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[RP] L'effet papillon

Samsa
    "I'm a shooting star leaping through the sky
    Like a tiger defying the laws of gravity
    I'm a racing car passing by like Lady Godiva
    I'm gonna go go go
    There's no stopping me."*
    (Queen - Don't stop me now)



Boum. Boum. Boum.

Le temps ne s'écoule plus. Il n'y a plus que leur coeur, plus que l'espoir qui les sépare. "Prends ma main Mae, vas-y pardi ! Je t'emmène té". Il est long ce chemin, entre leur deux mains, entre l'amaigrie et la gantelée, mais la Cerbère ne bouge pas. Elle pourrait tourner la tête, craignant à chaque instant un nouveau coup dont elle ne se relèvera pas cette fois, mais elle ne le fait pas. Elle pourrait attraper la main, juste l'attraper, et s'en aller, mais elle ne le fait pas. Elle reste là avec ses yeux doux et brillants posés sur Mae, avec son épée tombante dans la main, avec le sang qui coule un peu sur ses lèvres. Elle ne sait même pas comment elles vont s'échapper, si Mae pourra courir. Samsa ne sait même pas si son amie sortira de cette cage. Elle va peut-être mourir ici, dans son attente et son espoir, dans cette loyauté et cette amitié qui l'auront perdu. Une mort en héros, mais une mort en héros parfaitement inutile, sans rien sauver d'autre qu'un honneur qui ne servira plus.


-YAAAAAAAAAAAAHHH !!

Ils crient leur colère, ils crient pour faire peur, pour se donner de la force, aussi. Samsa les entend, mais elle ne bouge pas, elle ne les regarde pas. Pourtant, tout à coup, elle a peur; peur de mourir, peur de ce qui arriverait pour Mae. Dans cet instant, elle a conscience qu'elle n'est pas immortelle. La Cerbère a tant de fois voulu rejoindre l'Antre, ne plus voir la lumière, et maintenant que le moment semble venu, elle a peur, et elle veut s'en sortir. Il n'y a personne qui lui donne une véritable raison de rester, mais elle veut le faire quand même, elle doit vivre encore.

Elle le doit. Elle le sent.

La main légère et fragile de Mae se pose dans la sienne et se referme sur elle, solide et gantée de cuir et de fer. Samsa s'apprête à la relever, mais Mae la devance et s'échappe de la cage, comme un lapin qu'on aurait soudainement libéré, piqué au vif. La Cerbère, surprise, manque d'en être déstabilisée, mais son esprit est entraîné à la réaction, aux réflexes, et il ordonne à ses jambes fatiguées et de béton après tant d'efforts d'en fournir encore. Alors Samsa aussi, elle court. Elle court pour sa vie, pour celle de Mae. Elles abandonnent derrière elles les autres, toutes ces vies détruites qui, avant, existaient. Père, mère, mari, femme, frère, soeur, fils et filles. Elles les abandonnent, tous et toutes, à un triste sort qu'il convient d'espérer court. Peut-être certains, les plus vifs et forts, sont sortis après elles, profitant de cette occasion inespérée et réelle. Samsa ne sait pas, elle ne regarde pas en arrière, elle court juste à travers cette forêt noire et vide, sa main tenant fermement celle de Mae. Elle entend le bruit de quelques flèches qui volent, inutiles, sans visées dans la nuit. La Cerbère finit par ralentir le rythme une fois le danger suffisamment loin, arrêtant son amie et rengainant l'épée dans sa main qu'elle n'a pas lâché. Elles vont à l'opposé de Guerroyant, de leur meilleur moyen de fuite; combien de temps Mae pourra-t-elle courir dans cet état ? Combien de temps la Bordelaise pourrait la porter, elle-même fatiguée, lourde de son équipement, douloureuse de la tête et du visage ?


-Par ici pardi ! Il faut pas rester là té.

A son tour, Samsa l'entraine. A gauche toute ! Il faut retrouver Guerroyant, le retrouver, lui à la robe sombre, au caparaçon sombre, dans cette forêt sombre. Quelle bonne idée. Brillante, celle-ci. La Bordelaise repart en trottinant, craignant encore les cris derrière elles, craignant la battue qui commencera, ces gens qui les rattraperont. La cage avait au moins l'avantage de protéger Mae. Albunea, une de ses chères moitiés disparues, avait dit "objectivement... Samsa a une durée de vie de vingt minutes supplémentaires sur le champ de bataille". Est-ce qu'elle avait entamé ces vingt minutes ? "Bubulle, j'donnerai n'importe quoi pour que tu ais raison té".
Elles ne trottinent plus, elles marchent. Depuis combien de temps ? Parfois, elles entendent les cris des esclavagistes, et la Bordelaise s'en sert pour s'orienter. Si Mae lui pose des questions, Samsa ne répond pas. Concentrée, elle ne répond à rien, elle ne parle pas. Elle n'en a de toute façon pas envie. Il sera toujours temps de lui parler, de lui répondre, plus tard. Ce temps de silence, elle le met un peu à profit pour réfléchir, trouver des mots, pour après. Samsa la regarde. Plus aucune peur dans son regard, simplement l'inquiétude pour son amie. Elle a du mal à faire marcher Mae ainsi. Combien de temps marchait-elle, avant, tous les jours ? Elle l'arrête un instant et retire sa barbute sale, un peu cabossée, qu'elle pose au sol. Les étincelles sur son visage sont moins brillantes, mais elles continuent de picoter sa peau, allant jusqu'à brûler aux alentours de la plaie de sa joue qui a tant saigné que le côté de sa mâchoire et de son cou sont recouverts de ce liquide chaud et poisseux qui peine à sécher. Rapidement cependant, sans préoccupation pour son propre état, elle fait passer son tabard par dessus sa tête, et l'approche de Mae.


-Bouge pas pardi. Tu seras mieux avec té.

Le froid se renforce avec les heures de la nuit, Mae est mal vêtue. Doucement, patiente, la Cerbère fait enfiler la tunique bleue et noire de coton à son amie, avant de reprendre sa barbute qu'elle réinstalle sur sa tête avec précaution pour sa blessure. Elles repartent, Samsa se faisant soutien aux besoins, jusqu'à ce qu'elles retrouvent le destrier.

-Là pardi !

La Bordelaise s'avance sans lâcher la main de Mae. Elle a peut-être peur de la perdre. Une telle excursion, Samsa n'en refera pas de sitôt. Elle défait la longe qui le retenait à l'arbre, lâche la main avec un regard rassurant, et se hisse en selle. Quand elles arriveront dans l'auberge du petit village fortifié dont Samsa a déjà oublié le nom, celle-ci se promet de se reposer longtemps, et bien.
De nouveau, elle tend la main à Mae pour la faire monter en croupe."Encore un effort pardi, tu peux le faire té", pense-t-elle autant pour elle que pour Mae.


-On rentre té.



*=Je suis une étoile filante bondissant dans les cieux
Comme un tigre défiant les lois de la gravité
Je suis une voiture de course rapide comme Lady Godiva
Je vais y aller, aller, aller
Il n'y aucun moyen de m'arrêter

_________________
Maegorn55
[Et je vois tour à tour s’étaler sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes.*]


Où ne suis-je plus ? Dans la réalité ou son monde "cendresque" dont il est le centre. Il faut que son sang lui revienne, que l'énergie coule à flots dans ses membres.
Samsa court sans bruit malgré tout son attirail. Efficace d'ailleurs, tous ses objets alliés les uns aux autres pour former une seconde peau à la guerrière. Mais son amie ne court pas assez vite. Non, ça n'est pas assez vite. Maegorn voudrait que ses jambes réagissent mieux, réagissent plus souplement et agilement. Mais ce ne sont que deux brindilles. Les muscles semblent atrophiés. Plus elles courent ces jambes, plus les muscles semblent être lacérés par ses veines qui peinent à les alimenter en sang.
Elle aurait aimé vivre auprès de lui, jeune Alençon déjà malmené par la vie. Comme une femme près de son mari. Une amie près d'une autre âme. Un charme qui protège l'animal des brûlures du soleil. Elle aurait aimé voir son corps vieillir, flétrir tandis que son âme aurait grandi grâce aux grands yeux curieux et naïfs qu'il savait porter sur le monde. Grandir et Vieillir librement, voilà ce qu'elle aurait aimé choisir.

Son cœur se couvre d'une sombre couleur, une flamme corrosive l'entoure. Quel est donc cette brume qui couvre ses yeux ? "Maegorn ne cède pas, retrouves-le." Oui, la voyageuse veut dormir nonchalamment au creux de ses gigantesques épaules, s'étendre à son côté sur l'herbe verte du printemps et flâner dans les paysages français qu'elle n'aurait pu encore parcourir. Mais il n'en est rien. Elle ne revient pas d'un hameau paisible.

Elle est muette, et sombre. Sombre-t-elle, elle ? Ou bien est-ce le sombre qui prend son visage muet ? Les traits de celui-ci sont désormais érodés par les larmes. Elles ne cessent plus. Quelle est cette insondable tristesse ?

Le bourreau fut sans merci, des blessures anciennes se rouvrent tandis que sa course se fait folle. Sont-elles si anciennes ? Elle ne sait plus. Sous le fouet du commerce du Plaisir, sa douleur fut vive. Quels remords pourrait-elle avoir pour cette fête servile à laquelle elle n'aurait jamais voulu participer ? Celui de son absence. Aide-moi. Elle qui réclamait le soir avidement, voici que vient celui de sa vie. Les flèches s'égarent et tombent dans l'oubli avant de faire le bonheur d'un autre. S'agit-il de la même chose pour les hommes et les femmes ? On disparaît et lorsqu'on revient, la place encore chaude est prise par une autre. Les lacérations de son dos se rouvrent pour tâcher le tissu sale d'un sang, nouvelle ancre d'un dessin macabre. L'être humain ne peut vivre seul. Samsa court à travers cette forêt noire tenant fermement sa main. Voici la seule chose qui la rattache ici.

Pourtant Maegorn se sent seule dans la nuit, mauvaise hôtesse. La Peur. Une atmosphère obscure enveloppe son esprit. Est-ce cela le bourdon, la déprime ? Le désespoir peut-être ? Les cloches de l'hymen ne sonneront plus pour elle. Une fois suffit. S'il n'est plus son mari, aucun peut l'être. Entends mon homme, entends ta douce courir pour sa vie. Sa respiration est courte, la course le sera aussi. Cette vie... La tienne se poursuit pendant que la sienne lui échappe. L'amour et la peur irriguent ses veines, c'est vers lui qu'elle court. Elle le rejoint comme elle peut. Mais son amie la rappelle dans le droit chemin. "Tu n'y es pas Mae, tu n'y es plus."


-Par ici pardi ! Il faut pas rester là té.

Maegorn plonge entière dans le gouffre de l'Angoisse. Non, elle n'en ressortira plus. Pas avant de le voir lui. Les parois sont trop hautes pour qu'elle remonte. La volonté n'y est pas. Voilà bien des lieux que sa Folie encombre. Combien de jours lui restent-ils ? Combien de minutes avant qu'ils ne les rattrapent. La seconde tentative ne fonctionnera pas. La punition sera plus dure. Combien de temps à attendre encore le spectre du Très-Haut joueur ? Sa Folie risque d'atteindre une splendide grandeur. Comment avancer ? Son teint est blême et son corps menace de lâcher. Une pause ? Hors de question ! La femme est pâle dans une nuit sans lumière. "Cours donc un peu, encore plus loin." La douleur se tiendra tranquille.

