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Chapitre I - L'Aube

Korai
Voilà que la Sidjéno, si confiante, si calme, si sûre, perd peu à peu pied devant les révélations de son interlocutrice. Koraï fronce les sourcils, écoute la date fatidique, qui correspond tout à fait à ses craintes. Ainsi, c'est tout à fait possible que Lucie de Saint-Jean soit la fille du seul et unique grand blond berrichon qui fut une période durant un haut diplomate. Restait à savoir, avant de révéler quoi que ce soit qui pourrait changer à tout jamais la vie de la jeune femme, si les affirmations de la mère des jumeaux étaient avérées. Elle cesse de regarder les nervures du bois de la table, relève les yeux. Bien sûr qu'elle a l'âge d'être sa mère, et de connaître son père, malgré que la rouquine fasse jeune.

"Lucie. Êtes-vous sûre que votre mère ne vous a pas menti sur votre géniteur ? Qu'elle n'aurait pas inventé ça pour se faire grandir ? Qu'elle n'aurait pas repéré parmi les nobles et hauts magistrats un homme qui aurait pu lui plaire à imaginer qu'il était sien ? Êtes-vous sûre de cela ?"

Car il restait encore un espoir, infime certes, que la Saint-Jean ne soit finalement pas une fille du pire sang dont elle pouvait hériter.

"Je veux vérifier quelque chose. Il se pourrait que... Je... Enfin, que je connaisse votre père. Mais j'aimerais être sûre de moi, avant toute chose."

Et connaître n'était qu'un faible mot. L'information était lâchée. Le destin lui jouait-il encore un de ses tours ?
Lucie
Solaire Koraï, belle, ô combien belle Sidjéno perd pied et entraîne Lucie dans une chute longue et irréelle, à l’aune de celle d’une Alice plongeant vers le Pays des Merveilles. Abandonnant son verre pour, sous la table, refermer ses petits poings anxieux sur la soie de sa robe, Fleurie tente de garder un visage aussi neutre que possible alors que la Dame aux Ephélides confirme sa crainte mêlé de joie, son espoir terrifiant.

Elle pourrait connaitre ce père rêvé seulement au creux de la nuit, à la lueur tremblante et discrète des étoiles. Elle pourrait lui offrir la clé de la moitié de son identité. Elle pourrait aussi dramatiquement se tromper et la mener à un homme n’ayant rien à voir avec elle et ne se souciant, du reste, que peu de la gamine un peu paumée qu’elle n’a jamais vraiment cessé d’être.


    - Je ne crois pas que ça soit un mensonge… Elle ne mentait que quand elle était à peu près sobre, quand elle voulait nous faire plaisir et elle ne parlait de lui que pour mieux nous blesser, quand injectée d’alcool et de drogue, elle trouvait amusant de constater que la progéniture d’un homme si important était, l’un dans l’autre, tout à fait insignifiante.

Revenant à son verre, séraphique Crocus y soustrait une gorgée pour se donner le courage de poser la question qui lui brûle les lèvres.

    - Je… Koraï, si vous avez raison… Si vous connaissez celui à qui je dois la vie… Croyez-vous qu’il voudra me connaitre ?

Et cette question-là est de celles qui brisent le cœur, parce que ce qu’elle veut vraiment savoir, c’est si il y a une chance pour qu’il existe, juste là, perdue dans ce monde trop grand, une famille pour elle.
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Korai
Les petites crispations du visage s'effacent peu à peu, laissant de nouveau place à la douceur habituelle des traits de la rouquine. Finalement, elle se détend. L'avant-dernière vérification est faite : la mère n'a pas menti, poussée à l'aveu par l'alcool. Il ne restait plus qu'une chose à faire : faire confirmer à l'impétrant qu'il était bien là, en la grande ville de Dijon, quelques mois avant ce 24 juin 1445 où deux enfants étaient nés dans une condition miséreuse. Et d'abord, avait-il connaissance de ce fait ? S'en souvenait-il ? En avait-il réellement quelque chose à faire ? L'air ennuyé, Koraï réfléchissait. Que répondre à cette jeune femme qui ne voulait qu'une filiation ?

"Je ne sais pas, Lucie. Je ne sais pas. Je ne veux pas vous mentir. Je ne peux pas vous mentir."

