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[RP] La vie n'est pas toujours un conte de fées

Pere_eusebe




[Faubourg Saint Marcel - hiver 1455-1456]




"Père Eusèbe... Père Eusèbe... OUVREZZZZZ.... OUVREZZZZ VITEEEEE...."

Les coups contre la porte de la petite baraque redoublèrent d'intensité ce qui eut pour effet de tirer de son lit le prêtre. Pour un peu, il serait tombé de sa paillasse l'animal mais encore heureux, ce ne fut pas le cas. Au lieu de ça, il mit ses deux pieds sur le sol avant de grommeler dans son poil grisonnant. C'était qu'il commençait à sentir le poids des années et au beau milieu de la nuit, il avait d'autres chats à fouetter que d'accueillir des intrus dans sa demeure.

Se dirigeant vers la cheminée, l'homme se pencha vers le feu, attrapa une branche encore incandescente et en alluma la petite bougie qui traînait sur la table. A cet instant, de nouveaux coups retentirent.


"PERE EUSEBEEEEE ON SAIT QU'VOUS ETES LA !"

Un énorme soupir s'en suivit de la part du prêtre.

"Fichtre mais qu'ai-je donc fais au Très-Haut pour subir ces assauts même la nuit." Et puis plus fortement, de sa grosse voix de stentor, il répliqua en ouvrant brusquement la porte. "Mais c’est pas bientôt fini c'vacarme ! y’a des honnêtes gens qu’essaient d’dormir !"

Les yeux du pauvre homme se posèrent sur les deux garçons dont l'un des deux portait un corps dans ses bras. Avec vivacité, le père Eusèbe se décala sur le côté afin de les laisser entrer.

"Que m'amenez-vous là encore ? A vous seuls, vous fournissez le cim'tière du coin. Allez entrez donc et posez-moi ça sur la table que j'puisse r'garder c'que j'peux faire."

Et à la lueur de la petite flamme qui dansait dans tous les sens, le père Eusèbe se pencha sur le petit corps meurtri et ensanglanté qu'on venait de lui confier. Il souleva quelques mèches avant de se retourner vers les deux jeunes gens.

"Espèce de sombres abrutis, qu'est-ce que vous lui avez fait ? Elle est à peine plus âgée qu'vous deux... Misérables, marauds, vous n'avez donc pas de limites que vous vous en prenez à celle-ci, les catins ne vous suffisent donc pas ?"

Et d'un geste brusque, l'homme chassa l'un des jeunes qui se penchait par-dessus son épaule tandis que la robe déchirée remontait sur les cuisses couvertes de traces et de sang.

"Pousse-toi d'là que je constate l’étendu des dégâts… et recule espèce de pervers mal embouché... si j'te r'prends à la r'luquer, j't'arrache ce qui t'sert à t'faire du bien !"

Un silence pesant plomba l'atmosphère de la grande pièce. Le père Eusèbe prit une profonde inspiration en se penchant sur le corps inanimé de sa patiente puis avec des gestes légèrement tremblant déchira n peu plus la robe afin de découvrir légèrement le petit corps et d’accéder aux plaies les examinant de plus près, se demandant s’il était encore nécessaire de faire quelque chose ou bien de faire creuser une tombe. Mais sans doute un reste de foi fit son chemin dans son cœur obscur qui lui permit d'hurler dans la demeure.

"GUYLHEM... GUYLHEM lève-toi et apporte-moi d'l'eau et des linges propres, on a du travail."

Se tournant vers les deux jeunes hommes, le prêtre s'avança l'oeil noir et le regard mauvais.

"Lequel des deux ?... lequel d'vous deux à fait ça ? "

Son visage passait de l'un à l'autre mais ces deux-là ne voulaient parler alors le père Eusèbe finit par grogner.

"Sortez d'chez moi et ne rev'nez qu'dans la journée. Si elle meurt, je m'occup'rais moi-même d'vot'cas... l'un après l'autre. Et n'oubliez pas, j'sais où vous vivez tous les deux."

Et sans attendre, le père Eusèbe fit claquer la porte sans même un dernier regard laissant les deux complices à l'extérieur de sa demeure.
Guylhem


    C’est le moment de la journée qu’il préfère le gamin. La nuit, quand tous les chats sont au lit et que les souris se promènent dans les rues. La nuit, quand il n’a plus à faire les 300 pas pour aider le vieux dans son office et qu’il peut enfin rêvasser confortablement installé sur sa paillasse.
    Enfin confortablement, c’est vite dit, c’est sans doute confortable quand on est grand et un peu grassouillet, mais quand on est petit et pas très épais, c’est quand même dur une paillasse. Enfin bon… il n’allait pas se plaindre le môme, au moins, il avait un toit au-dessus de sa tête, du feu dans l’âtre et une gamelle pleine tous les jours !
    Que demander de plus ?

    Étendu sur sa paillasse les bras en croix et la bouche ouverte d’où s’écoulait un léger filet de bave, Guylhem dormait du sommeil du juste, plongé au pays des rêves. Il y faisait si doux, si bon, il pouvait
    même entendre le doux son d’une voix qui l’appelait tendrement.

    « Guylhem.» Lui faisait la petite voix.
    Était-ce sa mère ?
    Aucune idée, le visage était flou, plongé dans la lumière, il pouvait à peine distinguer les traits, mais il entendait parfaitement sa voix. Une voix douce, si douce…

    « Guylhem. Lève-toi.» Lui fit à nouveau la petite voix.
    Se lever ? Quelle drôle d’idée, il était bien là. Non ! Non ! Il ne se lèverait pas. Pas tout de suite en tout cas.

    -MmMmmm…. Non…’core 5 minute m’ma. Marmonna-t-il en se retournant sur sa paillasse.

    Mais soudain, le visage lumineux se transforma en un visage sombre avec une barbe hirsute et des cheveux grisonnants. La voix douce et mélodieuse vira en une voix grave et rocailleuse.
    « Guylhem ! »

    Cette fois, non, il ne rêvait pas, la grosse voix était bien trop réelle pour l’accompagner dans son sommeil. Le gamin se réveilla aussitôt en sursaut, les yeux encore pleins de sommeil en regardant partout autour de lui.


    -Qu’est-c’est ?

    Il régnait un certain brouhaha dans la bicoque du prêtre, une agitation anormale pour le milieu de la nuit. Certes il avait déjà vu de drôle de chose dans cette maison, et il aidait souvent le Père à faire sa besogne, mais jamais au milieu de la nuit. ‘fin… C’était p’tet déjà arrivé mais lui, devait se trouver dans les bras de Morphée.
    Donc pour que le Père s’agite comme ça c’est qui d’vait s’passer quelque chose de grave.


    -J’arrive ! hurla-t-il à son tour en sautant sur ses pieds et en attrapant le premier récipient qui lui tomba sous la main.
    -Me v’là ! Hurla-t-il à nouveau en attrapant quelques linges et en faisant tomber au passage toute la pile de draps empilée sur l’étagère.
    -J’suis presque là ! Déclara-t-il en remplissant délicatement le récipient d’eau.
    -Me vlà ! Me vlà ! Répéta-t-il enfin, la bassine dans les mains et les linges bien calés sous le bras.