Cours donc a-t-on dit. Cours plus loin. Mais ses pas de course si rapides elle les souhaite ne sont pourtant que des pas. La voyageuse marche avec peine. Avec faiblesses. C'est là que le bât blesse. Le bougre fait souffrir ses blessures. Y a-t-il encore de la peau sous ses pieds nus ou touche-t-on maintenant les os ? Son corps nu, plein de frissonnements est gauche. Lents et brusques sont ses mouvements. Ces grands yeux verts si tendres ne sont que deux marais où elle se tord. Maegorn suffoque. Son cœur se noie. Son cœur la brûle. Une douleur sourde croît. Peut-être vaudrait-il mieux mourir dans la solitude.


-Bouge pas pardi. Tu seras mieux avec té.

De la sollicitude. L'horreur se peint sur son visage lorsque Samsa se rapproche d'elle. Elle, craint le contact. Une main rassure. Mais plus ? De la gentillesse... Une réalité qu'elle ne voit pas. Ni n'imagine ou ne conçoit. Maegorn qui n'attendait hier qu'une fosse creuse sent aujourd'hui la chaleur de la peau de son amie. En quel tissu est fait ce tabard pour que le contact soit si chaud ? Si doux. Samsa serait-elle une chaleur humaine douce après les morts qu'elle vient de faire pleuvoir sur le sol rude ? Au lieu de la gratitude, Samsa découvrira l'incompréhension.

-Là pardi !

Ses pieds ne peuvent plus. Elle s'arrête. Son corps veut vomir mais ne peut pas. Maegorn se penche, son corps vomit. Mais quoi ? Rien ne sort de cette bouche ouverte, béante. Ses tripes ne peuvent pas sortir. L'estomac n'a rien à rendre. Quel corps incapable. Sa fuite la ronge comme un remords. Que seront les autres ?

Qu'est-elle devenue elle ? Un corps ridicule. Une réalité morbide.

Son amie ne tient plus sa main, seul le vêtement lui rappelle son passage. Sa venue. N'est-elle déjà plus ? Hallucination réelle ou Merveilleux mirage ?


-On rentre té.

Pour aller où ? Aucun lieu n'est sa maison en ce monde. Non, rien ne sert de rentrer. Tous les lieux sont dangereux. La sécurité... Elle veut le voir, elle veut aller à ...
Alençon.

Maegorn se tient dans le corps noir de la nuit, sa voix fut un murmure déraillé d'une voix qui n'a jamais tant parlé. C'est là-bas qu'elle veut aller. Pour savoir. Savoir si elle n'est plus qu'une ombre dont on se souvient, qu'on aime encore, juste un peu. Ou la marionnette bannie du temps, injurieux moqueur.


*Charles Baudelaire, "La Muse malade", Les Fleurs du Mal
Malone
D'abord un mariage, celui de la marraine, puis une second mariage, celui de la filleule, c'était le temps des rires.
Puis la voyageuse et le voyageur avaient repris les routes, les nobles avaient tenté de les imiter ... et c'était précisément là que le monde avait commencé à s'écrouler.
D'abord, Choupi se fit plus distant, la naissance de leur fille l'avait d'abord réjouit, enjoué, puis il était devenu taiseux, présent mais comme absent. Et pendant ce temps, les voyageurs de leur côté voyageaient. Malone avait de leurs nouvelles, à l'occasion, c'était toujours un plaisir. Puis il y avait eu l'absence. Ce vide dans la relation, dans la maison, le silence. Choupi ne paraissait plus, ne rentrait plus, n'écrivait plus, ne répondait plus. Il n'était plus, ou c'était tout comme. Et les nouvelles de la filleule, elles aussi, avaient disparu. Puis l'enfant suivit son père, indiquant juste qu'elle reviendrait, elle ne revint pas. Et les nouvelles des voyageurs ne vinrent plus, elles non plus.

Vint alors le temps pour Malone des recherches, n'imaginant même pas l'existence d'esclavage dans ce monde qu'elle voulait et faisait parfait, elle avait fouillé les monastères, couvents, les lieux de retraite, les routes, et avait simplement conclu que s'ils n'étaient ni dans les villes, ni dans les lieux de retraite, ils étaient au seul autre endroit existant à sa connaissance : la mort. Après tout, c'est ce que tous les proches du couple affirmaient : Choupi vivant n'aurait pas abandonné son épouse. S'il faisait ce qu'il n'aurait jamais fait de son vivant, il n'y avait qu'une explication : vivant il n'était plus. Ou bien ? Dans son esprit, demeurerait toujours un doute, cette ombre qui plane sur le coeur des mères et des épouses à qui l'on n'a pas rendu le corps.
Ce fut le temps du deuil, puis de sa rupture par le voyage.

Et un jour, dans une taverne de LR, les nouvelles des voyageurs à nouveau, inquiétantes cette fois : Mae aurait fait comme Choupi et Malvinaa ?! Mae ?! La voyageuse, la filleule disparue ?! Impossible ... pas Maegorn, pas elle ?! C'était bien là un de ses premiers points commun avec la famille de sa marraine, en dehors de l'honnêteté. Alors Malone s'était faite rassurante, certaine : Cendre pouvait en être assuré, elle reviendrait ... Mais plutôt que de suivre l'Alençonnais à Bazas comme elle le voulait, le Poitou avait sifflé, et la blonde rappliqué. Une fois de plus, encore. Que se serait-il passé si la blonde dressée au sifflet avait refusé son éducation ? Si elle avait suivi Cendre et Octobre à Bazas ? Et si ... Et si. Mais non. Ne restait comme meilleure arme que la plume. La plume avait toujours été son arme de prédilection, de toute façon, mais allez terrasser des mercenaires esclavagistes avec une plume, vous ?!


Citation:
Cher Cendre,

Voilà plus d'un mois maintenant que nous nous sommes croisés à La Rochelle. Je suis désolée de vous avoir fait faux bond au jour du départ : je crois que je suis ferrée à ce Comté. Qu'avez-vous trouvé à Bazas ? Y avait-il là bas quelque trace de Maegorn ? Son absence n'est pas naturelle, et la concernant la zone à couvrir pour la retrouver est bien plus grande que pour mon époux.
Ne me restent que 42 jours ferrée au conseil comtal. C'est long et court à la fois.
Je ressens le besoin de voyager, et n'ai pour l'instant pas vraiment de destination. Quelles sont les Provinces que tu as fouillées pour trouver Maegorn ? Ainsi, j'irai dans d'autres.

Amitiés,

Malone

_________________
Cendre1886
["Ce que j’ai subi a fait de moi ce que je suis."] (V pour Vendetta)




Attends reviens ! Octobre ! OOOOOOC' !

Cendre ne la retient pas alors qu'elle s'éloigne d'un pas rapide. Qui a dit que ce serait facile pour elle aussi ? Ils étaient tous entre deux, dans une phase de transition difficile. Pas vraiment dans le passé, ni dans le présent, ni dans le future. Il y avait ces passes où ça devenait insupportable, où le doute, les peines et les questions envahissaient tout l'espace. Parfois, c'était Cendre qui s'éloignait pour penser. D'autre fois, c'était Octobre. La colère le mangeait alors tout entier. Mae était partie, elle n'était pas revenue après un an, elle ne reviendrait pas. Pourquoi la page à tourner était-elle si difficile ? Pourquoi, même, ne voulait-elle pas se tourner ? "Cendre mon vieux, tu oublies le temps que tu as mis, l'énergie que tu as investi, pour réussir à tourner celle de Lennia. Tu t'attendais à quoi ? Espèce de con. T'as toujours été un grand con."

Et il le pensait.

Un pigeon passe les portes de la grange, abri provisoire dans le voyage. Un message est accroché à sa patte, et le Brun le décroche, nourrissant le volatile d'un bout de pain. Rapidement, ses yeux lisent la lettre, et ses mains la jettent de côté avant de venir saisir la tête et de l'enserrer. Évidemment qu'il sait que l'absence de Mae n'est pas naturelle, mais ça fait mal, trop mal. Ce n'est pas comme ça qu'il pourra se relever. Si jamais il peut le faire. C'est fini, pourquoi n'est-ce pas compréhensible ? Un an... Il faut arrêter, maintenant... Cendre s'empare vivement de quoi écrire et ramène la lettre amie près de lui, s'en voulant de son geste. Mais personne n'en saura rien. Sa plume, nerveuse, court sur le papier. Il ne réfléchit pas à ce qu'il écrit, son instinct de survie a prit le dessus, comme quand les questions, les peurs et les doutes revenaient. L'instinct de survie balayait tout, et il ne restait de Cendre qu'un enfant, un tas d'innocence et de naïveté aussi effroyable qu'incompréhensible. C'était sa défense à lui, son baume contre la brûlure.




    Chère Malone,

    Ne t'inquiète de rien. Je m'excuse moi-même de ne pas t'avoir répondu plus tôt.
    A Bazas, Malone, j'y ai passé presque un an. S'il y avait eu quelque chose, quelqu'un, à trouver, je l'aurais trouvé. Autant te dire donc que le vide n'est pas plus rempli.
    Je sais que son absence ne lui ressemble pas. Enfin, je sais... Qu'en sais-je, finalement ? Peut-être rien. Peut-être a-t-elle trouvé sa voie dans ce couvent, comme guérisseuse, cartographe, nonne va savoir. Peut-être est-elle juste partie, là où aucun d'entre nous n'avait sa place. Pourquoi pas ? Où serait-elle sinon que dans ce couvent qu'elle a rejoint un beau maudit matin.
    J'ai voyagé par delà la Gascogne, la Guyenne, le Périgord, le Poitou, la Touraine, l'Alençon, le Mans, la Bretagne et la Normandie. De traces il n'y avait. Dis-moi, où serait-elle sinon dans ce couvent qu'elle a choisi de rejoindre, et qu'elle n'a pas quitté ? Où serait-elle sinon dans une nouvelle vie ?

    Cela fait un an, Malone. J'en suis le premier malheureux, mais je ne vois pas ce que je, nous, pourrions faire de plus. Si c'est son choix, alors je le respecte, et j'essaye tant que je peux de ne pas en faire pâtir ma vie plus que maintenant.

    Amitiés,

    Cendre



La politique de l'autruche. C'était tout ce que Cendre, ce grand brun aux yeux doux et au coeur tendre, avait pour se protéger. Il n'y avait qu'à fermer les yeux et à croire. A vivre dans un monde irréel où rien ne correspondait, où la douleur était anesthésiée par une pseudo ignorance. Si Freud avait existé, aurait-il consigné que Cendre savait, au plus profond de lui ? Ou bien l'Alençonnais maîtrisait-il cette technique au point de se duper lui-même ? Ce n'était pas impossible, mais était-ce le cas ?
C'était impressionnant comme la douleur rendait violent, hargneux. Cendre soupira. Ce qu'il avait écrit, il trouvait ça violent, et hargneux. Comme une sorte de rejet, une plaie si profonde et à vif qu'il ne fallait plus y toucher. Il secoua doucement la tête et rajouta ce qu'il pût où il trouva de la place, dans un cuisant effort de lucidité. Il avait, malgré ses réactions désarmantes et incompréhensibles, cette faculté tout aussi incompréhensible de se regarder objectivement, dans une introspection bluffante, capable d'expliquer ses réactions les plus profondes et de dégager la lumière dans le noir.