Elle baissa les yeux, consciente de la déception que cette réponse apporterait à la Saint Jean. Mais elle n'avait pas le droit d'affirmer quoi que ce soit dont elle n'était pas sûre. Les voies du Seigneur sont impénétrables, et celles du potentiel paternel de Lucie l'étaient aussi. Elle pouvait penser bien le connaître, mais il savait la surprendre à chaque fois. Parfois en bien, parfois en mal. Elle n'avait donc pas envie de donner quelque espoir vain à la possible fille du blond.

"Je vais lui écrire, si vous m'autorisez de le faire. Je ne souhaite pas vous faire avoir de faux espoirs ; croyez en ma sincérité. Nous nous reverrons bientôt, je vous le promets. Et je vous apporterai la réponse à la question que vous m'avez posée. Laissez-moi un peu de temps. Je ne sais combien. Mais vous aurez votre réponse, j'en fais la promesse."

Elle lève son regard sur Lucie, attendant sa réponse avant de prendre congé après cette soirée à la fois légère et lourde. Légère, par le bien qu'elle a pu apporter à Lucie. Lourde du poids qu'elle vient de lui rajouter sur les épaules.
Lucie
Désenchantée, Lucie l’est depuis toujours et là où prudente Korai se refuse à lui faire toute promesse de crainte de meurtrir son fragile palpitant, elle ne goûte qu’à une légère pointe de déception qui a tôt fait de disparaitre. Elle a gagné des questions plus qu’elle n’a obtenu de réponses ce soir et pourtant, il lui semble qu’au détour de cette conversation dont elle ne parvient pas à savoir si elle a duré deux minutes ou deux heures, elle a l’impression d’avoir considérablement progressé. Dans sa quête d’identité, dans son besoin désespéré d’être aimée, dans sa façon de se regarder.

Ainsi, se levant en même temps que la rousse, la Fleurie défroisse sagement les plis qui marquent la soie bleu de sa robe. Bulle intime toute de confidences composée est percée ; dans la salle, le barde a cessé de chanter et les hommes qui tantôt jouaient semblent avoir sombré dans une apathie alcoolisée.


    - Je vous crois et, quand bien même il n’y aurait pas de réponse, j’espère vous revoir un jour, répond-elle d’un ton doux, esquissant un sourire alors qu’elle tend une main vers la Solaire pour doucement presser la sienne. Et dans des conditions plus heureuses que celles-ci.

Puis calmement Saint-Jean se saisit de sa cape et la jette sur ses épaules avant de relever les yeux sur le beau visage de la femme pour fermement la graver dans sa mémoire. La Sidjéno appartient à ces gens que l’on croise au détour d’une rue, que l’on connait à peine, et qui vous disent un mot, une phrase, vous accorde une minute, une demi-heure et changent le cours de votre vie. Elle ne veut pas l’oublier.

    - Je vous remercie Korai, murmure-t-elle.

Et sans un mot de plus, nivéal Crocus se retourne et s’en va.
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Korai
Le lendemain, à l'aube. La rousse n'a que peu dormi, l'esprit torturé par l'histoire de la veille au soir. Elle doit une réponse à la Saint-Jean, et elle lui donnera sans faute, mais cela apportera-t-il un heureux dénouement ? Lucie devait-elle rencontrer son père, et comment allait-elle réagir devant celui qui ne serait qu'un inconnu ? Car le sang partagé ne fait pas nécessairement connaître ni aimer l'autre, et Koraï doute.

Car il y avait l'avis d'un troisième personnage à prendre en compte : le supposé père. Comment allait-il réagir ? Elle avait beau paraître le connaître sur le bout des doigts le personnage, elle savait au fond d'elle qu'il était un inconnu pour tout le monde, même pour elle. Même pour lui-même. Quelquefois sympathique et généreux, parfois fier et arrogant, des fois vil et méchant, mais toujours surprenant. Inattendu.

Imprévisible.

Assise au bord de son lit, elle regardait le sol, songeuse. Que devait-elle écrire dans la lettre qu'elle comptait lui envoyer ? Fallait-il lui balancer l'affaire au complet dès aujourd'hui, ou y aller par étapes, par énigmes ? Elle ne lui écrivait jamais sans raison, et la banale prise de nouvelles paraîtrait suspecte. Fallait-il passer par quelqu'un d'autre ? Ce serait révéler le secret alors qu'il n'en avait peut-être pas envie. Elle soupira, et se dit qu'elle improviserait. Le temps de faire sa toilette et de s'habiller, elle s'installa devant son petit bureau, prit un vélin et une plume, et écrivit.


