Ellya Au même moment, cachée dans le cellier.
Bordel. BORDEL! Par le Sans Nom et ses fichus Princes de malheur de bon sang! Pas maintenant... Pas maintenant.
Adossée contre la porte, les poings serrés, elle ne parvenait pas à retrouver ses esprits ni à décider de la meilleure attitude à adopter. Elle venait à peine d'être veuve, elle n'était pas prête à être mère. Elle ne le serait jamais. Elle réalisait difficilement que toutes les excuses qu'elle s'était donnée les années précédentes pour ne pas chercher son fils étaient fausses. La vérité était plus crue: elle n'aimait pas sa propre progéniture. Parce qu'il lui rappelait Georges? Pourtant, il était né durant la seule période heureuse de leur couple. Mais malgré cela...
Que dois-je faire? Pitié, mon Dieu, que dois-je faire?
Remettre le masque lui semblait chose insurmontable. Et pourtant, nécessaire. Comme elle aurait eu envie de partir en courant, de fuir, de... Mais oui. Mais oui ! C'est ce qu'elle allait faire!
Dès qu'ils seraient appelés pour le souper au réfectoire, elle lui annoncerait. Elle lui dirait qu'elle se casse au bout du monde. Pendant des mois! Et qu'elle regrette de ne pas pouvoir profiter de sa présence plus longtemps...
Ah. Douceur de la solution trouvée...
Watelse Juste résista à l'envie de se cacher dans un confessionnal. S'il en faisait trop, son père et lui seraient vite démasquer et finit l'espoir de vengeance! Non, il fallait à tout prix atténuer la désapprobation qu'il lisait dans les yeux de Soeur Sybille.
Mais comment? Watelse s'était montré si blessant.
Damoiselle Nescafet a l'adoration de sa chevelure très poussée, et elle ne souffre aucune concurrence. Si elle se montre ainsi, c'est que vous êtes selon elle une digne adversaire...
Mouai... Juste Parfait "peut mieux faire" en termes de justification.
Et le roux rappelle aussi le renard futé, les écureuils malicieux et ... les carottes. C'est bon les carottes, ça rend plus intelligent et en meilleure santé.
Moui, comparer Sybille à une carotte, c'est pas de la soupe, ça! Juste-Parfait patauge dans son potage. Il touille, il touille en parlant des bienfaits des citrouilles également, et des potirons.
... Avez vous déjà gouté à la marmelade orange et potiron? On mange toute la baguette pour en finir le pot...
Hein? Comment en était-il arriver à parler de gourmandises dans une chapelle? Déviait-il vraiment l'attention de la nonne? Un toussotement de sa part et le jouvenceau préfère revenir à choses plus neutres :
J'aimerais bien prier à vos côtés, Soeur Sybille. Mon père aimant beaucoup la citrouille... Quant à veiller sur nous, à chaque parole de prière, il nous lancerait des fleurs...
Tof, tof! Toussotements étranglés venant de Watelse Père : Plutôt des lancers de citrouilles.
Watelse Laissant son père à son étrange activité, Juste suivit la jeune religieuse qui le conduisit tout droit à la prière. Il songea aux dernières paroles de Soeur Sybille alors qu'il marmonnait un pseudo credo. La gourmandise? Il n'avait jamais été gourmand. Il n'aimait pas particulièrement manger, l'appétit souvent coupé par des pensées sombres concernant son enfance isolée et sa mère absente. Ses instructeurs spinozistes n'étaient pas des tendres et les discussions à table n'engageaient pas aux goinfreries. Et son père qui désormais partageait ses repas avait tendance à s'approprier le meilleur des met et à lui laisser des croutes. Il avait si bien dompté sa faim qu'il ne la ressentait plus guère. Sa constitution, heureusement, se suffisait de peu, et de carrure robuste, il n'avait jamais eu l'air chétif.
Citation:
Je résiderai dans la maison de Dieu, pour la longueur des jours
La Soeur ne pouvait pas être plus dans le vrai avec cette prière : son père vivait présentement dans ce prieuré, maison de Dieu, ... et Soeurs Ellya et Sybille allait trouver le temps long en sa présence!
La dernière strophe des prières s'était fondue dans le silence de la bâtisse. Il osa un regard sur le profil baissé de celle qui devait avoir à peu près son âge. Elle avait connu la chaleur de sa mère, s'était nourrie émotionnellement et spirituellement auprès d'elle. Lui, était resté sur sa faim, depuis toujours. L'aigreur des premières minutes céda la place à un autre sentiment : la convoitise.
