Discrète. Souriante. Même Serviable.
En cette fin d'année, la Bridée est presque devenue quelqu'un de bien. Elle discute gentiment avec chacun, elle sourit, elle boit presque modérément. Elle semble s'amuser d'un rien, joue aux 4 saisons : Torvar l'Hiver, Ysy le Printemps, elle l'Eté, Desneval l'Automne. Et Della comme l'Astre Soleil qui brille au dessus d'eux et les réchauffe. Elle semble s'être adaptée à merveille ; le déguisement et l'adaptation sont ses "trucs". Oui les apparences sont trompeuses bien entendues, mais ça suffit pour tromper son petit monde.
Elle disparaît la nuit, traîne de temps en temps en journée en taverne, et personne n'a rien vu de ses ventes secrètes ou de la rencontre des messagers. Il faut dire que dans le groupe c'est chacun pour soi, Déos pour tous ; donc c'est assez facile. Elle se demande même, si elle dévalisait une mairie un soir, pour se retrouver le matin dans un autre comté, si ses camarades de route y verraient quelque chose. Elle pense que non. Et ça la perturbe. Et ça lui rappelle ce que c'est un groupe, un vrai.
Comme au bon vieux temps ... à la cour des Miracles. Un groupe où on garde toujours un il sur l'autre, où on s'insulte parfois, où on se bagarre souvent, où on partage toujours. Un groupe où on tisse des liens, des vrais, des forts, parce qu'on a affronté les pires dangers, ensemble. Parce qu'on a appris en contexte qu'on a besoin des autres pour la survie, et aussi pour les distractions.
Alors elle a écrit ... une fois ... puis deux. Un vieux contact, une ancienne amie, et puis un autre contact ... les souvenirs se voilent, ça fait comme une éclipse ... Fanchon, le Fol, la Pyromane, le Boucher, le Muet, le Scribe, la Fugue. Tant de gens sur qui auparavant elle avait du compter ; tant de personnes sur qui elle avait pu s'appuyer et avec qui elle avait travaillé, pour le meilleur et pour le pire.
Nostalgie quand tu nous tiens !
Elle était invitée à Paris ; elle n'était toujours pas venue se recueillir sur la tombe de Tord Fer. La cour Brissel ... rue de la Mortellerie, le quartier Spiritu où elle cachait ses sous sales, la rue des cous tordus ... comprenez des Coups tordus ... et pourquoi pas la ruelle des bourses vides ?!
Pourquoi fallait-il qu'elle ne se lie qu'avec les mauvaises gens ? Pourquoi fallait-il que seuls eux lui donnent la réplique ? Le goût de l'aventure, du risque, comme inscrit dans leur sang ... ceux qu'elle avait quittés peut être depuis trop longtemps.
Parce qu'en attendant, eux, ils lui écrivaient. Eux ils étaient là. Et eux ils avaient du travail pour elle. Pas propre c'est sûr, mais qui pouvait rapporter gros ! Paris la ville de tous les mécréants, et la ville de toutes les aventures.
Alors, elle a replongé.
Malgré elle, envers et contre tout, mais pour Elle.
Il y avait eu la Mort de Tord Fer, et puis la rencontre avec Lina et Guylhem, et Desneval et puis elle avait craqué. Elle avait tué, comme au bon vieux temps. Elle avait remué ce passé dérangeant, mais le sien. Elle avait repensé à son apprentissage peu conventionnel, au vol, au poison, au meurtre, à la prison, et Della était venue en rajouter une couche avec le Duc Enguerrand de la Mirandole. Les salons de la Rose Pourpre, la grossesse, Troyes ... et puis l'oubli de toute cette vie.
Et maintenant ? Qu'allait-elle faire ?
Dans les premiers temps, elle en a grogné, elle en a ri, elle en a brûlé des nuits entières pour oublier celui qui a fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui, ce qui la rend invivable ou insupportable aux yeux des gens. Celui qui lui a appris à toujours se mêler des affaires des autres, comme un instinct de survie ultra développé. Sauf que eux, ils peuvent se barrer, ils peuvent se débarrasser d'elle, la quitter, la fuir ... Elle, elle ne peut pas s'échapper d'elle même. Elle est là dans ce carcan trop étroit qui lui colle à la peau, à ne pas savoir si elle doit aimer ou détester celui qui lui aura servi de Père en France.
Allongée sur le flanc, au fond de sa couche un peu trop froide, un peu trop vide, elle regardait les deux/trois plis. L'Espionne de l'ancien temps vibrait en elle. Les gens faisaient tant de secrets. Tant de secrets que fut un temps, elle avait hâte de découvrir, comme l'histoire d'un livre aux pages cornées.
