Loras.
- [Juillet 1464]
L'eau ruisselle sur la peau jeune et immaculée du visage, brunissant encore les cheveux, s'immisçant entre l'armure et les gantelets. Le mois de juillet est torride, les terres arides. La silhouette très masculine se découvre enfin, lorsque les mains calleuses écartèlent la coque de fer qui l'enferme pour la dénuder, carapace lourde et abimée par les coups d'estoc, souillée par le sang de ces autres qui a eu le temps de sécher et de noircir.
Au moins eux d'où ils sont ne supporteront plus la brulure du soleil, plus meurtrier que n'importe quel coup d'épée sur un champ de bataille.
Loras achève sa mue, longue et fastidieuse dans les bruit des cliquetis et de la cotte de maille qui glisse au sol et y reste sans qu'il ne daigne la ramasser. Le casque est jeté sans douceur près de l'épée bâtarde sur la paillasse de la chambrine, louée avec la dernière solde qu'il a décidé de recevoir. Les yeux du déserteur se posent, dans leur intensité perçante naturelle sur les vestiges de plusieurs années de souffrance silencieuse, que le corps et l'esprit avaient été formés à recevoir et à donner, incarnées à elles seules par le jaseran et la cuirasse dont il s'était débarrassés et qui gisaient non loin du baquet. Dehors, il avait délivré son cheval de son caparaçon, comme un symbole.
Le jeune mâle entra lentement dans l'eau dans la superbe de sa vingtaine d'année, ne retenant pas un soupir presque douloureux, partagé entre le plaisir de retrouver une sensation si naturelle et délassante et la douleur que l'eau froide pouvait éveiller sur ses muscles contusionnés. Progressivement, le corps prématurément usé s'assit dans la cuve et en investit les contours. Les mains fines vinrent étirer les bras aux déliés gracieux contre le rebord, étendant leur longueurs pour y reposer le dos. Le silence se fit enfin, lorsque la nuque se renversa en arrière, semant ses cheveux raides et mi longs à l'extérieur du bain , laissant ainsi le tableau d'un homme fatigué mais beau des stigmates de ses efforts, ses batailles, ses regrets. De l'adrénaline qui l'avait étreint si souvent, et dont les expressions s'éveillaient encore naturellement sur son visage racé.
Loras avait décidé de quitter sa vie de guerres et de conquêtes, mettant fin dix ans après son engagement à son apostolat meurtrier. Sous ses paupières baissées, les images sales et les couleurs flamboyantes des bannerets s'accrochaient inexorablement, comme pour lui rappeler qu'il ne suffisait pas de le décider pour oublier qui l'on était vraiment. Seule sa poitrine nue marquée d'une balafre qui avait scindé l'un de ses pectoraux continuait à se soulever doucement à la surface de l'onde... Semblant murmurer dans le silence...
Tu es vivant...
- Tu es vivant.
- Reste vivant.
- Sois vivant.
Vis. Maintenant.
Les heures s'écoulèrent sans qu'il ne daigne quitter son repos, mutique. Mais lorsque la nuit tomba, il sortit enfin de son repaire. conquérant la ville comme on lâche les chiens. Sa tenue était simple, et propre. Ses cheveux lisses, encadrant un faciès aussi dur que jeune. Sa posture ne laissait pas douter d'une certaine assurance, ni que la nuit lui appartenait. Loras était joueur et avait trop manqué de distraction ces derniers mois difficiles, c'est donc naturellement qu'il entra dans un tripot, en quête d'indiscipline.
Ses yeux bruns vinrent balayer la salle bruyante, à la recherche de l'adversaire qui ferait sa nuit. Dépenser jusqu'au dernier denier cette solde qui lui brulait les doigts, disperser ainsi le souvenir, et le tribut impur.
Telle se profilait la première nuit qui lui appartenait vraiment et qu'il n'offrirait à personne.
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