    Chère Malone,

    Ne t'inquiète de rien. Je m'excuse moi-même de ne pas t'avoir répondu plus tôt.
    A Bazas, Malone, j'y ai passé presque un an. S'il y avait eu quelque chose, quelqu'un, à trouver, je l'aurais trouvé. Autant te dire donc que le vide n'est pas plus rempli.
    Je sais que son absence ne lui ressemble pas. Enfin, je sais... Qu'en sais-je, finalement ? Peut-être rien. Peut-être a-t-elle trouvé sa voie dans ce couvent, comme guérisseuse, cartographe, nonne va savoir. Peut-être est-elle juste partie, là où aucun d'entre nous n'avait sa place. Pourquoi pas ? Où serait-elle sinon que dans ce couvent qu'elle a rejoint un beau maudit matin.
    J'ai voyagé par delà la Gascogne, la Guyenne, le Périgord, le Poitou, la Touraine, l'Alençon, le Mans, la Bretagne et la Normandie. De traces il n'y avait. Dis-moi, où serait-elle sinon dans ce couvent qu'elle a choisi de rejoindre, et qu'elle n'a pas quitté ? Où serait-elle sinon dans une nouvelle vie ?

    Je t'écris ces mots avec mon coeur douloureux, mon âme dans la boue. Si, cependant, je savais ce qu'il était advenu de Mae, sois sûre que j'en serai rassuré. Peut-être pas consolé, ni même apaisé. Mais tout du moins rassuré, de savoir que celle que j'ai aimé au point de tromper, de mentir, d'abandonner ma sédentarité, va bien.

    Cela fait un an, Malone. J'en suis le premier malheureux, mais je ne vois pas ce que je, nous, pourrions faire de plus. Si c'est son choix, alors je le respecte, et j'essaye tant que je peux de ne pas en faire pâtir ma vie plus que maintenant.
    Tu m'as dit avancer, quand nous nous sommes vu. A quel moment se dit-on que l'on doit le faire ? Pour tout te dire, je l'ignore. J'ignore si je le dois. Mais tout du moins, j'essaye.

    Toi qui me semble plus vaillante que moi, plus lucide, que ferais-tu pour Mae ?
    Toi qui peux poser sur moi le regard extérieur de la marraine, d'une personne qui me connait un temps soit peu, que ferais-tu ?

    Amitiés,

    Cendre



Il enroula la lettre et l'accrocha au pigeon avant de le chasser. Ce n'était pas avec Octobre qu'il pouvait s'ouvrir à ce genre de questions, d'interrogations, de doutes. Tout cela, ça le regardait; ses réactions, son image. Octobre n'avait pas à en être mêlée. Qu'aurait-elle pu y faire, de toute manière ? Sans évoquer le nom de Mae, sans l'évoquer directement, ils devaient parfois se fuir avant de revenir. C'était temporaire, c'était douloureux, mais ça les faisait avancer. Cendre et Mae n'avaient-ils pas eu les mêmes discussions avec Lennia ? Une maigre esquisse, mi-amer mi-sincère, se dessina furtivement au coin des lèvres de Cendre. Quelle boucle immonde.

Quelle boucle de merde.

_________________
Samsa
    "I don't want to wake you up,
    I don't want to make you cry,
    But there's blood on the street.
    There's blood on the street.
    Got time on my hands;
    There's blood on the street."*
    (Sanders Bohlke - Soldier)




Alençon ? Quoi Alençon ? Rentrer, là-bas ? Samsa ne répond pas. Dans le silence temporaire de la nuit, seuls les cliquetis de l'équipement de Guerroyant qui s'impatiente se font entendre. Sa main est toujours tendue et, dans le noir de sa barbute, ses lèvres se pincent. Elle ne peut pas emmener Mae à Alençon, ce n'est pas possible. Cendre ne doit pas y être, et même s'il y était, la Cerbère ne doit pas mettre Mae dans cette situation, ce retour à la réalité trop brusque. Ce serait de toute façon folie que de voyager dans son état, dans leur état. Décemment, non, elles ne peuvent pas. Samsa profitera du temps de leur repos pour lui dire. Avec quels mots, comment, elle l'ignore encore. En sauvant son amie, la Bordelaise avait accepté d'endosser le rôle du corbeau de malheur, sans pour autant y être préparée. Comment ça s'annonçait, ce genre de chose ? Elle n'en savait rien, elle; c'était pas son domaine, tout ça. Elle aurait préféré lui dire que Cendre était mort, ça aurait été plus simple. Peut-être moins douloureux. Mais ils sont tous en vie, et au fond, c'est quand même le mieux, parce que Samsa les aime bien tous les deux. Elle a déjà eu la chance de ne pas avoir à prendre parti, la chance de ne pas avoir à exprimer son avis. C'est déjà assez de chance dans cette situation. Il faut affronter, maintenant.

-On ne rentre pas à Alençon. Pas tout de suite té. On va d'abord te remettre en état té, et moi avec, un peu pardi.

Samsa ne dit rien de plus. Elle ne veut pas que Mae se doute de quoique ce soit, elle veut l'emmener en sécurité et soigner ses plaies, avant de devoir en ouvrir d'autres, plus douloureuses et profondes. La Cerbère veut lui raconter ce qu'elle a vu, lui dire que ce n'est la faute de personne, simplement du temps et des circonstances. Même si un bouc-émissaire vivant aurait été plus approprié, sans doute. Peut-être faudra-t-il lui dire que finalement, tout ça, c'est sa faute; que se serait-il passé si elle avait parlé, si elle avait tout raconté à son ami Cendre ? Il va falloir se contenter de ça, de la vérité et de la misérabilité humaine.

-Allez monte pardi.

Samsa retire ses gantelets de cuir et de fer tâchés de sang et les attache à sa ceinture. Elle se penche et attrape le poignet de Mae pour que celle-ci l'imite pour un contrôle réciproque du poignet. Elle pourrait broyer ses os si elle l'attrapait par la main. La Cerbère bande ses muscles et se redresse pour hisser son amie en croupe.

-Je te voyais plus lourde pardi ! Accroche-toi pardi, on s'en va té.

Samsa talonne sa monture qui s'éloigne d'un pas rapide alors qu'au loin retentissent parfois les cris des gardes. La Bordelaise jurerait entendre certains des prisonniers, mais elle ne peut être sûre de rien. Elle veut juste s'en aller, emmener son amie loin d'ici et la remettre sur pied.
A aucun moment Samsa ne s'était demandée s'il fallait sortir Mae de là ou pas. Elle savait que le retour à la vie normale serait difficile, peut-être impossible, mais elle voulait lui donner cette chance. Ou bien était-ce par pure amitié ? Samsa tourne un peu la tête pour regarder Mae en coin. Elle avait eu peur pour elle, et elle avait toujours peur pour elle. Samsa avait sombré et tenté de mourir pour moins que ça. Est-ce qu'elle était faible ? Mae n'était peut-être pas comme elle; elle avait survécu un an en Enfer. Samsa ignorait si elle aurait pu, elle. Peut-être pas. Peut-être juste par obligation, ou orgueil. Ça ne l'aurait pas étonné. Un frisson lui parcourut l'échine quand elle pensa que Zyg avait pu subir le même sort. "J'ai toujours été incapable de te protéger ma Zygui... J'en suis tellement désolée pardi...".

Dans la nuit, elles avancent au pas, Samsa veillant à ce que Mae ne chute pas. Putain ce que ça aurait été con ! "Et c'est ainsi qu'elle mourut" raconterait la Cerbère plus tard à ses filles. L'arnaque du siècle.
Enfin, au bout du chemin, l'apparition d'un petit village fortifié. "Fortifié". Des palissades plus ou moins sérieuses, un fossé qu'un cheval pouvait sauter. Mais tout du moins Samsa savait-elle que même si les esclavagistes retrouvaient leurs traces, jamais ils n'iraient attaquer là. Enfin, il fallait espérer que ce soit assez dissuadant. Les sabots font un son sourd sur la terre dure et Samsa le guide jusqu'à une petite bâtisse éclairée.


-C'est là pardi.
Je vais t'aider à descendre té.


Elle arrête Guerroyant, passe une jambe par dessus son encolure et se laisse glisser au sol, retombant avec un bruit de métal amorti. Elle se place ensuite à côté de Mae et approche doucement, prudente quant à une éventuelle réaction, ses mains pour la prendre à la taille et l'aider à descendre. "Ma prochaine nuit sera la plus belle de ma vie" pense-t-elle, songeant déjà à un repos qui ne viendrait pas encore. Une fois son amie au sol, la Cerbère se fait soutien pour l'entrainer à l'intérieur. C'est un petit relais sans étage qui ne contient que deux ou trois tables, et autant de chambre. Au comptoir, un petit homme aux ternes cheveux blonds et barbe mal rasée somnole.

-Y'a mon cheval dehors pardi.
Ma chambre est comme je l'ai demandée j'espère té.


Il sursaute un peu, bafouille ce qui semble être un oui, mais Samsa l'a déjà oublié. Elle guide Mae dans un couloir sombre, seulement éclairé par la bougie de la pièce principale, et s'arrête devant une porte. Juste entre la porte et le sol, la Cerbère récupère la clé qu'elle avait caché. On ne part pas en mission avec des objets importants; c'est bête si on les perd, et embêtant si d'autres les trouvent. Une lumière filtre de derrière la porte. Samsa tourne la clé et pousse la porte, constatant avec plaisir qu'effectivement, le feu est allumé, qu'un seau d'eau est présent et qu'une assiette pleine patiente dans un coin. Outre cette présence d'exception, le lit est fait, les chaises sont rangées près de la table, le volet de l'unique fenêtre est fermé, comme elle. Les campagnards semblaient avoir l'avantage d'être sérieux et consciencieux. Peut-être l'avance d'une récompense monétaire avait-elle aidé.

-Entre pardi, installe-toi té.

Samsa est passée en première. Il n'y aurait rien à eu à craindre, mais savait-on jamais. Elle tire les deux chaises présentes près du feu et retire sa barbute pour l'examiner avant de se regarder comme elle peut dans le seau d'eau, constater les dégâts. Une grimace lui échappe. C'est pas beau. C'est surtout impressionnant, ces petits ruisselets de sang qui ont glissé inégalement sur sa joue, jusque dans une partie de son cou, envoyant quelques reflets des petites braises et étincelles encore vivantes collées sur sa peau.

On verrait plus tard. Il y avait plus urgent.

La Cerbère se tourne vers son amie dont elle n'a pas suivi les mouvements et déplacements depuis qu'elle est entrée.


-Comment tu te sens pardi ? Tu as froid ? Faim ? Soif ? Tu as mal quelque part té ?

