Maudit soit l'heure à laquelle tu es né,
maudit soit celle qui t'a fait,
Maudit soit la force avec laquelle tu as aimé,
Maudit soit ta descendance que tu as engendré
Je crache les mots comme une litanie trop longtemps retenue, de celle que l'on prononce et que l'on oublie une fois les mots sortis.
Je n'oublie pas ce pourquoi je le fais, je le garde à l'esprit.
Chaque personne peut me solliciter, chaque femme a droit à se venger. Et l'amour bafoué est le plus terrible à contenter !
Je suis en train de me balancer dans un mouvement de cercle infini, ma tête en arrière, mes yeux clos, mon buste redressé au fur et à mesure que le mouvement s'amplifie quand soudain, on frappe à ma porte. Je fais mine de ne rien avoir entendu. Que celui qui me dérange repasse plus tard ou ne repasse jamais.
Je rajuste ma position, emplis mes poumons des herbes qui brûlent dans mon antre, ma dos se cambre, des images traversent mon esprit sans que je puisse en avoir le contrôle
je plane au-dessus de cet être malfaisant qui s'invite dans le lit d'une catin de satin. Les hommes ont tous tendance à se croire invulnérables et irrésistibles, celui-ci en aura pour son argent sans compter les furoncles qui vont venir lui pousser sur le corps. Un rire grave s'échappe de ma gorge, mes bras se soulèvent et se positionnent de façon à ce que je sois en croix, mes yeux se révulsent et je sens la chaleur entrer en moi, se propager dans mes entrailles, parcourant mon corps à travers mon sang bouillonnant. Ma tête éclate, mon dos s'arque plus violemment, je ris aux éclats car je vois la brûlure qui s'immisce le long de cette virilité faite homme et la grimace qui fige les traits de ce visage devenu si vulgairement méprisable.
La souffrance est un plat dont je me régale, la mort est un mets de choix que je garde pour les cas extraordinaires. Lui, ne la mérite pas. Il a juste le droit de supporter ce mal qui lui tourmente le bas-ventre à chaque mouvement de reins. Et ce n'est que le début, pauvre poupée au creux de mes mains. Je redresse la tête, me penche sur le chaudron qui bouillonne dans la cheminée, rajoute une pincée de fleurs broyées en récitant quelques mots dans la langue de ma naissance, de ce langage que l'on n'offre qu'à celui qui prendra possession de mon âme le jour de ma propre mort et je ris encore de ces images qui dansent devant mes prunelles. Mais alors que je chasse un nuage de fumée qui s'échappe de la potion qui mijote, de nouveaux coups sont donnés et j'entends que l'on m'appelle. Je me redresse, attend quelques instants faisant croire que je ne suis point là mais le nom de ce cher prêtre est prononcé et je ne peux décliner l'appel. Je sais qu'il ne fera appel à moi qu'en de tristes circonstances.
Lâchant un lugubre soupir, je me relève tant bien que mal, mes genoux restant ankylosés par la position que j'avais prise pour ce rituel mais je fais l'effort d'aller ouvrir enfin la porte à toute volée.- QUOI, QU'EST-C'QUI T'PRENDS D'VENIR M'EMMERDER AU BEAU MILIEU D'LA NUIT TOI ?Je jette un il au gamin blond dont les joues sont rosies par la course qu'il a dû faire pour venir jusqu'ici sans en perdre un instant. J'aime bien ce gosse mais j'adore encore plus le faire tourner en bourrique. Il est très naïf et encore plus impressionnable surtout lorsqu'il ose entrer dans ma tanière. Je lui ai un jour susurré dans le creux de l'oreille que s'il venait trop fouiller chez moi que je me régalerais de le déchiqueter entre mes dents à la pleine lune lorsque je me transforme en louve. Et vous savez quoi, le mioche y a cru ! Ses yeux étaient écarquillés comme des soucoupes, j'ai cru qu'il allait me faire une syncope ! Mais bref, l'urgence n'est pas là. Je le regarde d'un peu plus prêt, hume l'odeur qu'il dégage et mise à part la sueur qui flatte mes narines j'en viens à la sentir
