Axelle
[Cour de la Jussienne, quelque temps auparavant]
Tout le long de l'entrevue avec l'intruse, la gitane avait lutté pour cacher l'agitation qui soufflait dans son crane. Il avait suffi de quelques mots pour mettre à sac le frêle équilibre qu'elle espérait retrouver au sein de cette retraite aussi volontaire que travailleuse. Quelques mots, à peine, pour lui rappeler que rien ne serait jamais fini avec lui.
« Le Roy des Fous vous donne rendez-vous, ce soir, aux abords de Paris ...
À l'endroit où tout a commencé ... »
En ouvrant la porte avec calme, elle se demandait encore comment elle avait réussi à ne pas rugir. À ne pas taillader la messagère qui la narguait, comme si cela avait pu effacer, dans un même mouvement, le visage au sourire éternel la hantant sans qu'elle ne puisse rien y faire, malgré les résolutions et les affirmations. La porte de la chambrée fut refermée avec un détachement toujours aussi intrigant. Comme si le roi pouvait voir à travers les yeux de l'intruse et entendre par ses oreilles, ce ne fut que dans lalcôve protégée de sa chambre qu'elle laissa enfin son corps palpiter sous cette masse de sentiments contradictoires la prenant en tenaille.
NON ! J'IRAI PAS !
Le pas gitan claqua durement sur le plancher bien que le pied soit nu et, d'une main tremblante de fureur, empoigna le broc d'eau pour emplir à ras bord la bassine de toilette de terre cuite.
Il se barre. Me tourne le dos. Me laissant dans les flammes qu'il a lui-même allumées. Et quand il siffle, faudrait que j'rapplique ?
La robe rouge fut arrachée à la peau brune sans manière ni attention, alors que l'éponge déjà était noyée.
Qu'il aille s'faire mettre ! J'ai plus rien à fiche d'lui ni que c'qui peut lui arriver.
La colère aurait été froide et profonde que jamais cette manie de bouffer ses mots, âprement corrigée, ne serait réapparue à ses lèvres. Dressée nue devant la table de toilette, elle pressa l'éponge au-dessus de ses épaules, sans même prendre le temps de nouer ses cheveux. Sans même se soucier de la dégoulinade cavalant le long de son corps pour s'écraser en flaque à ses pieds. Sans même s'offusquer de la froidure de l'eau lui hérissant la peau de frissons.
J'irai pas. Non. Sans nouvelle, y m'croira morte et c'sera parfait. Dans une semaine, y m'aura oublié et m'fichera la paix. Ouais, voilà. Et basta ! On en parle plus. Les sourcils se fronçaient alors que la tête brune acquiesçait avec vigueur, comme pour se convaincre que cette solution était parfaite, indifférente à l'éponge navigant sur ses bras, son ventre, ses jambes. Beau subterfuge qui sans doute aurait pu faire illusion si cet autre soir, à l'ombre du Châtelet, ne venait égratigner le merveilleux tableau. Égratigner ? Non. Massacrer. À grands coups de regards et de paroles posées s'imposant à sa mémoire avec une clarté implacable.
Il se fichait de toi ! C'était qu'un piège dans lequel t'es tombée, pauvre sotte. Tu ne changeras donc jamais malgré les claques que t'as reçues?
L'éponge, d'un geste brusque et injuste quand elle restait innocente de tout, fut balancée dans la bassine.
Non, j'irai pas.
Et estimant le sujet clos, elle se glissa entre les draps blancs de son lit qui durent, à leur grand désarroi, servir de serviette pour l'occasion. Il était encore tôt. Le soleil n'était pas même encore couché. Pourtant la gitane ne trouvait comme solution, pour taire l'agitation, que de chercher le sommeil. Malheureusement, malgré ses efforts, ses yeux refusaient de se fermer.
Que la scène offerte au murs de sa chambre était ridicule quand, à peine l'intruse avait-elle transmis le rendez-vous, qu'au plus profond d'elle, la Casas savait qu'elle ne pourrait faire autrement que d'y aller.