Elle pourrait demander ce qu'ils lui ont fait, mais il n'y aurait aucune utilité à cette question. Elle pourrait demander ce qui s'est passé mais, là encore, ce n'était pas la priorité. Il fallait répondre aux besoins primaires, à la survie.


*=
Je ne veux pas te réveiller,
Je ne veux pas te faire pleurer,
Mais il y a du sang dans la rue.
Il y a du sang dans la rue.
Le temps dans mes mains;
Il y a du sang dans la rue.

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Maegorn55
[Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur*]


A sa demande, seuls les cliquetis du cheval se font entendre. La main reste tendue autant que sont scellées les lèvres de Samsa. "Et bien ? Est-ce quelque chose de mal ?" Son regard se couvre d'un voile de tristesse à la réponse de Sam.
-On ne rentre pas à Alençon.

C'est tout ce qu'elle a entendu et pour Maegorn, Samsa ne dit rien de plus.
Pourquoi

Son âme redevient tombeau. Cette phrase n'est ni vraiment une question, ni vraiment une volonté de dialogue. C'est l'expression d'un Espoir déçu. Alors non elle ne Le reverra pas ? Non, elle n'y a pas le droit ? "Non. Cela fait longtemps que tu n'as plus ce droit de décision Mae." Les autres décident pour toi et tu n'as plus qu'à suivre. D'ailleurs, elle s'apprêtait à marcher à côté du cheval quand la Cerbère lui attrape le poignet pour la faire monter derrière elle. Malgré la douceur du geste, la guerrière lui arrache le bras. Maegorn n'a pas réagi. Le geste s'est mal fait. Ce bras qu'elle a la brûle encore quand son corps se retrouve sur le cheval. Inconscient. Ce fut l'effort de trop. La lune rayonne sur cette pourriture.

Dans la nuit, elles avancent au pas. Samsa veille à ce que Maegorn ne chute pas. Elle n'est pourtant que chair transportée. La même qu'hier et qu'avant hier. Ce voyage n'est qu'un ténébreux passage, elle se sent traversée par chacun des tremblements du cheval. Voilà, elle touche l'automne de sa raison.
Pourquoi ne la fait-on pas marcher comme les jours précédents ? Qu'est-ce qui peut être si important au point de les faire monter tous à cheval ? Les chevaux... Ils n'y en auraient jamais assez pour tout le monde. Où sont les autres ? 28. Voici un chiffre qui n'a plus aucun sens. Ils sont comme un grand troupeau de victimes offertes. Mais à quelle divinité ? Pour quelle somme ? Ce sont des morts errants sur les rivages de la vie. Retirés dans leurs esprits.

Les cloîtres anciens sont protégés par de hauts murs. Les pièces réchauffent les pieuses entrailles. "Maegorn, pourquoi n'y es-tu jamais allée ?" Le froid tiraille sa peau sèche qui menace de se déchirer à chaque secousse.

Que fais-tu ?
Je ne sais pas, je tombe.

J'avais un espoir et les ombres l'ont pris. Maegorn ignorait que la liberté fusse si effrayante. Paniquée et sans repère, elle traverse les forêts, les villes et les eaux peut-être même. Où va-t-on ? "Tu n'oses demander." Quel triste spectacle vivant que sa misère humaine. L'amour dans ces yeux transperce. Les larmes creusent des fossés dans une chair déjà inondée. C'est un poison corrosif qui découle de ses yeux verts. Son rire est trempé de pleurs qu'on ne voit plus.


-C'est là pardi.
Je vais t'aider à descendre té.


Le cheval s'arrête, son support humain glisse au sol. Samsa se place à côté d'elle et la prend par la taille pour l'aider à descendre. Maegorn ne réagit pas et se laisse faire. Elle suit, la tête baissée et les mains intuitivement réunies comme par des fers invisibles. La Cerbère se fait soutien pour l'entrainer à l'intérieur mais son corps ne perçoit qu'un ordre pour prendre une direction. Ô combien la voyageuse aimerait donner son obole à Charon.

Hier mise en route, maintenant en halte. Son esprit s'est arrêté. Pour ses pieds, il faut marcher. Plus loin. Le vœu douloureux de Le revoir la fait languir. Des mouches pourraient bourdonner autour de ses vivants haillons, près de ses oreilles, elle n'en saurait rien.


-Entre pardi, installe-toi té.

Elle s'exécute docilement. L'esclave passe la porte sans la refermer. Elle observe discrètement les gestes de Samsa mais ne bouge pas maintenant dans la pièce. La guerrière s'inspecte. Maegorn attend. La Cerbère ne lui prête pas attention, elle y est habituée. Elle est rassurée étrangement. La gêne revient aux flots de questions, comme un vertige aux rives de la mort. Les formes du décor s'effacent et ne sont plus.

-Comment tu te sens pardi ? Tu as froid ? Faim ? Soif ? Tu as mal quelque part té ?

Maegorn ne daigne rien ressentir. Comment se sent-elle ? Mais Sam, elle ne sent plus rien. Le froid, la faim, la soif ? Ils sont permanents et en ça, ils n'existent plus. Non, ce stade n'est plus. Voilà des mois qu'elle nie son existence. Comment pourrait-elle répondre ? Ces questions ne désignent plus rien. La douleur ? C'est son miroir qui lui assure qu'elle est en vie. Non, il ne faut pas faire rejaillir la souffrance. Elle ne pleure jamais vraiment tu sais ? Jamais elle ne rit. Non, rien ne l'intéresse dans son état. Maegorn ne veut pas en prendre conscience. Seul Lui pourrait contenir son état et la rassurer. Il lui faut une étreinte réconfortante. "Quel vain espoir." Oh? Ça y est... Elle cède.

Quand marcherons-nous à nouveau ? Où sont les sacrosaintes étapes de ses morbides journées ? Est-ce que c'est son tour ? C'est à elle. Il faut qu'elle le fasse. Son esprit dérive ou se déchire ? Samsa n'est pas eux. Son amie. Sam est eux. Elle décide. Ils sont là. La cage retombe sur sa proie. Assez.

Elle est un être déshérité du seul équilibre précaire qui avait pu exister. Pourquoi est-elle partie ? Quel est donc son avenir maintenant ? Sa raison se consume mais ne brûle pas. Cette femme. Cet être plutôt. Un véritable morceau de chair miraculeux. Misérable. Toujours debout, l'esprit délire. Quand ira-t-elle sous le sol et l’herbe, moisir parmi les ossements ? Rien ne sert de se putréfier ici. L'esprit se raccroche. Le squelette s'anime et la chair bouge. Maegorn s'avance et s'assied dans un coin de la pièce dans l'ombre créée par le foyer, pieds et mains liés par la force de l'habitude. Elle attend. Comme elle l'a fait chaque soir. Comme elle le fera encore. Il faut que la lumière du feu s'éteigne. Lorsque les torches seront consumées, là, elle pourra se permettre de dormir. Pas avant. Pas tant que Samsa est debout. Elles pourraient encore se remettre en marche. Attendre. Oui. Demain, il faudra vivre encore. Demain, après-demain et toujours. Le temps, sa vie ne lui appartiennent pas.



*Vers de Charles Baudelaire, "L'Ennemi" dans Les Fleurs du Mal
Samsa
    "Hello, darkness my old friend;
    I've come to talk with you again,
    Because a vision softly creeping,
    Left its seeds while I was sleeping.
    And the vision that was planted in my brain,
    Still remains,
    Within the sound of silence."
    * (Simon & Garfunkel - The sound of Silence)



La Cerbère attend une réponse qui ne vient pas. Mae n'a pas peut-être pas entendu. Mais comment aurait-elle fait ? Il n'y a pas de bruit dans la chambre, seulement le feu qui crépite par instant. Mae n'est pas sourde, elle l'a entendu tout à l'heure, elle lui a répondu. Son amie s'écarte de la lumière et de la chaleur rassurante du feu et Samsa l'observe, pose sur elle ce regard tranquille qui se demande à peine où elle va, bien qu'elle n'en sache rien, de ce qu'elle fait, de où elle va. Elle ne lui demande pas jusqu'à savoir, jusqu'à ce qu'elle voit elle-même. L'ombre, la nuit, c'est tout ce qu'elle atteint, et Samsa la regarde, elle réfléchit. Elle voit bien que Mae n'est plus Mae, pas en l'instant du moins. Il n'y a personne qui sache avec certitude qu'elle est en vie, sauf elle. En suspend dans cette chambre, hors de tout, la Bordelaise ignore ce qu'il faudrait véritablement faire. Pourtant, au fond d'elle, elle sait. Il suffit de faire comme on avait fait pour elle, à la mort de Zyg. Son état et sa folie avaient été autre, la blessure également, mais sans doute la sensation devait ne pas en être éloignée, la sensation de ne plus appartenir à rien, d'être dans un état second et dénué de sens, d'existence. La Mort, Samsa sait bien quand elle est là, quand elle rôde autour de l'esprit ou du corps. Peut-être n'est-il pas trop tard pour Mae. Il ne doit pas être trop tard.
Samsa détache le bouclier légèrement cabossé et rayé de son épaule et le pose contre le mur avec un soupire de soulagement. Un poids en moins. La barbute rejoint la table ainsi que ses gantelets accrochés à sa ceinture. Lentement, son regard balaye la pièce alors qu'elle réfléchit. Quelle idiote, elle n'avait pas de tissu. La Cerbère était venue là, sans rien. Qu'avait-elle cru ? Qu'il aurait suffit qu'elle arrive et que tout aille bien ? Rien n'allait bien. Cendre était parti, Mae avait sombré, Samsa était amochée, il n'y avait pas vraiment de lumière à l'horizon, et la Mort planait, hypocritement omniprésente. Samsa retire le col noir qui entourait son cou, dissimulant ainsi le métal de son camail qu'elle abaisse. Ses cheveux ondulés, mi-roux mi-bruns, se révèlent, certaines mèches basses légèrement collées par le sang qui couvre une partie de son visage et de son cou.

Il est temps de se jeter à l'eau, maintenant.

La main bordelaise attrape l'anse du seau et le ramène près de Mae. A son tour, elle s'assoit en tailleur, face à son amie, et tend doucement les mains pour prendre les siennes avec délicatesse, commencer par les écarter légèrement, lui rappeler qu'elle est libre, qu'elle n'a plus de fers. Ses petits yeux sombres et brillants scrutent le visage de Mae, insistent sur cette liberté qu'elle a retrouvé, guettent une réaction. Une main lâche la sienne pour tremper un bout du col noir dans le seau d'eau fraîche, et ramène le tissu humide sur la main toujours tenue afin de la laver doucement, chasser la terre, la poussière, rendre une surface de dignité.
Guerrière, violente, agressive, Samsa avait cependant connu la perte, la douleur, le désir de mourir. Mère peu présente, peu affective, elle avait cependant cette douceur enfouie en elle, celle que chaque être humain a, pour peu qu'on y fasse appel pour quelqu'un qui en a besoin. La Bordelaise avait eu la chance de rencontrer Zephyre, Albunea, Maria, Eleann. Toutes ces personnes douces et tendres qui avaient caressé son âme et ses blessures, toutes ces femmes qui lui avaient appris à avoir cette part en elle, à l'exprimer, parfois.