    Le trajet jusqu’au Père Eusèbe lui parut aussi long que la rue au dehors tant le môme avançait à petit pas de peur de s’étaler et de renverser toute l’eau sur le sol. Le baquet pesait lourd dans ses petites mains d’enfant et les linges qu’il tentait de maintenir tant bien que mal ne lui simplifièrent pas la vie non plus. Mais fort heureusement, après quelque frayeur, l’eau arriva à bon port et le môme put enfin relever la tête, fier de lui.

    C’est alors qu’il découvrit, le corps meurtri gisant sur la table. Sanglant spectacle pour un petit bonhomme de son âge, mais Guylhem ne s’en formalisa pas une seul seconde, habitué qu’il était à voir d’étrange chose avec son maître.
    Même si... la petite chose, là, semblait bien étrange.
    Ça ne ressemblait pas un cadavre, ça ne ressemblait pas non plus à ces pochtron qu'on retrouvait noyé dans l'abreuvoir à chevaux. Non... Cette petite chose là ressemblait à...
    Une fille !
    Mais pas une fille du bordel voisin.
    Non ! Non !
    Une fille ! Une vrai !


    -Qu’est-ce c’est maitre ? Demanda-t-il alors en penchant légèrement la tête sur le côté pour tenter d’apercevoir un petit bout de quelque chose sous les guenilles déchirées.
Pere_eusebe




[Les heures éternelles se dessinent - hiver 1455-1456]




"A te voilà toi... t'en a mis du temps !"

Et tout en suivant le regard du gamin qui lorgnait allégrement sur le corps meurtri qu'il avait devant lui, le père Eusèbe se redressa avant de mettre une claque derrière le crâne de son apprenti.

"Tu l'vois pas espèce d'âne, c'est une fille ! Et une jolie en plus, qui nous viens d'la rue haute et d'chez les riches ! Qu'est-ce qu'on t'a donc appris durant toutes ces années Guylhem ? Parfois j'me dis qu'ton éducation est à r'faire, franch'ment."

Le regard du prêtre allait du gamin qui était des plus étourdi à la gamine qui pissait le sang.

"Et qu'est-ce que tu r'luques comme ça, cache tes yeux et va mettre de l'eau à bouillir sottard ! Faut la laver !"

Et de ses vieilles mains qui en avaient déjà vu des mille et des cents, le vieil Eusèbe déchira ce qu'il restait de la camisole qui avait déjà bien été lacérée à certains endroits. De soupirs en blasphèmes, Eusèbe faisait un examen complet du corps frêle qui se tendait sous ses doigts. Se redressant brusquement après avoir palpé la cuisse de la chère enfant, il vit sur le ventre des hématomes bleuir rapidement.

"Guylhem, apporte-moi donc la bougie. J'vois pas c'que j'fais et ça m'énerve..."

Retournant le corps fragilisé pour le mettre sur le dos, un gémissement s'échappa de la gorge de la jeune fille avant de prendre possession de la pièce lorsque ses épaules touchèrent la table. Et d'un bond elle se redressa en hurlant, portant une main sur sa nuque, les yeux dans le vide, les larmes coulant sur les joues.

"Du calme mon petit, du calme... on va faire not'possible pour t'aider ma douce..."

Les bras du prêtre se refermèrent sur celle qui n'était plus une enfant mais pas encore une femme à ses yeux. Et de gestes tendres presque paternalistes, il berça le corps qui se détendit au son des psaumes en latin qu'il récitait. La voix de l'homme d'église avait toujours eu un effet apaisant voir soporifique car il se souvenait encore de son jeune temps où durant la messe ses paroissiens s'endormaient paisiblement. Et telle une poupée de chiffon, le corps de la jeune malade s'affaissa dans ses bras alors aussitôt, il souleva la crinière du cou avant de maudire les saints et les anges ainsi que celui qui se posait comme père des hommes.

"Comment peux-tu laisser faire ça toi qui est là-haut ? N'es-tu donc pas là pour protéger les plus fragiles et les plus humbles d'entre nous, n'es-tu pas là pour éviter que ce genre de choses arrive ? Ne vois-tu pas la souffrance qu'ils lui ont infligé, au nom de quoi ?"

Le ton était véhément tandis qu'il s'adressait au très-haut. Le vieil Eusèbe n'était plus de première jeunesse et n'avait rien à prouver à personne. Prêtre défroqué, il avait choisi depuis longtemps sa propre voie et comme l'église ne répondait pas à ses attentes, il avait décidé d'œuvrer là où le mal siégeait, dans les bas-fonds de la grande ville. Et il en voyait de toutes les couleurs le prêtre. De la catin ravagée par la maladie à l'alcoolique à qui il donnait l'absolution avant d'entendre son dernier souffle, du gamin mort-né à la vieille mendiante remplit de rhumatismes, il savait que chaque jour apportait son lot de rencontres terribles. Mais pour l'heure, il devait sauver cette gamine d'une mort certaine. Reposant le corps sur le côté cette fois, il fit le tour de la table puis héla le gamin.

"Guylhem va m'chercher le lait d'pavot sur l'étagère du haut. T'fais attention, il ne m'en reste pas beaucoup et elle va en avoir besoin. Après tu m'amèn'ras l'huile de lavande. Il faut qu'on apaise l'inflammation."

Et tandis qu'Eusèbe donnait ses ordres au gamin, ses yeux se posaient sur les chairs brûlées qui portaient désormais la marque du mâle. Le démon lui-même allait certainement apprécier cette empreinte signe du mal qui se diffusait chez ses adorateurs. Et dans un geste aristotélicien, le vieux prêtre signa le front de la gosse afin de protéger ce qui le pouvait encore de son âme.
Guylhem


    Et v’lam ! une taloche ! Une !
    Il ne savait pas pourquoi le Père prenait un malin plaisir à lui taper derrière le crâne chaque fois qu’il posait une question idiote. Peut-être pensait-il que cela lui rentrerait plus facilement dans la tête… D’un mouvement léger de l’épaule le môme tenta d’esquiver la main calleuse du prêtre au cas où celui-ci reviendrait à la charge. Malheureusement, dans son esquive, il en oublia le baquet d’eau qu’il transportait. Surpris, Guyhlem fit quelques pas en avant, resserra ses petits bras sur le baquet et se ramassa une bonne giclée dans la figure.
    Voilà le marmot complètement réveillé après sa douche improvisée ! Mais au moins… l’eau n’était pas tombée par terre !

    Et forcement, d’un pas à un autre, le môme se retrouva nez à nez avec la cuisse sanguinolente de la pauvresse étendue sur la table.
    Juste la bonne hauteur !
    Les yeux bien grands ouverts, il afficha un sourire béat et curieux. C’était nettement mieux que ce qu’il allait reluquer dans la grange d’à côté ! Bon y’avait effectivement un peu de sang partout, mais… C’n’était pas désagréable à r’garder !