[Clairière familière, aux abords de Paris / extérieur des murs]
Elle n'était venue qu'une fois, mais ses jambes n'avaient pas hésité sur le chemin à prendre, comme si celui-ci était ancré à sa mémoire pour ne jamais pouvoir en sortir. Le regard bas, elle avait compté les pierres qu'elle croisait pour éviter de penser. Pour que le visage d'Eddard, prédisant une nouvelle engueulade, ne s'impose pas à sa raison. En vain pourtant. Le besoin était là, aussi féroce qu'une drogue, de le voir malgré les bâtons qu'elle avait minutieusement placés dans les roues des retrouvailles, les compromettant volontairement en laissant le roi dans l'ignorance. En tout illogisme. Mais pouvait-elle vraiment être logique quand tout ce qui s'approchait de Donatien n'étaient que contradictions passionnées ?
Arrivée à la clairière, elle l'embrassa du regard, l'odeur de l'herbe humide assaillant ses narines avec une vigueur peu commune. Le mirage de leurs corps haletants enlacés dans une lutte féroce lui sauta à la gorge jusqu'à lui couper le souffle un instant. Pourtant, cette clairière où elle avait manqué rendre l'âme ronronnait d'un calme lourd.
Elle ne s'avança pas davantage, mais resta figée à la lisière un long moment, comme hypnotisée avant de grimper agilement dans un orme à la ramure épaisse. Là, tant couchée que cachée sur une branche, les yeux grands ouverts, elle attendrait. La nuit entière s'il fallait. Ainsi, s'il s'agissait d'un guet-apens, elle le verrai de loin et ne broncherait pas. Mais surtout, de là, elle pourrait le voir approcher s'il venait et décider de se monter, ou pas.
S'il ne vient pas ce soir, je ne viendra pas demain, et alors, je me promets d'oublier.
Un quitte ou double. S'il y avait défi ce soir, c'était à elle-même qu'elle le lançait, sans savoir si elle voulait le perdre ou gagner.
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Tout le long de l'entrevue avec l'intruse, la gitane avait lutté pour cacher l'agitation qui soufflait dans son crane. Il avait suffi de quelques mots pour mettre à sac le frêle équilibre qu'elle espérait retrouver au sein de cette retraite aussi volontaire que travailleuse. Quelques mots, à peine, pour lui rappeler que rien ne serait jamais fini avec lui.
« Le Roy des Fous vous donne rendez-vous, ce soir, aux abords de Paris ...
À l'endroit où tout a commencé ... »
En ouvrant la porte avec calme, elle se demandait encore comment elle avait réussi à ne pas rugir. À ne pas taillader la messagère qui la narguait, comme si cela avait pu effacer, dans un même mouvement, le visage au sourire éternel la hantant sans qu'elle ne puisse rien y faire, malgré les résolutions et les affirmations. La porte de la chambrée fut refermée avec un détachement toujours aussi intrigant. Comme si le roi pouvait voir à travers les yeux de l'intruse et entendre par ses oreilles, ce ne fut que dans lalcôve protégée de sa chambre qu'elle laissa enfin son corps palpiter sous cette masse de sentiments contradictoires la prenant en tenaille.
NON ! J'IRAI PAS !
Le pas gitan claqua durement sur le plancher bien que le pied soit nu et, d'une main tremblante de fureur, empoigna le broc d'eau pour emplir à ras bord la bassine de toilette de terre cuite.
Il se barre. Me tourne le dos. Me laissant dans les flammes qu'il a lui-même allumées. Et quand il siffle, faudrait que j'rapplique ?
La robe rouge fut arrachée à la peau brune sans manière ni attention, alors que l'éponge déjà était noyée.
Qu'il aille s'faire mettre ! J'ai plus rien à fiche d'lui ni que c'qui peut lui arriver.
