oublier, le temps d’un soupir et d’un léger gémissement.


      - Plus tard -


Elle était partie. Elle s’était enfuie. Sa mère était morte et enterrée, qu’importait donc ce qu’il pourrait lui advenir désormais. Gabrielle avait quitté l’auberge qui les hébergeait pour la nuit. Personne ne se méfiait de la gamine, pourquoi l’auraient-ils fait ? Et elle avait profité du sommeil de tous, elle la jeune insomniaque pour partir. Le froid de la nuit avait eu raison d’elle et elle était entrée, au hasard, dans un établissement encore animée en cette heure tardive. Petite, trop maigre et trop brune pour être jolie, Gabrielle espérait bien qu’on la prendrait pour un de ces jeunes garçons de la gueusaille qui vagabondait et cherchait à se réchauffer avant de repartir trainer dans les rues de la ville. Elle avait remonté son capuchon et s’était calée dans un coin, silencieuse et discrète mais attentive à ce qui était autour d’elle. De l’alcool qui piquait le nez qui coulait en quantité, des hommes qui jouaient aux cartes et aux dés, des catins qui riaient trop fort et s’asseyaient sur leurs genoux. Elle sentait la brûlure de l’arbre sur son dos, ses fesses et ses cuisses, et chaque mouvement la rendait plus vive. Et elle aimait ça. Toute concentrée sur les sensations de son corps maltraité, elle ne le vit pas s’approcher. C’est sa voix à l’accent exotique qui la fit lever le regard vers lui. Et ses yeux bleu sombre croisèrent leurs homologues qui la fixaient. Un bleu et un vert.

- Ce n’est guère prudent de vous promener seule par ici, young lady.

Gabrielle avait douze ans et elle était seule. Plus pour longtemps.
Douce souffrance.
Naïve espérance.


(avec la participation de JD l'Anglois )
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Enzo
Il y a les cris, des hurlement de joies, d’autres de peurs ou encore des pleurs à fendre l’âme des plus tendres. Une foule nombreuse venue pour un seul événement, à Rouen où se trouve le jeune homme pour deux jours. De par sa fenêtre, il observe cet attroupement mystérieux sans totalement comprendre ce qui se prépare, perplexe face à tout ce bruit qu’il déteste mais l’attire. Une main qui tortille une mèche, nerveusement, le reste de ses cheveux tombant en de longues boucles sur ses épaules. Il est silencieux, attentif à toute ces émotions qu’il voit sur le visage des gens, furieux, tristes, désespérés, il y a de tout et le jeune Enzo reste impassible, malgré l’excitation qui vibre en lui. Il n’aime pourtant pas la foule, ni même le bruit, mais ce qu’il voit sur le montant de bois l’intrigue, des engins divers, un homme dont le visage est caché par un sac de lin, un autre portant un masque, celui d’un bourreau. Du haut de ses douze ans, le cadet du Chat sait ce qui se prépare même s’il n’en a jamais vu. Il comprend maintenant que cette foule est destinée à regarder les souffrances d’un homme, la mort lente d’un des leurs, coupable de quelque chose qui importe peu au jeune Blackney. Ce qui l’intéresse c’est la scène qui se déroule, l’homme qui lance un fruit pourri vers le coupable, la femme en pleurs qui se cache le visage dans ses mains, une autre auprès d’un prêtre qui murmure sans doute des prières dans l’espoir fou que cet homme puisse aller au paradis lunaire. Il sourit en coin, légèrement, de ces sourires qui feront indéniablement partie de sa personnalité plus tard. Un sourire à la fois narquois et mesquin, amusé et malsain.

Le sac est enlevé de la tête de l’inconnu et Enzo se tourne vers Audoin, son garde, son maitre d’armes et un peu sa nounou aussi. Depuis l’âge de sept ans il le suit partout, il endure les caprices du jeune Enzo, ses craintes et ses colères. Un des rares hommes en qui le jeune homme a confiance et avec qui il réussit, chaque jour un peu plus, à aller au delà de certaines craintes et à améliorer ses gestes à l’épée. Il a grandi depuis ses sept ans, il ne craint plus les coups de bâtons et a appris à frapper en retour, à devenir bon escrimeur, même s’il est beaucoup trop lent se fait-il répéter souvent. Cinq ans d’entrainement et un domaine pour lequel Enzo se passionne de plus en plus et dans lequel il continue de progresser, par envie autant que par orgueil, n’oubliant pas la promesse qu’il s’est fait, il y a de ça des années : il sera plus fort que son frère, et son père sera forcément fier de lui. Audoin comprend-t-il ses besoins, quand il s’évade toujours et encore dans la bibliothèque, quand il se met à crier contre une femme de chambre parce que son lit n’est pas fait comme il l’aurait voulu, quand on a osé toucher à l'une de ses maquettes ou pire, que l'on a plié et rangé mal ses chemises. Aurait-il compris que frapper et voir la souffrance apaisait le jeune garçon, et serait-ce la raison pour laquelle lors de certaines crises il l’amenait en retrait, aux écuries, frapper plusieurs sacs de blés, qu’il le laissait aussi martyriser quelques bêtes ou engueuler une pauvre fille ? Peut-être, Enzo n’en savait rien et ne cherchait pas à savoir si sa nature profonde était comprise par Audoin, ne la connaissant pas lui-même. Il savait néanmoins une chose.


