Samsa
- "Et je cours !
Je me raccroche à la vie.
Je me soûle avec le bruit des corps
Qui m'entourent." (Daniel Balavoine - Tous les cris les S.O.S)
-ATTRAPEZ-LA ! NE LA LAISSEZ PAS S'ÉCHAPPER !
Ils sont six derrière elle, six angevins en colère qui poursuivent ce qu'ils ignorent être la Prime Secrétaire Royale en mission d'espionnage par initiative. Entièrement vêtue de noir et sans son insigne de fleur de lys d'or brodé, Samsa s'était infiltrée en Anjou par les forêts et les marais, tout ce qui était loin des chemins quand bien même c'était parfois peu praticables et peu accueillants. Pour Samsa, ça l'était toujours plus que ces maudits angevins. Aux portes d'Angers, elle avait prit soin de se recouvrir de poussière et de boue pour paraître pauvre et sale et elle avait été jusqu'à se couper un peu au niveau de l'avant-bras gauche pour se faire des marques de sang sur le visage. Personne ne l'aurait laissé entrer -seule qui plus est- si elle n'avait pas eu l'air amochée par la douane volante, bien connue dans le Royaume. Ainsi, elle avait ravalé son égo en passant les portes sous les ricanements de ces barbares qui avaient poussé l'audace jusqu'à la bousculer. Le miracle du jour fut que Cerbère ne les avait pas mordu et avait tracé sa route.
Angers.
Putain, qu'est-ce qu'elle détestait cette ville. Comme toutes les villes angevines d'ailleurs.
Tout en marchant avec son panache habituel, surtout ici, elle ne prêtait pas attention au marché, aux gens, tous ces gens qui faisaient tant les malins et qu'elle pouvait briser d'un geste à présent. Elle prenait plaisir à ne pas se pousser dans la rue et sa carrure charpentée donnait des coups d'épaules surprenants qui renversèrent plus d'un panier mal tenu et firent lâcher des jurons dont Cerbère se moquait éperdument. Pour Samsa, chacun était un peu responsable de la mort de Zyg. Ils l'avaient humilié, insulté, et même si Samsa se sentait bien plus responsable qu'eux, il lui semblait qu'ils étaient l'amorce de tout. Depuis, ils n'avaient cessé de détruire, à leur petite mesure, le monde de la Prime Secrétaire Royale qui n'était à l'époque qu'une jeune femme absolument naïve et bourrée d'innocence. Samsa avait, qui plus est, bien trop d'ambition pour se rallier à eux; elle voyait grand, elle voulait que l'Histoire se souvienne d'elle comme quelqu'un de bien, quelqu'un de forte, quelqu'un qui aurait participé à construire un monde meilleur, pas comme une vulgaire barbare bandit qui ne pensait qu'à ses petites richesses personnelles et qui trouvait plus amusant de tout détruire, même quand il n'y avait plus rien à casser. C'était ainsi que la Bordelaise les voyait et les verrait sans doute toujours, sauf quelques exceptions. Les auberges défilèrent dans sa vision latérale mais elle ne s'arrêta à aucune; elle dormirait dehors tout le temps de son séjour.
Elle avait posé son abri dans la niche d'un mur d'une impasse sale et nauséabonde en plus d'être sombre. Grâce au papier qu'elle avait pu conserver, elle rédigeait d'une écriture volontairement presque illisible tout ce qu'elle était venue chercher ici : les fréquences des rondes, l'armement général, l'état portant des hommes d'armes et de la population, les prix de marché et les quantités autant que les qualités... Au bout de trois jours, Samsa avait récupéré pas mal d'informations utiles sans être forcément sensibles. Au quatrième matin, elle était repartie en vadrouille afin de cette fois partir en quête de l'alcool local; était-il fort ? Combien en buvait-on par jour ? Où étaient les stocks ? Comment venaient-ils ?
Elle fit ses observations dans la taverne mais fut-elle assez discrète ? Il est probable que son absence d'agitation et sa solitude ont attiré les regards et les curiosités, car quand elle ressortit le soir pour aller coucher sur papiers ces nouvelles informations, elle trouva trois hommes d'armes en train d'étudier son refuge, son quartier-général. Ils s'aperçurent presque en même temps et la Prime Secrétaire Royale ne tarda pas à s'enfuir sous les haros des gardes. Elle n'avait pas parcouru vingt mètres que la rue principale se trouva bouchée au bout par trois nouveaux hommes plus décidés à la transpercer de leur hallebarde qu'à l'enfermer. Cerbère avait emprunté la première ruelle à gauche et courrait agilement malgré sa cotte de maille sous sa chemise et l'épée à sa taille. Tout chez Samsa lui permettait ce petit exploit.
Les jambes plutôt courtes renfermaient des muscles à même taille et donc particulièrement puissants, explosifs, bien que l'effort prolongé ne fut en conséquence pas leur tasse de thé. Le haut du corps un peu plus grand, le dos était longiligne et s'élargissait vers les épaules, lui donnant un caractère robuste qui se prolongeait aux épaules solides. Ainsi, bien que le corps puissant de Samsa n'était pas fait pour une course de plus de cinq minutes, la cage thoracique profonde lui permettait d'avoir assez de temps pour atteindre un échappatoire. Mais à Angers, ville angevine, ville ennemie, quelle sortie y a-t-il maintenant que, à chaque coin de rue, retentissent les cris d'alarme et d'appel à la poursuite ? A chaque foulée supplémentaire, les jambes ploient un peu plus, le dos se courbe, la trachée brûle et les poumons crachent. Si elle ne trouve pas une refuge maintenant, elle devra affronter six hommes pour commencer, puis toute la garde et enfin la population entière car celle qui connait bien l'Anjou pour le combattre depuis des années n'est pas stupide; elle sait pertinemment qu'ils sont assimilables à des moutons, ils se suivent tous.
Dans un dernier appui de jambe gauche pour la faire dévier soudainement à droite à la fin d'une rue, elle débouche sur une grande place, parvis de la cathédrale qui se dresse maintenant devant elle. Ce doit être le seul lieu qui lui est ouvert, et encore. Elle se jette littéralement contre la porte de bois massif, imposante, qui s'ouvre pourtant avec une lenteur exaspérante. Sitôt entrée, Cerbère referme derrière elle comme elle le peut et, adossée à la porte qu'elle vient de sceller en faisant basculer la lourde barre de bois en travers, elle observe les lieux alors que tout son corps hurle à la mort -ou pas loin-. En y réfléchissant, ce n'était peut-être pas une bonne idée de se réfugier ici, elle qui avait des cheveux bruns aux puissants reflets roux -à moins que ce ne soit l'inverse-.
Le plan A, c'était de repartir d'Angers aussi tranquillement qu'elle y est entrée.
Le plan B, c'est de trouver comment s'en aller et réfléchir ne s'avère guère facile avec le bruit des angevins s'acharnant tant de voix que de corps contre la porte de la cathédrale.
_________________