Kye
- « Hello darkness my old friend, I've come to talk with you again. »
Simon and Garfunkel
La journée avait été parfaite et la soirée horrible. Il n'y avait pas d'autres mots pour décrire tout cela. Non, c'est sûr, s'il avait eu le choix, il n'aurait jamais parlé de tout ça ce soir. Elle n'était pas prête à entendre ce qu'il avait à lui dire, elle n'était pas non plus prête à dire ce qu'il voulait entendre et lui, il n'était pas prêt à entendre ce qu'elle lui avait dit, il n'était pas non plus prêt à dire ce qu'il avait dit. A choisir, il aurait repoussé l'échéance.
Alors, il avait quitté la taverne. Colère, tristesse et amertume, chacune de ses émotions se mélangeaient, sans trouver de point d'équilibre parfait. Il avait pris la route de son auberge, là où il dormait depuis qu'il était arrivé. Kye s'empara d'une bouteille au comptoir et déposa un paquet d'écus, trop pour une simple bouteille, mais assez pour qu'on le laisse tranquille pour le reste de la soirée. Il s'enferma dans sa chambre, s'installa dans son lit et déboucha cette bouteille.
Amertume.
Elle lui avait dit des choses qu'il n'était pas prêt à entendre. L'avait-elle fait exprès ? Que cherchait-elle à faire en agissant de la sorte ? Le vieux loup s'était senti attaquer, il s'était défendu comme il avait pu, il en était sorti blessé. A cet amertume se mélangea l'incompréhension de la situation. Dans sa tête, il revivait les scènes. Si les première fois, il disait la même chose qu'il lui avait dit, sur la fin, il changeait les situations. Il s'imaginait des réponses différentes, il s'en voulait d'avoir dit les choses de cette façon, d'avoir utiliser ces mots, parfois il s'en voulait d'en avoir prononcer tout simplement.
Alors, pour faire passer ce gout qui lui restait en travers de la gorge, il avait prit cette bouteille en bas. Il en prit une grosse gorgée. La chaleur de l'alcool lui irradia la bouche et il la senti descendre jusqu'à son estomac, mais ce n'était pas suffisant. Alors, il en reprit une nouvelle gorgée, plus importante, sans que cela ne change quelque chose. Et puis au final, la bouteille était vide et rien n'avait changé. L'amertume était toujours là. Les mots étaient toujours en travers de la gorge.
Le Noircastel regardait devant lui. Il regardait ce reflet que le miroir lui renvoyait.
Colère.
La bouteille était partie d'un coup. Elle avait volé à travers la chambre pour s'éclater à côté du miroir. Évidemment, ce n'était pas le mur qui était visé. Il se détestait, il ne supportait plus la vue de lui-même. L'instant suivant, il était debout, à côté du lit. C'est la chaise au coin de la chambre, qui servit de deuxième projectile. Cette fois, le miroir était touché. La chaise se fracassa et le miroir se brisa. Mais il y avait encore des morceaux, trop de morceaux, assez pour qu'il puisse se voir encore. Il s'en approcha et le fit tomber au sol cette fois, c'était suffisant.
C'était suffisant pour le miroir, il avait eu son compte. Mais la colère de Kye était toujours présente. Il défourailla son épée et passa le mobilier au fil de l'épée. Il trancha même les rideaux. Il pivota sur lui-même et au moment où il allait abaisser son arme pour un nouveau coup, il la lâcha. L'acier s'écrasa au sol, ondula sur le bois du planché, le bruit alterna entre des sons graves du pommeau et les sons aigüe de la pointe et puis un autre bruit, plus lourd, celui d'un homme qui s'effondre sur ses genoux.
Tristesse.
Il était tombé à genoux. Devant ce tableau, qu'il ne pouvait se résigner à détruire. Même dans un excès de rage, de colère, même s'il perdait la raison, jamais il ne pourrait y toucher. La peinture était couverte pas un drap blanc, mais il savait très bien ce qu'il y avait en-dessous. Il savait très bien, que cette peinture n'avait pas seulement immortalisée un corps, elle avait aussi immortalisée un moment, une époque, un sentiment et de tout ça, il ne pouvait s'en défaire. Il bascula sur le dos et des larmes brulantes coulèrent le long de ses tempes pour se noyer dans ses cheveux.