    Il avait raison le Père Eusèbe, c’est vrai qu’elle était jolie. C’était rare quand les jolies demoiselles venaient passer par là, rare les fois où le môme pouvait les admirer. Les gens d’la Rue Haute, ces riches-là, lui semblaient tellement inaccessibles, à des lieux et des lieux de son monde à lui.
    D’après ce que lui avait raconté son copain l’boiteux, ces gens-là dormaient dans des lits en or, et mangeaient de la viande à chaque repas, et plus de trois repas par jour !
    Rien que d’y penser le môme en avait l’eau à la bouche…
    Ça d’vait être bien d’être riche…
    Enfin… p’têt pas à voir l’état d’la demoiselle.


"Et qu'est-ce que tu r'luques comme ça, cache tes yeux et va mettre de l'eau à bouillir sottard ! Faut la laver !"

    Retour rapide à la réalité des choses ! Fini la montagne de viande et les sièges en or massif, Guylhem se trouvait bien dans la bicoque du Père, le ventre vide et la voix grondante de son maitre au-dessus de lui.
    Pris en faute, le môme ferma rapidement les yeux dans une grimace comique avant de se retourner prestement, finissant ainsi de se mouiller complètement.


    -Rien ! Rien ! J’regarde rien ! J’vois rien ! J’vous jure !

    Et avant de se prendre une deuxième taloche derrière le crâne, l’apprenti s’empressa de se mettre à la tâche.
    1° Remplir la grande marmite.
    2° raviver le feu dans l’âtre.
    3°…. Tenter de jeter une œillade supplémentaire par-dessus son épaule en toute discrétion…

    Enfin, discrètement… ça c’était une autre paire de manche.
    Il était petit.
    Il faisait sombre.
    Et le père Eusèbe tournait autour de la table !
    Donc forcément…. L’œillade discrète se transforma vite en contorsion à la manière des hiboux. Pas vraiment discrète !
    Une chance pour lui son maître était trop occupé pour le remarquer.


"Guylhem, apporte-moi donc la bougie. J'vois pas c'que j'fais et ça m'énerve..."

    La bougie !! En voilà une bien bonne idée !
    Ou comment s’approcher en toute impunité !
    Ni une ni deux l'apprenti s'empara d'un bougeoir déjà bien entamé et l'apporta à son maitre en trottinant avant de s’arrêter net à quelque pas de la table.

    La petite chose venait de se redresser en hurlant, surprenant le garçon dans sa tâche et visiblement son maitre avec. Resserrant ses petites mains sur le bougeoir, Guyhlem attendit un instant que le Père calme la blessée pour s’approcher à nouveau et donner un peu plus de lumière.

    « Bon au moins, elle est pas morte ! » se pensa le gamin.
    Non… elle n’était pas morte, mais semblait l’avoir rencontré face à face… Oh ! Bien sûr il ne savait pas trop tout ce que ça voulait dire, bien que la mort il connaissait. C’était gris, c’était froid, c’était rigide et ça sentait mauvais !
    Mais elle n’était ni froide, ni rigide et sentait encore bon malgré la sueur et le sang.

    Silencieux, il se hissa sur la pointe des pieds pour mieux voir ce qu’il se passait. Guyhlem afficha alors une petite moue, et tout en écoutant son maitre prier et maugréer contre le plafond, il passa son regard de la petite chose au prêtre, du prêtre, à la petite chose, observant les traits de l’un et de l’autre, dans l’espoir… D’en savoir un peu plus.
    Parce que pour le moment…. Il voyait surtout le sang qui coulait le long de la table et tombait par petite goutte jusqu’au sol.
    Encore un truc qu’il allait devoir récurer !


"Guylhem va m'chercher le lait d'pavot sur l'étagère du haut. T'fais attention, il ne m'en reste pas beaucoup et elle va en avoir besoin. Après tu m'amèn'ras l'huile de lavande. Il faut qu'on apaise l'inflammation."

    -Tout d’suite maitre !

    Lait d’pavot... Lait d’pavot… Ça c’était le pot marron tout en haut sur l’étagère surnommé : « touche pas à ça sottard ! »
    Il s’en rappelait bien pour avoir tenté une fois ou deux d’y toucher. Son séant aussi s’en souvenait… Alors c’était resté.
    Ce pot-là : Pas touche !
    Et forcement le vieux l’avait mis tout en haut.
    Exprès dans un endroit où le môme ne pourrait l’attraper sans déclencher de catastrophe.
    Et forcement… le vieux lui demandait aujourd’hui de l’attraper.
    Et en plus il voulait qu’il fasse attention ?!
    Ça… C’était un coup à recevoir une taloche de plus.

    Grimaçant devant le casse-tête du jour, Guyhlem ne tarda pas à trouver LA solution !
    Tirant alors une chaise devant l’étagère, il posa dessus une caisse de bois avant de grimper à son tour. Ne restait plus…
    Qu’à….
    Se hisser…
    Sur la pointe des pieds…
    Et tendre un peu le bras….
    Pour…


    -Je l’ai !

    Il l’avait ! Mais son fragile échafaudage commençait à bouger dangereusement… jusqu’à….

    CRAAACC….. BRAOUM !


    Suivit d’un petit…
    -Tout va bien !

    Ça… C’était fait !
    Le séant par terre, les bras en l’air tenant le précieux pot miraculeusement intact, Guyhlem venait de réussir avec bravoure sa mission !

    Fier de lui, l’apprenti retourna auprès de son maitre non sans se frotter légèrement le derrière.
Pere_eusebe




[“En toute chose, c'est la fin qui est essentiel.” Aristote - hiver 1455-1456]






"T'en as mis du temps pour m'am'ner c'lait ! Fais-moi penser que si j'dois m'faire soigner autant que j'crève de suite hein parc'que franchement, t'es pas un foudre de guerre… "

Attrapant la potion des mains du gosse, il tira avec brusquerie sur le flacon avant d'en faire sauter le bouchon de liège et de porter le tout aux lèvres de la gamine qu'il avait tenté de redresser un peu.

"Allez petite bois, tu verras, ça ira mieux après ça…"

Une poupée de chiffon. Le père Eusèbe tenait une poupée de chiffon dans ses bras et le lait de pavot glissait autant dans son gosier qu'à côté. Mais le peu qu'elle prenait ferait son office rapidement. Reposant le petit corps sur la table, le prêtre se retourna pour mettre à l'abri ce qu'il lui restait de remède tandis que toujours le dos tourné afin de cacher son exaspération d'être impuissant face à la situation, il donnait des instructions à son apprenti.

"Guylhem, nettoie-lui le visage et va douc'ment, ce n'est pas la vieille jument du forg'ron qu'tu étrilles ! C'est une jeune fille tout comme il faut.

Tout en jetant un regard en biais au gamin, le père Eusèbe s'affairait à prendre des herbes afin de préparer quelques baumes pour les quelques entailles qu'il voulait assainir avant que l'infection s'y loge. Mais il était préoccupé l'ancien homme d'église. Quelque chose lui disait que ça n'irait pas aussi loin qu'il l'avait espéré. Cette petite était une brindille qui avait été brisée en mille morceaux. Son corps mais aussi son esprit. Les coups, elle s'en remettrait mais le reste… il savait ce qu'elle avait subi, du moins il le devinait. Si c'était "Castor et Pollux" qui lui avaient fais subir ça, il saurait leur rendre la pareille mais une telle violence… ça ne pouvait être que leur père. Ces deux nigauds avaient été à bonne école mais leurs âmes n'étaient pas complètement perverties et ils n'atteignaient pas encore le niveau d'excellence de leur paternel. Il avait déjà été témoin de ses méfaits et ce n'était pas beau à voir.