Citation:

    A toi, mon frère,

    J'ai besoin de savoir si tu étais à Dijon en 1445. Vers le mois de juin. Et si tu y a rencontré une femme.
    Par rencontré, je ne parle pas seulement de conversation, tu t'en doutes. J'ai trouvé quelqu'un qui pourrait bien être une Louve.

    A te lire vite,

    Ta soeur.



Il comprendrait vite, et lui répondrait s'il le voulait. Elle espérait que son écrit arriverait dans l'un des moments de bonté de son frangin. Confiant la missive à un messager aguerri et en qui elle avait pleinement confiance, elle fit porter la lettre et attendit, fébrile, la réponse.
June
Il était midi à peine lorsque le messager se pointe à Paris. Il semblait fatigué ; il avait du faire un bon bout de route, et plus vite que d'habitude. Que diable apportait-il dans cette journée qui semblait pourtant si ordinaire ? A le voir le protéger et le lui tendre avec précaution, cela était sûrement plus qu'important. June prit le pli et congédia l'homme en demandant qu'il soit nourri et qu'il puisse se reposer. Son regard glacial se posa sur l'écriture qui donnait son nom comme destinataire, et il fronça les sourcils. Qu'est-ce que la rousse avait de si important à lui dire ou à lui demander pour qu'elle mande un messager aussi rapide ?

Curieux, il ouvrit la lettre et parcourut les lignes tracées de la petite écriture fine.

Dijon, 1445.

Bien sûr qu'il y était. Haut diplomate qu'il représentait bien, à ses dires. Car il ne l'était pas vraiment, à l'époque. Le destin avait décidé de lui accorder cette faveur quelques années plus tard, lorsqu'il était devenu Chancelier du Berry, mais en 1445, il était bien loin de tenir une aussi prestigieuse charge. Par contre, il était riche. La pègre et le grand banditisme payaient bien. Assez riche pour parader et faire croire à son mensonge, assez pour se faire remarquer des baronnes qui le regardaient passer, et surtout assez pour se faire voir des rombières et des putains qui auraient tout donné, jusqu'à leur corps entier, pour attirer l'attention de ce jeune magistrat qui, peut-être, aurait le réflexe heureux de se dire qu'il lui fallait épouser rapidement une femme, et pourquoi pas celle qui le pompait le mieux. Alors la compétition était rude, et le blond à la culotte bien remplie se faisait astiquer tous les soirs à l’œil, par une ou plusieurs catins désireuses de se voir décerner la gratifiante médaille de la meilleure amante. Bien malin que le June d'alors, qui était un excellent comédien.

Bien embêté que le June de ce jour qui devait payer les frais de ses frasques. S'il avait réussi à échapper au cassage de gueule en règle qu'il avait pourtant bien mérité, il lui poussait descendance dans tous les recoins où il était passé, et tous les ans ou presque. Et on ne pouvait pas s'y tromper : les prétendus enfants avaient pratiquement tous les traits d'un Sidjéno pure souche. Il relut sa frangine et soupira. Choisissant un vélin vierge, il prit une plume et, de son écriture élégante, renseigna sa destinataire.


Citation:

    K,

    Oui.

    J.



Cela suffirait bien comme cela. Une seule question subsistait dans sa tête : sur qui Koraï avait-elle pu tomber ?
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Korai
La rouquine reçut le message et l'ouvrit directement, arrachant presque le papier de son impatient besoin de savoir ce que son frère avait répondu. Un mot, à peine. Mais un mot, pour June, c'était tellement de choses ! Un mot, qui déjà montrait qu'il avait pris la peine de répondre. Sa réponse était une porte entrouverte. Et un mot. Positif. La porte était plus entrouverte qu'elle ne le pensait. Le blond s'était-il fait une raison sur sa descendance nombreuse ? Était-il prêt à rencontrer chacun de ceux qui pouvaient prétendre au sang des Loups ? A croire ce "oui", c'était ce qu'il s'apprêtait à faire. Et il savait, au fond de lui-même, que si sa soeur lui écrivait, c'était que le jeu en valait la chandelle.

A son tour, elle prit vélin et plume.


Citation:

    Lucie,

    Je vous ai dit que je vous apporterai la réponse à la question que vous m'avez posée. Je tiendrai parole. Nous nous verrons bientôt. Auriez-vous une occasion où je pourrai vous revoir ?

    Koraï


Bientôt, elle tiendrait sa promesse.

Plus tard, Lucie l'invitait à une cérémonie d'allégeance où elle allait recevoir un nouveau fief. Une occasion sûre pour que la Saint Jean et elle puissent se revoir et parler du passé.

Et de l'avenir.

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