Christabella
Partir, c'est mourir un peu,
C'est mourir à ce que l'on aime :
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.
C'est toujours le deuil d'un vu,
Le dernier vers d'un poème ;
Partir, c'est mourir un peu.
Et l'on part, et c'est un jeu,
Et jusqu'à l'adieu suprême
C'est son âme que l'on sème,
Que l'on sème à chaque adieu...
Partir, c'est mourir un peu.
C'est mourir à ce que l'on aime :
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.
C'est toujours le deuil d'un vu,
Le dernier vers d'un poème ;
Partir, c'est mourir un peu.
Et l'on part, et c'est un jeu,
Et jusqu'à l'adieu suprême
C'est son âme que l'on sème,
Que l'on sème à chaque adieu...
Partir, c'est mourir un peu.
- Edmont Haraucourt
Le Wallerand en colère, vraiment en colère, c'était quelque chose à voir. Bella l'avait déjà vu énervé, mais pas dans un tel état. Et elle même se sentait quelque part... trahie. Car si elle était venue pour Wallerand, l'idée de départ lui avait été soufflée par Alvira. Et elle avait quitté son comté, ce qui avait déjà été un déchirement, pour gagner une contrée qui lui était inconnue. De même que ses habitants. D'ailleurs, elle songeait parfois à gourmander Alvira, lui demander un remboursement, car elle ne lui avait jamais dit que la Gascogne nourrissait en son sein de sacrés personnages. On m'aurait donc menti? Remboursez!
Fascinée malgré elle, elle n'écoutait qu'à peine ses paroles pleines de rancoeur et de rage. Bella observait la rougeur de la peau de son visage, la lueur inquiétante de ses yeux, et la petite veine saillante, là, sur sa tempe. Elle apprécia la virtuosité avec laquelle il répliquait, attaquait... Sans répit... Jusqu'à ce que le coup de sang prenne fin. Abruptement.
Fais préparer nos affaires et préviens Archibald. On part.
Quoi? Mais ils n'allaient pas partir d'Arengosse, ils étaient chez eux! A moins qu'il n'abandonne son fief, renonce à sa suzemarraine... Il n'irait pas jusque là quand même... A moins que... Lentement, une idée fit son chemin dans son esprit...
Il revint vers elles, et après un instant où il sembla demander l'aide de Déos, il planta ses ors sombres dans ses jades. Elle soutint son regard grave. Il savait qu'elle le suivrait où qu'il aille, et , subitement, un éclair de compréhension la traversa. Elle savait ce qu'il lui demandait, tacitement. Et elle hocha la tête. Ils n'avaient pas toujours besoin de mots pour se comprendre... Malgré tout, une saleté de noeud coulant lui enserrait la gorge. Partir, et tout abandonner, encore. Partir vers l'inconnu. Partir, loin de ses enfants adoptifs, établis en Armagnac. Partir, quelque part faire le deuil de ce qu'ils avaient entreprit, ou rêvé de faire. Laisser son père, aussi. Partir, c'était arracher ses racines, loin de ce sud qui était sa demeure depuis son enfance. Lorsqu'elle avait quitté l'Armagnac, cela avait été différent, car elle partait à une journée de cheval. Mais la Touraine...
Là bas, c'était comment d'ailleurs?
Bella, je pense qu'on est d'accord ?
Malgré le noeud coulant, Bella avait confiance. Elle serait heureuse où il sera heureux. Et si être heureux signifiait suivre Alvira, ils iraient. Elle avait confiance, et surtout elle l'aimait plus que tout... et elle lui signifia, en serrant ses doigts, doucement. Alea jacta est, les dés étaient jetés, sa décision prise. L'excitation prendrait bientôt le pas, l'excitation du grand départ, de découvrir une autre contrée, ses gens, ses moeurs...
T'es foutue. Tu veux te barrer ? Très bien. Mais si tu crois que tu peux te débarrasser de nous aussi simplement, tu te goures, mais bien. Viens là.
Tandis qu'ils s'étreignirent, Bella souriait, à travers un rideau de larmes. L'émotion était à son comble, Bella avait prit sur elle... Elle attendit que Wallerand relâche Alvira, pour à son tour les serrer tous les deux contre elle. Recherchant quelque part un réconfort, car personne n'imaginait ce qu'elle pouvait ressentir à ce moment précis. L'ambivalence de plusieurs sentiments, la peine du départ, l'excitation de l'aventure, et par dessous tout, un amour incommensurable pour son époux, qui l'avait touché dans l'expression la plus primaire de sa peine.
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