Désormais la chambre était à l'image de Kye. Intérieurement détruite et les seules choses qui tenaient encore debout étaient ce qui le rattachaient à Elisa. Le Noircatel resta de longues minutes, allonger au milieu de ces ruines. Il regardait le plafond, le silence et le calme étaient revenus dans la chambre et à l'étage.
C'était trop con.
Il se releva à l'aide son épée, avant de la ranger et quitta sa chambre. Direction le centre-ville. Il fit au plus court, pour se rendre chez elle.
Il prit les petites ruelles. Celles dont les bâtiments empêchent de voir le ciel. Celles qui restent sombre, même lorsque le soleil est à son zénith. Celles que tout le monde évite sauf les malfrats. Celles qui sont dites coupes-gorges. Mais Kye en impose naturellement, il a ce charisme qui fait aussi son charme. Il avance sûr de lui et ne cherche pas à éviter les groupes qui bloquent les chemins, il coupe les foules, personne ne se plaint. Il arrive enfin dans le centre, là où se trouve l'appartement de la Malemort.
Il frappe à la porte. Eli lui ouvre.
- Kye ? Que faites-vous là ?
Il n'a pas besoin de lui répondre. Sa présence est comme une évidence, alors elle lui ouvre la porte pour le laisser rentrer. Il monte à l'étage. Au bout du couloir, la chambre de la Malemort. Il fait les quelques pas qui le sépare de la chambre et posa sa main sur le bois.
Il hésite. Serre le poing. Toc. Aucune réponse, évidemment. Pourquoi voudrait-elle lui répondre après ce soir ? Mais il persiste, il tape à nouveau et ajoute d'une voix tremblotante à cause de l'émotion.
- Elisa...? C'est moi...Kÿe...comme si elle n'avait pas reconnue ta voix, triple buse. Ouvrez-moi... Rêve toujours, elle ne le fera jamais.
Il leva la main et la reposa sur la porte, sans faire un bruit. Il colla son front contre le bois froid.
- Elisa...je suis désolé pour ce soir. C'est vraiment trop bête. La journée était parfaite et nous l'avons gâché en une soirée...je l'ai gâché en un instant... Il soupira et se retourna pour coller son dos à la porte cette fois et se laissa doucement glisser jusqu'à atteindre le sol. Tu n'as plus confiance en moi...je peux le comprendre... Je suis vraiment désolé, qu'on en soit arrivé là, ce n'est pas ce que je voulais, ce n'est pas ce que je veux... Il lâcha un soupire à nouveau. ...Bonne nuit Elisa...
Il se releva et déposa une rose devant la porte. Elle était bleu comme la nuit et les pétales s'estompaient pour prendre une couleur violette sur la fin. Elle était unique et c'est pour ça, qu'il voulait la lui offrir. Il avait entouré la tige d'un ruban bleu humide, afin qu'elle ne meurt pas et qu'Elisa ne se pique pas avec. Puis il prit la direction des chambres des enfants. Il passa dans chacune d'entre elle, sauva un doudou tombé au sol pour le remettre dans les bras de sa propriétaire, remonta des couvertures un peu trop basse, rassura des sommeils un peu trop agités et s'arrêta dans la chambre de Louis.
Il y avait Kaizer devant le lit. Le chien le senti arriver, il avait déjà les oreilles dressées sur la tête et lorsqu'il passa le pas de la porte, il agita sa queue, content de le voir. Il s'assit en tailleur sur le sol, à côté du lit de son fils. Le chien vint poser son museau sur la cuisse du Noircastel, alors que ce dernier posait sa main sur le front de son fils. Sa main libre, il l'a mis sur la tête du jeune chien pour la lui caresser doucement et il posa sa tête sur le matelas du jeune garçon et murmura pour ne pas le réveiller.
- Fiston...j'aime ta mère... J'espère qu'elle va réaliser, qu'elle va revenir un jour. Je sais que tu n'as rien choisi et...je ne peux pas te dire combien de temps cela va durer...Juste...que je compte pas me défiler...j'ai de la peine c'est sûr...mais je serai toujours là pour toi aussi...Mais...je te cache pas qu'en attendant, je vais avoir besoin de toi...On va s'en sortir... après tout...je l'aime...
Il resta là encore de longues minutes. Et puis, il était temps de rentrer. Il se leva à nouveau, déposa un baiser sur le front du petit et une dernière caresse sur le dos de Kaizer avant de prendre la sortie. Il chercha un peu Eli, pour lui dire au revoir, mais elle semblait déjà être parti se coucher. Il était temps de faire de même, en vain.
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