Secrétaire Royale... A quel moment Zelha s'était dit que Samsa avait sa place dans ce rôle ? Ça se voyait pourtant, que la diplomatie, l'apaisement, la communication, c'était pas son truc ! Elle, elle agissait, et c'était tout. Elle s'infiltrait, elle frappait, elle tuait, elle lavait des mains; il n'y avait rien à dire. Pourtant, il le fallait.


-Ça faisait... Longtemps que je te suivais pardi. Il fallait que je trouve le bon moment pour te libérer té. Je suis désolée de ne pas avoir agi plus tôt pardi... Je suis... Désolée... De ne pas avoir dit à Cendre que je t'avais retrouvée, que j'allais te chercher té.

Le regard fixé sur la main dont elle s'occupe, Samsa s'insulte mentalement. Putain, pourquoi elle a évoqué Cendre ! Elle était pas trop mal partie pourtant ! Cela pouvait, dans l'esprit de Mae, simplement expliquer pourquoi il n'était pas là, qu'il pouvait attendre, ailleurs. Mais Samsa sait, et dans son esprit à elle, ça ne sonne pas aussi innocemment. Un bref excès d'application trahit la profondeur de ses pensées que l'ombre avait réussi à masquer, et la Cerbère dépose enfin la main nettoyée. Le tissu se rince dans le seau, se tord pour s'essorer, et la Bordelaise en profite pour faire comme si de rien n'était. Elle tend la main avec un sourire doux, laissant cette fois Mae à l'initiative de donner elle-même sa main, s'assurer qu'elle est en confiance et que tout va pour le mieux. Pour le mieux.



*=Bonjour Obscurité, ma vieille amie;
Je suis revenu discuter avec toi,
Car une vision s'insinuant doucement en moi,
A semé ses graines pendant que je dormais.
Et la vision plantée dans mon esprit,
Demeure encore,
Au cœur du son du silence.

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Maegorn55
[Et vous, femmes, hélas ! pâles comme des cierges*]

Assise dans un coin de la pièce dans l'ombre, elle attend. Comme elle l'a fait chaque soir. Sale, inutile et laide comme une chose usée. Elle ferait la joie et la risée des enfants. Pourtant aucun rire ne résonne dans cette pièce. Même le sien. Son rire désespéré et hystérique s'est tû. Elle ne s'attendait pas à trouver l'espace sonore vide. Toujours, une respiration ou une langue étrangère l'oppressait. Ici même le feu ne crépite pas. Il est un son si petit. Si discret. Ce silence est fait de bruits, nouveaux parce qu'inconnus. Sam ôte son équipement. Plutôt, ces sons ne sont pas reconnus. C'est un silence qu'elle entrevoit seulement, un silence qui l'englobe. Une absence de bruit. Quelque chose de vide. Mais ça n'a rien de pesant. Elle est immobilisée par l'attention nouvelle de son oreille. La chaleur, le vertige, l'ambiance, la poussière. D'abord c'est l'inconsciente attente d'un bruit. Puis un calme engourdissement qui la prend. Le silence et la nuit s’installent en elle, comme dans un caveau dont la clef fut perdue. Le temps est suspendu. Le silence prend racine dans cet arrêt. C'est un instant perpétuel et tragique. Que va t-il lui arriver maintenant ?

Le bruit de l'anse du seau qui bouge sous l'action de la main de Sam. Le bruit du sceau qui quitte le sol. Celui de Sam qui marche vers elle. Le seau qui est de nouveau posé. L'eau qui se cogne contre ses parois et se déverse un peu. Le frottement des jambes féminines qui se croisent. Le poids du corps qui se dépose sur le sol. Sa présence proche.

Elle n'existe plus. Maegorn est semblable aux statues des maisons en pans de bois sculptées qui regardent, écoutent mais ne disent mots. Elle est semblable aux bêtes de la rue, alerte. Inexistante. Invisible. Délaissée par elle-même. Sa raison s'en est allée, il y a maintenant bien longtemps.

Les mains d'une louve au cœur gonflé de tendresses s'avancent vers elle. Elle est sans réaction. Au contact, un froid ténébreux enveloppe son âme nue. Ses poignets sont libérés. Libres. Maegorn se retrouve devant le noir tableau de son vécu, plein d’épouvantement. Figée. Qu'a t-elle enduré ? Combien de temps ?

De petits yeux sombres et brillants scrutent son visage avec détermination. Pourquoi ? La main lâche l'une des siennes qui tombent sans retenue. Bruit mat de la chair sur le sol. Inattention. Le frottement du tissu qui éclaircit sa peau. Maegorn regarde le geste se faire avec curiosité. Comme une bête affamée à qui on propose de la nourriture que l'animal ne connaît pas et n'ose approcher. Pourquoi autant de douceur quand frotter violemment serait plus efficace ? Plus commun. Plus habituel.

C'est un moment calme qui l'oblige à écouter vraiment. Elle qui ne pensait ne plus rien avoir à tirer du monde, la voici particulièrement attentive à lui. D'où son violent sursaut. La main de Maegorn s'est presque échappée à la prise de parole. Comment est-elle restée sur la main de Sam ?


-Ça faisait... Longtemps que je te suivais pardi. Il fallait que je trouve le bon moment pour te libérer té. Je suis désolée de ne pas avoir agi plus tôt pardi... Je suis... Désolée... De ne pas avoir dit à Cendre que je t'avais retrouvée, que j'allais te chercher té.

Maegorn ne comprend pas. Cendre ? La jeune femme a le visage rongé par les malheurs de son âme. Son corps n'est qu'un tas de débris qui ne tiennent ensemble que par hasard. Son espoir et sa raison consumés regardent Samsa avec deux yeux verts, limpides et clairs. Elle, ils ne comprennent pas. C'est un visage d'une pâleur macabre qui regarde la Cerbère, un visage dont la raison s'en est allée.

*Vers de Charles Baudelaire, "J'aime le souvenir de ces époques nues", Les Fleurs du Mal, 1868
Malone
Et le coursier parti fini par revenir ... et trouver Malone entre un bureau et l'autre, affairée, comme toujours. noyer toutes les difficultés dans le travail était une spécialité familiale, et la blonde digne héritière.

Un an ... qu'avait-elle fait, elle, au bout d'un an ? Elle avait encore Malvinaa, au bout d'un an, elle devait à sa fille d'attendre le père, cela avait adoucit l'attente, meublé les silences de questions d'enfant, ces questions si vraies qu'elles vous blessent tout en vous contraignant à répondre avec ce sourire rassurant que savent faire les mères. Comment aurait-elle tenu, sans sa fille ? Mais serait-elle moins blessée, aujourd'hui, si elle n'avait pas perdu aussi une fille ? Qu'aurait été sa vie, aujourd'hui, si cette enfant n'avait pas existé ? Elle n'en venait pas à regretter cette tête blonde qui lui avait donné la force de sourire, mais ...

Et le premier vélin à proximité fut retourné. Cendre comprendrait. Ou pas.




Cher Cendre,

Merci de ta réponse, je suis rassurée de savoir que toi au moins, tu tiens le cap. Mais pas rassurée qu'il n'y ait rien à Bazas. J'avoue avoir un peu espéré ... comme j'ai pu espérer à chaque enfant blond qui passe en courant dans les rues. Peut-être est-ce cela qui nous fait tenir ? Cet espoir, même quand on le devine vain ?
Je ne peux m'imaginer Maegorn tolérer de rester enfermée dans un couvent. La tenir enfermée dans un village comme j'ai pu le tenter, ou même une capitale comme Millie a pu le tenter, était, non, est déjà et toujours impossible. Alors un couvent ... non, elle aurait rendu les nonnes chèvres en un mois, et des nonnes broutant en tous lieux, cela se serait remarqué, et l'on en aurait entendu parler !
Bien sûr, je tendrais à imaginer pour elle ce que j'ai imaginé de pire et de plus probable pour les miens : une attaque de brigands, comme ceux qui ont autrefois enlevé ma mère, mais sans battue au bon moment et au bon endroit, personne ne peut retrouver la trace du combat, ni le sang, encore moins le corps. Cela me glace les sangs chaque fois que j'imagine mon Choupi et ma petite Malvinaa ainsi, mais je dois l'admettre, c'est la seule hypothèse que je trouve valable pour les miens.
Mais Maegorn ... après tant de temps sur les routes?! Choupi était un guerrier, mais il était habitué à avoir une armure, un bouclier, tout un équipement ! Maegorn savait se battre, se défendre, et même éviter les attaques sans un bataillon complet à ses côtés et un écuyer pour l'équiper. Je ne peux me résoudre à croire à cette fable, non, pas elle.

Et pourtant, je ne peux ni te dire qu'elle est en vie, ni qu'elle ne l'est plus : seuls nos coeurs devraient parait-il pouvoir nous le dire. Je ne sais comment fonctionne le tien. Le mien doit être en panne : il ne me dit plus rien depuis qu’ils ne sont plus là. J'ai mis presque deux ans à décider que Choupi ne pouvait s'absenter si longtemps de son vivant. Mais j'avais Malvinaa, à cette époque, c’était plus facile pour moi de tenir, pour elle ... Les enfants sont notre joie tant qu'ils sont là, mais quand ils disparaissent ils ouvrent notre tombe.

Sois pour toi assuré d'une chose : je ne peux imaginer Maegorn t'abandonnant, je la connais depuis longtemps, et je sais que même après une rupture difficile, elle a toujours su dire "non, je te quitte", plutôt que la fuite silencieuse. Quoi qu’il soit arrivé, même si elle avait voulu te quitter, elle te l’aurait dit. Si elle ne te l’a pas dit, c’est qu’elle escomptait te revenir.
Je ne peux te dire combien de temps il t'est nécessaire d'attendre, ni combien tu peux et veux attendre : tu connais Mae mieux que moi. Je ne te jugerai pas, je ne te blâmerai pas : je ne sais que trop cette horreur qu'est l'absence de nouvelles. Mais j'irai vers le Sud : elle a toujours aimé le soleil, et moi j'en ai besoin. Enfin, si je parviens enfin à sortir du Poitou : j’ai découvert récemment que l’on a réussi à m’assigner à résidence pour une charge.

Je t’ai dit que j’avançais, c’est vrai, parce que la seule chose qui me tient debout, est ce qui a toujours tenu ma famille debout : le travail. Mais je me rends compte qu’à se noyer dans le travail, l’on se gâche la vie. Et je ne vis plus qu’au travail, je ne crois pas pouvoir me placer en modèle … Ce n'est pas vivre.

Prends soin de toi ! Et dis-moi quelle solution tu trouves, la mienne n’est pas bonne. Je prierai le Très Haut de nous rendre notre voyageuse, comme je l’en prie chaque jour.