Juste garda la voix basse pour garder leur échange à l'écart des oreilles paternelles :
Je ne connais pas le pêché de gourmandise. Je ne suis même pas sûr d'être un grand pêcheur, je n'ai jamais fait trop attention à tout ça. Le bien, le mal.. tout ça me dépasse un peu parfois. Vivre, aller de l'avant et faire des choix, voilà ce qu'on m'a appris : que nos actes nous guident vers des chemins, mais que l'on ne peut pas dire qu'un chemin est plus mauvais qu'un autre. Alors les pêchés...
Soupir discret.
Vous allez vous dire que je ne fais pas très aristolicien, à ne pas me soucier de ma conduite, du Paradis et de l'Enfer, n'est ce pas?
Il gardait ses mains nouées entre elle, et sa mâchoire se crispa un instant, conscient qu'il en disait trop. Tout ce déballage semblait si déplacé dans une chapelle! Il resta un bon moment sans rien dire, et, assuré que la Paondora n'était plus là, il continua sombrement :
Pourtant... J'ai en ce lieu le sentiment de tomber dans un pêché grave. Vous semblez proche de ma mère. Très proche. Et je devine votre affection réciproque et vos souvenirs communs. Je n'ai aucun souvenir de ma mère, ni même l'impression que j'ai un jour compté pour elle. Je vous envie, Soeur Sybille, pour avoir une place dans le coeur de ma mère qui aurait du être la mienne. Une envie mêlée de colère et de rancoeur. Et aucune prière ne mapaisera ce soir, c'est à craindre.
Il se leva et lui tendit la main pour l'aider à se mettre debout. Voilà qui était avoué. Au moins, il se sentirait moins malhonnête en sa présence. Quoi qu'en pensait Watelse Père, Juste avait tout de même hérité d'un trait de caractère d'Ellya : la culpabilité.
Watelse
Plus les confidences se diffusaient dans la chapelle, moins Soeur Sybille ressemblait aux pintades que son père, Georges Léonard Watelse, singeait souvent. Elle aussi l'enviait? Comme le monde était drôlement fait! Il y avait si peu à envier de l'enfance de Juste-Parfait, mais la jeune fille n'en pensait pas moins de sa propre vie. Et que de similitudes se dessinaient : Lui recherchait l'assentiment de son père, elle souhaitait vivement la reconnaissance de sa Mère.
L'une de ses remarques l'amusa et il rétorqua, mi-sourire mi-sérieux :
Juste-Parfait? .. Je ne suis pas Parfait, mais j'essaie d'être Juste...
(quand la colère ne l'aveuglait pas)
... Apparemment ma mère souhaitait m'appeler Modeste au départ, mais c'était trop humble pour la position de mon père. Je tiens cette anecdote de mon père ...
Zut, comment son père aurait il pu lui raconter ceci? Ilétait sensé l'avoir si peu croisé ces quatorze années. Un geste de nervosité lui fit tourner le coup vers la masse rouge de Paondora Watelse. Lui qui adorait son père comme on vénèrerait un Dieu, ne commençait il pas plutôt à le craindre un peu? Un coup de canne de son père ne serait pas le seul châtiment que lui réserverait Watelse si la grande supercherie était révélée par une erreur de son fils. Son père n'était pas un tendre, il en avait la certitude, mais il le pensait juste dans ses opinions et ses actes. Grossières erreurs d'un enfant en quête désespérée d'affection!
Comme la jeune fille effaçait un trouble, Juste ne la quittait pas des yeux et des idées se fracassaient à toute allure contre la paroi de son cerveau:
Peut-être aurait-il une alliée en Soeur Sybille? Peut-être qu'il pourrait la retourner contre sa mère? Peut-être que son père tolèrerait une femme dans leur cercle de conspirateurs? Peut-être? Ou peut-être pas... Juste-Parfait préféra ouvrir la voie à la jeune femme vers l'extérieur de la bâtisse par une porte dérobée, évitant son père. Il ne connaissait que trop bien les mises en garde paternelles contre les "femelles", ces "mâles avortés", ces "fausses couches manquées", ces "oies de pacotilles", ces "poulettes de TRES basses cours", "ces menteuses vicieuses"... Le vieux Watelse ne semblait jamais en mal de vocabulaire pour affubler ces demoiselles des pires sobriquets. Juste-Watelse, même bercé par les principes paternels, était moins fixé en la matière, mais l'inexpérience l'avait poussé à prendre les pensées du père comme sienne. Soeur Sybille suscitait l'étonnement par la facilité de leurs échanges et par cette honnêteté profonde qu'il pensait lire dans ses yeux. Les pintades ne seraient-elles pas toutes fourbes ?
