Samsa
- "C'est l'effet papillon : petite cause, grande conséquence
Pourtant jolie comme expression, petite chose, dégât immense"* (Bénabar - l'Effet Papillon)
La nuit était sombre, sans lune bien que parsemée d'étoiles. Une légère brise soufflait de temps à autre, agitant quelques faibles branches dénudées dans l'hiver. La saison était douce pour la période, mais le froid faisait enfin son apparition, quoique timide. Dans le silence de la nuit, on pouvait cependant entendre des sabots et des cliquetis métalliques, à condition de tendre l'oreille. A l'horizon, sur le chemin dégagé, une silhouette à cheval se profilait difficilement. La cavalière et sa monture étaient harnachés de même façon.
Le solide destrier avait troqué sa robe bai contre un caparaçon noir et bleu court. Sous le tissu, à y regarder attentivement, on pourrait y deviner un plastron et un chanfrein de fer.
La cavalière, elle, portait les mêmes couleurs sur son tabar et son bouclier dont les bordures de métal étaient sales de boue, fixé à l'épaule gauche par une solide lanière de cuir en bandoulière. A son flanc, une épée bâtarde reposait dans son fourreau. Sous ses vêtements gris et noirs -elle avait troqué ses braies habituellement blanches contre des noires-, elle avait enfilé grèves, cuissots, cotte de mailles et camail. Une barbute salie à la boue et des gants de cuir dessous, de fer dessus, venaient compléter l'attirail guerrier.
Si cet équipement n'était pas rare sur la cavalière, particulièrement quand elle s'en allait guerroyer, jamais, encore, elle n'avait dû faire preuve de camouflage. Mais cette fois, c'était spécial.
Elle l'avait retrouvé.
Cela faisait tant de temps déjà que Samsa avait compris le drame, tant de temps déjà qu'elle cherchait celle à qui elle avait juré assistance dans une salutation implicite à son mariage. Enfin, elle l'avait retrouvé.
La Cerbère avait flairé l'anormal lorsque Cendre lui avait rapporté la soudaine disparition de Mae, soit disant chez les nonnes. Samsa avait infiltré le couvent -ça la connaissait-, mais elle ne trouva jamais trace de l'épouse de son ami. Ni dans le couvent de Bazas, ni dans ceux de Guyenne, d'ailleurs. Elle n'avait rien dit à Cendre. Elle connaissait bien l'Alençonnais; il ne s'en serait jamais remis. C'était plus facile pour lui de croire qu'elle était dans un lieu dit, en sécurité, que... Évaporée, en danger, potentiellement morte. Alors, elle avait cherché, seule. Elle avait interpellé, menacé, soudoyé, tout fait pour obtenir des informations qu'elle avait fini par avoir.
Mae avait été enlevée par des vendeurs d'esclaves.
Avec grande peine, Samsa avait remonté le réseau avec une précaution rare. Elle l'avait en effet découvert principalement étranger, préférant les provinces ibériques à celles françaises, ce qui avait rendu la tâche particulièrement ardue. La guerrière bourrin avait dû prendre son mal en patience. Mais, enfin, le grand jour -la grande nuit- était arrivé. Et elle délivrerait Mae.
Les malhonnêtes étaient en déplacement. Ils avaient quitté les provinces étrangères pour entrer en France, enfin. Ils devaient déplacer un peu moins d'une dizaine d'esclaves -prisonniers- en attente d'être vendus quelque part. L'escorte devait comporter une douzaine, une quinzaine peut-être, de malandrins. Ils protégeaient leurs biens, leur source de revenus, peut-être de travail également, ou d'autres choses. Samsa espérait que Mae n'ait pas eu à subir tout cela. Bah ! Elle savait se défendre.... Non ? Pas question, en tout cas, d'y aller à la bourrin; on murmurait que les étrangers préféraient exécuter les esclaves plutôt que de laisser quelqu'un d'autre s'enrichir, ou mettre leur travail en danger; pas de concurrences, pas de témoignages. La Cerbère n'aurait même pas eu le temps de respirer que tous seraient déjà morts.
Elle arrêta Guerroyant quand elle eut repéré un passage à travers les buissons. Ils étaient passés par là. Elle mit pied à terre et regarda autour d'elle pour s'assurer de sa solitude. Sa main se referma sur une rêne de sa monture, l'autre prête à dégainer, et elle avança lentement dans l'obscurité, son regard oscillant entre les alentours et le sol. Ce n'était absolument pas le moment de marcher sur la queue d'un mulot, ou de se vautrer à cause d'une racine. Elle s'arrêtait parfois pour écouter, s'accroupissait pour s'assurer de sa piste ou mieux se dissimuler lors d'un doute. Enfin, elle distingua un coin moins sombre, très loin devant. Dans cette nuit, la moindre lueur était comme un phare à des lieues à la ronde. Mais l'avantage étant que toute lueur n'était pas un phare, et que se dissimuler, même malgré l'absence notable de végétation autre que quelques rares buissons, était très facile. Il était temps de commencer, véritablement.
Samsa attacha Guerroyant à un arbre grâce à une longe et continua sa progression en étant accroupie. Ses gestes étaient mesurés pour ne pas se faire trahir par un bruit, si petit aurait-il été.
Bien que de tempérament rentre-dedans, Samsa avait un physique qui aurait préféré l'infiltration. Elle n'était pas particulièrement fine, mais son côté trapu l'écrasait parfaitement, et ses membres courts lui évitaient des maladresses.
Lorsqu'elle parvint en vue du campement, elle s'arrêta, accroupie, et observa. Quelques hommes montaient la garde en tenant une torche à la main. La Cerbère commença à faire le tour du campement de loin. Il fallait trouver un moyen de libérer Mae, oui, mais il fallait surtout trouver où elle était gardée.
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