Samsa
- "I'm a shooting star leaping through the sky
Like a tiger defying the laws of gravity
I'm a racing car passing by like Lady Godiva
I'm gonna go go go
There's no stopping me."* (Queen - Don't stop me now)
Boum. Boum. Boum.
Le temps ne s'écoule plus. Il n'y a plus que leur coeur, plus que l'espoir qui les sépare. "Prends ma main Mae, vas-y pardi ! Je t'emmène té". Il est long ce chemin, entre leur deux mains, entre l'amaigrie et la gantelée, mais la Cerbère ne bouge pas. Elle pourrait tourner la tête, craignant à chaque instant un nouveau coup dont elle ne se relèvera pas cette fois, mais elle ne le fait pas. Elle pourrait attraper la main, juste l'attraper, et s'en aller, mais elle ne le fait pas. Elle reste là avec ses yeux doux et brillants posés sur Mae, avec son épée tombante dans la main, avec le sang qui coule un peu sur ses lèvres. Elle ne sait même pas comment elles vont s'échapper, si Mae pourra courir. Samsa ne sait même pas si son amie sortira de cette cage. Elle va peut-être mourir ici, dans son attente et son espoir, dans cette loyauté et cette amitié qui l'auront perdu. Une mort en héros, mais une mort en héros parfaitement inutile, sans rien sauver d'autre qu'un honneur qui ne servira plus.
-YAAAAAAAAAAAAHHH !!
Ils crient leur colère, ils crient pour faire peur, pour se donner de la force, aussi. Samsa les entend, mais elle ne bouge pas, elle ne les regarde pas. Pourtant, tout à coup, elle a peur; peur de mourir, peur de ce qui arriverait pour Mae. Dans cet instant, elle a conscience qu'elle n'est pas immortelle. La Cerbère a tant de fois voulu rejoindre l'Antre, ne plus voir la lumière, et maintenant que le moment semble venu, elle a peur, et elle veut s'en sortir. Il n'y a personne qui lui donne une véritable raison de rester, mais elle veut le faire quand même, elle doit vivre encore.
Elle le doit. Elle le sent.
La main légère et fragile de Mae se pose dans la sienne et se referme sur elle, solide et gantée de cuir et de fer. Samsa s'apprête à la relever, mais Mae la devance et s'échappe de la cage, comme un lapin qu'on aurait soudainement libéré, piqué au vif. La Cerbère, surprise, manque d'en être déstabilisée, mais son esprit est entraîné à la réaction, aux réflexes, et il ordonne à ses jambes fatiguées et de béton après tant d'efforts d'en fournir encore. Alors Samsa aussi, elle court. Elle court pour sa vie, pour celle de Mae. Elles abandonnent derrière elles les autres, toutes ces vies détruites qui, avant, existaient. Père, mère, mari, femme, frère, soeur, fils et filles. Elles les abandonnent, tous et toutes, à un triste sort qu'il convient d'espérer court. Peut-être certains, les plus vifs et forts, sont sortis après elles, profitant de cette occasion inespérée et réelle. Samsa ne sait pas, elle ne regarde pas en arrière, elle court juste à travers cette forêt noire et vide, sa main tenant fermement celle de Mae. Elle entend le bruit de quelques flèches qui volent, inutiles, sans visées dans la nuit. La Cerbère finit par ralentir le rythme une fois le danger suffisamment loin, arrêtant son amie et rengainant l'épée dans sa main qu'elle n'a pas lâché. Elles vont à l'opposé de Guerroyant, de leur meilleur moyen de fuite; combien de temps Mae pourra-t-elle courir dans cet état ? Combien de temps la Bordelaise pourrait la porter, elle-même fatiguée, lourde de son équipement, douloureuse de la tête et du visage ?
-Par ici pardi ! Il faut pas rester là té.
A son tour, Samsa l'entraine. A gauche toute ! Il faut retrouver Guerroyant, le retrouver, lui à la robe sombre, au caparaçon sombre, dans cette forêt sombre. Quelle bonne idée. Brillante, celle-ci. La Bordelaise repart en trottinant, craignant encore les cris derrière elles, craignant la battue qui commencera, ces gens qui les rattraperont. La cage avait au moins l'avantage de protéger Mae. Albunea, une de ses chères moitiés disparues, avait dit "objectivement... Samsa a une durée de vie de vingt minutes supplémentaires sur le champ de bataille". Est-ce qu'elle avait entamé ces vingt minutes ? "Bubulle, j'donnerai n'importe quoi pour que tu ais raison té".
Elles ne trottinent plus, elles marchent. Depuis combien de temps ? Parfois, elles entendent les cris des esclavagistes, et la Bordelaise s'en sert pour s'orienter. Si Mae lui pose des questions, Samsa ne répond pas. Concentrée, elle ne répond à rien, elle ne parle pas. Elle n'en a de toute façon pas envie. Il sera toujours temps de lui parler, de lui répondre, plus tard. Ce temps de silence, elle le met un peu à profit pour réfléchir, trouver des mots, pour après. Samsa la regarde. Plus aucune peur dans son regard, simplement l'inquiétude pour son amie. Elle a du mal à faire marcher Mae ainsi. Combien de temps marchait-elle, avant, tous les jours ? Elle l'arrête un instant et retire sa barbute sale, un peu cabossée, qu'elle pose au sol. Les étincelles sur son visage sont moins brillantes, mais elles continuent de picoter sa peau, allant jusqu'à brûler aux alentours de la plaie de sa joue qui a tant saigné que le côté de sa mâchoire et de son cou sont recouverts de ce liquide chaud et poisseux qui peine à sécher. Rapidement cependant, sans préoccupation pour son propre état, elle fait passer son tabard par dessus sa tête, et l'approche de Mae.
-Bouge pas pardi. Tu seras mieux avec té.
Le froid se renforce avec les heures de la nuit, Mae est mal vêtue. Doucement, patiente, la Cerbère fait enfiler la tunique bleue et noire de coton à son amie, avant de reprendre sa barbute qu'elle réinstalle sur sa tête avec précaution pour sa blessure. Elles repartent, Samsa se faisant soutien aux besoins, jusqu'à ce qu'elles retrouvent le destrier.
-Là pardi !
La Bordelaise s'avance sans lâcher la main de Mae. Elle a peut-être peur de la perdre. Une telle excursion, Samsa n'en refera pas de sitôt. Elle défait la longe qui le retenait à l'arbre, lâche la main avec un regard rassurant, et se hisse en selle. Quand elles arriveront dans l'auberge du petit village fortifié dont Samsa a déjà oublié le nom, celle-ci se promet de se reposer longtemps, et bien.
De nouveau, elle tend la main à Mae pour la faire monter en croupe."Encore un effort pardi, tu peux le faire té", pense-t-elle autant pour elle que pour Mae.
-On rentre té.
*=Je suis une étoile filante bondissant dans les cieux
Comme un tigre défiant les lois de la gravité
Je suis une voiture de course rapide comme Lady Godiva
Je vais y aller, aller, aller
Il n'y aucun moyen de m'arrêter
Comme un tigre défiant les lois de la gravité
Je suis une voiture de course rapide comme Lady Godiva
Je vais y aller, aller, aller
Il n'y aucun moyen de m'arrêter
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