Samsa
- "Était-ce une canaille,
Un redresseur de torts ?
D'où qu'il elle vienne, où qu'il elle aille,
Faut pas bouger, d'accord ?" (Pierre Barouh - L'homme sans escorte)
Le temps a passé. L'hiver s'en est allé, et le printemps naissant s'est depuis bien installé. Samsa a voyagé, elle a combattu les angevins, même si c'est grand dire. Le tir de couleuvrine ayant fait tué son cheval sous elle ne l'aura pas privé de grand chose, sinon d'un peu de conscience et de liberté de mouvement dix jours durant où, raide comme une "statue momifiée avec un balai dans le fion", elle avait grimacé et couiné pour tout et rien. On était rarement bien quand tout le côté gauche se retrouve broyé par la chute d'un animal de quatre cent kilos. Et puis les os s'étaient ressoudés, et les gens s'étaient séparés, chacun -chacune- repartant l'âme solitaire.
Samsa avait reprit ses travaux une fois guérie et remise. Une nouvelle épée avait été forgée, la précédente n'ayant pas supporté le sauvetage in extremis de la Cerbère. L'acier était encore lisse, lustré, la lame aiguisée de chaque côté; une arme parfaitement équilibrée pour Samsa. Elle était presque en train de se demander où aller, que faire, quand elle reçu un pigeon.
Retour en escorte avec la jeune Prim, ordre d'un plus haut-gradé de la garde épiscopale encore cette fois. La Cerbère s'énerve et tape du pied dans sa modeste demeure, au dessus de sa forge.
-PUTAIN MAIS ILS ONT QUOI CES RELIGIEUX A ME COURIR APRÈS PARDI ?!
Elle se retourne en entendant des bruits de petites courses, et regarde étonnée ses deux filles de quatre ans venir s'accrocher toutes deux à une jambe. Nolwenn, la première née des deux, la taciturne, accrochée à la jambe gauche. Gwenn, la seconde, la naïve et intenable, à sa droite. La Cerbère n'a rien d'une bonne mère mais elle les aime quand même. Le sentent-elles à travers l'absence et le silence ? N'ont-elles pas peur ? Non, elles se blottissent comme pour apaiser leur mère, et la bordelaise laisse échapper un sourire en venant s'accroupir pour les serrer contre elle, blottir son visage dans les cheveux roux de ses jumelles qui, seules, lui apportent le repos le plus total. Demain, elle se mettra en route.
Il est milieu de matinée quand Samsa se lève. Elle dort bien, et tout ceux et celles qui ont un jour dépendu ou attendu son réveil le savent. La faute, dirons la plupart, à des horaires de couché tardives. Ce à quoi Cerbère répondait qu'elle n'avait pas assez d'une journée pour tout faire. Mais au fond, qu'importait la cause ?
La Cerbère fait ses ablutions, et s'habille. Toujours elle commençait par les braies blanches, puis la chemise de lin devant protéger sa peau de la cotte de maille qui suivait. Venaient alors les bas gris, la chemise pareillement, les bottes noires, la ceinture comprenant épée dans son fourreau, couteau et petite sacoche. Aux épaules étaient successivement accrochés la cape et le bouclier, sur celle de gauche. Gantelets de combat étaient enfilés, col noir enroulé et, enfin, la toque grise était posée sur la tête.
Pour l'occasion de l'escorte, grèves et cuissots sont sanglés, comme les canons d'avant-bras. La barbute est attrapée, et Samsa va chercher Melwinn, sa jeune écuyère, afin qu'elle prépare Guerroyant "à la royale". Samsa sait qu'elle en est toujours aussi incapable car encore trop petite, mais elle sait que, le jour où la jeune fille y arrivera, ce sera le plus beau jour de sa vie. La Cerbère va près de ses filles encore au chaud dans leur lit, et s'accroupit en souriant. D'une voix douce, elle leur parle de la vie, des principes et des valeurs. C'était une habitude qu'elle avait, croyant dur comme fer que cela leur servirait un jour, même si elles ne comprenaient pas maintenant.
-Et c'est quoi notre devise pardi ?
-Cerberus vigilat.
-Et ça veut dire quoi té ?
-Cerbère veille.
-Vous êtes les meilleures pardi.
Samsa embrasse leur mine souriante de la bonne réponse, et se lève. Elle finissait toujours leurs entretiens par ces deux questions, ancrant en ses filles droiture et loyauté. Tournant les talons sans un regard en arrière, digne dans sa pointe au coeur, elle descend, attrapant son tabard de damier noir et bleu -ses couleurs personnelles- qu'elle enfile. Une fleur de lys d'or est brodée sur la poitrine à gauche ainsi qu'une plus grande dans le dos, signe de son appartenance au Louvre. La Cerbère retrouve Melwinn en difficulté avec son destrier bai. Un sourire nait sur les lèvres fines, et elle termine elle-même le travail après avoir remerciée son écuyère. Voilà l'étalon harnaché, la bricole semée de fleur de lys. Cerbère l'enfourche, troque toque contre barbute, sourit à Melwinn, et s'échappe de la capitale alençonnaise au petit trot dans les rues. Sitôt hors des murs, elle talonne, et c'est au galop que le point de rendez-vous est rejoint. Il y a du chemin, il faut arriver avant Prim.
L'Orléans est avalé par les larges sabots du destrier, la Bourgogne n'y résiste pas beaucoup plus et la Franche-Comté est ridiculisée. Direction Lausanne, en Confédération Helvétique. Le roi de France, on s'en fiche un petit peu là-bas, mais voyager en compagnie d'une représentante de la Couronne, c'est toujours un avantage non négligeable.
C'est par la porte Nord-Ouest que Samsa arrive, et c'est à la porte Nord-Est qu'elle se place pour guetter l'arrivée de la jeune noble. La lettre dit qu'elle partait de Fribourg la veille, ville où Samsa l'avait, quelques temps auparavant, escortée. C'était vers Besançon cette fois qu'elles iraient. Prim ne devrait donc pas tarder à arriver, car la Cerbère ne l'avait pas croisé sur le chemin.
Carotte au bec, la Secrétaire Royale surveille le chemin, en selle sur le Guerroyant non moins royal.
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