S'essuyant les mains dans un chiffon après avoir mis les herbes à distiller, le vieil homme se retournant en soupirant de plus belle. De ses doigts légèrement tremblants, il vint retirer une mèche qui barrait le visage de la jolie. Et son pouce caressa la pommette tuméfiée avec légèreté. Le visage soudainement grave, les yeux assombris par la tristesse et la sagesse qu'il avait acquise depuis des années, les épaules qui s'affaissèrent rapidement, il s'adressa à son apprenti d'une voix tendue.


"Petit, va me chercher la Morrighan s'il te plait. Je ne peux plus rien faire, elle seule peut encore.

Père Eusèbe poussa un autre soupir tout aussi profond que le précédent. Il savait pour avoir vu de son œil averti que la gamine allongée là sur sa table ne pouvait pas résister à l'appel du destin. Il y avait des êtres qui n'étaient pas fait pour vivre dans ce monde et cette gosse en faisait partie.
Le passage à tabac en règle qu'elle avait subi la mettait en première position pour rejoindre le Très-haut.

Lothaire et ses fils. Des chiens !
Père Eusèbe en cracha au sol. Combien de gamines avait-il dû rafistoler sous leur coup et leur folie ? Il ne les comptait plus mais celle-ci allait s'effacer de leur existence sans faire de bruit parce qu'ils avaient trop joué !
La colère tourmentait le père Eusèbe et dans son for intérieur il savait qu'il ne pouvait se laisser aller. La dernière fois, il avait été casser la gueule au rustre qui avait foutu une peignée à la Mathilde du bordel d'à côté. Tout ça parce que ce pauvre boucher c'était cru dans son étal et avait attendri la viande. La pauvre fille avait mis deux mois à s'en remettre, deux mois durant lesquels elle avait crevé la faim et n'avait pas pu travailler.

Ici ce n'était pas la cour des miracles mais le père Eusèbe faisait ce qu'il pouvait. Dans ce coin perdu du faubourg Saint-Marcel, il offrait la charité quand il le pouvait, bénissait quelques nouveaux nés et pratiquait l'extrême onction quand le bout du chemin était atteint. L'église ne voulait plus de lui parce qu'il avait fauté mais on ne chassait pas Dieu aussi facilement de son existence, n'en déplaise aux cardinaux et au pape. Lui, il avait ressenti l'appel depuis son plus jeune âge aussi faisait-il en sorte de continuer à faire ce pourquoi il était né tout en aimant la vie à côté !

Appuyé contre le chambranle de la porte d'entrée, il attendait que Guylhem revienne avec l'irlandaise. C'était celle qu'il appelait en dernier recours, quand lui n'y arrivait plus. Moïra qu'elle s'appelait mais pour lui c'était la Morrighan. Cette déesse de la guerre et de la mort. La grande faucheuse en personne. Un sourire tendre étira sa bouche. Qui l'aurait crû, un homme d'église avec une paienne. Et pourtant, le père Eusèbe s'en remettait à elle pour bien des choses. Elle avait touché un jour son cœur et depuis, il ne battait que pour elle. Au point de lui avoir fait quitter le chemin de l'église tous les dimanches matins. Certains avaient dit que Moïra lui avait jeté un sort, que l'irlandaise était une sorcière, qu'elle l'avait charmé pour ne plus qu'il soit comme avant. A ces détracteurs, il ne répondait jamais. Lui il savait. Il savait le père Eusèbe ce qu'il en était. Tomber amoureux n'avait rien de sorcier et quand le cœur avait ses raisons, la raison elle se mettait en berne. Aussi avait-il suivi son instinct et vivait pleinement sa vie aujourd'hui.

Bien que ça le dérangeait de la faire intervenir auprès de ses patients, cette nuit, il n'avait guère le choix. Si l'on ne tentait rien, la gamine serait morte d'ici le levé du soleil. L'état général de cette pauvre fille était un casse-tête pour lui. La brûlure sur sa nuque n'était qu'un infime souci en comparaison à ce que son corps lui avait raconté. Les bleus qui apparaissaient au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Il l'avait lavée certes mais le sang s'échappait encore. Et il préférait que cela soit une femme qui s'occupe de ça désormais. Il ferma les yeux quelques instants, inspirant profondément. Le calme de la nuit emplissait son esprit en tentant de chasser les gémissements que la gamine émettait dans le silence de la chaumière. Le lait de pavot qu'il lui avait administré un peu plus tôt faisait son office créant un sommeil profond mais peuplé sans aucun doute de quelques cauchemars dont l'esprit enfantin avait encore le secret. Et puis soudain, quelque chose se brisa dans la grande salle aussi, se retourna-t-il rapidement pour voir la gosse convulser.


"Morbleu quand cela va-t-il s'arrêter ?"

Le tourment dont la petite était prise ne faisait que s’accroître depuis les dernières minutes. Le prêtre se précipita jusqu'à la table afin de tenir la tête de la jeune fille tout en tentant de se caler contre elle pour éviter que cette dernière ne bouge de trop. Si Guylhem ne revenait pas dans les minutes qui suivaient, tout serait terminé et Moïra ne servirait à rien. Alors le père Eusèbe fit ce qu'il ne voulait pas s'absoudre à faire mais qui devenait une nécessité… prodiguer l'extrême onction…
D'une voix basse et triste, la gorge serrée, le père Eusèbe commença à murmurer en latin…


"Pax huic dómui.
Et ómnibus habitántibus in ea.(1)


(1)Paix à cette maison.
Et à tous ceux qui l’habitent.
Guylhem


    La fierté de sa mission réussie s’évapora aussi rapidement que de l’eau retenue prisonnière dans une main. Le Père Eusèbe venait tout simplement de lui rappeler la gravité du moment et grimaçant à la remarque du prêtre, Guyhlem se frotta à nouveau le derrière mourant d’envie de répliquer que s’il était pas content, il n’avait qu’a pas mettre ses potions si haute.
    D’abord !
    Mais bien entendu, aucun mot ne sorti de la bouche du gamin, la correction aurait été bien pire, mieux valait rester prudent. Jetant un regard vers son maitre il arqua un sourcil en découvrant que le truc amorphe dans les bras du Père buvait aussi proprement que lui quand on lui servait du gruau avec du lard, c'est-à-dire, autant dans le gosier que sur lui.
    C’tait bien la peine de lui dire de faire attention de pas renverser !

    Grommelant à voix basse, le môme s’en retourna en trainant les pieds et pour rechercher la suite de ce qu’il lui avait demandé. L’huile de lavande, il savait où c’était, sur l’étagère du bas, pas loin des pots de baume en tout genre dont il ne connaissait pas l’utilité.
    L’huile rapidement trouvé et sans nouvelle catastrophe, le gamin revint une nouvelle fois auprès du Père Eusèbe et posa le flacon de terre cuite sur la table tout près de la lumière et… de… ben la petite chose qui forcement, n’avait pas bougé.



