Aurchide Elle l'écoute sans louper une miette de ses paroles, ni de la première bouchée d'ailleurs.
-Vous avez raison dans l'absolu bien que vous m'évoquez là, des collections d'enfance, bien innocentes. Le dos de la main vient écarter de son front une mèche brune après que les doigts aient déjà amené à bon port la première bouchée du repas. Elle poursuit sitôt sa bouchée avalée, fixant son tailloir d'un air pensif
Ce que j'avais en tête c'était davantage les collections-vitrines de quelques adultes nantis qui pourraient vous parler de leurs épées, leurs dagues, leurs boucliers, leurs poules en métal précieux pendant des heures avec une passion qui dépasse l'entendement. D'ailleurs avant de mériter le droit d'y toucher, souvent on vous sermonne, vous menace de vous tuer si jamais il arrivait malheur à l'objet pendant qu'il est entre vos doigts. Et dès qu'on vous le reprend, on le frotte, le bichonne, efface toute trace de vos doigts dessus avant de le ranger précautionneusement..comme s'il avait une âme.
Des gens de cette trempe, elle n'en avait croisé que deux en réalité : Un seigneur limousin pour qui elle avait travaillé comme maître-queux lors d'un baptême. Et une jeune femme, de la haute-bourgeoisie, obsédée par les cailloux polis et peints, qui se ruinait littéralement afin d'en posséder toujours plus, frénétiquement.
Elle interrompt le flux de souvenirs lointains et fixe son vis-à-vis en mastiquant. Le ton a regagné une pointe d'enjouement
-Il y'a des gens que je peine à imaginer enfants, ne me demandez pas pourquoi.
Vous en faîtes partie.
Un léger sourire vient ponctuer sa transition sans tête ni queue. Sa main replonge dans le plat en silence cette fois tandis qu'elle l'écoute parler de la clé. Ce n'est que quelques instants après, deux bouchées mastiquées et avalées plus précisément, qu'elle se décide à rebondir sur ses mots
- Bigre..rabat-joie va. Sachez que je suis presque incapable de la considérer "que" comme une simple clé. Peu importe qui me l'aurait offerte, ou si je l'aurais trouvée sur mon chemin. Une clé, quelle qu'elle soit, nourrit mon imagination déjà suffisamment féconde.
à mi-chemin, entre le palais et la tailloir, un morceau de navet dégringole depuis ses doigts jusqu'au support, elle le pince d'un geste vif entre le pouce et l'index et le savoure seul, s'en délecte d'un air absent, songeur à l'évidence..la voix soudain lointaine débite lentement ce qui passe par sa tête sans y réfléchir plus avant.
-Entre celles qui n'ouvrent rien, celles qui passent partout, celles qui ripent, et celles qui se tordent, celles qui cassent dans leur serrure..il y'a celles qu'on trimbale depuis des lustres qu'on oublie ce qu'elles ouvrent..Il y'a celles qui ferment plus qu'elles n'ouvrent, et d'autres qui ouvrent plus qu'elles ne ferment. Gardiennes de secrets, d'intimités, de placards à cadavres...
Elle interrompt ses divagations, affamée, et mord à pleines dents dans une tranche de pain garni.
Mais soit, celle-ci ne sera qu'une simple clé, orpheline de sa serrure. La première du genre que je possède.
Se réajuste sur son assise de fortune, le dos bien droit, sa faim d'ores et déjà trompée. La suite, ne sera que pure gourmandise.