Sa main se dirigea vers l'écriture carrée et elle l'ouvrit, serrant les mâchoires à la lecture de cette dernière ; elle relut plusieurs fois la fin de la lettre, jusqu'à accepter l'idée :
Citation:
donc ta petite protégée est connue d'un couvent à Argentan. Bizarrement, au moment où elle en partait, Teia et sa bande étaient dans les parages ; mais pas moyen de te dire si ta nonne traînait avec. J'aime pas les gens d'église, et toi non plus tu n'aimais pas ça quand tu les chassais avec nous, tu déconnes !
Cet été, elle trainait du côté de Lisieux ; elle a p't'êt'croisé tord Fer, tu devrais lui parler de lui au passage ; ou nous l'amener, et on saura la faire parler
. Un beau matin, elle débarque en Anjou
aux innocentes les mains pleines. Direct en procès pour on sait pas trop quoi, et ça tu le sais, c'est plus que louche.
Ce que je peux te dire c'est que la demoiselle a intégré les Buses Angevines, et disons que
ils ne faisaient pas dans la dentelle. Donc ta gentille petite damoiselle timide qui sort du couvent, ton petit Printemps, tu repasseras
On te l'a déjà dit mille fois Maryah ; les gens ne sont jamais ce qu'ils semblent être. Méfie-toi ... toujours.
Laisse-moi encore un peu de temps. Petit Pierre doit débarquer prochainement en Anjou et tu connais son talent pour faire parler les gens. Bien sûr, il n'a pas ton regard, ni tes mains douces, mais il se débrouille comme un chef maintenant. Je te dirai tout ce que tu veux savoir sur Elle. Au détour, d'une conversation, appelle là « Caillou », c'était son petit nom là bas. Tu vas la voir changer de couleur, et tu sauras que je te dis vrai.
Tu te fais toujours appeler Maryah alors ? Je « paris » que tu n'as jamais plus osé prononcer ton vrai prénom. Tu vois, Tord, aussi dingue qu'il était, il savait. Ta place est ici, que tu le veuilles ou non. Ce serait peut être préférable que tu viennes à nous, plutôt que ça soyons nous qui venions à toi.
Tu sais pour Desneval, tu sais pour Guylhem, pour Ysy, laisse-moi fouiner dans la vie de ton Torvar. Tu ne peux prendre les bonnes décisions, que si tu as les bonnes informations. Laisse-moi faire ça pour toi ; je te promets de ne pas te demander de services en échange.
Réfléchis bien,
Réfléchis vite,
A bientôt,
Le Fol.
La réponse fut des plus rapides, la plume s'abattant sur le parchemin retour au rythme de ses battements de cur qui s'accéléraient dangereusement.
Citation:Fol,
Je te remercie pour toutes ses informations, mais garde tes conseils et tes menaces pour toi. J'ai toujours mes petits talents cachés icy et là, et il me semble me souvenir de ton aversion pour les poisons.
Je vais venir à Paris, là, maintenant, dans les plus brefs délais. Je viendrai seule ; pas la peine de menacer mon entourage.
Quant à ta demande sur Torvar, je te l'interdis. Je ne veux rien savoir. Je sais celui que j'ai rencontré un sombre soir pour une escorte et qui m'a sauvé la peau à plusieurs reprises. C'est tout ce que je dois savoir. Et ne compte pas t'en servir pour me faire céder. Crois-moi il n'a besoin de personne pour mourir. Donc bas les pattes, et prépare toi à me revoir.
Tâche de prévenir le Scribe et la Fanchon, y a des gens qui manquent plus que d'autres hein.
Surveille tes arrières le Fol, j'arrive.
L'Epicée.
Tout s'était accéléré. Elle avait croisé Ysy, et en l'appelant "Caillou", elle l'avait fait disparaître. Maryah illusionniste, si si, regardez : Ysy est là et hop elle n'est plus là. Les boules. Après Desneval s'y était mis ; il avait du se servir d'elle, et s'était entichée d'une nobliotte qu'il comptait rameuter. Les crocs de Maryah n'avaient jamais été aussi aiguisés. Et la dernière apparition du Cosaque, totalement blasé et passif, avait fini de l'achever. Il ne fallait vraiment pas que le Fol lui tombe dessus en ce moment.
Sans hésiter plus longtemps, elle avait demandé à voir Della. Elle lui avait dit qu'elle devait partir, et se rendre rapidement à Paris. Sauf que ... tout ne s'était pas passé comme elle avait souhaité. Car Della, fidèle à elle même, n'avait pas accepté de laisser Maryah partir seule sur les routes. Et donc, c'est tout le groupe qui se rendait à Paris.