"Guylhem, nettoie-lui le visage et va douc'ment, ce n'est pas la vieille jument du forg'ron qu'tu étrilles ! C'est une jeune fille tout comme il faut.

    -Ben ouais j’sais bien ! Marmonna le gamin en haussant les épaules et en s’emparant d’un linge qu’il trempa dans la bassine.
    Il savait quand même faire la différence entre une femme et une jument ! C’est qu’il les avait observer le Guyhlem avec le bordel d’a coté, donc forcement… les bonn’ femmes n’avaient plus de secret pour lui !

    Haussant une nouvelle fois les épaules, le gamin approcha sa main du visage de la jeune femme, un peu sur la réserve quand même, des fois que la presque morte se réveillerait d’un coup et l’étranglerait.
    L’boiteux lui avait raconté qu’une fois, une morte qu’on allait enterrer s’était réveillé dans l’trou et pour s’venger avait étranglé l’fossoyeur.
    C A R R E M E N T !

    Donc forcement après une histoire comme celle là… Y’avait d’quoi s’méfier ! Et pi on lui avait dit aussi qu’les femmes avec les ch’veux rouge s’était toute des sorcières, et celle là…
    Oui.. Enfin non… Y voyait pas la couleur d’ses ch’veux avec le sang et la sueur et p’tet même autre chose qu’il voulait pas savoir.
    D’toute façon… a bien la regarder, elle ressemblait pas du tout à une sorcière…

    Passant le linge sur le front de la petite chose, Guylhem se pencha un peu plus pour mieux l’observer. Elle ressemblait… a une fée. Une fée a qui ont aurait arraché les ailes. Mais une fée quand même ! Oui bon… d’accord il n’avait jamais vu de fée et ne savait même pas a quoi ca ressemblait. Mais elle avait le visage tellement fin…
    Jolie quoi !

    Un visage sans gros bouton noir, sans poil non plus et sans moustache, un visage qui ne luisait pas à cause du gras et qui n’avait pas non plus de petit trou partout. C’était un beau visage, un visage de dame, un visage… d’ange !
    Oui voilà, c’était un ange !
    Un ange tombé du ciel !
    Et ça des anges, il en avait déjà vu dans le gros livre du Père Eusèbe. Ce même livre surnommé « touche pas à ça sottard ! »
    Ouaip !
    Comme le lait d’pavot. Mais c’est qu’la bicoque du prêtre regorgeait de truc et machin du même nom. « Touche pas à ça, sottard ! » pratique pour ne pas se tromper !

    La main calleuse du prêtre passa devant ses yeux et le gamin leva le nez vers lui, plutôt intriguer. Le Père Eusèbe n’était pas comme d’habitude, pas comme les autres fois quand des malades ou mourant venait en ce lieu. D’habitude il était plus détaché, presque fataliste, il faisait les soins en vociférant, pestant, sermonnant, mais là…
    Affichant une petite moue ne comprenant pas vraiment tout ce qui se passait, le gamin lassa aller son regard de son maitre à la petite chose étendu sur la table, hésitant tout à coup à demander au prêtre si la petite chose devant n’était pas un ange tombé du ciel.
    Ce qui expliquerait beaucoup de chose…


"Petit, va me chercher la Morrighan s'il te plait. Je ne peux plus rien faire, elle seule peut encore.

    Guylhem sursauta.
    La Morrighan ?
    Il était vraiment sérieux ?
    Ouvrant grand les yeux encore étonné de la requête du prêtre, le gamin laissa tomber le linge et prit les jambes à son coup sans demander son reste. Si son maitre demandait à ce que l’irlandaise rapplique c’est que….
    Ne réfléchissant plus, Guylhem courut à perdre haleine jusqu'à la bicoque de l’Irlandaise, manquant pendant sa course de renverser 2 catin et 3 ivrogne et p’tet même un chat noir, ou gris, dans l’noir, ça f’sait pas grande différence.
    C’est finalement rapidement mais a bout de souffle que le gamin arriva à destination et tambourina avec ses deux petits poings en hurlant de toute ses forces.


Bam ! Bam ! Bam !


    - Moïra ! Moïra ! Ouvrez vite ! L’Père Eusèbe a b’soin d’vous ! Ouvrez ! Ouvrez !


Bam ! Bam ! Bam !


    Et tant pis pour les voisins !
    D’toute façon si lui dormait pas, pas d’raison qu’les autres non plus !


Bam ! Bam ! Bam !


    - Moïra ! Ouvrez vite !
Moiira


Maudit soit l'heure à laquelle tu es né,
maudit soit celle qui t'a fait,
Maudit soit la force avec laquelle tu as aimé,
Maudit soit ta descendance que tu as engendré…


Je crache les mots comme une litanie trop longtemps retenue, de celle que l'on prononce et que l'on oublie une fois les mots sortis.
Je n'oublie pas ce pourquoi je le fais, je le garde à l'esprit.
Chaque personne peut me solliciter, chaque femme a droit à se venger. Et l'amour bafoué est le plus terrible à contenter !

Je suis en train de me balancer dans un mouvement de cercle infini, ma tête en arrière, mes yeux clos, mon buste redressé au fur et à mesure que le mouvement s'amplifie quand soudain, on frappe à ma porte. Je fais mine de ne rien avoir entendu. Que celui qui me dérange repasse plus tard ou ne repasse jamais.
Je rajuste ma position, emplis mes poumons des herbes qui brûlent dans mon antre, ma dos se cambre, des images traversent mon esprit sans que je puisse en avoir le contrôle… je plane au-dessus de cet être malfaisant qui s'invite dans le lit d'une catin de satin. Les hommes ont tous tendance à se croire invulnérables et irrésistibles, celui-ci en aura pour son argent sans compter les furoncles qui vont venir lui pousser sur le corps. Un rire grave s'échappe de ma gorge, mes bras se soulèvent et se positionnent de façon à ce que je sois en croix, mes yeux se révulsent et je sens la chaleur entrer en moi, se propager dans mes entrailles, parcourant mon corps à travers mon sang bouillonnant. Ma tête éclate, mon dos s'arque plus violemment, je ris aux éclats car je vois la brûlure qui s'immisce le long de cette virilité faite homme et la grimace qui fige les traits de ce visage devenu si vulgairement méprisable.

La souffrance est un plat dont je me régale, la mort est un mets de choix que je garde pour les cas extraordinaires. Lui, ne la mérite pas. Il a juste le droit de supporter ce mal qui lui tourmente le bas-ventre à chaque mouvement de reins. Et ce n'est que le début, pauvre poupée au creux de mes mains. Je redresse la tête, me penche sur le chaudron qui bouillonne dans la cheminée, rajoute une pincée de fleurs broyées en récitant quelques mots dans la langue de ma naissance, de ce langage que l'on n'offre qu'à celui qui prendra possession de mon âme le jour de ma propre mort et je ris encore de ces images qui dansent devant mes prunelles. Mais alors que je chasse un nuage de fumée qui s'échappe de la potion qui mijote, de nouveaux coups sont donnés et j'entends que l'on m'appelle. Je me redresse, attend quelques instants faisant croire que je ne suis point là mais le nom de ce cher prêtre est prononcé et je ne peux décliner l'appel. Je sais qu'il ne fera appel à moi qu'en de tristes circonstances.