Malone



Et s’il retournait le courrier, Cendre trouverait ceci :

[quote="Malone"]
Citation:


Poitevin devant, Jamais ne se rend !


nnonce comtale : impôt, première quinzaine de février


Poitevines, Poitevins,


Sous l'égide du pôle économique, les conseillers comtaux se sont réunis et ont décidé du taux d'imposition pour la première quinzaine de février.
Le bailli nous a présenté le seizième jour du mois de janvier courant, à la mi-journée, deux propositions :
- L'impôt à 3 écus par parcelle possédée et 5 écus par échoppe a reçu les suffrages des conseillers : , Sa Grandeur Theudrik de Saint Savin, Sa Seigneurie Datan l'Epervier, Sa Grandeur Lafa de Bussac, la Baronne Allydou de Lisaran, Dames Crisolde de la Pétaudière et Malone Fortunat, demoiselle Sisi55, et Aaldred d'Alveirny.
- L'impôt à 4 écus par parcelle possédée et 6 écus par échoppe n'a convaincu personne.

Les conseillers Marzanna, Anthea_27, Sventovit et Stephane637 ne se sont pas exprimés.

Cet impôt sera donc demandé à vos mairies, qui peuvent choisir de l'assumer en totalité ou partie, ou de vous le répercuter, assorti ou non d'un impôt municipal. Cet impôt municipal ne peut excéder un total cumulé à l'impôt comtal de 6 écus par parcelle et 8 écus par échoppe.

Rédigé par Malone Fortunat, pour Sa Grandeur Theudrik de Saint-Savin, Comte du Poitou

Fait à Poitiers le quatrième jour du mois de février de l'an de grasce MCDLXIV



Et sans doute, sous peu, le Comte trouverait sa Porte Parole pas rapide, tandis que celle-ci, grommelant et pestant plus encore qu’à l’accoutumée, retournerait tout son bureau, puis recommencerait toutes ses enluminures, minutieusement.
Mais Cendre, lui, serait le seul à connaître le fin mot de cette histoire d’annonce disparue et de blonde soudainement devenue lente et très ronchon.

_________________
Samsa
    "Sois gentil
    Et tais-toi !"
    (Rox et Rouky 2 - Sois gentil et tais-toi)



La main tendue reste vide et le sourire doux s'efface lentement. Il est trop tard, pas vrai ? Il va falloir parler, Samsa l'a comprit. Mais pas maintenant, non, pas maintenant, il ne faut pas. Elle perçoit bien la faiblesse de Mae, il ne faut pas lui parler maintenant de Cendre, de ce qu'elle a perdu. C'est un peu lui dire qu'il était mort, mais sans que cela soit véritablement le cas. Vraiment, il aurait mieux valu pourtant, ça aurait été beaucoup plus simple. Il fallait se montrer rassurante à présent, le temps de la remettre sur pied. Après elles discuteraient, demain peut-être, une fois reposée. Mais pas maintenant.
La main de la Cerbère vient prendre celle de son amie et lui adresse un petit sourire en coin qui se veut complice, qui annonce quelque chose du style "tu sais pourquoi, tu le connais". Le sang séché de sa joue se meut et avec lui les petites étincelles qui se meurent enfin.


-Il... Il va bien pardi. Je ne lui ai rien dit parce que, si je l'avais fait té, il aurait foncé tête baissée pardi...

Sa voix se tait, et Samsa se traite immédiatement d'idiote. Qu'est-ce qu'elle en sait, elle, si Cendre va bien ? Même, elle sait qu'il ne va pas bien. Physiquement, tout va bien, c'est un homme grand et robuste, mais elle le connait depuis un certain temps maintenant, c'est un géant aux pieds d'argile, et elle a vu, elle voit, dans leurs correspondances inégales, que moralement, ce n'est pas simple pour lui. Mais inutile de préciser cela pour l'instant. Quoique. C'était vraiment stupide de sortir ce prétexte pour le silence envers l'époux de Mae. C'était vrai, mais c'était tellement beau, de croire qu'il pouvait simplement être chez lui à attendre, alors que ce n'était plus le cas. Peut-être n'est-ce pas si grave d'avoir potentiellement donné un faux espoir à Mae, si sa voix ne l'a pas trahi ? Ou bien serait-ce pire ? Ce qui est dit est dit, il n'y a plus rien à changer.
Le tissu humide termine de laver la main et Samsa se recule légèrement avant de tendre la main vers un pied de Mae. Ses yeux sombres et brillants se posent sur les siens dans une volonté de la rassurer, appuyée par un sourire apaisant.


-Laisse-moi regarder tes pieds pardi, j'imagine qu'ils ne doivent pas être en bon état té...

Sans déc'.

Avec délicatesse, la main de la Cerbère vient se glisser derrière une cheville pour amener le pied vers elle, guettant le moindre signe de douleur de la part de son amie. Les doigts balayent la terre, la boue qui peut l'être, découvrent les blessures que les yeux observent, attentifs et soucieux. Un instant, son regard se relève vers les yeux de Mae, cachant s'ils le peuvent dans l'obscurité sa préoccupation.
Il y avait une fois où il aurait fallu faire attention à ce qu'elle disait. Une fois. Réfléchir une fois, et elle n'y était pas arrivée, elle n'y arrivait pas. Samsa ne savait pas quoi dire, quelle attitude adopter, quelles paroles prononcer. C'était comme tenter de déchirer un bout de papier de manière propre, et s'apercevoir que la déchirure n'était pas droite.

_________________
Maegorn55
[Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.*]


Ses deux yeux se font plus grands au sourire mutin de la guerrière. Voilà une expression qu'elle ne voyait plus et qu'ici, elle ne comprend pas. Comme le visage est doux et tendre, Maegorn le regarde. Le sang séché assombrit le tableau de l'être qui est face à elle, mais le joli de Samsa n'en est pas dissimulé. C'est de la prudence et de l'attention pures qui lui sont transmises. Elle ne comprend pas le pourquoi mais ce sont là des états qui ne semblent pas dangereux, sinon déconcertants. Elle cherche à la rassurer, elle qui n'a plus de repère. Ses fondations étaient les heures de ces journées infernales et voilà que, comme faites de sable, elles s'effondrent. Aucune cage ne l'attend, aucune des âmes qui l'avaient accompagnées ces longues journées ne sont là. Ce ne sont que deux femmes dans une chambre. Une qui ne dit mot et l'autre qui n'ose dire les mots. Maegorn est déboussolée. Et alors ? Rien. Ses yeux se font plus grands sans qu'elle ne voit mieux. Les gestes de la Cerbère sont doux. Eux aussi ne correspondent pas à la situation. Ces mains viennent de donner la mort. Vêtues de gantelets, elles ont pris une, deux, trois... Des vies. Des vies qui n'avaient de sens que grâce à l'argent. Mais des vies tout de même. Ces mêmes mains cherchent à l'apaiser, elle qui ne ressent rien. Le sourire de la femme est complice, la réaction en retour... absente. Maegorn n'existe pas.

-Il... Il va bien pardi. Je ne lui ai rien dit parce que, si je l'avais fait té, il aurait foncé tête baissée pardi...

Cendre. N'a-t-il pas chercher à comprendre son absence ? N'aurait-il pas harceler leurs proches pour en apprendre plus ? L'avait-il seulement attendue ? Les paroles font échos à des souvenirs brumeux. Cendre. L'Alençonnais naïf mais suffisamment impétueux pour combattre quiconque toucherait à Alençon. Défendrait-il mieux des murs qu'une femme ? Les femmes passaient pour lui, Alençon toujours lui était fidèle. Jamais elle ne cèderait à des assauts fougueux, si violents soient-ils. Avait-il suffisamment confiance en elle ? Ou se coryait-il délaissé ? Maegorn aurait défendu cette ville pour lui, corps & âme. Ils auraient vaincus. "Ils", que sont-"Ils" ? Un mari laisse-t-il une amie chercher plutôt que lui ? Une femme délaisse-t-elle son mari aussi longtemps ? Se marier, voilà quelle serait leur fin plutôt que le commencement. Mais Samsa a dit qu'il allait bien. Elle aurait souri à cette nouvelle si son amie était venue plus tôt. Ses propres pensées lui sont nébuleuses. Oui, il aurait foncé tête baissée pour elle, comme elle aurait fait pour lui. Mais il ne l'a pas fait et cette femme veut en prendre la responsabilité. "Seulement Sam, s'il l'avait voulu, rien ne l'en aurait empêché. Même pas toi son amie." Son cerveau la trahit comme font les lèvres à qui la langue fourche. Qu'a-t-il fait du temps que d'autres leur ont pris ? Les jours se sont tellement confondus, identiques, qu'ils ne séparent plus les uns des autres. Une faible tristesse s'enracine progressivement dans son esprit. Elle est incapable à cerner le temps. Ses lèvres sèches et ravinées s’entrouvrent pour demander, d'une voix rauque :
Combien de temps

Qu'importe si on peut se fier à elle, le Temps est immuable pour qui est dans la réalité. Une douleur sourde envahit le fond de sa tête jusqu'à gagner l'ensemble de son esprit. Combien de temps ? Un mois ? "Depuis combien de temps vit-elle Sam ?" Cette femme saura bien lui dire puisqu'elle l'a pistée comme les autres, comme Eux. Rien ne la différencie des autres et pourtant tout les sépare. Que lui veut-elle ?

-Laisse-moi regarder tes pieds pardi, j'imagine qu'ils ne doivent pas être en bon état té...

"Que penses-tu Sam ? Que juste quelques crevasses se sont créées sur la plante de ses pieds ? Le sang lui-même a quitté la peau à force du frottement contre la poussière du sol de la Terre. Les chausses de cuir se sont amincies puis disloquées. Combien de jours a-t-elle marché avec seul le lacet de cuir noué autour de ses chevilles, le cuir s'en étant allé ? Ce n'est pas de la boue que tu ôtes délicatement, mais bien le mélange organique de la chair, du sang et de la poussière. Heureusement qu'elle marchait, sinon ces pieds auraient pu pourrir. Dans quels états seront-ils ? Attends d'ôter le tout, et c'est la chair vive que tu trouveras ! J'espère que ton coeur est accroché, ça n'est là que la surface d'un esprit dérangé..." Les vermisseaux en choeur souhaiteraient approcher son cadavre.

Un instant, le regard de la femme se relève vers elle. Comme si son être fut une personne. Comme si elle pouvait être considérée comme autre chose qu'une carcasse. Qui est-ce donc pour elle ? Une amie, une parente ?


*Vers de Charles Baudelaire, "Bien loin d'ici", Les Fleurs du Mal, 1868
Samsa
    "J’aurais aimé voyager à travers le temps
    Mais on ne peut vivre que le présent
    On ne peut vivre que le présent."
    (Soprano - Hiro)



Samsa ne répond pas tout de suite à la question de Mae, parce qu'elle sait qu'une fois qu'elle aura commencé, il faudra continuer. Ses yeux se concentrent sur les pieds qu'elle ne distingue pas toujours très bien dans la lumière aléatoire mais, avec application et délicatesse, elle essaie, elle tâtonne et fait de son mieux. Se concentrer sur deux tâches lui permet de mieux réfléchir à ses mots. Depuis combien de temps Mae pense-t-elle être partie ? Il paraît que les gens qui posent ces questions pensent toujours avoir vécu moins qu'en réalité. Ou bien Mae pense-t-elle avoir vécu des années ainsi ?
La Cerbère s'interrompt, lève la tête et soupire. La vue des pieds de Mae, une fois débarrassés de la majorité des saletés, n'est pas belle, vraiment pas, et Samsa préfèrerait encore voir un corps décapité. Sans doute la colère joue-t-elle également un rôle. Elle aurait dû tous les tuer, et les libérer tous. "Hélas, Cerbère, tu n'es que Cerbère, tu n'es pas Hadès." Sans lâcher le pied qu'elle tient, la Bordelaise attrape à sa ceinture une petite sacoche, si petite qu'on se demande ce qu'elle pourrait contenir d'utile. Une boîte, plus petite encore, en est extraite. Elle l'ouvre sur une pâte lisse à l'air vert et jaune pâle, le bon secours à avoir pour tout soldat qui se respecte et se retrouverait avec une plaie à faire soigner. Les médecins n'étaient souvent pas assez nombreux pour s'occuper d'un carnage; mieux valait avoir de quoi se débrouiller, un peu, temporairement.


