Samsa
- "J'aurai voulu parfois,
Oui t'étrangler au quatre vent;
Te serrer dans mes bras;
Ah ça je l'ai voulu souvent." (Tryo - Ce que l'on s'aime)
Shawie peut bien continuer de parler, Samsa sait que les choses ne sont pas ce qu'elle dit, pas entièrement, qu'elle lui prête des intentions qu'elle n'avait pas et que de toute façon rien ne la fera changer d'avis parce qu'elle est en colère. Celles de Shawie était à égalité avec celles de la Cerbère, souvent moins explosives et radicales, mais bien plus entêtées contrairement à Samsa qui pouvait s'apaiser soudainement comme la fin d'un déluge. Se battre, la Prime Secrétaire Royale adorait cela, c'était tout le sens de sa vie mais elle détestait se battre contre des murs; elle n'essayait même pas d'ailleurs. C'est pourquoi, complètement fermée, les mots de Shawie glissent sur elle comme de l'eau sur les plumes d'un canard. Au fond, ça vaut mieux, parce qu'il y aurait eu de quoi mettre Samsa par terre en trois mots. Loin d'être dupe également, la Bordelaise sait bien que, si les rôles avaient été inversés, Shawie l'aurait faite parler sans scrupules. Ou peut-être que si, avec des scrupules, mais le résultat aurait été le même. Et de quoi aurait parlé Cerbère ?
De Zyg. De Laurelle.
De celle qui s'en est allée sans avoir su que ses sentiments envers Samsa étaient réciproques, celle qui était peut-être même morte à cause de ce silence de pleutre. Elle aurait parlé de ces cinq années qui ont suivi et qui l'ont plongé en Enfers, elle aurait parlé de ses folies, de son chagrin, de sa douleur, de sa haine de tout et de tous, surtout d'elle-même. Elle aurait parlé de cette destruction qui, à son paroxysme, l'avait finalement mené à Laurelle et comment la victime d'injustice était elle aussi devenue une bourreau injuste dans le seul but de se venger. Peut-être se serait-elle libérée du fardeau du silence de cette nuit-là et elle aurait raconté les tortures faites à la pauvre nonne, aussi psychiques que physiques. Elle aurait révélé son plus sombre visage, toute cette partie marécageuse de son être, l'Immondice même à en donner la gerbe rien qu'en écoutant ce que Laurelle avait subi, combien de temps et même sa mise à mort n'aurait pas apaisé l'auditeur puisqu'était née cette nuit la signature de la tueuse à gage nouvelle : l'égorgement qui, justement dosé, noie la victime dans son propre sang.
Une main se pose sur son bras et Cerbère sursaute brièvement. Son cerveau plongé dans ses propres souvenirs à confesser a entendu la question précédente sans en prendre compte. Depuis combien de temps est-elle là sans bouger, à se rappeler ses propres tortures, celles qu'elle avait fait subir, celle qu'on lui avait fait subir en retour ? Qu'importe.
Un sourire en coin s'adresse à Shawie, pas vraiment rancunier en constatant que la tempête est passée.
-J'aurais fait comme toi avec l'histoire de la pomme de pin pardi. Tu l'aurais su un jour pardi. P'tetre que je t'aurais foutu un peu de plantes dans ta bière pour te rendre plus amorphe par contre té.
Cerbère remue de nouveau de la mâchoire alors qu'un bleu commence à se forme au niveau de son os, moitié dissimulé sous la tâche de sang salement essuyé.
-Tu sais pardi, tu devrais arrêter de taper sur mon visage té. Un jour, tu vas me casser le nez ou les dents pardi, t'as déjà failli me rendre aveugle té ! Tu ne voudrais pas viser la cotte de maille la prochaine fois pardi ?
"Je propose, juste comme ça tu vois..."
L'esquisse d'un sourire amusé vient ponctuer la phrase sans avouer pour autant que c'est sérieux; ça l'arrangerait vraiment parce que là, ça fait mal.
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