Lâchant un lugubre soupir, je me relève tant bien que mal, mes genoux restant ankylosés par la position que j'avais prise pour ce rituel mais je fais l'effort d'aller ouvrir enfin la porte à toute volée.


- QUOI, QU'EST-C'QUI T'PRENDS D'VENIR M'EMMERDER AU BEAU MILIEU D'LA NUIT TOI ?

Je jette un œil au gamin blond dont les joues sont rosies par la course qu'il a dû faire pour venir jusqu'ici sans en perdre un instant. J'aime bien ce gosse mais j'adore encore plus le faire tourner en bourrique. Il est très naïf et encore plus impressionnable surtout lorsqu'il ose entrer dans ma tanière. Je lui ai un jour susurré dans le creux de l'oreille que s'il venait trop fouiller chez moi que je me régalerais de le déchiqueter entre mes dents à la pleine lune lorsque je me transforme en louve. Et vous savez quoi, le mioche y a cru ! Ses yeux étaient écarquillés comme des soucoupes, j'ai cru qu'il allait me faire une syncope ! Mais bref, l'urgence n'est pas là. Je le regarde d'un peu plus prêt, hume l'odeur qu'il dégage et mise à part la sueur qui flatte mes narines j'en viens à la sentir… la mort rôde, la mort l'accompagne, la mort est parmi nous ce soir. Je prends le menton de Guylhem entre mes doigts, le passe sur sa peau avant de porter mon pouce à mes lèvres. L'âcreté du raisiné me donne la nausée, ce sang est mauvais.

- Qu'a-t-il donc encore fait ce vieux fou ? Il espère quoi, que je fasse des miracles avec ses morts ?

Je grogne et cela vient du plus profond de ma gorge. Eusèbe et moi c'est une vieille histoire qui remonte à des années. Des années durant lesquelles nous nous sommes cachés jusqu'à décider que nos vies valaient le coup d'être vécues au grand jour. Et advienne que pourra… Un homme d'église et une sorcière, quel beau pied de nez à la société ! Et même si nous ne vivons pas ensemble, on sait se retrouver quand on a besoin l'un de l'autre. Mais là c'est une toute autre affaire pour laquelle il requiert ma présence. Il a encore dû récupérer une gamine du bordel d'à côté dans un triste état et c'est moi qui vais devoir faire le nécessaire afin de lui faire passer de vie à trépas…

Mes yeux clairs se posent sur le mioche. Celui-là il est encore petit mais il en a vu des âmes s'en aller. Je le plains et je finis même par caresser un peu sa joue. Je n'ai jamais eu d'enfant, enfin si mais elle n'est plus de ce monde. Les dieux ont estimé que je n'avais pas le droit de connaitre le bonheur d'être mère à plein temps… ça me va finalement. Je ne sais pas ce qu'elle serait advenue ni même si elle n'aurait pas été pendue pour l'affront que l'on faisait au monde, nous les rebuts, ceux dont personne ne se soucie sauf quand il faut justifier des méfaits causés par d'autres. Je m'en retourne dans mon antre, finis par soulever le chaudron du feu et le poser sur la margelle de la cheminée afin que le contenu refroidisse avant que je ne l'offre à celle qui m'a payé pour ce petit "service" et je referme la porte derrière moi en sortant.


- Passe devant le mioche et va prév'nir que j'arrive.

Le temps de faire le chemin et me voilà à entrer sans crier gare dans la baraque du vieux Eusèbe. L'odeur me prend la gorge et cette dernière se serre au point de me faire suffoquer. Je n' accorde aucun regard à mon amant juste pour le punir de m'avoir dérangé dans mes petites affaires et je pose mes pupilles sur chaque recoin de cette foutue pièce pour enfin découvrir le corps frêle installé sur la table. Et tandis que mes doigts cherchent le pouls de la petiote, je lance à celui qui est posté derrière mon épaule à m'observer.

- Tu as la sale manie de me faire appeler quand il est trop tard Eusèbe. Combien de fois faut-il que je te dise que je ne peux rien faire quand ils sont dans cet état là.
- Essaie… s'il te plait…


Le murmure qui s'en vient jusqu'à mes oreilles me glace les sangs. Et je me retourne pour sonder l'âme du vieux prêtre. Il n'est d'ordinaire pas aussi chevaleresque aussi, des questions légitimes me viennent en tête. Je fronce les sourcils avant de me pencher un peu plus vers le visage de la dite victime et un long frisson me parcours l'échine. Un air familier me frappe de plein fouet et je comprends le mystère que semble taire mon cher et tendre. Si elle avait vécu elle lui aurait ressemblé… Mais pas le temps de me pencher sur ce passé qui ronge mon cœur que mes doigts tracent déjà des signes sur le front de la gamine et je me mets à murmurer tout contre son oreille.

Enfant des hommes que l'on a rejeté,
je t'ordonne de ne pas succomber.
Chrysalide au cocon ensanglanté,
Arrache le cœur qui t'empêche de devenir ce que tu es.
Malgré la douleur et les écueils,
Ouvre les yeux sur le monde qui t'accueille
Oublie le passé, j'effacerais tes torts
Et toi et moi pour toujours serons liées par la mort.


L'une de mes mains se pose sur le front de l'enfant endormi dont le souffle s'épuise de minutes en minutes, l'autre main vient prendre position sur sa poitrine, juste là où bat son cœur. Mais cette nuit, ce dernier semble vouloir taire le mouvement régulier du métronome de la vie.

Respire, allons respire,
Ne te laisse pas aller,
Accroche-toi à moi et respire,
Tu n'as pas le droit de partir,
Ni de nous abandonner.
Les choix sont faits ici-bas,
Les Dieux veulent te sauver,
Respire… fait un effort…
Guylhem


    Après de longue minute qui lui parurent interminable, la porte s’ouvrit enfin brusquement, laissant transparaitre un filet de lumière presque aveuglante, contrastante avec l’obscurité de la nuit. Instinctivement Guyhlem se recula d’un pas en voyant l’ombre de la Morrighan se détacher de la lumière semblable au diable sortant des enfers.


QUOI, QU'EST-C'QUI T'PRENDS D'VENIR M'EMMERDER AU BEAU MILIEU D'LA NUIT TOI ?

    Terrifié, le gamin rentra la tête dans les épaules, restant à bonne distance des mains de l’Irlandaise et, discrètement, regarda vers le ciel pour s’assurer que ce n’était pas un soir de pleine lune. Un jour… elle lui avait raconté qu’elle se transformait en louve à la pleine lune, et qu’elle n’hésiterait pas à le manger, tout aussi maigrichon qu’il était. Et bien sûr il l’avait cru ! Pensez donc ! C’est qu’elle savait être persuasive parfois la Morrighan ! Surtout quand il s’agissait de vous foutre la trouille…
    Alors oui, il n’était pas très rassuré, surtout que ce n’était pas ses menaces qui l’avait empêché, à plusieurs reprise, quand l’Irlandaise venait retrouver son maitre et qu’on l’envoyait faire des courses, de venir faire un tour dans son antre…
      Pour y chercher…
        Des farfadets !