La colère aurait été froide et profonde que jamais cette manie de bouffer ses mots, âprement corrigée, ne serait réapparue à ses lèvres. Dressée nue devant la table de toilette, elle pressa l'éponge au-dessus de ses épaules, sans même prendre le temps de nouer ses cheveux. Sans même se soucier de la dégoulinade cavalant le long de son corps pour s'écraser en flaque à ses pieds. Sans même s'offusquer de la froidure de l'eau lui hérissant la peau de frissons.
J'irai pas. Non. Sans nouvelle, y m'croira morte et c'sera parfait. Dans une semaine, y m'aura oublié et m'fichera la paix. Ouais, voilà. Et basta ! On en parle plus. Les sourcils se fronçaient alors que la tête brune acquiesçait avec vigueur, comme pour se convaincre que cette solution était parfaite, indifférente à l'éponge navigant sur ses bras, son ventre, ses jambes. Beau subterfuge qui sans doute aurait pu faire illusion si cet autre soir, à l'ombre du Châtelet, ne venait égratigner le merveilleux tableau. Égratigner ? Non. Massacrer. À grands coups de regards et de paroles posées s'imposant à sa mémoire avec une clarté implacable.
Il se fichait de toi ! C'était qu'un piège dans lequel t'es tombée, pauvre sotte. Tu ne changeras donc jamais malgré les claques que t'as reçues?
L'éponge, d'un geste brusque et injuste quand elle restait innocente de tout, fut balancée dans la bassine.
Non, j'irai pas.
Et estimant le sujet clos, elle se glissa entre les draps blancs de son lit qui durent, à leur grand désarroi, servir de serviette pour l'occasion. Il était encore tôt. Le soleil n'était pas même encore couché. Pourtant la gitane ne trouvait comme solution, pour taire l'agitation, que de chercher le sommeil. Malheureusement, malgré ses efforts, ses yeux refusaient de se fermer.
Que la scène offerte au murs de sa chambre était ridicule quand, à peine l'intruse avait-elle transmis le rendez-vous, qu'au plus profond d'elle, la Casas savait qu'elle ne pourrait faire autrement que d'y aller.
[Clairière familière, aux abords de Paris / extérieur des murs]
Elle n'était venue qu'une fois, mais ses jambes n'avaient pas hésité sur le chemin à prendre, comme si celui-ci était ancré à sa mémoire pour ne jamais pouvoir en sortir. Le regard bas, elle avait compté les pierres qu'elle croisait pour éviter de penser. Pour que le visage d'Eddard, prédisant une nouvelle engueulade, ne s'impose pas à sa raison. En vain pourtant. Le besoin était là, aussi féroce qu'une drogue, de le voir malgré les bâtons qu'elle avait minutieusement placés dans les roues des retrouvailles, les compromettant volontairement en laissant le roi dans l'ignorance. En tout illogisme. Mais pouvait-elle vraiment être logique quand tout ce qui s'approchait de Donatien n'étaient que contradictions passionnées ?
Arrivée à la clairière, elle l'embrassa du regard, l'odeur de l'herbe humide assaillant ses narines avec une vigueur peu commune. Le mirage de leurs corps haletants enlacés dans une lutte féroce lui sauta à la gorge jusqu'à lui couper le souffle un instant. Pourtant, cette clairière où elle avait manqué rendre l'âme ronronnait d'un calme lourd.
Elle ne s'avança pas davantage, mais resta figée à la lisière un long moment, comme hypnotisée avant de grimper agilement dans un orme à la ramure épaisse. Là, tant couchée que cachée sur une branche, les yeux grands ouverts, elle attendrait. La nuit entière s'il fallait. Ainsi, s'il s'agissait d'un guet-apens, elle le verrai de loin et ne broncherait pas. Mais surtout, de là, elle pourrait le voir approcher s'il venait et décider de se monter, ou pas.
S'il ne vient pas ce soir, je ne viendra pas demain, et alors, je me promets d'oublier.
Un quitte ou double. S'il y avait défi ce soir, c'était à elle-même qu'elle le lançait, sans savoir si elle voulait le perdre ou gagner.
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