- « Audoin. Rejoignons la foule. »

C’est un ordre et il ne compte pas se faire dire non, de toute façon très peu de gens ose dire non au cadet Blackney, sauf Audoin, de temps en temps, quand il considère qu’il va trop loin. C’est un des rares aussi envers qui Enzo a un minimum de respect et devant lequel il baisse parfois la tête, lorsqu’il se fait reprendre ou qu’un non grave sort de la bouche du garde. Il est un peu le seul modèle masculin d’Enzo, son père n’ayant pas changé avec les années et malgré l’arrivée de la dernière petite tête blonde de la famille, Hélène, il y a cinq ans. Il continue les guerres, la politique et ses absences sont de plus en plus longues, ce qui n’arrange rien. Sa mère aussi est de plus en plus absente, même si elle revient de temps à autre, pour sa sœur, ce qui rend légèrement jaloux Enzo, qui idolâtre toujours autant sa tendre mère et dont il espère aussi qu'elle est fier de lui. Mais ses parents restent et demeureront d’éternels absents, ne se préoccupant que peu des envies, besoins, et angoisses du second fils, tant qu’il ne fait pas honte à la famille. Les Blackney. La chemise est mise dans ses braies et ses cheveux remontés en catogan, le jeune homme devant se battre légèrement avec les lourdes boucles qu’ils forment. Le pourpoint et les bottes sont enfilés et déjà la porte de la chambre s’ouvre et Enzo sort de la pièce pour dévaler les escaliers jusqu’à ce qu’il soit dehors. La foule est plus vaste quand on y fait face et ses mains se crispent légèrement, mais le coupable est installé sur une table, bras et jambes en croix, et la curiosité l’emporte sur sa crainte. Suivi de son garde, Enzo s’avance, assez grand pour arriver à voir d’où il est.

- « C’est une exécution avec torture, monsieur. »
- « Je sais. »


C’est tout ce qu’il dit, les yeux verts fixés vers le spectacle, oubliant le bruit et la foule. Sauf peut-être les cris de l’inconnu lorsque les roues de la machine sont tournées, tirant ainsi sur ses bras et ses jambes à la fois. Enzo sourit, excité par cette douleur, cette humiliation qu’il voit se dérouler devant lui. Les hurlements de l’homme lui donnent des frissons et sa main se crispe sur ses braies alors qu’il sent une sensation étrange lui parcourir le corps. Plus qu’un frisson et qu’une simple agitation. Il réagit avec plaisir à ce qu’il voit, des goutes de sueur perlent son front, sa main se crispant un peu plus, le regard ne voulant pas quitter ce qu’il voit, Enzo soupire presque à chaque fois que les roues tournent et que l’homme hurle, avouant ses pêchés, demandant à être pardonné et réclamant qu’on le tue sur le champs. Il n’a plus d’honneur, sous la douleur, les choses inavouables sont avouées, il n’y a que le bourreau et sa victime, qui elle, n’espère qu’une chose, que la torture s’arrête. Le cœur d'Enzo commence à se débattre et ses braies lui semble devenir plus serrées, sans qu’il ne comprenne pourquoi. Et alors que le coupable est présenté au public, dans cette position humiliante et douloureuse, Enzo en profite pour baisser légèrement son regard et remarquer ce qui gonfle dans ses braies. Bien sûr qu’on lui avait parlé, quelques fois, des plaisirs de la chair, surtout Audoin, quand ils allaient pêché tous les deux, car il allait devoir « devenir un homme un jour » lui répétait-il souvent et jusqu’à maintenant, cela n’avait pas intéressé le jeune Enzo. Il croyait qu’il n’y avait que les femmes pour éveiller la masculinité des hommes.

Troublé, il reporta son attention vers la suite de la scène de torture. L'homme était coupable de meurtres, des morts lentes et données dans la souffrance, il avait vraisemblablement violé des gamines et pillé de nombreuses familles. Cet homme méritait sans doute ce qu’on lui faisait subir, une punition corporelle pour se venger, jusqu’à ce que mort s’en suive, mais aussi pour faire la morale au peuple, à ceux qui voudraient faire pareil. Les roues tournèrent encore et les hurlements, mélangés à ceux de la foule, troublaient encore plus le jeune homme qui n’en pouvait plus, se crispait et devenait haletant. Qu’étaient ces étranges sensations qui perturbaient son corps, cette bosse dans ses braies et cette envie que cette humiliation publique ne s’arrête pas, jamais. Et jusqu’à ce que les membres se disloquent et que l’homme finisse par tomber évanoui, le jeune Enzo n’en manqua pas une seconde, finissant par gémir légèrement, le visage rouge et crispé, le souffle court. Il venait de bander et de jouir pour la première fois de sa vie. En regardant un homme, un inconnu, se faire torturer. Audoin l’observa un instant, ne se doutant certainement pas de ce que venait de vivre son jeune élève et alors que sur scène le bourreau finissait la sale besogne et présentait la tête au public, le jeune Blackney fit signe qu’il voulait entrer et réclama bain et tranquillité pour quelques heures. Le temps de se remettre de ses émotions, de cacher ce qui venait de se produire, de comprendre, peut-être, les sensations qui l’avaient habité et leur conclusion. Il ne le savait pas encore, mais il venait de vivre son premier plaisir, d'avoir sa première jouissance.

Humiliation, douleur, plaisir et foutre. Un dominant, un sadique. Une nature profonde venait d'être révélée, même si Enzo ne le savait pas encore.

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