    La faute à Moiira et ses histoires aussi...
    Mais ça… elle ne le savait pas.
    Du moins… Il l’esperait !
      Et si en fait elle le savait et qu’elle voulait s’venger là ? Maint’nant ?


    -Je… beuh… bah… C’est…

    Et voilà qu’elle s’approcha de lui plus près… Un peu trop près… Une petite sonnette dans la tête du gamin sonna l’alarme lui ordonnant de partir en courant, mais malheureusement, ses jambes, elles, refusèrent de faire le moindre mouvement.
    Lui aurait-elle jeté un sort pour emprisonner ses jambes dans le sol poussiéreux de la ruelle ?
    Il avait entendu dire par l’boiteux qu’elle était capable de transformer des hommes en arbre… D’abord ils sentaient leurs jambes se figer dans le sol, puis s’enfoncer dans la terre profondément comme des racines, et puis leurs bras s’étiraient au dessus de leur tête si fort qu’ils en hurlaient de douleur, jusqu’à se transformer en branche sombre et noueuse. Et pour finir, leur tête et le reste du corps se figeait dans une grimace épouvantable, changés en arbre. L’boiteux lui avait dit que c’était ce genre d’arbre, mort, que l’on voyait souvent aux abords d’une forêt dans au somment d’une colline… C’était un homme arbre.
      Et justement… il y avait un arbre tout pareil à deux pas d’ici...
        Alors… il avait p’tet pas tord le boiteux.
          Elle allait l’transformer en arbre. Ou en branche morte vu sa taille.
            Il était foutu…


    Les doigts de la Morrighan lui attrapèrent le menton et Guylhem ferma les yeux dans une grimace, attendant comme un condamner à mort qu’elle l’achève.
    Mais…


Qu'a-t-il donc encore fait ce vieux fou ? Il espère quoi, que je fasse des miracles avec ses morts ?

    Le gamin ouvrit un œil, puis un autre et fronça les sourcils en croisant le regard de l’Irlandaise il s’écria de sa petite voix d’enfant.

    -C’pas sa faute ! C’est une fée qu’a atterrit chez lui d’abord !

    Oublié le coup de l’arbre !
    Oublié la louve !
    Oublié la sorcière !
    Dans l’esprit du gamin les images de sorcière, de loup, de forêt s’étaient envolées comme par magie remplacées uniquement par la frêle créature gisant sur la table dans la bicoque de son maitre. Son cœur s’accéléra, songeant au corps ensanglanté, au visage d’ange, et aux traits inquiet du Père Eusèbe, se rendant compte soudain que finalement lui aussi avait peur.
    La caresse furtive de Moiira sur sa joue l’apaisa un peu, légèrement, juste assez pour qu’il ouvre à nouveau la bouche.


    -Faut faire vite ! L’a b’soin vous !

    Il avait parlé d’une petite voix, basse, presque inaudible suivant du regard les moindres faits et geste de l’Irlandaise. Quand elle ferma enfin la porte il ne put s’empêcher de soupirer de soulagement et quand elle lui demanda de passer devant et d’aller prévenir son maitre de son arrivé, le gamin ne se fit pas prier deux fois, prenant les jambes à son cou.

    Courant tout le long du chemin, il ne fut pas long a revenir chez son maitre, pas long non plus à faire comprendre au prêtre que la Morrighan arrivait, et encore moins long… pour la voir apparaitre enfin peu de temps après lui.

    Occupé, les deux adultes semblaient l’avoir oublié, il n’en fallu pas plus au gamin, pour reprendre le linge qu’il avait laissé tombé avant de partir, le rincer, et s’approcher à nouveau de la tete de la petite chose gisant sur la table mourant d’envie de caresser les cheveux, de toucher sa peau, mais craignant surtout de la voir partir pour de bon.
    D’habitude… Voir mourir les gens qui passait dans c’te maison ne lui faisait rien. Cela le faisait même plutôt râler car c’était toujours lui qui devait nettoyer après leur passage et bien souvent ce n’était pas tres reluisant ce qu’il laissait.
    D’habitude… Il était plutôt détaché, voyant ces personnes comme de gros morceaux de viande que le Père Eusèbe se servait pour lui donner des cours d’anatatomie, quelque chose comme ça.
    Mais ça... C’était d’habitude.
    Parce que d’habitude ce n’était pas des filles aussi jeunes et jolies.
    D’habitude c’était plutôt des vieilles, ou moins vieilles, mais crasseuses, à moitié défigurées aussi, grosses, poilues et qui sentaient mauvais ! Bref… des trucs qu’on n’avait pas envient de regarder.
    Mais là…

    Guylhem se recula de quelque pas, pour laisser la Morrighan faire son travail, et se rapprocha de son Maitre, cherchant, inconsciemment une présence forte et réconfortante. Puis il pencha légèrement la tête pour mieux observer l’étrange scène qui se déroulait sous ses yeux mais qui pourtant… Ne lui était pas étrangère.


    - Maitre ? Elle va vivre ? Demanda-t-il discrètement, craignant de rompre la magie ou de se prendre une taloche pour son audace.
Merance
[Hiver 1455-1456]
- Les Noces Barbares* -



    Si un jour on lui avait dit qu'elle irait à Paris, seule avec son baron de paternel, jamais la gamine n'y aurait cru. Et pourtant !
    La veille au soir, le baron de Sabran avait fait préparer l'attelage ainsi qu'une malle contenant tout ce que possédait sa fille aînée. Quant à cette dernière, elle fut prise en mains par les domestiques qui l'astiquèrent comme un sou neuf de la tête aux pieds. Et quand la jeune demoiselle demandait ce qu'il se passait, on lui souriait tristement tout en lui affirmant qu'elle allait faire un beau voyage.

    De voyage, elle en fit donc un. De la forteresse des Sabran située en Provence jusqu'à Paris. La route fut longue et monotone. Mérance n'osait ouvrir la bouche de peur de se prendre une raclée et son père restait accroché à son tonnelet de vinasse tant aimé. De temps à autre, Guillaume autorisait un arrêt afin de se soulager mais c'était toujours très rapide et aux risques et périls de sa fille si tant et bien qu'un petit matin où elle ne fut pas assez prompte à réagir, il la saisit par le cou et vint à la coller au sol, ses deux mains enserrant son gosier.


    - Espèce de chienne, t'y fais exprès afin de retarder l'inévitable mais tu ne peux plus reculer. Grâce à toi je vais gagner une véritable fortune et voir mon nom entrer dans des cercles que tu n'imagines même pas alors gare à toi si tu fais tout tomber à l'eau.

    Tirant l'épée qu'il avait au fourreau de sa ceinture, il la mit sur la gorge de sa fille.

    - Je me ferais un malin plaisir de t'égorger moi-même sale petite garce !