Panique à bord pour Maryah.
Comment gérer dans un même temps la sécurité de ses compagnons de voyage qu'elle finissait par apprécier, malgré ses railleries quotidiennes ; et renouer avec son passé tumultueux, sans faire de dégât ?
Elle avait du compartimenter dans sa tête et dans les actes : Della et les compagnons dans les beaux quartiers, activités Lafayotte et musées et bals et petits gâteaux;
Maryah et les mauvais quartiers, fraudes à l'Aphrodite, pactole à la Spiritu Sangui, et recueillement à la Mortellerie, avant de cadrer ses interventions et limites. Les activités y seraient un peu plus sportives .... Et Maryah se préparait déjà à revoir pas mal d'ennemis. Elle allait donc assurer ses arrières et prévenir deux ou trois Cerbères, habitués du lieu et de ses trahisons, genre Lina, le Fol, le Scribe. Bref, elle n'était pas encore suicidaire au point d'y venir seule.
Le tout serait de concilier les deux. Un Pari ... à Paris !
Cela semblait compliqué, mais avait-elle jamais eu une vie facile ? Et puis en parlant de vie facile, elle se voyait déjà au Louvre, dans une pièce dorée, elle même couverte de soie, au milieu d'une profusion de denrées luxueuses et de parfums en tout genre. Elle pourrait dormir comme le lui avait dit Della dans un lit à baldaquin, comme au temps d'Enguerrand, et écouter de la musique ... ou peut être même assister à des représentations théâtrales, comme seules on en voyait à la Cour. Et cette fois-ci, il s'agissait de la vraie Cour, pas celle des miracles.
C'était comme si en quelques jours, elle allait réaliser le grand écart, ou la grande Roue ... celle de la torture vous voyez ? Ecartelée entre deux mondes ... deux Univers même ! Et cela la fascinait plus que ça ne l'effrayait.
Et puis se réjouir lui évitait de penser au pire. Car elle se doutait que ce serait ses derniers moments avec le groupe. Elle avait fui Paris une première fois, elle doutait de s'en échapper une seconde. Et pour ça, elle devait s'assurer de régler tout ce qu'elle devait régler, avant de risquer de disparaître dans le ventre affamé de la Cour des Miracles.
Elle devait donc s'arranger pour deux choses : faire en sorte que Desneval arrive à ses fins avec la nobliotte, ce qui semblait presque une mission facile ; et, réussir à ranimer le Cosaque ... ça c'était déjà bien moins évident. Alors Maryah avait sorti l'artillerie lourde : elle avait demandé de l'aide à Della, considérant que la situation n'avait que trop duré.
La Bridée avait enfin compris qu'elle ne pouvait plus rien pour le cosaque, la confiance était perdue à jamais, ce qui lui laissait toutes les marges de manuvre possible. Qu'il continue à la détester, elle s'arrangerait pour le pousser vers la Vie. Coûte que coûte. Elle était même prête à lui mettre certaines douceurs entre les pattes. Plutôt mourir de chagrin que de le voir s'éteindre à petits feux.
Alors une fois de plus, elle avait cherché le moyen d'arriver à ses fins. Et à son grand damne, après avoir passé en revue, toutes les personnes capables de rappeler Torvar à lui même, elle n'avait eu qu'un nom qui s'était présenté. Il fallait quelqu'un de très proche, qui l'ai connu plus jeune, dans la force guerrière, mais aussi dans les débordements ivresques et autres. Un homme donc ... Un homme qui figurait peut être dans ses pires ennemis à elle, et dont elle évitait scrupuleusement de croiser le chemin ou même le regard. Drobomir.
Elle avait longtemps hésité, mais il fallait quelqu'un en qui Torvar ai totalement confiance et qui soit à même de lui mettre un bon coup d'pied aux fesses pour avancer. La veille, en taverne, Maryah avait voulu sauter à la gorge de Torvar, pour le réveiller, pour lui rappeler le gout du sang, mais elle se doutait que les réflexes du vieux cosaque étaient tapis là et qu'elle aurait vite perdu à ce petit jeu.
Alors, elle n'avait plus hésité. Elle s'était pris la journée et la soirée pour se conditionner, enfin se mettre en condition d'affronter l'abominable Drobo, celui qui apprenait vraiment n'importe quoi à son fils ; notamment sur la condition des femmes. Enfin, elle tâchait de se rassurer, en se disant que mieux valait affronter Drobo qui pouvait pas la voir, que Matvei qui posait parfois un regard gourmand sur elle. Toutefois, un cosaque restait un cosaque, et la prudence était de mise. Une sorte d'entrainement avant de revoir Paris.