-C'est... Un onguent pardi. Tu connais té ? Je vais t'en mettre, ça va aider à nettoyer et cicatriser tes plaies té... J'sais pas comment t'as pu ne pas attraper la gangrène pardi, comment t'as pu continuer de marcher té, mais je ne veux pas pousser ce miracle plus loin pardi.

"Tes pieds", ça aurait pu aller aussi, tant leur état est lamentable.
Les doigts bordelais recueillent un peu de pâte qu'ils posent et étalent aux endroits les plus critiques; la boîte est petite, le contenu l'est également. La Cerbère déchire son col en bandes qu'elle utilise pour enrouler les pieds de son amie, protéger l'onguent précieux.


-Je devrais en retrouver demain pardi.

Elle dit ça pour meubler la conversation, mais elle n'a pas oublié qu'elle doit répondre. Sa préoccupation principale est close, les pieds sont soignés comme elle l'a pu en tant que néophyte seulement guidée par ses connaissances de guerre. La Cerbère redresse son dos jusque-là courbé sur sa tâche et observe le visage de Mae. Elle a peur de sa réaction, mais il va falloir y aller, se lancer. A trois.

Un...

Deux...


-... Je vais te chercher de l'eau pardi.

... Trois ?
Samsa se lève et s'approche du cruchon posé près de l'assiette, sur la table. La chope qui l'accompagne se fait remplir et la Cerbère se rassoit en tailleur face à Mae avant de lui tendre, l'encourageant à boire d'un mouvement du menton.


-Ça fait un an pardi.

Merveilleux, voilà Samsa lancée. Il faut continuer à présent, raconter, un peu, tout ce qui s'est passé. Une partie. Elle ne veut pas dire ce que Cendre est devenu, mais elle veut lui expliquer pourquoi elle est restée dans cet Enfer un an. Elle aurait voulu faire tellement plus...

-On t'a cherché pardi tu sais té... On t'a tous cherché té. Cendre est resté longtemps à Bazas té, des mois entiers pardi. Il ne voulait pas reprendre la route pardi. Il m'écrivait pour me dire que tu étais partie, qu'il n'avait plus de nouvelles, que tu devais avoir préféré... Une autre vie pardi, des trucs du genre té. Mais il attendait. Tu sais comme il est... Fragile pardi. Je ne crois pas qu'il était en capacité d'imaginer ce qui était arrivé, ce que tu vivais té... C'est pour ça que c'est moi qui ai exploré cette voie, invisible pour lui pardi. Tu sais... Je pense qu'au fond, il ne pensait pas un mot de ce qu'il écrivait pardi, mais je crois que c'est tout ce qu'il avait pour endurer ta disparition et... Et celle de Millie pardi, ta soeur si je me souviens té ? Cendre m'a dit qu'il ne l'avait plus jamais revu non plus pardi. Je n'ai rien trouvé de mon côté té... Ça n'a pas été facile pour lui pardi mais...

Mais quoi ? "Il t'a attendu" ne convient pas, "il t'aimait" non plus. Et peut-on réellement dire qu'il n'a rien à se reprocher ? Samsa ne peut pas parler pour lui, ni pour ce qui est moral ou pas, elle ne peut pas le juger sur ce qu'il y aurait eu à faire ou pas, comment, combien de temps. Qu'est-ce qu'elle aurait fait, elle ? Il n'y avait personne à juger. La Bordelaise ne peut qu'essayer d'expliquer les choses, la vérité, les faits qui n'ont aucun responsable, sinon, possiblement, son silence.
Craignant un silence trop long, la Cerbère adresse un petit sourire à Mae avant de terminer sa phrase, phrase hésitante qui cherche les mots à voix haute pour ne pas céder la victoire au silence.


-Mais... Mais je crois qu'il... Je sais qu'il a fait de son mieux pardi. Il aurait probablement fait mieux encore si j'avais parlé té. Je veux dire... Il aurait probablement voulu être là, dans cette chambre, s'il avait été au courant té. Mais tu comprends pourquoi je ne l'ai pas fait, pas vrai pardi ? Il aurait perdu la raison, il se serait tué en se jetant dans la gueule du loup comme un aveugle irraisonné té, je n'ai pas eu le choix..

Alors ? Serait-il "probablement là" ou "probablement mort" ? Cendre aurait-il véritablement désobéi aux consignes de Samsa s'il avait su ? Ou bien avait-ce été la meilleure solution ? C'est le jeu des chemins qu'on emprunte, les destins et les "si", le principe même des dilemmes et des regrets : ne jamais savoir ce qui se serait produit "si" on avait choisi un autre chemin. Et "si" seulement la Cerbère avait été plus rapide... Mais, là encore, elle avait agi comme elle avait pensé devoir le faire, avec prudence et patience pour être certaine que tout se passerait bien. "Si" seulement elle avait su...
Dans les yeux sombres et clairsemés de la Cerbère, il y brille une lueur de regret, de peine. Elle porte en elle cette part de responsabilité qui est la sienne, la responsabilité de ses choix qui ont eu des conséquences. Ferait-elle autrement si elle pouvait revenir en arrière ? Sans doute pas, car tout avait déjà été réfléchi cent fois, remis en question chaque seconde. Et si elle avait su ? Oui, elle aurait sans doute fait autrement, cette fois. Mais elle ne pouvait pas savoir et c'était un comble de penser que Samsa, Cendre et Mae, avaient tous trois une part d'ignorance dans cette histoire. Quelle connerie ça aussi, l'ignorance. Comme si la vie n'était déjà pas assez merdique, il fallait en plus ne pas en connaître ni le sens, ni le pourquoi, ni le comment, ni -et surtout- les règles.


-Est-ce que tu as d'autres blessures pardi ? J'aimerais les examiner té, faire ce que je peux pardi. Il faudrait que tu manges aussi pardi, tu dois avoir faim, tu ressembles à une patte de sauterelle pardi... Je te laisserai dormir ensuite pardi.

Rapidement, Samsa tente de revenir dans le milieu sécurisant du présent, de l'instant, des gestes et du silence. Elle a tellement parlé déjà, à ses yeux, elle ne veut pas que Mae fasse une indigestion d'informations. Il n'y a vraiment pas besoin de ça maintenant.
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Cendre1886
[Ça devient compliqué d'être quelqu'un] (Skins)


C'est dans une auberge cette fois qu'ils ont fait halte, mais c'est dehors que le Brun se trouve. Les bruits de la nature sont en fond, ça l'apaise, ça le calme, lui et ses pensées, aussi vagabondes. Assis sur un muret qui clôture la petite cour de relais, il se contente simplement d'être là malgré le froid. Le pigeon qui vient, en revanche, n'a pas eu le choix de sortir, et les doigts masculins déplient le vélin. Cendre a d'abord remarqué ce qui était écrit au dos et il lit, curieux. Un sourire lui échappe. C'est toujours bon à savoir, le taux d'imposition en Poitou. Le monde continue de tourner, les gens de travailler... Et de payer. Le vélin est retourné. Cendre se doute bien que ce ne doit pas être le sujet original du message, et il a bien raison.
Ses yeux parcourent les lignes avec lenteur, un air impassible peint sur le visage. Dans sa tête, à l’évocation d'une attaque de brigands, les défenses se mettent immédiatement en place, et c'est comme si Cendre n'avait jamais lu cette hypothèse, qu'il n'en avait jamais saisi le sens. Sa lecture se poursuit, son coeur tremble, se fissure, se tord, mais rien ne se voit. Il achève sa lecture et relève la tête. Sa main roule le parchemin, ses coudes s'appuient sur ses genoux et ses yeux fixent l'horizon, pas vraiment pensifs. Cette lettre a beau lui mettre la tête dans le fumier, lui donner une sorte de gifle non-violente pour le secouer malgré elle, il est dans cette anesthésie de souffrance et d'incompréhension. N'y-a-t-il donc que lui dans cette situation ? Il n'y a que lui qui ne comprend pas ? Malone semble avoir des idées, des opinions, elle. Pourtant, Cendre a eu les même. Avant. Au bout d'un an, il est des fois où, à cours, on s'arrête. On se contente juste de s'arrêter, de ne plus bouger, juste s'asseoir sans savoir si c'est de l'attente ou de l'abandon. Ou aucun des deux.
Cendre se redresse et sort de sa sacoche dont il ne se sépare jamais, un morceau de fusain et un parchemin froissé. Il ne veut pas répondre à cette lettre devant Octobre. Il ne veut pas qu'elle voit et lise cette blessure pas si invisible, même si elle s'en doute. Il préfère lui faire croire que tout se guérit, qu'il avance et qu'il tourne la page, que c'est presque fini, alors qu'il arrive à peine à commencer.





Chère Malone,

J'ai lu l'annonce avec grande attention, et je suis ravi de constater qu'en Poitou, les choses tournent. Je t'aurais bien renvoyer cette annonce qui doit te manquer, mais je suppose bien qu'elle a dû être refaite depuis. Enfin...

Je ne peux pas plus que toi imaginer... Si, en fait, je l'ai fait, et je le fais encore, imaginer Mae dans un couvent, de son plein gré. Pour la simple et bonne raison qu'elle ne peut être nul part contre son gré. Elle est, comme tu l'as écrit, une voyageuse aguerrie, une combattante face aux brigands. Comme toi, je ne crois pas à cette hypothèse. Le fait est qu'un matin, on l'a appelé au couvent, qu'elle y est allée, et qu'elle n'en est jamais revenue. Combien de temps met-on pour aller d'une auberge au couvent de Bazas ? Cinq, dix minutes peut-être, en pleine ville par un matin ? Il n'a rien pu se passer sur ce trajet misérable, il n'a rien pu arriver à la femme que j'ai épousé, et même si cela avait été le cas -mais nous en doutons tous deux-, Mae aurait été la dernière personne à se laisser faire, à abandonner.

Je te crois quand tu me parles de sa franchise. Mais qui sait ? Peut-être sa révélation fut si brutale qu'elle ne l'aurait pas fait. Peut-être a-t-elle changé. Peut-être m'a-t-elle... Oublié.