    Et tandis qu'il se relevait en titubant, un des domestiques qui accompagnait sa seigneurie prit la peine de venir en aide à la jeune fille qui tentait de reprendre sa respiration sans vomir tripes et boyaux, retenant tant bien que mal les larmes qui lui brûlaient les yeux avec audace. Le temps d'éliminer quelques flocons de neige qui s'étaient accrochés à la chevelure rousse et à son mantel que déjà, le baron faisait signe à tout le monde de reprendre sa place dans la voiture. D'un pas hésitant, Mérance fit les quelques mètres qui la séparaient de son futur avenir en se mordant la lèvre jusqu'au sang devant l'appréhension qui s'installait au cœur de ses entrailles. Et le voyage continua ainsi, dans un silence de mort entrecoupés d'injures jetés gratuitement au visage de sa fille de la part du sabran qui, bien éméché, lui reprochait sa venue au monde et tous les tracas qui en découlaient.

    - … de toute manière, toi et ton frère vous n'êtes qu'un ramassis de crevards et vous ne méritez même pas mon attention. Si je ne risquais pas le courroux de l'église il y a longtemps que je vous aurais enterré vivant l'un comme l'autre…

    Mérance avait alors pris le parti de fermer les yeux afin de se couper du monde que son père lui faisait entrevoir. Et son esprit vagabondait vers cet avenir qu'elle espérait tendre et heureux où elle pourrait vivre à la vue des autres sans avoir à se cacher sous n'importe quel prétexte. Peut être que pour une fois, le Très-Haut saurait lui donner un peu de cette vie qui était sienne… peut être…

    Mais la vie n'est pas toujours ce que l'on voudrait qu'elle soit. Et Mérance continua a en faire l'expérience.
    A peine arrivée à la capitale que la voiture se fraya un chemin dans un quartier bourgeois qui semblait très accueillant. Des boutiques ça et là, de belles maisons… pour une gamine qui n'avait jamais quittait sa Provence natale, le choc fut saisissant. Et toutes ces couleurs, toutes ces odeurs, ces cris, ces bruits, ces gens. Jamais elle ne s'était imaginée la chose ainsi mais il fallait qu'elle se rende à l'évidence, elle quittait l'enfance pour entrer dans le grand monde et elle devait désormais se comporter comme une adulte. Sauf que Mérance n'avait jamais appris à être autre chose que ce qu'elle était.

    Sortant de la voiture derrière son paternel, elle fut accueillit par la gouvernante de la maison et tandis que son père allait parler affaire, elle fut emmener non pas dans la cuisine comme on le faisait à la forteresse mais au salon afin de faire connaissance avec deux des fils de la maison. Il traversa l'idée à l'esprit encore enfantin de deviner qui serait son prince charmant des deux frères qui lui souriaient et lui tenaient compagnie. Mais bien vite le petit cœur enjoué se rembrunit quand, à l'arrivée de Sabran père on lui présenta son futur époux. Lothaire de Blessis père incontesté et incontestable de Conrad et Rodolf ainsi que de feu Nathaniel, le promis qui, par une fâcheuse nuit, se fit occire. Guillaume de Sabran, trop calculateur, trop pingre et trop heureux de se débarrasser de sa rousse de fille la vendit au rabais comme une vulgaire marchandise dont on se débarrasse parce qu'elle prend trop de place dans la réserve. L’aîné n'était qu'un bâtard dont on taisait le nom, l'héritière était maudite de par sa naissance, il lui restait donc les jumeaux, dignes héritiers dont l'un serait couronné et l'autre finirait comme esclave sexuelle durant le restant de la vie du Sabran. O joie, bonheur et décadence !

    A peine Mérance fut-elle mise au courant que son mariage aurait lieu non pas avec le fils occis mais le père bien portant que son paternel signait pour elle le contrat de mariage, la menait jusque devant le prêtre qui avait fait l'effort de venir jusque chez le marié contre quelques piécettes sonnantes et trébuchantes puis disparaissait à tout jamais en empochant une coquette somme. La jeune fille, complètement paumée, fut encore plus désœuvrée lorsqu'elle comprit, à la nuit tombée que son époux n'avait aucunement l'intention de faire l'impasse sur leur nuit de noces. Et une Mérance innocente que l'on sacrifie sur l'autel des affaires.

    La donzelle n'était pas très au fait de ce que l'on attendait d'elle et comme elle se refusait à son vieux mari, il eut tôt fait d'exiger qu'elle lui offre ce qu'il avait payé le prix fort. Mais têtue comme une mule, la jeune roussette s'obstinait à vouloir échapper à son bourreau alors ce dernier fit appel à ses fils qui la maintint afin de rendre la bête plus docile. De cris en larmes, de peur en supplications, rien n'y fit. Mérance reçut cette nuit-là un avant-gout de ce qui allait durer plusieurs mois voir années. Lothaire fit son devoir conjugal avec vigueur et force arrachant la dernière barrière de cette innocence brisée. Et comme si cela ne suffisait pas, il exigea de marquer de son seau la peau de cette chère enfant afin que toujours elle sache qui était dorénavant son maître.

    Toujours entre les mains des fils et complices de cette tragique affaire, Mérance ne put rien faire pour se défendre. Arquant le corps pour éviter qu'on la touche, elle reçut une correction à coups de poing dans le ventre. Et comme si cela ne suffisait pas, l'époux mal aimé décida de la fouetter. Les lanières de cuir vinrent lécher les chairs de la peau diaphane qui se mit à rougir et à éclater en bulles carmin. Et lorsque tout fut terminé, que la nuit de noces fut bien entamée, Lothaire décida d'abandonner aux mains expertes de ses fils sa femme tandis que lui devait quitter Paris pour affaires. Prostrée, perdue entre deux mondes, Mérance s'était recroquevillée sur elle-même au pied de son lit de jeune mariée. Et ce fut là que les fils de Blessis la trouvèrent. Sadiques et pervers certes mais l'affaire ne leur disait rien qui vaille aussi préférèrent-ils faire soigner celle qui désormais était devenue leur mère. Quelle ironie du sort pour cette jeunette à peine sortie de l'enfance…

    Et les heures s'égrainèrent dans le sablier du temps.
    Mérance ne cherchait même plus à lutter. La douleur irradiait dans tout son corps, la brutalité des attaques avait été telle qu'elle ne pensait qu'à dormir pour l'éternité. Et de rejeter par la même occasion le Très-Haut qui avait laissé faire ces insanités sans même essayer de la protéger… Ce ne fut que lorsqu'elle sentit son cœur ralentir et son corps flotter qu'elle finit par se détendre complètement. Toutes ces années durant lesquelles on l'avait ignorée, mise de côté pour aujourd'hui finir par être le jouet d'un homme âgé et sans aucun doute sadique et pervers… s'en était sans aucun doute trop pour une si jeune personne alors la raison bascula pour l'emporter vers le bout du chemin, celui dont on ne revient pas.

    Mais parfois, une personne se met sur votre route pour ne pas vous laisser sombrer et vous tend la main… Et cette douce chaleur qui pénétrait son cœur, se répandait dans son corps tout entier… peut être que cette chaleur la conduirait vers un meilleur lendemain. Alors un battement de cœur plus vif, une goulée d'air qui remplissait ses poumons, un mouvement dans ses membres et enfin un cri… un cri sortit du plus profond de sa gorge et qui offrait à ceux présent dans cette pièce qu'elle ne connaissait pas comme un avant gout de victoire
    .





* Yann Queffélec

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