Elle avait donc glissé ses dagues à sa chevelure, sa cuisse, la cheville opposée, et le couteau cosaque reposait bien visible à sa ceinture. Elle avait également pris quelques fléchettes empoisonnées, parce qu'un Drobo en colère, ça devait être terrifiant et Torvar ne serait pas là pour la protéger. Non il ne serait pas là parce qu'elle avait pris soin de l'envoyer voir Della, au sujet du trajet pour Paris et qu'il en aurait pour un bon bout de temps à se dépatouiller avec sa Suzeraine.
Courageusement (ou follement), elle s'était enfoncée dans les bois où Drobomir devait couper du bois pour le campement. Les coups qui résonnaient l'emmenèrent droit vers lui, même si son cur se serrait en entendant à chaque fois la puissance des coups. Et si c'était son cou à elle en dessous ? Mouarf ...
Elle était arrivée à lui, enfin et pendant un moment elle s'était arrivée et l'avait observé. Le mouvement était précis et l'homme trop grand, à son sens. A l'exception de la hache, il ne semblait pas armé ... mais les cosaques avaient toujours leurs ressources. Il fallait absolument qu'elle évite l'affrontement ; elle n'y survivrait pas. Et ce coup ci, elle n'avait personne pour assurer ses arrières ou faire diversion. Depuis la fugue de Percy, elle n'avait jamais reporté vraiment son attention dessus. Elle lui avait fait porter par Percy un gibier et un onguent pour les coups de fouet, mais elle se doutait que tout comme Torvar, il avait ignoré l'onguent. Et il avait du la maudire jusqu'à la 5ème génération. L'espace d'un instant elle pensa faire demi tour. C'était une idée stupide et dangereuse. Il allait la broyer et Torvar ne serait pas plus sauvé.
Et puis elle était revenue sur ses pas, elle était sortie déterminée de derrière les arbres qui la cachaient, pouces posés à la ceinture pour éviter tout tremblement de ses mains. Stratégiquement, elle s'était dit qu'il fallait tout dire avant de laisser un droit de réponse à Drobo. Au moins, s'il venait à l'assommer, il aurait entendu ce qu'elle avait à dire :Drobomir ... le bon jour ... oui je sais ce n'est pas un bon jour pour vous puisque j'ose venir vous parler, mais l'heure est grave et vous vous doutez bien que je ne serai pas venue si elle ne l'était pas.
J'viens parler de Torvar. Faut que vous m'aidiez ... 'fin non, il faut que vous l'aidiez. Il est apathique, passif, j'l'ai jamais vu comme ça. Il ne tient plus à rien, ni personne. Je n'ose même plus lui donner les courriers de Percy de peur qu'il les jette au feu en disant qu'il s'en fout ... comme il se fout de tout.
Il ne va pas bien, Drobomir. On doit agir. Et vous le connaissez bien mieux que moi. Je l'ai aimé, détesté, choyé, bousculé, mais rien n'y fait. J'suis pas la bonne personne mais vous, si. Vous pouvez pas faire v'nir sa famille ? d'autres Cosaques ? J'sais que ça chauffe là bas sur vos terres, mais faut quelque chose qui le remue ... qui lui rappelle son passé ...
J'ai bien pensé organiser une fête en son honneur avec toutes les femmes qui ont l'béguin pour lui mais j'trouverai jamais de salle assez grande ...
Elle avait bien pensé à cette option, sérieusement, comme elle avait pensé faire venir Catnys, ou entamer des recherches pour le fils qu'il avait eu et que la mère cachait quelque part. Son héritier. Ou faire venir Liz ... et même Eliance ... elle était prête à faire ça, tant qu'elle ne serait pas là pour voir ça. Elle n'était tout de même pas masochiste. Non je rigole hein ... toutes ces femmes dans un même endroit ça finirait en crêpage de chignons et elles ne penseraient plus à s'occuper de lui. Mais bon ... il doit bien avoir un meilleur ami quelque part ? une femme qu'il aime ? un membre de sa famille qui lui remettrait les idées en place ?
Drobo c'que je veux vous dire c'est que je vous aiderai à faire ce qu'il faut. Moyen illimité et si j'dois partir à l'autre bout du royaume pour lui ramener quelqu'un je le ferai. Faut juste que vous trouviez l'idée ... LA bonne idée ... Voilà. C'était balancé. Maintenant il ne restait plus qu'à prier qu'il ne l'attrape pas par le coup pour l'étrangler ou la couper en morceau avec sa hache. Elle prit une grande inspiration, et se rassura en caressant du bout des doigts la lame cosaque à son flanc droit.
Ne pas le lâcher des yeux et espérer qu'il sache faire autre chose que grogner et tuer ... _________________
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