Oui, je tiens ce souvenir de mon père qui m'écrivait de temps à autre, se rattrapa t'il. Il m'écrivait peu mais toujours bien plus que ma mère. Vous voyez, si vous n'avez pas pu en treize années vous nicher dans le coeur de ma mère, ne songez pas que je vous vole la place en moins de deux minutes de paroles échangées. C'est à peine si j'existais pour elle ce matin. Peut-être ne sommes-nous pas dignes d'elle ni l'un ni l'autre? Par ailleurs savez vous où elle se trouve?
Il ne souhaitait pas rejoindre Ellya Watelse pour le moment, il en saurait sûrement plus sur sa mère en parlant avec Soeur Sybille de toute façon. Et elle était beaucoup plus facile à aborder.
Georges_l_watelse
Watelse se félicitait de jouir encore d'une bonne visée pour son grand âge. L'urine alla exactement dans le réceptacle religieux. Très concentré sur sa propre personne et sur son outil de vidange, le vieux Watelse emperruqué de rouge ne nota pas tout de suite le rapprochement des deux jeunots. Déjà, alors qu'ils priaient, Georges Léonard Watelse tendait l'oreille mine de rien, l'esprit faussement focalisé sur une statue de Sainte. Pouah! Une sainte... Comme si une cruche se coiffer d'une auréole! Par contre une autre cruche se donnait des airs de sainte-nitouche devant son naïf fiston, et celui-ci n'était pas loin de lui chanter un psaume d'adoration. oui, il voyait bien de ses yeux perçant, cette flamme de tendresse s'insinuer fourbement dans le coeur de son fils. Le vieillard pouvait ressentir la mauvaise onde femelle et ses répercutions à des lieues à la ronde. Cette maquerelle de sacristie n'aura pas mon rejeton, foi de Watelse! marmonna t'il.
Mais déjà, la jeunesse n'était plus à porter de vue, et relevant ses jupons affriolants, Watelse se précipite vers l'extérieur. Allant de bosquet en muret, de tronc d'arbre (qui le cachait à peine) à un derrière de vache (le cachant encore moins), la grosse matrone à barbe naissante devenait un espion. Piètre espion qui n'entendit que ses bribes et en tira des conclusions trop hâtives : Citation:votre père ... auprès de votre mère?
Le gamin l'aurait-il trahi?? Aurait-il vendu la mèche après seulement dix petites minutes en présence d'une pécore? Ainsi, elle saurait que Watelse était maintenant auprès d'Ellya. Et devinait-elle qu'il voulait la perte de la Mère du Prieuré?
Citation:la suite.. est ce que vous voulez vraiment?
La Paondora virile ne pouvait voir leurs visages et devinait la face de traitre de Juste-Parfait. La chair de sa chair. Pourquoi? Mais pourquoi le destin s'acharnait contre Sa Merveilleuse Personne? Son fils se retournait contre lui? Et voilà qu'ils se tenaient les bras tels deux tourtereaux? Watelse ne croyait ni à l'amour subit, ni à l'amitié des âmes. Aussi, son cerveau commença à se demander si Juste-Parfait et la donzelle ne s'étaient pas connus avant. Le vieillard, dans sa paranoïa, imagina un complot de longue date de ces deux êtres - et peut-être d'Ellya? - contre Sa divine Peronne.
Il lui faudrait la supprimer, Ellya, cette épouse meurtrière. Il lui faudrait réduire Sybille la pucelle au silence aussi. Elle en savait trop désormais. Il lui faudrait corriger son fils pour son manque d'honneur et de loyauté. Une correction brulante. Un bucher. Un tison. Une torture à lui faire perdre la raison. Il n'anéantirait pas son seul enfant, le seul reste de la lignée Watelse. Non, il avait trop travaillé à la procréation de ce fils. Il le casserait assez pour n'être plus qu'une âme au service de son Maitre. Au service de son Père.
Watelse Loin, très loin de se douter des obscures rouages de l'esprit de son père, Juste écoutait Sybille parler de tout ce que son propre esprit refusait d'affronter. IL avait suivi son père sans réfléchir vraiment à ce que cela lui apporterait. Seule lui importait alors la satisfaction du grand Maitre Watelse. Sybille lui faisait se poser les bonnes questions, des questions dérangeantes auxquelles il n'avait aucune réponse honnête.
