Jurgen.
I think I'll miss you forever
Like the stars miss the sun in the morning skies
Late is better than never
Even if you are gone I'm gonna drive, drive
Lana Del Rey - Summertime Sadness
Like the stars miss the sun in the morning skies
Late is better than never
Even if you are gone I'm gonna drive, drive
Lana Del Rey - Summertime Sadness
- Il parlait de ce voyage depuis plusieurs jours. Neijin lui avait laissé un vélin sur la couche, précisant qu'elle avait rencontré la Duchesse le soir même et que celle-ci autorisait le pirate à aller se receuillir sur la tombe de sa fille. Bien évidemment, le cur avait fait quelques bons irréguliers. Depuis quelques mois à présent, il attendait une réponse : Où Diable son fils et son épouse étaient-ils enterrés ? Il avait imaginé les pires scénarios, étant donné la mort tragique de ceux-ci. Il l'avait vu dans une fosse commune, dans un cimetière angevin, à l'orée d'un bois, pourrissant comme la charogne de Baudelaire. Et son fils, ce si petit être... Il ne pouvait décemment pas l'imaginer ne pas avoir de sépulture. Il ne pouvait imaginer le petit rouquin flétrir ailleurs qu'entre quatre planches d'un bois de qualité. Et si les imaginer, morts, pourrissant, était douloureux, les imaginer encore en vie n'était pas mieux. Gabriele l'avait mis en garde, récemment : Peut-être Darria avait-elle utilisé la méthode Dae, et s'était enfuie, le punissant avec une mort simulée, lui arrachant du même coup deux parties de lui même.
Il se souvint qu'il avait déjà été heureux. D'abord à bord du Trompe la Mort. Les conditions étaient certes dures, et il manquait de beaucoup de choses parfois, mais l'air marin faisait des miracles, et l'odeur iodée le mettait toujours en bonnes conditions pour affronter les pillages et abordages. Puis il y avait eu le naufrage, et la vie était devenue si difficile qu'on pouvait la comparer à un brouillard dans des marécages : On avançait à l'aveuglette, risquant à chaque pas de tomber. Mais Corbeau et ses plans n'échouèrent pas et permirent à Jurgen de trouver un autre type de bonheur : Darria. Elle était alors ce qui, plus que n'importe qui ou n'importe quoi, le faisait avancer. S'il ne savait pas de quoi ses lendemains seraient faits, il savait qu'il ne serait pas seul pour les affronter. Et quand Lars sortit enfin de la matrice, c'était comblé, on ne peut plus heureux, qu'on le trouvait.
Mais c'était fini. C'était fini à cause de son idiotie. Ce n'était pas tout à fait de cette façon qu'il voyait les choses. Neijin était précieuse, et n'était pas franchement une erreur aux yeux de Jurgen. Du bonheur, il était passé au tiraillement, et du tiraillement, à autre chose, avec sa nouvelle compagne. Rien ne rapprochait son amante de son épouse, rien, à part l'amour qu'il leur portait. Il les aimait pour des façons distinctes, différentes. Combien de soirées avait-il passé à me morfondre, en jurant qu'il trouvait injuste que Deos lui fasse subir une telle épreuve ? Ne pouvait-il pas avoir les deux ? La réponse fut donnée lorsque Darria le quitta en embarquant son trésor. Il ne l'avait pas retenue. En fait, il n'imaginait pas qu'elle partirait définitivement. Il pensait que les choses allaient s'arranger d'elles même, qu'une solution lui tomberait sur le coin de la gueule.
Mais Jurgen avait souvent tort, et on lui avait apporté la nouvelle : Morts. Lars avait succombé à la fièvre, et Darria, n'ayant pu surmonter la douleur de la perte de son enfant, avait mis fin à ses jours dans d'atroces circonstances. Il avait enterré le cur qu'elle lui avait fait parvenir, enfermé dans une boite fermée par le ruban qu'il avait volé lorsqu'il avait saccagé le salon de Lignières.
Et enfin, il pourrait se recueillir. Il partait tôt le matin. Limoges était à une journée de marche de Lignières, et s'il avait prévu d'emmener Audric et Gabriele avec lui, il avait finit par changer d'avis. Il ne voulait finalement pas montrer ce côté (qu'il avait d'ailleurs de trop nombreuses fois dévoilé) destructeur. Ce serait pénible et atroce. Il boirait probablement beaucoup. Il chasserait l'humain, passerait ses nerfs, se droguerait. Et pire peut être aussi. Car il avait déjà pensé à la mort comme ultime recours. Mais la Mort, il la trompait depuis bientôt trois décennies. Il était comme physiquement incapable de mourir, et encore moins de mettre fin à ses jours.
- - Dörrfleisch... Wasser... Decke... Brot...*
Il hochait la tête à chaque fois qu'il cochait mentalement une case dans son inventaire. Il chasserait probablement un peu, et cueillerait. Il avait pris le chemin le plus direct, et emprunta le même que le jour où il avait pénétré dans le château par effraction. Il le connaissait bien. Il connaissait bien cette douleur qui s'ajoutait aux pas, peu à peu. Il reconnu bien ce sentiment d'injustice lorsqu'il aperçu le batiment et ses dépendances. Lorsqu'il passa devant les écuries, dans les jardins... La seule différence avec la dernière fois, c'était qu'il ne se cachait pas. Darria et leur enfant étaient morts. Johanara d'Ambroise n'avait plus rien à craindre de son gendre. C'était fini.
Il se lissa quelques instant la barbe et refit son chignon. Ses cheveux étaient à présent d'une longueur indécente, le milieu du dos était pratiquement atteint. Il n'avait jamais eu le cur à les couper, car Darria lui en aurait voulu. Mais il songeait à les raser, lorsque qu'il serait déchargé du poids du recueillement. Par habitude de stress, il lissa ses braies, et se racla la gorge. Il laissa tomber sa besace et porte la main à l'anneau du heurtoir de la grande porte, et le laissa retomber avec un fracas relatif sur le bois. Il regarda un instant sa main droite, main à laquelle on porte l'alliance dans son pays. Il portait encore son anneau. Sous celle-ci, il y avait un moment qu'il s'était tatoué un épais cercle noir. Il était éternellement marié à Darria. Et seule une brûlure douloureuse et probablement handicapante à vie le soulagerait de la douleur à la vue de ce tatouage. Sur cette même main étaient tatoués en lettrines précises, à l'intérieur des doigts (à la distance minutieusement calculée pour ne pas entrer en conflit avec le cercle tracé), le prénom de son fils. L-A-R-S. Quatre lettres, cinq doigts, un anneau, un épais cercle. Il avait dans la peau son bonheur et son malheur, et il attendait un éventuel soulagement devant la demeure d'Ambroise.
- Mais Ambroise te toise. Et il n'en était pas conscient malgré les mises en garde.
*Viande séchée... Eau... Couverture.... Pain...
Je pense que tu me manqueras toujours
Comme le soleil manque aux étoiles le matin venu
Mieux vaut tard que jamais
Même si tu n'es plus là je continue, continue
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