Cendre lève le fusain du papier. Il a conscience que ce qu'il est écrit est absurde, mais ses défenses ont prit le dessus, et il devient spectateur des infections de sa blessure. Il ne croit plus en rien, il doute de tout, plus rien n'est stable, plus rien n'est vrai, tout est possible. Un chien pourrait se mettre à parler qu'il ne sait même pas si ça l'interpellerait plus que ça. S'il tient le cap ? Absolument pas. Il a dérivé et il dérive encore. Il ne fait que tenter de suivre et d'atteindre une lumière, celle d'Octobre, parce qu'il coulerait sans elle. Elle est comme un phare qui le guide vers une nouvelle île, une sorte de nouvelle vie, mais la distance est grande, les courants traîtres, les vagues dangereuses, et tous les instruments de bords sont brisés ou déréglés.

Il ne tient pas le cap.
Il ne tient rien du tout.

La main se repose, le fusain reprend sa course.




Je n'ai jamais eu de travail, à proprement parler. Il n'y avait que Zelha qui savait me guider sur ce plan, sollicitant mon aide quand elle le devait, quand je le pouvais. Mais, elle aussi, elle s'en est allée, et je suis cette fois définitivement seul sur ce plan. Il n'y a plus personne à qui je puis me rendre utile en Alençon, ni dans la haute sphère sociétale. Peut-être, de toute façon, n'en ai-je actuellement pas le courage ou l'envie. Aucun refuge ne me protège vraiment, c'est comme changer de position pour dormir.

Je remonte vers le Nord pour ma part, pour Alençon. J'ai envie d'y retourner, retrouver un repère. Pour combien de temps, je l'ignore, mais cela pourra m'apporter la paix quelques temps avant que, sans doute, tout ne m'assaille à nouveau.


Une pause, de nouveau. Doit-il lui parler d'Octobre ? Elle qui l'a vu quand ils sont passés à La Rochelle, quand rien n'était encore arrivée. Que penserait-elle ?
Le fusain se balade entre les doigts, et Cendre renonce. Il ne veut pas cacher Octobre, mais il n'est pas encore prêt pour ça -non plus-. Pas encore prêt à parler de son échec, d'un choix qui en fut à peine un, de tous ces rouages qu'il n'a pas comprit et ne comprend pas.
La prochaine fois, il le promet. Il se le promet.
La question de la solution, qui n'en est pas une, est en attendant esquivée avec brio, comme un oubli de répondre.




Je te souhaite de parvenir à te libérer pour profiter du sud et du soleil. Il est vrai que cela est un climat et un environnement agréable. Peut-être auras-tu plus de chance, celle qui surgit d'un coup au bout d'un temps long, sans que l'on sache ni ne comprenne pourquoi. Oui je souhaite que tu l'ais, puisque je ne l'ai pas eu, et que tu ais des nouvelles de Mae, qu'elle soit en sécurité. Qu'elle soit heureuse, si elle doit être loin de nous.

Amicalement,

Cendre


Cendre se relit rapidement. Il ne change rien cette fois, ni d'ajout, ni de rature, ni de modification quelconque dans une tournure de phrase. Le papier froissé est roulé et renvoyé. Longtemps, Cendre regarde le pigeon s'envoler, s'éloigner, disparaître. Les pieds regagnent finalement le sol, et il regagne l'auberge.
Malone avait raison quand il l'a croisé, et elle a encore raison dans sa lettre. Faire comme si de rien n'était, ce n'est pas vivre. Et lui, tant bien que mal, il essaie de comprendre, et de réaliser, pour continuer de vivre.

Mais il se demande lui-même s'il y arrivera un jour, ou s'il faudra... Faire avec.

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Maegorn55
[...]

Elle a écouté. Elle entend. Oui, elle entend ce qu'elle a perdu. Cendre et sa soeur. Tous. Ils ont continué à vivre. Le "il a fait de son mieux" équivaut à ses oreilles à "il a surmonté l'obstacle". Ca y est, elle revient au monde.
Dur.

Triste.


Vide.



"Que croyais-tu jeune sotte ?
-Qu'on m'attendrait."


Il s'est protégé. Il a gardé sa Raison. Il est entier et sauf. Il va bien. Tant mieux.


Son esprit se perd et devient vide, il se recroqueville sur lui-même. Excuse-la Sam, mais elle ne t'écoute plus. La voyageuse est à la barre, le jugement tombe.

Ridicule. Maegorn l'est. Ridicule d'avoir cru qu'on aurait pu l'attendre. Qu'on aurait pu penser à elle aussi longtemps. Un an. Alors, elle a 23 ans. Pas de présent. Plus d'avenir. Qu'un passé sans plus de raison d'être. A quoi bon avoir tenu ?

Sale. Maegorn se sent sale. Malgré les soins de Sam, les expériences de ces derniers jours ne sont qu'horreur et elle y a survécu. Pourquoi ? En vain. Elle a accepté de les endurer. Pour rien.


Inerte.

Sam lui parle mais elle ne réagit pas. Son esprit n'est que brume mais pourtant elle y reste. Son coeur s'assombrit sans avoir eu le temps de se réjouir. La liberté a un goût amer, celui de... la vie ? Comment lui reprocher d'avoir continué à vivre ?

Oh. La pièce est sombre. Sam n'essaie plus de lui parler. Maegorn est restée assise, soignée des pieds. Ses yeux lointains s'étaient figés. Où était-elle ?

Dans l'âtre, les braises crépitent des derniers instants du feu. La "patte de sauterelle" se redresse lentement et difficilement, indifférente aux bandages de Sam. Où est-elle ? Un corps repose dans le lit, à côté d'un oreiller laissé vide. Peut-être attend t-on qu'elle s'installe aussi.

Comme ceux d'une voleuse, ses doigts cherchent dans le sac. Au moindre bruit, son corps se fige, attend puis reprend sa fouille. La petite boîte est trouvée.

Ses longs filaments articulés déposent précautionneusement l'onguent sur la brûlure. Voilà, ça guérira mieux ainsi. Au pire, cela laissera une tâche sur la peau féminine.

Il est tard. Ses yeux luisent dans l'obscurité d'une détermination hystérique. Demain, elles iront à Alençon. Si elle ne veut pas, elle ira seule.

Samsa
    "Holes in the sky
    Pierced by the fire
    Somebody tell me this is real
    Ouh ouh"*
    (M83 & Haim - Holes in the sky)



Samsa n'a pas remarqué tout de suite que Mae ne l'écoutait plus, et elle a continué à parler un moment encore. Elle tentait d'adoucir les choses, mais il vient un moment où on ne peut plus adoucir et où le contenu ne peut pas être moins douloureux. Les explications ne servaient déjà plus à rien quand la Cerbère finit par se rendre compte que Mae ne l'écoutait plus, ne l'entendait plus. Depuis combien de temps déjà ? Samsa a parlé pour rien, sans doute, mais elle ne s'en vexe pas. Un instant, elle l'observe en silence avant de réagir à son tour.

-... D'accord pardi... Tu dois être fatiguée té. Je vais te laisser té. Tu devrais manger un peu pardi, avant de dormir. L'assiette est sur la table té.

La Cerbère se lève et rejoint le lit qu'elle défait avant de s'asseoir dessus. En silence, elle retire ses bottes, jette de petits coups d'oeil à sa protégée qui ne bouge pas. Samsa retire sa ceinture qu'elle pose au sol alors que l'épée est appuyée contre le mur, à portée de main, toujours. Le camail et les cuissots sont retirés et posés un peu plus loin. La cotte de maille reste, confirmant presque la rumeur selon laquelle Samsa ne s'en séparerait pas même pour dormir. Le corps fatigué se couche sans avoir pansé sa blessure; il a oublié. En son fort intérieur, Samsa était trop occupée à songer aux ressentis de Mae. Elle imaginait ce que c'était à vivre, sans vraiment le savoir pour autant. Zyg était morte, elle était partie, oui, mais pas comme Cendre. Et Samsa n'était pas mariée à Zyg.
La Bordelaise s'était endormie avec un temps de retard, dans ses pensées, ses plans, ses souvenirs. Sa blessure s'était tue sous cette avalanche. Elle n'avait pas frémit lorsque des doigts étaient venus poser de l'onguent, elle n'avait rien senti, trop fatiguée par la mission, trop essorée par le chagrin auquel elle assistait sans pouvoir rien y faire.

Le lendemain, au matin, la Cerbère s'éveille. Elle se redresse vivement, cherchant immédiatement Mae du regard. De quoi était-on capable après un an en de telles situations, après un choc émotionnel comme hier soir ? A côté d'elle, le lit est vide mais, dans le coin, elle discerne la forme recroquevillée. La Cerbère soupire de soulagement, se remet en position horizontale un instant, le temps de trouver ses esprits, de rassembler les événements et les plans. Les plans oui, tiens, parlons-en. Quels plans ? Que faire, maintenant ? La Cerbère se redresse de nouveau, observe son amie, et se lève. Son premier geste et de nouer sa ceinture à sa taille, retrouvant ainsi son épée. Le reste peut attendre.


-Hé... Comment ça va pardi ?

La Cerbère s'approche et s'accroupit près de Mae. Elle a remarqué, en passant, l'assiette restée intacte, alors elle se relève pour la saisir et la poser devant Mae avec un regard doux et encourageant, un peu inquiet.

-Tu devrais manger pardi, on a de la route aujourd'hui té. J'ai pas trop envie de trainer dans le coin pardi. On va finir de se soigner, on rassemble les affaires, et on s'en va, d'accord pardi ?

Elle n'a pas capté que sa plaie à elle était déjà pansée. Il n'y a pas qu'elle qui a eut un moment d'absence. En s'approchant du seau, elle remarque enfin la couverture à la couleur dégueulasse -disons le- sur sa peau. Lentement, ses doigts effleurent l'onguent, comme pour vérifier qu'il est réel. Elle n'a pourtant aucun souvenir de se l'être appliquée, elle en est même sûre. Samsa tourne la tête vers Mae et lui sourit, un sourire doux mais qui pourrait grimper jusqu'aux oreilles.

-Merci pardi...

La Cerbère plonge les doigts dans l'eau froide et nettoie le sang séché et les braises qu'il reste après sa nuit. Elle ne va pas se balader avec toute sa vie, quand même. Tout en se débarbouillant soigneusement, Samsa parle, fait partager ses pensées, le néant de la suite. Peut-être que ce n'est pas à elle de décider, maintenant. Bien sûr qu'elle se préoccupe de Mae, qu'elle s'inquiète plus encore pour elle à présent qu'elle est là, mais le plan initial, c'était de lui rendre la liberté. Sa liberté.

-Je n'ai pas de plans pour la suite pardi. Que veux-tu faire té ? Où veux-tu aller pardi ? Il y a en tout cas un point non-négociable pardi, c'est que je t'accompagne té, et je ne te lâcherai que lorsque tu iras mieux té.

Elle ne dit pas si c'est aller mieux physiquement ou psychologiquement. Samsa sait de toute façon qu'il faudra énormément de temps pour les deux, peut-être même que ça ne se guérira jamais. Il y a des choses qui restent, qui peuvent se réveiller avec un simple petit mot anodin, elle est bien placée pour le savoir.
Mais elle est Cerbère, et Cerbère est un chien, un garde; il veille, protège, mais il ne guide pas.



*="Trous dans le ciel,
Percés par le feu;
Quelqu'un m'a dit que c'était réel.
Ouh Ouh."

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