Doit-on passer notre vie à tenter de faire plaisir à ceux qu'on aime, au risque d'échouer ou doit-on faire son chemin seul, faire ses choix pour soi, en se moquant d'autrui? J'aimerais savoir qui je suis vraiment, ce que je dois faire de ma vie, quel est mon chemin, pas celui qu'elle veut pour moi, mais le mien. Vous n'avez jamais ressenti cela? Qui vous a élevé? C'est votre père? Et pourquoi n'avez-vous pas grandi auprès de votre mère? Et à quoi vous destinez-vous? Vous allez reprendre la suite de votre père, c'est ce que vous voulez vraiment? ou est-ce ce que l'on attend de vous?
Beaucoup trop de questions. Juste Watelse était au bord de la panique et se retint un moment de fuir mais soudain Soeur Sybille lui sourit, et il y renonça. Il n'aurait pas plus de réponses à ces questions seul dans son coin, alors autant les partager avec quelqu'un de bonne écoute.
Citation:Venez que je vous montre le meilleur endroit qui soit au monde!
Il lui sembla soudain que n'importe quel lieu en la compagnie de Soeur Sybille devait être "le meilleur au monde". Il ne dit rien et la suivit vers un poirier.
Mon père est... était certainement un grand homme et jamais je ne pourrai l'égaler. Il aurait voulu que je reprenne son nom et sa boutique, et je le ferai. J'ai rencontré plusieurs fois son ancien apprenti qui maintenant se trouve être Maitre orfèvre. Nosu allons travailler ensemble.
Il réprima avec mal un soupir :
Ce jeune homme paraissait plus à même de faire revivre la magnificence de mon père que moi... Non, ce que j'aimerais, si vraiment je pouvais faire ce que je veux, ce serait devenir chevalier. Pour défendre ce qui est juste. Mais c'est une charge qu'on donne plutôt aux nobliots, pas au sans-rien ou au pas-grand-chose... Et vous Sybille? Un rêve? Je ne vous imagine pas en religieuse vouant sa vie à l'Invisiblement Grand jusqu'à son dernier souffle. Et pitié, ne me dites pas que vous vous rêvez en épouse d'unprince charmant. Vous paraissez trop singulière pour être comme toutes les autres jeunes filles qui comptent les pétales des pâquerettes et se pâment devant chaque freluquet qui croisent leur chemin.
Oui, pitié, qu'elle ne donne pas raison à mon père! Pitié, qu'elle montre plus de cervelle que toutes celles qu'il me décritsongea t'il.
Watelse L'enthousiasme qui se dégageait de la jeune fille gagnait peu à peu Juste-Parfait. La chevalerie pour une femme? Juste ne l'avait jamais envisagé mais si Soeur Sybille combattait avec la même ferveur qu'elle mettait dans ses prières, les ennemis du royaume pouvaient prendre la poudre d'escampette.
Vous pourriez faire les deux : prier et combattre. Il y a des ordres de chevalerie religieux. Je ne les vois pas refuser une personne comme vous avec autant de qualités. Oui... Ou créons notre propre ordre de chevalerie! Car je ne sais pas si j'aurais autant la foi que vous pour pouvoir en intégrer un...
Surtout, Juste était trop Spinoziste pour se faire accepter par l'un d'eux. Il ne connaissait aucun ordre de chevalerie qui ouvrirait ses portes à un hérétique. Devait-il l'avouer à Soeur Sybille? Après tout, il se sentait en confiance et les religieuse doivent avoir l'habitude de garder le silence. Mais ne venait-elle pas de lui confier sa volonté de convertir le monde à l'Aristolicisme?
Il préféra détourner la conversation vers un sujet plus drôle :
Au pire, je pourrai donner ma contribution en ornant leurs épées de beaux diamants grâce à l'orfèvrerie de mon père.
Maintenant le sourire aux lèvres :
Et si vous deveniez la plus élégante des chevaliers. Je couvrirais votre armure de bijoux et votre destrier aurait une selle de cuir parsemée d'or et d'émeraudes. Vous ne passeriez pas inaperçue! Par ailleurs, vous ne passeriez pas non plus inaperçue dans un couvent...
Prenant une branche de poirier tombée non loin, il se mit sur ses deux pieds en position d'attaque, et brandit son arme de fortune :
Alors si vous avez un maitre d'armes, apprenez-moi et je serai votre élève. Par contre, ne riez pas, j'ai tout à apprendre! Est ce que mes pieds sont assez bien ancrés au sol? Mon bras se trouve t'il assez haut?