la mort rôde, la mort l'accompagne, la mort est parmi nous ce soir. Je prends le menton de Guylhem entre mes doigts, le passe sur sa peau avant de porter mon pouce à mes lèvres. L'âcreté du raisiné me donne la nausée, ce sang est mauvais. - Qu'a-t-il donc encore fait ce vieux fou ? Il espère quoi, que je fasse des miracles avec ses morts ?Je grogne et cela vient du plus profond de ma gorge. Eusèbe et moi c'est une vieille histoire qui remonte à des années. Des années durant lesquelles nous nous sommes cachés jusqu'à décider que nos vies valaient le coup d'être vécues au grand jour. Et advienne que pourra
Un homme d'église et une sorcière, quel beau pied de nez à la société ! Et même si nous ne vivons pas ensemble, on sait se retrouver quand on a besoin l'un de l'autre. Mais là c'est une toute autre affaire pour laquelle il requiert ma présence. Il a encore dû récupérer une gamine du bordel d'à côté dans un triste état et c'est moi qui vais devoir faire le nécessaire afin de lui faire passer de vie à trépas
Mes yeux clairs se posent sur le mioche. Celui-là il est encore petit mais il en a vu des âmes s'en aller. Je le plains et je finis même par caresser un peu sa joue. Je n'ai jamais eu d'enfant, enfin si mais elle n'est plus de ce monde. Les dieux ont estimé que je n'avais pas le droit de connaitre le bonheur d'être mère à plein temps
ça me va finalement. Je ne sais pas ce qu'elle serait advenue ni même si elle n'aurait pas été pendue pour l'affront que l'on faisait au monde, nous les rebuts, ceux dont personne ne se soucie sauf quand il faut justifier des méfaits causés par d'autres. Je m'en retourne dans mon antre, finis par soulever le chaudron du feu et le poser sur la margelle de la cheminée afin que le contenu refroidisse avant que je ne l'offre à celle qui m'a payé pour ce petit "service" et je referme la porte derrière moi en sortant. - Passe devant le mioche et va prév'nir que j'arrive.Le temps de faire le chemin et me voilà à entrer sans crier gare dans la baraque du vieux Eusèbe. L'odeur me prend la gorge et cette dernière se serre au point de me faire suffoquer. Je n' accorde aucun regard à mon amant juste pour le punir de m'avoir dérangé dans mes petites affaires et je pose mes pupilles sur chaque recoin de cette foutue pièce pour enfin découvrir le corps frêle installé sur la table. Et tandis que mes doigts cherchent le pouls de la petiote, je lance à celui qui est posté derrière mon épaule à m'observer.- Tu as la sale manie de me faire appeler quand il est trop tard Eusèbe. Combien de fois faut-il que je te dise que je ne peux rien faire quand ils sont dans cet état là.
- Essaie
s'il te plait
Le murmure qui s'en vient jusqu'à mes oreilles me glace les sangs. Et je me retourne pour sonder l'âme du vieux prêtre. Il n'est d'ordinaire pas aussi chevaleresque aussi, des questions légitimes me viennent en tête. Je fronce les sourcils avant de me pencher un peu plus vers le visage de la dite victime et un long frisson me parcours l'échine. Un air familier me frappe de plein fouet et je comprends le mystère que semble taire mon cher et tendre. Si elle avait vécu elle lui aurait ressemblé
Mais pas le temps de me pencher sur ce passé qui ronge mon cur que mes doigts tracent déjà des signes sur le front de la gamine et je me mets à murmurer tout contre son oreille.
Enfant des hommes que l'on a rejeté,
je t'ordonne de ne pas succomber.
Chrysalide au cocon ensanglanté,
Arrache le cur qui t'empêche de devenir ce que tu es.
Malgré la douleur et les écueils,
Ouvre les yeux sur le monde qui t'accueille
Oublie le passé, j'effacerais tes torts
Et toi et moi pour toujours serons liées par la mort.
L'une de mes mains se pose sur le front de l'enfant endormi dont le souffle s'épuise de minutes en minutes, l'autre main vient prendre position sur sa poitrine, juste là où bat son cur. Mais cette nuit, ce dernier semble vouloir taire le mouvement régulier du métronome de la vie.Respire, allons respire,
Ne te laisse pas aller,
Accroche-toi à moi et respire,
Tu n'as pas le droit de partir,
Ni de nous abandonner.
Les choix sont faits ici-bas,
Les Dieux veulent te sauver,
Respire
fait un effort